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n° 02181Fiche technique16702 caractères16702
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Temps de lecture estimé : 12 mn
09/10/23
corrigé 09/10/23
Résumé:  Dans la froideur de l'hiver, seule Katarina voudra bien l'héberger et lui donner un peu d'amour.
Critères:  ff couleurs prost bain danser amour
Auteur : Nora
Petite pute aux yeux clairs

Cette histoire-là, plutôt sentimentale, me tient beaucoup à cœur… Il fallait que ce soit dit



Cet hiver-là, il faisait froid, très froid. Il fait toujours très froid quand on vit dehors, quand on est à la rue !


J’avais claqué la porte. Mon père qui, je le répète, n’est pas mon vrai père, mais un vulgaire usurpateur, a toujours été en plus un gros con. Mais cette fois-ci, la connerie l’emportait sur la grosseur. Alors je me suis cassée. Juste un sac, quelques fringues dont, heureusement, un gros pull.


J’ai filé sur Paris, pensant que la vie y serait plus facile. Foutaises, il gelait à pierre fendre. J’ai claqué le peu de tunes qui me restaient dans un hôtel minable… Mais je me suis vite retrouvée bientôt presque à sec et par conséquent à la rue. À peine de quoi me payer un café. Et puis dans les cafés, ces salauds de serveurs, ils viennent toujours te relancer pour que tu prennes autre chose, dans le but de te faire décamper… Rapidement, tu ne sais plus ni que faire ni où aller. Tout est froid et glacé et puis tu voudrais bien trouver un endroit où dormir.

C’est encore plus dur pour une femme, bien évidemment. Les squats, ce n’est même pas la peine d’y penser ; si tu ne connais pas de mec pour te protéger, difficile de s’y risquer, ou alors faut n’en avoir plus rien à foutre et être prête à y passer.


Au bout d’une dizaine de jours, j’étais sur le point de craquer. Je ne dormais plus qu’épisodiquement, parfois enfermée dans les toilettes des cafés avant de me faire virer ou alors sur alors en pleine journée dans un lieu public, un endroit où je me sentais protégée et en sécurité. Manque de sommeil, manque de nourriture, manque d’hygiène, manque de tout et toujours ce froid persistant qui me glaçait le sang.


Je faisais la manche pour me payer un sandwich. Pour moi faire la manche, c’était pire que tout, la honte à son paroxysme. Aussi n’y mettais-je pas trop de bonne volonté. Donc, peu convaincante, j’avais aussi relativement peu de succès.

Sur le trottoir d’en face, elle est arrivée, une petite blonde avec un long manteau imitation fourrure. Visiblement, elle tapinait. Avec pas beaucoup plus de succès que moi, peu de clients potentiels. Il faisait si froid cette nuit-là qu’ils devaient tous avoir la quéquette gelée et qu’ils préféraient rester tranquillement devant la cheminée avec toute leur petite famille bien-pensante.


Comme je l’ai dit plus haut, j’étais au bout du rouleau, prête à craquer. Cette nuit-là, j’aurais bien voulu me faire ramasser, passer la nuit au poste, pouvoir enfin dormir.


Elle a traversé la rue et est venue vers moi. Je n’y croyais pas trop, je ne savais pas au juste ce qu’elle voulait :



Personne ne m’avait proposé ça, personne n’aurait osé, tout le monde s’en foutait. Je l’ai regardée totalement incrédule, je me demandais bien ce qui m’arrivait.



Comme elle avait un très joli sourire, alors je l’ai suivie.


Elle vivait à deux pas, un joli petit appartement, pas très grand, mais coquet et agencé avec goût. Cela faisait presque quinze jours que je n’étais pas rentré dans un tel havre de paix. La chaleur m’a prise à la gorge, mon esprit s’est mis à tournoyer, je ne tenais plus sur mes cannes, je me suis presque effondrée sur le canapé :



Heureusement pour moi je ne l’étais pas, dix-neuf ans bien tassés. Sinon je pense qu’elle m’aurait quand même gardée pour la nuit, par pitié, avant de gentiment me remettre à la rue le lendemain matin.


Elle m’a fait allonger sur le canapé, a retiré mes baskets, s’est occupée de tout, elle a même été chercher un oreiller pour le glisser sous ma tête.

Puis elle s’est assise tout contre moi et m’a caressé la joue :



Elle a remonté la couverture sur moi et j’ai plongé dans un profond sommeil.



Une voix m’appelait, j’ai fini par émerger. Kathy était tout contre moi et me regardait.



Elle me recevait comme une princesse. Elle m’avait préparé un bon petit repas, assez spécial et raffiné. Et moi, pauvre pomme, j’avais du mal à avaler. Mon estomac s’était rétréci, je n’avais plus l’habitude de tant manger…


Toujours est-il que l’ambiance était gaie, joyeuse, que nous discutions beaucoup. C’est ainsi que j’appris qu’elle était d’origine ukrainienne, qu’elle était venue en France avant les vagues d’immigration, avant la chute du mur de Berlin, pour faire la pute, évidemment ; selon ses dires, elle ne savait rien faire d’autre. Elle avait habilement manœuvré pour obtenir la nationalité française… mariage bidon, emploi fictif plus beaucoup de culot et un peu de chance aussi. Toujours est-il que désormais c’était gagné, elle pouvait avoir la « belle » vie. Enfin, belle, ça dépendait des moments, parfois c’était très dur aussi. Mais en tout cas toujours plus belle que tout ce qu’elle aurait pu connaître là-bas. Ses deux sœurs travaillaient aux charbonnages dans une usine délabrée en passe de fermer ses portes. Son père, qui habitait pourtant à plus de cent kilomètres de Tchernobyl, avait chopé un cancer de la rate ou du pancréas, je sais plus trop. Dans ces pays-là, c’était parfois pire que tout ce que nous pouvions imaginer ici…



Un bon bain chaud, à vrai dire cela faisait bien longtemps que je n’avais pas connu ça. À la cité, la baignoire était condamnée depuis belle lurette. Mon père l’utilisait pour faire ses élevages de chiots. Certes, il y avait la douche, une vieille douche rouillée qui faisait un barouf d’enfer, mais ce n’était pas ça.

Quel plaisir de me sentir ainsi nue et heureuse, de m’ébattre ainsi dans la mousse, moi qui venais de vivre une semaine dans l’enfer glacé !


Toc toc :



C’est-à-dire que je n’avais pas trop l’habitude de porter tout ça, chez moi je dormais à poil, même quand je dormais avec ma sœur (en tout bien tout honneur, c’était uniquement par manque de place !).



Elle est revenue avec une nuisette des plus sexy, et même légèrement transparente ; pas du tout mon style, j’allais vraiment avoir l’air conne dans cet accoutrement. Mais bon, je n’allais pas en plus faire la difficile.

Elle était là, à deux pas, agenouillée au bord de la baignoire et me regardait avec un visage d’ange, une petite figure de poupée entourée d’une longue cascade de cheveux d’un blond éclatant et des yeux gris bleu, d’un gris très clair, presque magique. Putain qu’elle était belle ! 30/35 ans, mais je ne lui arrivais pas aux chevilles avec mes lèvres épaisses et mon nez épaté. Je me suis toujours détestée (enfin, ça dépend des moments).


Et plof, elle m’a aspergé le visage avec de la mousse, comme ça, pour s’amuser. Si c’est ce que tu cherches, ma vieille. La salle de bain a bientôt pris l’aspect d’un véritable champ de bataille, il y avait de l’eau partout et la belle Katarina était trempée. Et nous étions complètement hilares, à rire de nos bêtises.

Ensuite, je suis sortie et nous nous sommes séchées, toutes les deux entièrement nues, dans le plus simple appareil. Nous avions des points communs, toutes les deux des petits seins et des tétons assez gros et saillants. Sinon, la comparaison s’arrêtait là ; elle c’était une vraie blonde et moi une vraie noire, mais ma peau noire contre sa peau blanche dans la glace ça donnait le meilleur effet.



Non, ça, embrasser une fille, je ne voulais pas, je ne l’avais jamais fait, et puis… et puis je l’ai laissée poser ses lèvres sur les miennes et sa langue me pénétrer, nos corps enlacés devant la grande glace de la salle de bain. Je me suis laissé faire plus que je n’ai participé.


Devant ma réticence, elle n’a pas insisté, elle s’est relâchée, a enfilé sa nuisette et m’a entraînée dans le salon :



Elle a mis de la musique et pendant une bonne heure nous avons fait les folles et nous nous sommes éclatées. Même pendant les slows langoureux, lorsqu’elle était tout contre moi, j’étais hyper heureuse de ce contact que je jugeais pourtant à l’époque contre nature.

Nous avons un peu bu et beaucoup ri, mais comme j’étais quand même très fatiguée, nous avons pris la sage décision d’aller nous coucher.

Je ne sais pas comment ça s’est passé, mais je me suis retrouvée tout contre elle dans son lit. Elle avait pourtant ouvert le canapé et préparé ma couche, mais au dernier moment elle s’était ravisée et m’avait entraînée avec elle dans sa chambre.


Ce fut à la fois la nuit la plus étrange et la plus formidable de toute ma vie. Nous n’avons pourtant rien fait de mal, aucun attouchement, aucun baiser mal placé, juste le plaisir d’être là, l’une contre l’autre, corps contre corps, bouche contre bouche, collée dans un élan de tendresse infinie.

Je lui avais finalement avoué que je préférais dormir nue et elle a fait de même. Ainsi chaque parcelle de notre peau pouvait être en contact avec l’autre… et c’était réellement magique, sans aucun sous-entendu, il n’était pas question d’aller plus loin ni de faire quoi que ce soit d’autre, simplement laisser l’amour circuler librement entre nous. Je crois que je ne m’étais jamais sentie aussi bien de toute ma vie. Ce premier contact avec une femme était un délice, un instant de grâce à l’écart des vicissitudes de la vie.

Je me suis endormie comme ça, enlacée tout contre elle. Nous sommes restées ainsi toute la nuit. Lorsque nous nous sommes réveillées, nous étions toujours collées l’une à l’autre. Je n’en revenais pas, moi qui, lorsqu’il m’arrivait de dormir avec ma sœur, défendais griffes et ongles mon côté du lit, prête à lui donner de furieux coups de pied si jamais elle s’y aventurait. Alors que là j’étais collé à cette fille et que j’adorais ça.


Nous nous sommes embrassées, mieux que la veille et avec plus de fougue, en tout cas en ce qui me concerne. Je n’étais pas prête à aller beaucoup plus loin, mais pour les baisers j’avais passé le cap. Et non seulement cela, mais j’en redemandais.


Il a bien fallu finalement se lever, un peu à contrecœur, je me sentais si bien, ivre de bonheur, peut-être aussi un peu amoureuse ?

Nous avons pris un bon petit déjeuner, puis elle s’est préparée. Il était presque deux heures, elle devait aller « travailler ».



Un petit bisou pour la route puis « au revoir ».


Elle m’avait même laissé un peu de tunes pour la journée. J’ai trouvé ça sympa, mais quelque part aussi ça m’a choquée, je me suis demandé si je ne devenais pas ainsi une sale petite proxénète. Putain, merde, pourquoi donc était-elle pute, j’en étais malheureuse, vraiment malheureuse. J’ai erré dans la ville comme une âme en peine. Lorsque je serais princesse, je l’inviterais dans mon royaume et elle n’aurait plus à tapiner et nous pourrions toutes les nuits nous tenir bien au chaud dans un grand lit.

Et si je n’étais jamais princesse, je pourrais être pute moi aussi : non, jamais je ne serais pute, plutôt crever… comme cette fois-là il y a trois ans lorsque je m’étais ouvert les veines dans les toilettes de l’institut où je faisais mon stage de secrétariat. C’est une prof qui m’avait retrouvée, le Samu était arrivé, il y avait du sang partout, il paraît que les TS ont peu de chance d’aboutir de cette façon, c’est pour ça que je l’avais choisie, un simple appel à l’aide, mais personne ne voulait m’aider, sauf des gonfleurs de cervelle qui n’y comprenaient rien.

Je vous jure que je finirais peut-être un jour par y passer avant de devenir Nora la Hyène, Reine de la Brousse…


Donc une journée morne et triste, dans la grisaille généralisée. Le plafond était bas, sinistre, il ne faisait peut-être pas si froid que les autres jours, mais un vilain vent glacé s’engouffrait le long des avenues désertées, véritable spectacle de désolation sur les grands boulevards comme si un cataclysme avait anéanti la capitale et toutes les personnes qui s’y trouvaient. J’étais la seule survivante d’un monde sur le déclin. Je me suis lentement dirigée vers l’unique endroit que je connaissais, l’appartement de Kathy. Il faisait déjà nuit depuis belle lurette, il était temps pour la hyène de regagner son antre.


Merde, dans l’entrée il y avait les clefs, merde et re-merde. J’allais faire demi-tour quand j’ai entendu un bruit. Rien à voir avec une quelconque jouissance, au fond du couloir ça se chamaillait… salement, ça criait. Re-re-merde, je ne savais plus que faire, y aller, m’en aller ? J’en étais là de mes cogitations lorsque la porte de la chambre s’est ouverte d’un coup et qu’un gros lourdaud a fait irruption dans le salon, à moitié débraillé et l’air pas fin du tout. J’ai su instantanément qu’il devait être la cause de tous ces tracas et ni une ni deux je me suis jetée sur lui.

Je le tenais par-derrière par le cou, je voulais plus le lâcher alors que lui visiblement cherchait à s’en aller. J’ai lutté ainsi deux ou trois minutes, mais il a fini par se libérer et par m’envoyer valdinguer. Et, lorsque je me suis relevée, une claque des familles s’est abattue sur ma figure, mes lèvres ont éclaté et j’ai senti l’odeur du sang envahir ma bouche. Putain, quel con, ce type… ! mais il était déjà parti, je ne l’avais même pas vu partir ! Je sentais mes lèvres gonfler, elles qui sont déjà bien épaisses, tellement j’avais mal que j’en tapais du pied.


Je suis allée du côté de la chambre de Kathy voir ce qui s’était passé :



J’ai pris sur moi pour la laisser tranquille et je suis allée dans la salle de bain pour m’arranger. Certes, ma lèvre était bien coupée et légèrement gonflée, mais ce n’était pas si grave que ça. Je me la suis aspergée d’alcool en serrant les dents, les yeux remplis de larmes, j’adorais quelquefois déguster. Puis je suis allée gentiment m’asseoir sur le canapé à regarder la télé. J’hésitais entre retourner auprès d’elle et la laisser seule comme elle en avait exprimé le souhait. Je me demandais si parfois il ne fallait pas malgré tout un peu forcer les choses.

Au bout d’un certain temps, je suis allée frapper à sa porte et elle m’a laissée entrer.


Elle était en larmes au milieu du lit :



Puis, voyant ma lèvre éclatée :



Visiblement, elle avait mal au ventre, elle se tordait, mais elle n’a pas voulu m’en dire plus. Je l’ai laissée tranquille. Après le bain, nous nous sommes allongées toutes les deux l’une contre l’autre et j’ai été très très câline. Je crois même que ce soir-là j’aurais été beaucoup plus loin si elle me l’avait demandé tellement j’avais envie de lui communiquer un maximum de tendresse !


Nous sommes parties toutes les deux sur les côtes normandes le lendemain matin. Trois jours de tendresse et d’amour et pourtant sans jamais vraiment nous toucher, ou si peu… L’idéal quoi !



Qu’es-tu devenue, Kathy, après toutes ces années ?


Bisous,


Nora la hyène – Avril 2001