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n° 01854Fiche technique12871 caractères12871
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Temps de lecture estimé : 9 mn
08/06/23
corrigé 08/06/23
Résumé:  Dans son compartiment de train, une femme se retrouve face à un couple, début d'soirée sensuelle
Critères:  fh inconnu train volupté intermast
Auteur : Chiara      
Les belles endormies

J’aime les gares, leur atmosphère de départ pour les uns, de retour pour d’autres. Endroits de retrouvailles ou de fuites, de rendez-vous escomptés depuis des lustres ou d’adieu à jamais. J’aime vagabonder parmi ces valises en attente sur les quais. Toutes racontent une histoire, triste ou gaie. J’aime l’inconnu des rencontres fortuites et les anecdotes pétillantes sur des destinations imaginaires.


La gare Roma Termini est particulièrement propice à ces états d’âme. Ce n’est pas tellement que l’endroit soit particulièrement joli, non. Sans doute est-ce intimement lié à la magie du lieu qui lui sert de décor. Une magie qui emplit chaque venelle, chaque pavé, chaque vocifération, chaque mouvement de la ville éternelle. Une magie que respire tout individu qui descend du marchepied d’un wagon, ou que quitte à regret celui qui l’arpente.


En cette fin d’après-midi, je pars pour Bruxelles. Une fois de plus, je dois assister à un important séminaire organisé par une association de lobbys proche de la Commission européenne. Comme à mon habitude, je suis en avance et déambule parmi les voyageurs, scrutant les petits bouts de vie qui défilent.


Après quelques pas, je me suis assise sur un banc, près de la boutique du fleuriste. Un homme y achète des roses blanches, sous l’œil moqueur de quelques adolescents boutonneux. Retrouvailles ou départ ? À chacun le soin d’imaginer à sa guise.


18 h 45, mon train est annoncé, voie deux. Je quitte les personnages de Roma Termini pour m’engouffrer dans le wagon-couchette pieusement réservé par ma secrétaire. Et y découvrir mes colocataires d’un soir, déjà confortablement installés. Je redoute toujours les vieilles bigotes qui radotent à longueur de kilomètres, de même que les hommes peu vertueux, à la main facilement baladeuse. C’est que le trajet est long et le compartiment exigu.


La chance me sourit puisque c’est un couple qui occupe la banquette me faisant face, la quatrième et dernière place étant pour sa part vacante. L’homme doit avoir vingt-trois ans, très typé, le visage façonné sans doute par le climat de la Calabre. La femme doit être un peu plus jeune et est relativement jolie. Je sens leur regard me dévisager pendant que j’arrange mon petit coin d’espace, rapidement comblé par un ordinateur portable et des dossiers.


Ils parlent de tout et de rien, d’amis que je ne connais pas, d’endroits que je fréquente rarement. Ils sont habillés légèrement, comme tous les Romains en ce début d’été. Un pantalon de fine toile et une chemise de lin pour lui, une robe légère et courte pour elle. Nu-pieds dans basquets pour les deux. Derrière mon PC, à compulser mes dossiers, je donne l’air beaucoup plus âgée. Je n’ai pourtant que trente-deux ans. Encore heureux que mon traditionnel tailleur dorme sagement dans ma valise et que j’aie opté pour un pantalon ample en viscose, surmonté d’un t-shirt près du corps.


La soirée avance et avec elle, la pénombre. Le compartiment n’est plus éclairé que par une lumière tamisée, qui me rend la lecture difficile. Les deux jeunes ne semblent pas se préoccuper de ma présence et de mon côté, je ne fais pas trop attention à eux, plongée dans mes documents. Je leur jette juste quelques regards furtifs de temps à autre, voire tends indiscrètement l’oreille lorsque leur conversation me semble plus anecdotique.


Il faut dire que depuis un petit moment, leurs propos flirtent avec l’incongru. Ils parlent d’une fille qui se prénomme comme moi, Chiara, et qui, à les entendre, peut se targuer d’un chapelet d’expériences sexuelles variées et diverses. Je remarque qu’au plus leur langage devient graveleux au plus ils m’observent. De crainte que je ne les écoute ? Ou au contraire comme une provocation ? À leurs yeux, je dois paraître pour une hypocondriaque du boulot, pour une vulgaire gratte-papier, mes lunettes d’intello sur le bout du nez et je décide de prendre la seconde supposition pour argent comptant.


La jeune fille détaille les mœurs de la Chiara en question, friande de la sodomie et de l’épilation totale, experte de la fellation et du triolisme, et j’en passe. Je devine leur petit jeu et j’avoue avoir bien du mal à me concentrer, non pas que j’éprouve la moindre excitation, mais bien que leur tentative pour perturber ma bienséance commence à m’amuser. Bien plus en tout cas que le sujet de mon séminaire de demain. J’apprécie d’autant plus leur mise à l’épreuve que je suis de nature très libertine, difficilement décontenancée lorsqu’il s’agit de sexe.


Tout en les observant du coin de l’œil, je m’efforce de ne pas croiser leurs regards ni de paraître trop attentive à ce qu’ils disent, bienveillante à faire preuve de flegme. C’est la fille qui, la première, joint le geste à la parole. Elle pose sa main sur la cuisse du jeune homme et, à tatillon, presque imperceptiblement au début, se fait plus pressante, glissant de façon de plus en plus appuyée vers le haut des cuisses. L’homme cache mal son embarras, ne se reprenant que lorsque la fille lui chuchote à l’oreille. À son tour, il déploie ses doigts sur la cuisse nue de sa compagne.


La soirée se fait douce, comme compatissante à leur soudaine initiative. Le ronronnement indéfectible du train porte à l’indolence, à la nonchalance.


Sans plus aucune précaution, la main de la fille escalade les cuisses du jeune homme pour aller buter sur un début d’excroissance, un léger sourire lui enjoignant de faire silence. Audacieuse, la fille ! Va-t-elle bientôt m’exposer sans la moindre retenue le sexe de son ami ? Lui n’est pas totalement rassuré. Dans sa tête, doivent fourmiller la vindicte populaire, la fin de son certificat de bonne vie et mœurs, la honte publique si un contrôleur venait à entrer ou si je me mettais à vociférer. Pour apaiser son angoisse, je lui souris à mon tour, discrètement. L’effet est immédiat, mon assentiment semblant constituer l’exutoire attendu si j’en crois le regard, encore craintif certes, mais déjà reconnaissant dont il me gratifie.


Je les regarde plus franchement et les trouve beaux dans leur maladresse. Doucement, la main de l’homme caresse la peau, somnole trois secondes à l’orée de la robe, pour repartir lentement s’abriter sous le coton. Pendant ce temps, les doigts de la fille palpent, malaxent le haut d’une jambe encore tremblante, balancée par de furtifs hoquets.


Je perçois parfaitement que son sexe est à présent totalement distendu, commençant sans nul doute à se trouver bien à l’étroit. Chaque passage trop appuyé de la main est une menace aux boutons à pression du pantalon, prêts à rendre l’âme à tout moment. Dans l’aventure, ils se sont rapprochés et leurs langues se sont mêlées.


Les doigts de la fille se font miséricorde et dégrafent un à un les boutons, libérant un sexe pour moitié déjà sorti du boxer. Sa main l’a de suite apprivoisé. C’est une queue oblongue, sans doute douce sous la paume qu’elle caresse un peu mécaniquement.


Si la vision de leur petit jeu de touche-touche commence à m’exciter, je n’ai pas pour autant envie de le leur faire savoir ni de participer à leurs ébats. D’un bond, je me lève et dépose mes affaires, empoignant au passage un paquet de cigarettes. Je les regarde seulement avec tendresse et leur souris, puis sors du compartiment en prenant soin de clore soigneusement les petits rideaux et de bien refermer la porte coulissante.


Il n’y a pas grand monde dans le corridor, la majorité des voyageurs préférant la volupté des fauteuils ou des couchettes. Je déambule quelques instants, cahin-caha pour ne pas perdre l’équilibre. Quelques personnes sont arc-boutées aux fenêtres, tirant sur une cigarette, papotant avec un congénère de leur ennui. Je sors une clope et fait pareil, me remémorant le jeune couple. Poursuivent-ils leur petite aventure ou se sont-ils arrêtés, déçus de mon départ inopiné ? Un autre moment, un autre soir, je suis certaine que j’aurais aimé les regarder plus en avant, voire – qui sait – tenter une participation. Mais pas maintenant, du moins pas de cette façon.


Je continue à papillonner dans le corridor lorsque je croise un homme, un livre à la main. Je reconnais de suite la couverture d’un ouvrage que j’ai lu et relu à maintes reprises. Ce sont « Les belles endormies » de Kawabata, un livre d’une sensualité admirable qui raconte l’histoire de jeunes filles vierges, endormies nues et parées dans une maison close et que viennent visiter des hommes de grand âge. Ils n’ont pas le droit de tenter de les réveiller, et sont juste là pour s’abreuver de leur sommeil. Un livre sur la vieillesse, sur le souvenir des jeunes années, d’une pureté magnifique.


L’homme s’aperçoit que je me suis arrêtée à sa hauteur et que je fixe le livre qu’il tient entre les mains.



Sa voix est calme, apaisée, rassurante. Lui-même a fière allure : grand, un visage ténébreux engoncé dans des cheveux poivre et sel.



Voir cet inconnu lire cet ouvrage d’un tel érotisme aiguise l’état d’excitation qui était le mien en quittant le compartiment. Alors que les doigts de l’inconnu glissent sur la tranche du livre, je me remémore un à un les magnifiques passages enfermés dans ces pages. Il me gourmande des yeux et c’est le sommeil des jolies Japonaises qui défile dans ma tête. L’homme s’approche de moi et c’est le parfum de leur jeunesse qui me monte aux narines. Sur le moment, je n’ai nulle envie d’une dissertation à l’emporte-pièce sur l’écrivain. J’aime trop le contenu du livre pour qu’un homme vienne gâcher sa magie par des propos hasardeux. L’envie soudaine de ses doigts sur mon corps s’inscrit dans le silence obligatoire. L’atmosphère érotique qui se dégage de chaque paragraphe du livre me sert d’échappatoire à toute explication. La seule vision de celui-ci offre un subterfuge idéal à toutes logorrhées.


L’homme perçoit mon engouement, l’attitude de soumission que je suis prête à lui offrir. Je me suis tournée vers la fenêtre, les avant-bras posés sur la rambarde, le corps légèrement incliné. Il s’est mis derrière moi et je sens à présent son souffle chaud sur ma nuque, presque déjà haletant. En tout cas, il acquiesce pleinement à ma folie passagère si j’en crois la main qui vient de se poser sur mes fesses, un doigt directement insinué dans ma raie. La légèreté de mon pantalon lui permet de palper mon cul avec aisance, nullement indisposé par un tissu trop épais. D’autant plus que ma position – les jambes légèrement fléchies – est une véritable invitation au toucher. Ses doigts remontent à présent vers le creux de mes reins et passent l’étape de la ceinture sans aucune peine, se glissant même sous l’élastique de mon tanga, faisant d’une pierre deux coups. Je mouille déjà abondamment et je lui sais gré de passer à la vitesse supérieure, les yeux fixés sur le paysage qui défile.


Mais au contraire, mon inconnu se contente de caresser tendrement mes deux lobes charnus. Il rapproche sa bouche de mon oreille et chuchote :


Eguchi desserra son bras qui la tenait fortement et, quand il eut disposé le bras nu de la fille de telle sorte qu’elle parut l’enlacer, elle lui rendit en effet docilement son étreinte. Le vieillard ne bougea plus. Il ferma les yeux. Une chaude extase l’envahit. C’était un ravissement presque inconscient. Il lui sembla comprendre le plaisir et le sentiment de bonheur qu’éprouvaient les vieillards à fréquenter cette maison.


Je n’avais pas remarqué que de son autre main, il avait discrètement ouvert le livre. Sa voix chaude siffle dans mon oreille, se fait éloquente, raffinée, parfois perfide. Elle me reflète le plus fidèlement possible toute l’onctuosité du livre, profitant de la plus lilliputienne anfractuosité de mon désir. Au mieux il conte, au mieux je lui fais allégeance. Au plus sa voix se fait sensuelle, au plus je me déleste de toute retenue.


Tout en poursuivant sa lecture au creux de mon oreille, sa main reprend le cheminement de ma croupe. Sans plus aucun ménagement, ses doigts fouillent mon vagin, titillent mon clitoris, ondulent dans ma vulve, lissent mes poils pubiens, vacillent sur mon mont de Vénus.


L’extrême-onction est quasi instantanée. Un long spasme accompagne le cri de mes chairs, difficilement étouffé. L’orgasme à peine consommé, l’inconnu a retiré sa main automatiquement de ma culotte, comme il a cessé sa lecture. Je n’ose dire un mot ni me retourner, les yeux toujours collés à la vitre.


J’entends le bruit d’un livre que l’on referme, les mots non lus qu’on laisse une nouvelle fois enfermés entre les marges. Lorsque je me retourne enfin, je vois l’homme s’éloigner, fuir mon espace de vision. Sans doute est-ce mieux ainsi.


Encore décontenancée, je prends une cigarette, la fume langoureusement et retourne dans ma couchette désormais silencieuse…