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n° 01977Fiche technique59327 caractères59327
Temps de lecture estimé : 33 mn
14/03/01
corrigé 24/10/22
Résumé:  Tempête, naufrage d'un pétrolier. Camille, séduisant lieutenant de pompier, m'amène à explorer un versant nouveau de ma sensualité et à concevoir alors pour mon compagnon un anniversaire... bien particulier. Inoubliable.
Critères:  ffh fbi frousses rousseurs couplus uniforme anniversai volupté voir intermast fellation cunnilingu pénétratio fsodo
Auteur : Dominique276
Le chant du cygne

Le réveillon de la Saint-Sylvestre approchait, à la grande joie de tous. Chacun se réjouissait des festivités à venir et s’apprêtait à franchir l’an 2000 dans l’allégresse. Hélas, les caprices du temps en décidèrent autrement. Entre Noël et le jour de l’An, merci du cadeau, nous eûmes droit à deux tempêtes successives à trois jours d’intervalle ! La seconde, très violente, proche du cyclone, provoqua d’innombrables dégâts. Et, pour couronner le tout, innommable cerise sur un peu ragoûtant gâteau, elle amena sur la côte la vomissure fétide du fuel puant et visqueux de l’Erika.


Face à l’ampleur colossale des difficultés, une cellule de crise fût immédiatement constituée au sein même de la mairie de la commune littorale où je travaille. Je me suis portée volontaire, pour y participer. Nous vécûmes quelques jours de vraie folie. Il y avait tant à faire…


Dans l’urgence, s’était enclenché un fantastique travail d’équipe, avec des gens d’horizons professionnels très divers. Nous formions une vraie ruche bourdonnante, travaillant étroitement ensemble, solidaires, au long de journées sans fin. Nous tentions d’apporter les meilleures réponses possibles aux innombrables problèmes qui nous submergeaient. Pour trouver des solutions, coordonner les opérations. Dans de telles circonstances, se crée un climat particulier d’entraide, d’excitation positive, de fatigue partagée, qui soude les participants et les rend très proches les uns des autres.


Dès le deuxième jour, des renforts composés d’une unité spéciale de pompiers étaient arrivés, en provenance de la région parisienne. Le lieutenant C. L., en charge de la logistique, avait rejoint notre groupe. C’est ainsi que je fis la connaissance de Camille, première femme pompier jamais rencontrée. Nous avons eu très vite de fréquents contacts l’une avec l’autre. Et nous avons rapidement sympathisé.


Passée la première surprise, je me suis habituée à la voir porter l’uniforme. Je n’en connais guère d’élégants pour nous, les femmes, et celui-là ne dérogeait pas à la règle, loin de là… Le pantalon bleu à liseré rouge et les grosses rangers n’ont rien de bien ravissant, et pourtant, bizarrement, cela ne lui allait pas si mal… peut-être à cause justement du contraste qui existait entre ces habits plutôt lourds et cette fraîcheur, cette légèreté, voire la presque fragilité qui émanaient d’elle, de son petit visage au teint très clair parsemé de quelques tâches de rousseur, de ses yeux bleu pâle, de ses boucles blondes tirant presque sur le roux…


Mais cette apparence trompeuse cachait, en réalité, une personnalité affirmée, un caractère bien trempé, une autorité naturelle, dont témoignait sa poignée de main ferme et franche et qu’elle avait d’ailleurs assez rapidement abandonnée, pour nous faire la bise, quand nous nous retrouvions le matin.



Il y avait un bon feeling entre nous. Au fil des jours, la folie des premiers temps s’atténuant, et même s’il restait encore énormément à faire, nous étions devenues de véritables amies. Nous discutions d’un peu de tout à la pause, autour d’un café, d’un sandwich, ou quand nous nous retrouvions en face de la photocopieuse ou du fax. J’appréciais beaucoup sa compagnie, sa façon toujours calme de voir les choses, et sa philosophie de la vie. Elle m’avait un peu racontée ses missions à l’étranger, lors de tremblements de terre ou d’inondations. Elle était rassurante. Et d’une certaine façon, elle m’impressionnait.


J’avais pour elle une espèce d’admiration. Je lui avais un peu parlé de ma vie, si différente de la sienne. Elle avait eu l’occasion de croiser Bruno, mon compagnon, venu me chercher un soir. Il n’était d’ailleurs pas resté indifférent à son charme (ah, le prestige de l’uniforme… !), et il m’avait dit plus tard, avec cette vulgarité souriante et provocante qu’il affectionne parfois et que je déteste tant :



En y repensant le lendemain, je dis à Camille qu’il ne devait pas toujours être facile pour elle de vivre dans un milieu professionnel presque uniquement masculin. Que les propos grivois et déplacés devaient parfois lui être pénibles à supporter. Mais qu’en contrepartie, ses collègues étant à ce que je pouvais en voir, souvent jeunes, athlétiques et plutôt beaux gosses, il ne devait pas lui être désagréable de se faire courtiser, et qu’elle devait avoir, ô la veinarde, l’embarras du choix …


Elle m’adressa alors un drôle de regard, un tantinet moqueur même, tandis qu’un léger sourire apparaissait sur ses lèvres. Elle me répondit tout à trac que, primo, les beaufs comprenaient vite avec elle qu’il ne fallait pas s’y frotter, et que, secundo… veinarde n’était pas vraiment le qualificatif idoine car, pour une lesbienne, se retrouver dans un monde d’hommes n’était pas franchement l’idéal pour les conquêtes amoureuses…


Lisant l’étonnement sur mon visage, en écho à ses propos, elle ajouta, toujours souriante et en me regardant au fond des yeux, qu’elle n’avait rien d’une tigresse, ni d’une prédatrice, et qu’elle ne croquait pas toutes les femmes avec lesquelles elle sympathisait, même si elles étaient aussi jolies et désirables que moi…


Je suis de nature à rougir assez vite, ce qui est totalement exaspérant. Je sentis qu’effectivement je commençais à piquer un fard… Elle eut cependant le tact de faire mine de ne pas s’en apercevoir et de plonger le nez dans ses listings, me laissant ainsi le temps d’évacuer mon trouble. Et nous en restâmes là.


Pour une surprise, ce fut une surprise, un peu dérangeante, je dois l’admettre. Surtout pour la jeune femme que je suis et qui mène une petite vie sans excès, ordinaire et tranquille. J’ai grandi et je vis encore toujours dans une petite ville de province qui reste étriquée, même si sa population décuple chaque été. Si les choses évoluent, on n’y trouve cependant pas cette liberté de mœurs affichée dans les rues, comme elle peut l’être dans les grandes agglomérations ou a fortiori à Paris. Il n’y a pas chez nous de « gay pride ». Si elle n’est plus un tabou comme autrefois, l’homosexualité, et peut-être plus encore l’homosexualité féminine, reste encore quelque chose de caché, quelque chose d’anormal. C’est dire si la liberté de ton et l’aisance de Camille m’avaient désarçonnée.


Je n’avais jusqu’alors jamais croisé de lesbiennes. À l’époque, où il m’arrivait encore de regarder avec Bruno le porno du premier samedi du mois (avant de nous en lasser à cause de son caractère répétitif), les scènes saphiques me laissaient plutôt indifférente. En réalité, elles faisaient plus d’effet à Bruno qu’à moi-même. Ce qui me rappelle qu’un soir, avant de nous endormir, alors que je revenais de deux jours de stage à Bruxelles avec une collègue qui avait partagé ma chambre, il m’avait demandé si je l’avais vue nue, si j’avais eu envie de la voir nue et de comparer nos seins, de comparer sa chatte à la mienne. Je lui avais donné un bon gros coup de coude dans les côtes, et l’avais traité de vicieux, de pervers, de gros dégoûtant …



Je ne suis pas sexuellement attirée par les femmes. Quoique, après avoir visionné une émission avec des lesbiennes ou suite à ce que m’avait dit Bruno, il m’était déjà arrivée, mais rarement, de me faire fugitivement la réflexion que l’amour avec une partenaire du même sexe serait, peut-être, une expérience à vivre, ne fût-ce qu’une fois, rien que pour voir… voir ce que l’on peut ressentir. Mais dès que je sortais du concept théorique, pour essayer de le rendre réel, pour imaginer l’appliquer concrètement avec une amie ou une inconnue mignonne croisée dans la rue, survenait alors comme une espèce de rejet, une forme de répugnance, presque de dégoût physique, à l’idée de caresser intimement un sexe féminin ou d’être moi-même l’objet des caresses d’une autre femme. Comme une certitude que, décidément, ce n’était pas mon truc.


Bref, j’aime vibrer, jouir, éprouver des sensations, donner du plaisir à un homme, en recevoir de lui, dans toutes les positions, sans tabou. Mais avec une femme, ah non ! Vraiment non !


Dans ces conditions, je trouvais exceptionnel d’être ainsi pour la première fois confrontée à la proximité d’une homosexuelle déclarée, en toute apparence bien dans sa peau, toute jolie, me disant que j’étais belle et désirable. C’était un peu gênant aussi, même si je n’éprouvais pas la moindre attirance physique et même si je ne ressentais rien d’autre pour elle qu’une amitié sincère et une vraie complicité, que je craignais d’ailleurs de voir maintenant faussée par cette révélation et par l’expression, même sous forme de boutade, de son désir pour moi. Avait-elle vraiment envie de moi, avait-elle réellement envie de me séduire ? C’était tellement… inattendu, déroutant ! Un peu troublant, également, reconnaissons-le.


Il m’était arrivé, un matin, alors que je m’essuyais au sortir de la douche, de me regarder et de me demander s’il lui arrivait de rêver de moi… si elle m’imaginait nue, me masturbant dans l’eau du bain ou même caressée par elle. C’était une idée si nouvelle, si bizarre, que mon corps puisse être l’objet du désir d’une autre femme, et même l’objet de ses envies de caresser… J’ai imaginé son souffle sur mon cou, ses lèvres sur mes épaules, mes seins au creux de ses paumes… mais non ! Décidément non, je ne pourrais vraiment pas… Pauvre Camille, elle était mal tombée avec moi.


J’avais failli en parler à Bruno. Mais en fin de compte, je m’étais tue. Après tout, cela ne regardait personne, et je ne suis pas d’une nature cancanière. Nous n’en avions même pas reparlé avec Camille. Nos rapports de travail se poursuivaient, comme avant. Pourquoi auraient-ils changés d’ailleurs ? Même si j’avais l’impression, de-ci de-là, que parfois ses regards s’attardaient un peu longuement sur moi.


Passée la mi-janvier, l’essentiel du travail de la cellule de crise était maintenant tourné vers le nettoyage des plages et des secteurs rocheux, vers les commandes de matériel et l’organisation des bénévoles. Le séjour de Camille parmi nous était provisoire et risquait de s’achever rapidement, probablement à la fin du mois, ou courant février. Sachant qu’elle était seule et qu’elle logeait dans un petit studio qu’on avait mis à sa disposition, et après en avoir discuté avec Bruno, je l’ai invitée à venir dîner un vendredi soir à la maison.


Très naturellement, très normalement.


La soirée fût vraiment agréable. Je découvrais pour la première fois Camille sans son uniforme. En collants noirs, jupe rouge, chemisier blanc brodé que tendait sa poitrine généreuse (comparée à la mienne) – sur laquelle d’ailleurs Bruno n’avait pas tardé à loucher…


La conversation a eu trait à ses missions à l’étranger. Elle nous a raconté les moments difficiles et forts qu’elle avait parfois traversés, avec des scènes très émouvantes, très éprouvantes, parfois même insoutenables. Elle nous a dit que, dans les pires situations, l’espoir demeure, tant est fort l’instinct de survie. Puis, en tournant ses grands yeux vers moi pour les planter dans les miens, elle a ajouté que, partout, c’est toujours l’amour qui sauve tout et rend la vie si belle…

Je suis partie cacher ma rougeur traîtresse dans la cuisine…


À mon retour, la conversation décousue que Camille entretenait avec Bruno, portait sur les dernières « Victoires de la musique ». Il exerçait sa verve caustique et quelque peu franchouillarde sur le triomphe inattendu de Natacha Atlas et de la version orientalisée de « Mon amie la rose ». Camille l’écoutait discourir, un sourire amusé aux lèvres, surtout lorsqu’il expliqua que la seule chose qu’il avait aimée, était les affriolantes danseuses du ventre qui avaient entouré la chanteuse, lors de sa prestation…


Je savais qu’elle avait apprécié ses séjours au Moyen-Orient, qu’elle aimait particulièrement la civilisation arabe et sa culture. Et j’ai bien cru que, piquée au vif, elle répondrait sèchement. Elle me parut sur le point de dire quelque chose, mais elle sembla se raviser et passa à un autre sujet. Elle était vraiment sympathique, et si intéressante. Comme elle était plutôt jolie, et que je voyais parfois mon Bruno la regarder d’un drôle d’air, et que cela me semblait réciproque, je me suis dit que si je n’avais pas su qu’elle était lesbienne, j’aurais pu en concevoir quelque inquiétude et me montrer jalouse…


J’en suis même venue à me demander, si elle ne me jouait pas la comédie : quel meilleur alibi que de s’avouer lesbienne, pour mieux séduire les hommes et endormir la méfiance de leurs compagnes ! Ou bien était-elle bi et capable à la fois de me draguer et de draguer Bruno ?…


Nous étions passés dans le salon, et je les avais aussitôt quittés, baignée d’incertitude, pour préparer le café dans la cuisine. Elle est alors arrivée derrière moi, silencieuse, et elle a murmuré :



Elle a déposé un baiser rapide et léger sur mon cou, et s’en est allée aussitôt. Décidément, c’était bien moi qui l’attirait. Devrais-je avouer que j’en ai éprouvé comme un soulagement ? Tout en savourant le paradoxe et la saveur particulière de cette situation, où l’homme que j’aime et qui m’aime ne pouvait s’empêcher de faire le beau face à une séduisante jeune femme qui paraissait s’intéresser à lui, alors qu’en réalité, c’était moi l’objet secret de ses attentions ! C’était peut-être un peu pervers, mais je dois vous avouer que cela me plaisait bien de vivre cette situation inattendue.


Camille partie, et une fois glissée sous la couette, je dis à Bruno qu’il avait eu toute la soirée, la tête du crapaud hypnotisé par le cobra… Qu’il avait bu ses paroles, qu’il l’avait dévorée du regard. J’étais sûre qu’elle l’avait fait bander avec ses nichons aguicheurs, ses collants moulants, sa jupe remontée scandaleusement haut sur ses cuisses, et qu’il ne pensait qu’à la sauter, cette pétroleuse. Ah ! Le comble ! Et je lui fis un énorme pinçon!


Il parut tout surpris, ce gros hypocrite, ce Judas, ce Tartuffe ! Il me répondit que je me faisais de drôles d’idées. Oui, elle était mignonne et très baisable, mon amie Camille. Mais, c’était quand même bien moi qui l’avais invitée. S’il la trouvait très sympathique, il lui était devenu clair qu’elle ne s’intéressait pas plus à lui qu’à moi.



Et nous partageâmes, cette nuit-là, des transports flamboyants, d’une intensité toute particulière… Car s’il n’a pas que des qualités, au lit mon Bruno assure, et notre entente sexuelle est harmonieuse. Ce n’est pas tout, mais ce n’est pas rien non plus. Et cela contribue, avec nos caractères complémentaires, à forger une vie de couple qui fonctionne plutôt bien.


Le lundi suivant, Camille me remercia encore une fois. Elle paraissait vraiment heureuse de cette soirée. Elle me dit que, dans le prolongement de notre conversation à la maison, elle souhaitait que je puisse passer à son appartement, mercredi après-midi. Elle avait un jour de récupération, et j’avais de mon côté repris mon travail à temps partiel. Elle voulait me montrer quelque chose, une surprise qu’elle ne pouvait amener avec elle.


J’ai un peu hésité, me disant, en l’espace d’une fraction de seconde, qu’accepter d’aller chez elle pourrait être interprété comme accepter d’aller plus loin… Mais après tout, je ne courais pas grand risque ! Elle savait que j’étais une hétéro pur sucre. Qu’elle n’obtiendrait de moi que de l’amitié, si toutefois elle attendait encore quelque chose. Et puis, elle avait suscité ma curiosité, et là… je ne sais pas, je n’ai jamais su y résister. Je lui répondis donc que j’étais d’accord, mais que je ferais juste un saut, ayant tant de choses à faire…


C’est donc avec des sentiments mêlés que, sans avoir parlé de cette visite à Bruno, je sonnai à sa porte en début d’après-midi.

Et pour une surprise ! Ce fut une sacrée surprise !


D’abord, je crus m’être trompée d’appartement. Ou être victime d’une hallucination ! Je ne l’ai pas reconnue tout de suite, dans son costume tellement inattendu de… danseuse orientale : pieds nus, jupe fendue, soutien-gorge à franges !


J’allais balbutier que je ne savais pas qu’elle m’invitait à un bal costumé, ou à une sorte de carnaval, tant j’étais désarçonnée, abasourdie de la trouver ainsi vêtue. Mais elle ne m’en laissa pas le temps, mit son doigt sur ses lèvres, me faisant signe de garder le silence. Elle prit ma main, me fit asseoir sur le canapé du fonds de la pièce, qu’elle avait complètement dégagé de tout obstacle, et, sans mot dire, actionna le lecteur de CD. Flûtes, trompes, tambourins… la musique envahit la pièce.


Elle se concentra quelques secondes, prit une longue inspiration et commença à danser pour moi d’une façon indescriptible, totalement extraordinaire. J’étais littéralement subjuguée par la qualité de sa danse, la grâce de ses mouvements et de ses gestes… Il s’en dégageait une telle beauté, une telle harmonie, mais aussi une telle sensualité, lorsque, dans ce mouvement si particulier propre aux danseuses du ventre, elle faisait bouger son bassin et onduler sa poitrine, et quand ses pas glissés révélaient, par l’échancrure de la jupe, la rondeur de ses cuisses.


Elle se fondait dans une musique aux rythmes obsédants, accompagnant la voix d’une chanteuse aux accents déchirants… Elle était la musique, elle était la danse. Elle ne me quittait pas des yeux, tantôt s’approchant, me frôlant, tantôt s’éloignant de moi. Tout était si inattendu, d’une telle grâce. J’étais littéralement scotchée, épatée par la qualité de sa prestation, bouleversée par l’intensité qu’elle y mettait. Troublée par sa plastique magnifiée par la légèreté de sa danse, par ce jeu de séduction qu’elle déployait pour moi, et moi seule. Quand la musique s’est arrêtée et qu’elle est venue vers moi, féline, quelques gouttes de sueur perlant à ses tempes, je demeurais tellement sous le charme, sous l’étonnement, imprégnée d’émotions indéfinissables, que j’en restai muette.


Elle s’est alors assise près de moi, m’emplissant de son parfum. Elle a pris mes mains dans les siennes. Elle m’a indiquée d’une voix douce, encore légèrement essoufflée, que la chanson parlait de l’amour impossible d’une femme pour une autre femme qui n’aime que les hommes. De son désespoir de ne la caresser qu’en rêve… De ce rêve qu’il est si doux, si bon, si précieux de pouvoir vivre parfois dans la réalité.


Me tenant toujours les mains, elle a plongé ses yeux limpides dans les miens, a approché ses lèvres, comme dans un mouvement étrangement ralenti, comme dans un film, et… Et je n’ai rien fait ! Je ne l’ai pas repoussée. Comme si j’étais devenue une autre, comme si l’étrangeté de ce qui m’arrivait, son costume, sa peau nue luisante de sa sueur, sa danse, la musique, comme si tout cela m’avait projetée dans un ailleurs indéfinissable…


Le temps que ses lèvres tièdes se posent sur les miennes, en une infinie douceur, j’ai su en un éclair que cela allait m’arriver. Que je n’étais pas en état de refuser ou de me dérober. Que j’allais accepter ses caresses, que le tabou allait sauter, la transgression s’opérer, sans que je m’y oppose, sans que je prenne la fuite. Ce n’était pas tant ressentir l’envie consciente de vivre cette expérience, d’accepter ou de rechercher son désir, sa bouche et ses mains sur mon corps. C’était surtout être incapable d’envisager de la repousser, de lui interdire ce qu’elle espérait si fort de moi et qu’elle m’avait exprimée de cette si étrange, si poignante, si onirique façon. Si troublante et excitante aussi. Je me suis laissé faire, comme une esclave alanguie et soumise. J’ai laissé ses lèvres se poser sur les miennes en un long baiser, sa langue rencontrer ma langue, nos salives se mêler et le désir naître, prospérer et embellir en moi.


Elle m’a embrassé les mains, caressé la joue en un geste tendre, et puis les cheveux aussi. Tant de choses passaient dans son regard. Elle exprimait une telle joie, un tel bonheur, que de plus en plus l’émotion me gagnait. Je me sentais fondre. C’était à la fois tellement vrai et si irréel. Elle m’a prise les mains et m’a simplement dit : « Viens »… Et je l’ai suivie.


Elle m’a conduite dans sa chambre. Tout en m’embrassant, elle a commencé à me déshabiller, faisant tomber un à un mes vêtements, jusqu’à ce que je me retrouve complètement nue, et frissonnante malgré la chaleur de l’appartement. J’étais offerte impudique à son regard qui glissait lentement le long de mes seins, sur mon ventre, ma toison noire, et enfin mes cuisses. Elle m’a fait m’allonger sur son lit, et s’est déshabillée à son tour, en me regardant, en me disant comme j’étais belle et comme j’avais un corps merveilleux. Sa peau était très pâle, constellée de taches de rousseur ; sa poitrine était généreuse, son pubis plus clair et moins fourni que le mien. Elle s’est alors penchée vers moi, ses cheveux balayant mon visage. Ses seins lourds à la large aréole ont frôlé doucement les miens, s’y sont posés, s’y sont appuyés.


Je n’avais jamais connu cette sensation, ce contact tiède, ouaté et moelleux… cette ineffable douceur d’un sein féminin posé sur les miens, tellement plus petits et dont les bouts roses sont à présent tout dressés…

Elle se souleva légèrement, puis imposa un doux balancement à sa poitrine dont les pointes se dressèrent à leur tour, pour passer et repasser sur les miennes, en un va-et-vient aérien et caressant. Les petites flèches hérissées du plaisir couraient dans mes veines, inondant mon corps empli de frémissements, le parcourant, colorant d’incarnat ma peau claire. Je me suis abandonnée, passive et consentante, à l’ivresse de ses caresses, à ces mots qu’elle chuchotait à mon oreille, au plaisir, à la fois semblable et d’une autre nature, qu’elle me donnait.


Elle a caressé ma poitrine de ses mains, de ses doigts, de ses paumes, de sa bouche, de ses lèvres, de sa langue experte. Elle était assise à côté de moi. Elle s’est soudainement arrêtée, m’a regardée, m’a souri, et puis, lentement, d’une douce mais ferme pression, a écarté mes cuisses. Je ne suis même pas sûre d’avoir ressenti le moindre raidissement face à son geste. Je me suis ouverte, m’offrant à moi-même cette vision bizarre de mes jambes écartées, de mon sexe exposé, de cette tête, de cette chevelure dorée se penchant vers mon ventre, puis cette sensation de petits coups de langue mouillés qui taquinaient mon nombril, léchaient mon pubis, couvraient mes poils bouclés de salive, et descendaient, descendaient toujours plus, pour enfin lécher ma fente, suçoter mon clitoris, d’abord lentement puis à petits coups de plus en plus rapides, de plus en plus appuyés.


Je me suis alors rendue compte que j’étais toute mouillée, tellement excitée par la situation. Je voyais son dos, l’amorce de la raie de ses fesses, sa nuque délicate, ses cheveux légers. Les saccades du plaisir se faisaient de plus en plus intenses, en même temps que s’accéléraient ma respiration et le tempo de ses caresses au plus intime de moi. En gémissant, j’ai rejeté la tête en arrière et j’ai fixé le plafond, yeux mi-clos sur l’étonnement de vivre ce moment particulier, de me faire lécher par elle et du plaisir primaire et sauvage que j’en retirais.


Attentive à la montée de ma jouissance, à mes feulements étouffés, et quand surtout elle sentit que j’étais prête, que l’orgasme allait déferler, ses doigts agiles glissés dans mon vagin et appuyés sur mon clitoris prirent le relais. Elle m’embrassa à pleine bouche de ses lèvres gourmandes, son menton recouvert de mon jus mêlé à sa salive. J’ai joui, bercée de la lumière de ses yeux clairs, de la caresse de son regard tendre, de la chaleur irradiante de son sourire complice, et du miel des mots qu’elle chuchotait, à mon trouble accordés :



… Une fois mes tumultes apaisés, ma respiration pacifiée, je restai silencieuse. Elle me regardait toujours, passant ses doigts dans mes cheveux. Comme souvent, comme trop souvent, j’étais écartelée entre des envies contraires. Je me sentais coupable vis à vis de Bruno que je n’avais jamais trompé auparavant. Je voulais me rhabiller et partir en courant. Et en même temps, il y avait cette douceur innocente de nos deux corps nus côte à côte. Il y avait aussi cette envie de rester encore un peu, de ne pas lui donner le sentiment injuste d’un rejet brutal.


Nous avons parlé. Elle, d’abord, me disant qu’elle avait flashé sur moi dès le premier jour, qu’elle aurait pu m’aimer très fort, mais qu’elle avait vite compris que c’était sans espoir. Et qu’avoir pu faire l’amour avec moi, ce dont elle avait très envie, était déjà une forme de miracle et un somptueux cadeau qui la comblait, même si elle restait sur sa faim des caresses que je ne lui avais pas offertes et qu’elle-même avait pris tant de plaisir à me donner.



Je lui confiai à quel point j’avais été surprise de la découvrir en danseuse du ventre, elle que j’aurais plutôt imaginée, compte tenu de son physique, en… danseuse irlandaise, et aussi comment j’avais été bluffée, époustouflée par la qualité de sa danse. Il y avait là un mystère qui m’échappait…Elle m’expliqua alors qu’à 16 ans et déjà attirée par les femmes, elle avait été séduite et initiée par la sœur plus âgée d’une camarade de classe d’origine égyptienne, qui était professeur de baladi.


Le baladi, ou « danse du ventre », est l’appellation authentique d’une danse dont les racines plongent très loin dans la culture arabe et mettent en jeu, comme toute danse véritable, toutes les parties du corps sans exception. En même temps que les caresses saphiques, Amina lui avait enseigné son art. Elles avaient vécu ensemble plusieurs années, Camille participant même à des spectacles donnés par la troupe que son amante avait mise sur pied. Elle avait de ce fait fini par atteindre un niveau quasi-professionnel. Quand je lui ai dit que moi aussi j’avais touché à la danse durant toute mon enfance et une bonne partie de mon adolescence, elle m’a spontanément proposé de m’initier à quelques mouvements. J’ai dit oui. Après sa conversation avec Bruno sur les danseuses orientales, elle avait eu l’idée de m’en faire la surprise. Elle avait demandé à sa mère de lui envoyer deux de ses costumes de danse.


Nous avons commencé par coudre et ajuster le soutien-gorge à mon tour de poitrine. J’avais l’impression de jouer à la poupée, de me déguiser… C’était amusant, comme un retour à l’enfance, de me retrouver dans la soie et les broderies, les voiles et les perles. Elle s’était amusée à me maquiller – khôl autour des yeux, henné sur les cheveux – tout en me donnant de temps en temps de délicieux petits baisers mouillés dans le cou. Puis elle m’a donné ma première leçon, en commençant par me montrer les principaux mouvements. Je dois avouer que la pratique ancienne mais régulière que j’avais eue de la danse, m’a beaucoup servie. Je ne me suis pas trop mal débrouillée…


Sur le chemin du retour, frileusement emmitouflée dans mon châle duveteux, je marchais vivement dans la rue noire balayée d’un crachin glacial, mille pensées confuses s’agitant et tourbillonnant. Tout s’était passé si vite. Voilà ! J’avais fait l’amour avec une femme ! Moi, qui n’avais jamais pensé à cela, moi qui n’aurais jamais cru cela possible, j’avais eu un rapport homosexuel.


Je ressentais un vague, mais distinct sentiment de quelque chose qui ressemblait à de la honte ; la honte de m’être, finalement, si facilement abandonnée à cette transgression, à cet interdit. Et en même temps, je ne pouvais pas nier que la surprise avait eu un goût réellement délicieux et que le plaisir avait été d’une intensité sans pareille… Et que, sauf à paraître hypocrite et à me mentir à moi-même, je ne pouvais nier ou regretter d’avoir connu, grâce à elle, des moments exceptionnels. Et puis, crotte alors, la terre n’arrêterait quand même pas de tourner parce que, pour une fois, j’avais baisé avec une nana !


La véritable catastrophe aurait été de tomber amoureuse, vraiment amoureuse. Je dois reconnaître que je me sentais incontestablement attirée par elle, au point d’en arriver à me demander si, peut-être, au plus profond de mon inconscient, je ne m’étais pas préparée à ce qui m’était finalement arrivé. Sans véritablement l’avoir voulu, mais sans non plus l’avoir vraiment refusé. Mais, je savais bien qu’il ne s’agissait que d’une simple attirance amicale, et que cela n’irait pas plus loin. Que la sexualité avait fait irruption entre nous de son seul fait à elle, de son désir de moi, auquel je n’avais fait que me soumettre.


Non, ce qui au fond me chagrinait le plus, ce qui me contrariait vraiment, c’était ce sentiment de culpabilité vis à vis de Bruno. Nous avions certes eu tous les deux notre vie personnelle, avant de nous connaître. Mais, depuis que nous étions ensemble, nous avions passé un pacte. J’avais confiance en lui, comme je savais qu’il avait confiance en moi. Alors, ce sentiment de l’avoir trahi, me taraudait.


Bien sûr, je m’accordais des circonstances atténuantes. Ce n’était pas une véritable relation, ce n’était même pas avec un homme (était-ce réellement une circonstance atténuante ?), je n’avais pas pris l’initiative non plus… C’était un accident, une défaillance sans conséquence. Oui, mais quand même… J’avais beau tourner et retourner les arguments, j’avais bien fait l’amour avec une autre personne que lui.


C’est à ce moment précis de ma réflexion et dans l’enchaînement confus de mes pensées, que se dessina, avec toute la force de l’évidence, cette solution insensée qui devait me permettre de mettre fin à ces tourments, à ces scrupules.


La seule façon d’effacer la faute était de la faire partager ! De la commettre ensemble, Bruno et moi. Son anniversaire proche pouvait même m’en fournir l’occasion.


Encore fallait-il convaincre Camille d’être ma complice dans ce complot en dentelles. Quand, embarrassée et rougissante, j’eus l’occasion de lui en parler, elle marqua un temps d’arrêt et tarda à me répondre. Ce qui ne fut pas sans m’inquiéter. Elle aurait pu très légitimement m’envoyer balader, pousser de hauts cris, fulminer contre une idée aussi épouvantable, immorale et vulgaire ! Ou me reprocher d’avoir eu l’outrecuidance de penser qu’elle pouvait accepter de se prêter à cette comédie. Mais non.


Ses yeux ont pétillé de malice. Elle m’a souri.



Et pour un baiser… !


J’en connais une qui profita un tantinet de la situation, pour prolonger le susdit baiser de caresses en caresses, pour finalement nous emmener précisément là, où vous imaginez… Ce qui, après tout, pouvait très bien se concevoir comme une préparation et comme quelques travaux pratiques… C’est, en tout cas, l’alibi que je me suis donné, plutôt que de reconnaître tout simplement que j’avais pris grand plaisir à cette récidive et que ses caresses m’avaient de nouveau menée à un état bien réjouissant…


Il nous restait dix jours avant la date fatidique, qui tombait un vendredi. J’avais prévenu Bruno que Camille et moi voulions lui préparer une surprise pour son anniversaire ; que cette surprise nous demandait pas mal de temps de préparation en commun. Afin de préserver notre secret, nous nous retrouvions toutes les deux chez elle, presque chaque soir, pour des répétitions intensives. Il fallait absolument que je sois à la hauteur, que ma danse puisse être crédible et suffisamment suggestive. J’étais donc très concentrée sur mon apprentissage et repoussais gentiment les envies de câlins de Camille qui, certes, rendaient hommage à mes charmes et à l’attractivité qu’ils exerçaient sur sa libido, mais qui m’auraient fait perdre un temps précieux et mesuré. Et puis, même si j’avais fauté… je n’en étais pas pour autant devenue lesbienne.


Faire l’amour avec elle devait conserver un caractère exceptionnel. Pour les mêmes raisons, j’avais refusé de rester dormir et de passer la nuit avec elle, alors qu’elle me l’avait proposée à maintes reprises.


C’est une sensation bien particulière que j’éprouvais, quand je me retrouvais dans les bras de Bruno, en m’endormant sous le toucher de ses caresses et dans sa tiédeur. En me disant que j’aurais aussi bien pu être, au même instant, blottie nue entre les bras parfumés de Camille et baignée du lait de sa tendresse. Et que cela ne m’aurait pas déplu… Mais tel n’était pas mon choix.


Le vendredi fatidique que je voyais approcher avec appréhension, arriva enfin. Je n’avais cependant pas trop d’inquiétude quant à ma prestation de danseuse. Les répétitions avaient porté leurs fruits. J’avais atteint un niveau honorable, surtout dans le balancement langoureux du bassin et des hanches, que j’avais particulièrement travaillé.


Fidèle à ses habitudes, Bruno devait rentrer de son travail vers 19 heures. Camille et moi avions pris notre après-midi, pour avoir le temps de tout préparer.



Nous avions décoré la salle, pour lui donner un air oriental, et placé dans un coin un matelas recouvert de couvertures et de broderies. Nous avions imaginé des mini-buffets, en disposant ça et là une multitude de petits plats : amandes, pignons et noix, fruits secs et frais, fèves, pois chiches, confitures et pâtisseries, beignets à la fleur d’oranger, raisins secs, gâteaux de pâte d’amande ou de dattes, galettes fourrées de pignons et de noix et parfumées à l’eau de rose. Mais il y avait aussi des cailles et quelques pigeonneaux nappés de safran et ornés d’un bouquet de coriandre fraîche. Le tout avait fort belle allure et baignait dans des effluves subtils et légers d’ambre gris. C’était là un festin digne des mille et une nuits !


Enfin, nous nous étions parfumées, maquillées. Tout en me couvrant de petits bisous, Camille avait réalisé entre mes sourcils un joli dessin en forme de triangle et, sous la lèvre inférieure, un autre étiré comme une feuille d’olivier. Nous avions ensuite revêtu nos costumes de danseuses, dans des tonalités de rouge pour Camille et vert turquoise pour moi : foulards légers, soutiens-gorge à franges festonnés de rangs de perles et jupes de gaze fendues.


À la fois intrigué et curieux, Bruno avait tenté en vain, les jours précédents, de savoir, plus ou moins habilement, ce que nous lui préparions. Mais j’étais restée impénétrable : motus et bouche cousue ! Le secret n’avait pas été divulgué. Il était impératif que cette soirée soit pour lui une surprise totale.


En fait d’inattendu et de surprise, nous avons été comblées. À notre plus grande satisfaction, nous pûmes lire sur le visage de Bruno, à son arrivée, une extrême stupéfaction quand il découvrit les transformations de la salle, les mets présentés et surtout la façon exotique, légère et sensuelle, dont sa compagne et son lieutenant de pompier d’amie étaient vêtues !


Nous avions décidé, pour l’occasion, de laisser notre fibre féministe au vestiaire et de jouer, jusqu’au bout, le jeu du prince et de ses servantes obéissantes, dévouées et soumises. Après tout, ce n’était pas une journée comme les autres : c’était son anniversaire ! Et j’avais quelque chose à me faire pardonner…


Bruno n’eut aucun mal, vous vous en doutez, à rentrer dans le rôle qui devait être le sien. Tant nous savons bien, nous autres femmes, que si nous n’y mettions le holà, se réveillerait vite chez nos compagnons le pacha qui sommeille en eux. Celui qui ne demande qu’à étaler, vautré sur le canapé confortable, son goût immodéré du farniente et sa paresse atavique pour les tâches ingrates de la maison…


Nous étions à ses petits soins, attentives à satisfaire ses moindres désirs, le servant, remplissant son verre quand il était vide, tout en veillant toutefois à ne pas exagérer, à ne pas le transformer en pouf amorphe au ventre gonflé, ou en grosse éponge… Car pour continuer l’histoire telle que nous l’avions conçue pour lui, nous avions besoin d’un homme prêt à toutes les audaces. Et si nous le voulions de préférence légèrement gris, nous tenions à ce qu’il soit encore en pleine possession de ses moyens. De tous ses moyens.


Aujourd’hui encore, alors que je trace ces quelques lignes et que je fais le récit de cette soirée, je reste surprise de voir à quel point la femme nullement libertine que je suis, s’est investie dans sa mission, simplement parce que sa décision était prise, sans plus se poser de question, sans hésitation, en mettant tous les atouts de son côté pour parvenir à ses fins préméditées. Pour amener son compagnon à accepter et à oser.


Dès que le thé à la menthe fut servi, Camille mit en marche le lecteur CD et claqua des mains. En même temps que s’élevaient la mélopée obsédante et la voix rauque, chaude, sensuelle de Natacha Atlas sur « Mustahil », nous nous mimes à danser. Pieds nus claquant sur le sol, bracelets aux chevilles, lancements de jambes au travers de nos robes fendues, poitrines ondulantes fièrement dressées, troubles et suggestives rotations du bassin, comme un appel nuptial, cheveux défaits tournoyant : notre corps tout entier, notre corps voluptueux, était La danse.


Camille était rayonnante, magique, sublime. Sa chorégraphie ondoyante et frémissante était poème, tendre épopée. Elle me fixait de son regard limpide, tournoyait autour de moi en une flamboyante parade amoureuse. Mes yeux se posaient alternativement sur elle et sur un Bruno admiratif, béat devant le spectacle qui s’offrait à lui. Par mes attitudes, mes mimiques, mes regards, je cherchais à lui traduire mon amour pour lui et toute la force de mon désir. Mon corps langoureux vibrait sous l’assaut d’émotions multiples : la musique, la danse d’une voluptueuse sensualité, l’excitation profonde de ce qui devait suivre…


Une fois notre prestation terminée et tout en reprenant notre souffle, nous saluâmes toutes deux d’une profonde révérence, dans un bel ensemble. Tandis qu’elle me prenait la main, Camille dit à un Bruno tout souriant et qui applaudissait lentement, fortement, en hochant la tête :



Ma bien aimée


Ton souffle parfumé est ma vie

Quand boirai-je la rosée

Perlant de tes pétales délicats

Et goûterai-je entre tes cuisses dorées

Le miel dans ta vallée

Aussi le fruit savoureux

De l’abricot secret au jus sucré

Les boutons rouges qui fleurissent

Sur l’oreiller d’opale et de lait

De tes seins moelleux

Vois couler ma tendresse

Qui parfume mes désirs

Ah! que je sois seule avec toi

Que tu entendes à son émoi

Mon oiseau tout baigné de myrrhe!

Pour enfin pouvoir dire

J’ai péché, voluptueusement péché

Dans une étreinte chaude et pleine de feu


Je pris à mon tour la parole :



Et j’exécutai. Obéissante, dégrafant le corsage de Camille, pinçant de mes lèvres ses bouts de tétons, les léchant, les suçant, les allongeant.



Camille avait croisé ses mains derrière la nuque et bombait son torse, projetant ses seins en avant, les dardant fièrement et bellement sous la caresse humide de mes grands coups de langue.



Camille versa l’huile dans mes mains posées en forme de coupe. J’étalai le liquide soyeux et parfumé. Quelle exquise sensation que celle de sa peau lubrifiée, de mes mains s’appuyant et glissant sur la chair ronde, tiède, imprégnée, sur ses seins blancs roulant paresseusement sous mes doigts.


Ensuite Bruno me donna l’ordre d’en étaler également quelques gouttes autour du nombril, puis du ventre de Camille. Mes doigts passaient et repassaient, en lisière de son pubis. Je sentais ses frémissements contenus. Puis, ce fut au tour de Camille de se livrer sur moi à ces mêmes effleurements, d’une douce et pénétrante sensualité liquide. Nous nous retrouvâmes poitrines nues, seins et ventres luisants. Bruno claqua des mains, se leva et remit le disque. Nous dansâmes à nouveau, nos seins lustrés, nos ventres brillants se balançant, ondulant au rythme de la musique. Je n’avais pas de mal à imaginer les conséquences sur mon homme du spectacle que nous lui offrions… L’image de sa queue raide, durcie par nos déhanchements lascifs, nos poitrines frémissantes, l’envie que j’avais de la sentir me pénétrer, même avec Camille à mes côtés, contribuaient, oh combien, à distiller en moi une excitation d’une suavité particulière.



Il mit un autre disque. C’était « Night in white satin », un vieux slow langoureux des Moody Blues, qu’il adore.



Les bras de Camille autour de mon cou, les miens sur ses hanches, sa tête abandonnée au creux de mon épaule, ses seins ronds, tièdes, plaqués contre les miens gonflés, presque douloureux, nous étions unies, imbriquées dans un langoureux balancement chaloupé, dans le moelleux chuintement des glissements humides de nos peaux lubrifiées. Je baignais dans un étrange climat de sensualité, une douce excitation, sous le regard de Bruno qui amplifiait mon trouble et mon désir.


Toute fondante, toute alanguie, Camille se frottait étroitement contre moi. Pour me sentir plus près encore, elle descendit ses mains sur mes fesses, les ramenant vers elle, pour me serrer plus fort. Je sentais, très palpable, son excitation croître au diapason de la mienne, et nos désirs s’enlacer. Elle releva la tête, me regarda, yeux mi-clos, chavirés, reflétant son émoi. Elle m’embrassa à pleine bouche, sa langue cherchant la mienne, s’y enroulant, se baignant dans ma salive en un long, profond et chatoyant baiser, que je lui rendis passionnément…


… Bruno restait silencieux. Assis en tailleur sur le matelas, bras derrière la nuque, il ne perdait pas une miette du spectacle. Les mains de Camille allaient et venaient sur mes fesses, en entouraient la rondeur, en palpaient la fermeté. Elles s’insinuaient parfois dans ma raie, descendaient même très bas. Je m’aperçus que Bruno avait dégrafé sa ceinture, déboutonné son pantalon et ouvert sa braguette, pour donner un peu d’air et d’espace à sa queue, en plein envol.


La main droite de Camille s’insinua par la fente de ma jupe et se mit à me caresser le haut de la cuisse. Elle remonta franchement jusqu’à mon entrejambe, glissa de façon appuyée sur mon sexe, sur ma culotte que je découvris toute humide, bien plus même que je ne l’aurais imaginé. Tout cela devenait très chaud, terriblement excitant, sous le regard de Bruno.


J’avais envie. Envie de caresses. De ses caresses à elle. De sa langue partout sur moi. De ses doigts, de ses mains sur mon corps. De son souffle parfumé, de ses baisers onctueux.


Envie aussi de ses caresses à lui. Des bras de mon bel amant me serrant si fort. De ses baisers salés, de sa salive mêlée à la mienne. De sa grosse queue bien raide entre mes doigts, dans ma bouche, dans mon vagin, dans mon cul aussi qui aime la recevoir. Envie de son désir à elle et de son amour à lui, de son amour à elle et de son désir à lui. Des gouttes de sueur perlaient sur mon front. Je sentais la rougeur sur mes joues et cet appel irrésistible, puissant, profond, venu du fond de mes entrailles.


La musique s’arrêta. Camille s’écarta, reprit sa respiration et finit par m’adresser un large sourire. Elle prit à nouveau ma main et, se tournant vers Bruno, demanda tout simplement :



Après un long soupir, moitié expiration, moitié sifflement, il répondit d’une voix tendre :



L’une déshabillant l’autre, faisant glisser à terre jupes et culottes, que la sueur n’avait pas seule rendues humides, nous nous retrouvâmes bientôt entièrement nues, agenouillées de part et d’autre de Bruno, nous embrassant, seins se balançant et se frôlant. Son regard était naturellement attiré par la nouveauté, par ce qu’il découvrait du corps de Camille s’offrant au plus intime, son pubis floconneux, ses lèvres écarlates. Nous avons commencé à lui ôter ses vêtements.


Arrivées au slip, joliment gonflé par son érection, il nous arrêta, nous indiquant que son bon plaisir était décidément de nous regarder faire l’amour toutes les deux. Je me suis allongée sur le dos, près de lui. Camille s’agenouilla à mon côté. Sa bouche joua avec mon corps, dans toutes ses parties, de toutes les façons, me piquetant de bisous mouillés, m’embrassant, me léchant de petits coups de langue tantôt vifs, tantôt prolongés, sur mon visage, ma poitrine, mon ventre.


Je sentais sur nous le regard de Bruno. Cette situation, je dois bien le reconnaître, m’excitait terriblement, et s’ajoutait aux caresses expertes de mon amante, habile à embellir et accroître mon émoi. Elle avait largement entrouvert mes cuisses luisantes de sa salive et de mes sucs. Sa bouche épousant ma vulve, sa langue jouant avec mon clitoris, me mettaient le feu.


Fermer les yeux. M’abandonner. M’ouvrir. Lui appartenir. Flotter dans la houle suave de sa tendresse. Les bercements langoureux de ses caresses. Sens éperdus irradiants de mon ventre tabernacle, de mon ventre spongieux. Ivresses. Suintements. Volupté des épanchements. Écoulement des plaisirs mouillés. Ruisseaux mêlés de nos émotions confluentes. Absorber le velours humide de sa langue. Glissements. Battements assourdis des vibrations qui rythment les pulsations de mes entrailles. Lèchements de chatte. Vagissements. M’imprégner de ses parfums. Obsédante valse lente. Soulèvements de mon corps lesté de ses câlins. Tambour de sa respiration. Digue engloutie. Montée. Submergée. Tout ce qui en moi s’émeut, remue, s’ébranle, déferle, m’emporte dans le tourbillonnant tournoiement de mes émois sensuels.


Je gémissais doucement, yeux clos, toute entière au trouble de cette jouissance inédite, ma main gauche épousant l’épaule ronde de Camille, sa tête d’or enfouie dans mon intimité.


Ma main droite, tâtonnante, trouva à mon côté la cuisse de Bruno. Puis elle remonta jusqu’à sa queue, nota qu’il avait de lui-même enlevé son slip et se trouvait maintenant nu comme un joli petit ver. Je fermai les yeux, toute attentive à la vague qui me secouait, et qui m’emportait. Attentive aux secousses nées dans l’épicentre de mon ventre brûlant, me traversant le corps en ondes déferlantes. Attentive à la succion chuintante des lèvres de Camille, aux mouvements saccadés de sa tête, de ses cheveux, au plaisir de sentir en même temps au creux de ma main les couilles lourdes, le sexe durci, chaud, palpitant, gonflé de sang, gorgé de sperme de mon amant chéri, de l’entourer, le serrer, le caresser, le branler doucement.


Ce qu’il advint par la suite reste un peu confus dans mon souvenir. La fièvre extrême des corps, le maelstrom des caresses, le tourbillon des sens exacerbés, ne sont pas particulièrement propices à un témoignage exhaustif et fidèle des événements dans leurs détails. Je me souviens, dans un capharnaüm d’images, d’odeurs, de sensations, que Bruno, laissant ma menotte orpheline, se retira et nous abandonna quelques instants. À son retour, il nous incita, Camille et moi, à inverser nos positions. Il passa sur le ventre de Camille, sur ses cuisses fines et pâles, sur sa toison dorée puis sur son sexe ouvert, les tranches de mangue qu’il avait été chercher. Le jus du fruit, les bribes de chair jaune orangé se mêlaient aux sucs intimes de Camille.


Il guida alors ma tête vers sa fente offerte, béante, abondamment lubrifiée, vers ses lèvres épaisses, vermillons, et sur lesquelles, sans réticences, se colla fiévreusement ma bouche gourmande. Je sentis Camille se raidir, ondoyante et frémissante sous cette caresse que je lui avais toujours refusée, et que m’imposait maintenant Bruno. Le parfum entêtant de son jus se mêlait aux effluves de mangue. Ma langue léchait et dévorait son sexe et son clitoris avec délectation. Je percevais nettement son plaisir, les tressaillements de son ventre, sa respiration de plus en plus saccadée. J’étais si heureuse, terriblement excitée de lui donner cette joie, de ressentir cette ivresse, ce trouble, de goûter pour la première fois la liqueur intime de cette autre femme, de provoquer son plaisir et sa jouissance.


Souvenir de la langue de Bruno rejoignant la mienne, butinant ensemble le miel odorant de Camille. Puis, nos deux langues en action, frétillantes, explorant, caressant son sexe rubicond et ruisselant.


Vertiges. Éblouissements. Éclaboussures. Odeurs. Liqueurs. Moiteurs. Écumes. Je ne sens plus la langue de Bruno. Sur ma tête, dans mes cheveux, les doigts crispés de Camille me transmettent toutes les ondes saccadées de ses émotions sensuelles, de l’intensité de son plaisir. Dans mes oreilles, l’écho du bercement de ses feulements ouatés. Sur mes hanches, les mains de Bruno, qui me soulèvent le bassin, me remontent les fesses. Je suis à genoux, la tête enfouie entre les cuisses de satin de Camille, toutes luisantes.


Tout contre moi, contre mes fesses dressées, la douce, trouble et puissante sensation de la queue de Bruno, s’appuyant, glissant le long de ma raie, s’approchant lentement, si lentement, de mon vagin, et me pénétrant doucement. Son ventre dur contre mes fesses. Le choc de ses couilles à chaque poussée profonde, appuyée, en un lent et délicieux coulissement. Je suis toute mouillée, trempée, inondée. Mes gémissements, que je ne peux retenir, se mêlent à ceux de Camille et au souffle rauque de mon homme, de mon étalon. Montée irrésistible du plaisir triomphant. Arc en ciel de sensations vibrionnantes. Confluences des émois. Émotions du plaisir donné par ma bouche sur son sexe fontaine à elle, du plaisir reçu de sa bite requin à lui, dans mon ventre océan. Addition. Équation. Triangle des bonheurs. Isocèle des désirs. Explosion de l’hypoténuse !


Geyser. Volcan. Source impétueuse, bouillonnante. Bruno se retirant de mon vagin affamé et cannibale. Baise-moi ! Fous-moi! Branle-moi, mon chéri, mon bel amour. Enfonce encore. Emplis-moi. Remplis-moi. Plante ta tige si forte, si douce dans mon delta fertile. Laboure-moi. Viens. Reviens. Fais-moi crier, hurler. Défonce-moi. Et sa queue à nouveau. Sa queue fauve qui s’enfonce dans mes fesses ouvertes. Qui force en glissante douceur mon tout petit cul d’amour. Mon cul de louve en chaleur.


Cet ébranlement de tout mon corps empalé, tremblant, frissonnant, cette pointe qui me lèche et me dévore de mille petites flammèches rouges. La longue giclée saccadée, la lave en jet qui s’échappe et coule en moi, chaude, vivante. La déferlante orange, l’explosion qui résonne dans chaque fibre de mon corps palpitant, crucifié, anéanti. Mes cris de bonheur, l’abandon de Bruno et ses gémissements. Mon effondrement, pantelante, sur le corps agonisant lui aussi de Camille. Trop de tendresse dans ses yeux noyés dans les miens. Trop d’étonnement, de suffocante émotion dans le partage de nos deux orgasmes simultanés. Le chant des anges.


Le chant du cygne.


Que puis-je dire d’autre qui soit à la portée des mots ? Qui permette d’exprimer l’exceptionnelle intensité des émotions de toute nature ressenties ce soir-là ?


P.S. Je n’ai jamais revu Camille.


Le lundi, au travail, elle n’était plus là. Elle savait depuis huit jours qu’elle était affectée à une autre opération, à l’étranger cette fois. Elle n’avait pas voulu me le dire, pour ne rien changer à mon projet, à notre projet. Elle m’a simplement laissé, orné du plus beau de ses foulards de danseuse, une lettre, une longue lettre. Extrêmement belle, délicate, émouvante, terriblement troublante. Que j’ai conservée. Que je relis parfois. Avec la même émotion. Et qui toujours me laisse dans des intensités rêveuses infinies…