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Temps de lecture estimé : 27 mn
06/12/23
corrigé 06/12/23
Résumé:  Un soir entre collègues de l'Education Nationale, une dernière partie de Trivial Pursuit...
Critères:  fh extraoffre inconnu voir exhib pénétratio jeu ascenseur
Auteur : Le dernier galant  (Homme, 49 ans, l'esprit littéraire...)      
L'Art moderne

Décidément, il était dit que ces soirées à la maison, entre collègues de l’Éducation nationale, ne pouvaient se conclure autrement que par le rituel éprouvé d’un jeu de société. D’une occasion à l’autre, qu’il s’agisse de Cadavres exquis, de Tarots ou, comme c’était justement le cas ce soir-là, d’une partie de Trivial, Marie, maîtresse des lieux, s’y prêtait avec autant de grâce que de modestie et nul n’aurait imaginé lui contester tant sa victoire attendue que l’élégance coutumière qu’elle mettait à l’emporter. Cette unanime bienveillance en faveur de la belle ne devait d’ailleurs que fort peu de choses à l’éducation, excellente, dont pouvaient s’honorer les participants. Agrégée de lettres classiques, historienne, se piquant de mathématiques, Marie était en effet de ses esprits curieux de tout, qu’aucune matière ne rebute, et ses succès ne faisaient que couronner ses mérites. C’est pourquoi il était sidérant de devoir constater une lacune à cet esprit universel : celle de l’actualité sportive qui, hélas, figurait au programme de nombreux divertissements et pour laquelle Marie affichait une ignorance systématique, trop systématique, pensaient certains, pour qu’elle fût quelquefois simulée.


Et justement, ne venait-elle pas de répondre « fleurettiste ? » à la question concernant la spécialité d’un dénommé Cassius Clay, alias Muhammad Ali ? Sourcils froncés, Marie semblait perdue dans un intense effort de concentration et seul l’éclat moqueur de ses yeux noirs démentait l’incongruité de sa réponse. Un rire général ponctua cette nouvelle coquetterie de la reine de la soirée… Marie avait son public !


Alexis, jalousement installé à sa droite, riait plus fort que les autres. Tout à la fois professeur de Musique et d’Éducation physique, taillé en conséquence de ce second poste, il était le prototype du gentil camarade, celui auquel on faisait appel pour toutes les corvées, un déménagement, un dîner à treize, un accompagnement de dernière minute en sortie pédagogique avec les 5e G (les pires)… Il y avait à présent deux années que Marie le côtoyait au collège de H. et, malgré l’ingéniosité qu’Alexis mettait à se retrouver seul à seul avec elle, en salle des profs, passé l’horaire, malgré les yeux de cocker, l’air de chien battu et les soupirs récurrents qu’il affectait en ces moments, sa bien distraite collègue avait toujours fait mine de n’y rien comprendre, disparaissant sous de fumeux prétextes d’emploi du temps, repoussant indéfiniment l’occasion d’un réel tête-à-tête avec cet encombrant soupirant.


Il est vrai que la Dame avait de quoi faire tourner les têtes les plus carrées : brune, peau mate, la taille souvent pincée par d’élégants Spencers, jambes magnifiques ignorant les collants, tous ces messieurs du corps professoral étaient sous le charme ! Les messieurs… mais aussi, pourquoi pas, telle ou telle collègue, dont Marie avait parfois surpris les regards s’alanguissant sur sa personne bien au-delà de ce que le règlement exigeait d’empathie pour la bonne marche de leur commun service.


Soupirs donc, regards et frôlements, mais rien de plus. On avait en effet vite constaté que, souvent, à l’heure de la fin des cours, Marie était attendue par un ami, toujours le même, qu’elle avait fini par présenter aux uns et aux autres… Marc – c’était là son prénom – était ainsi parvenu, de sorties du Collège en soirées chez tous deux, à s’intégrer à leur paysage, à être admis par chacun comme le titulaire officiel de ce poste périlleux : l’ami de Marie, et son existence ainsi officialisée avait suffi à réfréner les appétits naissants.


Cassius Clay ! Fleurettiste ? Les commentaires n’en finissaient plus. Feignant la plus grande incompréhension à l’égard de l’unanime réaction de ses camarades de jeu, et assourdie par l’organe tonitruant d’Alexis, Marie se prit à fixer effrontément ce dernier, droit dans les yeux, en affectant un air fâché, comme si elle avait voulu faire taire cette bête hilarité, tout de suite, par le seul effet de l’autorité placée dans son expression. Son éternel amoureux, sans doute aussi terrifié que ravi de l’aubaine, tenta vainement de soutenir son regard, avec toutefois au coin de la prunelle une ombre de trouble qui n’échappa à personne.


Ce fut justement l’instant que choisit Marc, attiré par le brouhaha, pour revenir de l’office. Ne voulant pas participer à leur jeu, il avait revendiqué le service des boissons et s’en acquittait avec conscience, plein d’attentions pour chacun. Il y eut un flottement… Marie, se sentant vaguement, très vaguement prise en faute, piqua du nez, Alexis se fit tout petit sur son siège, puis quelqu’un eut la présence d’esprit de relancer la conversation et le jeu reprit, chacun s’affairant qui à tirer une carte, qui à lancer les dés… On se garderait donc de provoquer l’embarras du Maître de l’endroit. Marc, il faut le dire, passait pour un être déroutant aux yeux des amis de Marie. Chercheur au sein d’un laboratoire d’intelligence artificielle, il témoignait à travers ses rares interventions d’une culture étendue que la coterie de nos fonctionnaires diplômés, jaloux d’un tel éclectisme, s’accordait à trouver franchement anormale. L’existence de ce compagnon inattendu ne faisait toutefois qu’apporter une touche supplémentaire à l’image exotique qu’ils s’étaient, les uns comme les autres, forgée de leur si exubérante Collègue…


Mais il fut bien vite tard, et la partie, au prix de maints nouveaux fous rires, connut son terme prévisible : Marie l’emporta. Cette victoire fut fêtée d’une ultime tournée de Mei-Kwei-Lou, qui sonna l’heure de la retraite. Les uns après les autres, les convives remercièrent leur hôtesse pour la qualité de son hospitalité et s’éclipsèrent. Le moment arriva enfin où seul le gentil Alexis, sans doute un peu saoulé par l’alcool de pétales de rose, s’attardait encore, semblant ne plus vouloir les quitter.


Marie, quant à elle, se montrait au mieux de sa forme, l’œil vif, à peine rendu moins brillant par la brillance de la soirée. Assidue, elle faisait pour l’heure les frais d’une ultime conversation, disputant à son collègue attardé quelque point d’obscure scolastique musicale… N’était-il pas question d’un mystérieux « Anonyme 4 » ? D’un certain mode… « hypomixolydien » ? Et même d’un sulfureux « Diabolus in Musica » ? Marc pour une fois devait s’avouer un peu perdu. Et c’est alors qu’elle avait entrepris, tout en bavardant, de ranger les pions, dés et cartes du jeu, qu’elle se ravisa soudain :



Une dernière partie ? Si tard ? Marc se dit que sa donzelle exagérait un peu ! Jetant un coup d’œil à Alexis, il vit que ce dernier affichait au contraire une mine ravie, marquant par là un accord muet, mais sans réserve, à cette inattendue proposition de prolongations. À deux contre un, la décision allait donc lui revenir… Psychologue, il crut préférable de faire taire ses réticences, peu soucieux d’endosser tout seul la responsabilité d’un refus.


Chacun donc se rapprocha de la table et choisit ses couleurs, puis le dé fut jeté pour déterminer celui des trois qui aurait le trait… Alexis se trouva désigné par le sort et allait tout juste relancer, quand Marie, décidément très en verve, eut cette nouvelle inspiration :



Pris au dépourvu, ses deux partenaires échangèrent un regard. Des gages, au Trivial Poursuit ? Quelle était donc cette innovation ? Marc se dévoua :



Tant de manque d’imagination impatienta Marie :



Seul un silence circonspect lui répondit, et c’est avec une pointe d’agacement qu’elle continua, préparant déjà sa retraite :



Alexis semblait perplexe, l’air pas concerné, tout cela était bien compliqué. Marc parvint à s’extirper une mimique conciliante, après tout, se dit-il, elle allait sans nul doute l’emporter et ce serait donc à elle qu’incomberait de fixer les gages en question. Il jugea donc habile de temporiser :



Et d’un signe de tête, il encouragea Alexis à jeter les dés…


La bataille fut acharnée, Marie et Marc ne se départageant que sur leurs tout derniers coups. Alexis, quant à lui, après avoir brillé à chaque question de sport et de vie quotidienne, et s’être même fait remarquer sur une difficile colle musicale, s’attardait depuis plusieurs tours au rayon littérature. Cependant, Marc fut finalement favorisé par les dés, et le jeu prit fin par son ultime réponse et dans un commun soupir de relâchement…


Il y eut alors un instant de silence partagé, et puis Marie se décida, risquant un œil en coin vers le vainqueur :



Décidément, la sournoise avait de la suite dans les idées ! Un instant, Marc fut effleuré par le soupçon qu’elle ne l’avait laissé gagner, lui, qu’afin de mieux se prêter à cette nouvelle phase du jeu. C’était bien dans la nature perverse et enjouée de la demoiselle, qui soutenait maintenant son regard, sourire narquois aux lèvres. Il hésitait, furieux, l’imagination en panne… C’était ennuyeux ! Allait-il s’en tirer par une pirouette ? Connaissant son amoureuse, elle n’apprécierait pas. La situation était périlleuse…


Tous deux le fixaient à présent, Marie arborait un air gentiment indulgent et, à ses côtés, Alexis tentait sans succès d’affecter le plus grand détachement… Il fallait qu’il trouve, et vite, qu’il se sorte de ce mauvais pas ! Son regard allait de l’un à l’autre… Tout d’un coup, le souvenir lui vint d’une conversation assez lointaine avec Marie, une conversation qui avait donné l’occasion à celle-ci de se laisser aller à… quelques vantardises, peu vérifiables et donc restées par lui invérifiées. De ce point de départ, une idée incongrue se forma à son esprit, qu’il écarta instantanément, horrifié. Comment pouvait-on se laisser aller à de pareilles chimères ? Il tenta résolument de passer à autre chose, mais l’amusant schéma fit son chemin, tournant à l’idée fixe, l’empêchant d’explorer d’autres voies. Il lutta un peu, pas trop. Après tout, c’était Marie qui l’avait placé dans cette situation embarrassante, tant pis pour elle, donc ! Et sans doute, pensa-t-il après un temps, tant pis pour l’autre, Alexis.



Sa voix se fit impersonnelle, presque théâtrale :



On était mardi, un suspense de trois jours leur serait donc imposé. Marie apporta deux feuillets accompagnés de jolies enveloppes en papier Japon. Rapidement, Marc rédigea quelques lignes sur le premier, réfléchit quelques instants, en fit autant sur le second, puis les mit tous deux sous pli et cacheta, inscrivant au dos de chaque enveloppe ces quelques mots :


Au soir de vendredi, OUVREZ-MOI.


Marie, le dévisageant d’un air de défi, glissa la sienne dans l’un de ses innombrables sacs à main. Alexis, la mine pataude, tourna et retourna l’enveloppe, avant de l’enfourner, déjà froissée, dans sa poche. Tout était dit, il était à présent vraiment très tard, et Marc se décida à orienter leur ami vers la sortie avec autant de douceur que de fermeté.



Pendant les trois jours qui suivirent, Marie ne fit semblant de rien. Chez elle, il ne fut pas une seule fois question de la soirée, encore moins de sa ludique conclusion. Au collège, un stage retenait Alexis loin de l’établissement et elle ne le vit point. Le vendredi soir arriva enfin, et dès son arrivée à la maison, Marc lui proposa un dîner en ville… il y avait si longtemps qu’on leur avait parlé de cet étonnant restaurant japonais de Montmartre, tenu par un ancien acteur de Kurosawa : il avait donc réservé.


Ce fut un vrai régal. Les sushis et sashimis étaient parfaits, servis avec une gentillesse rare. Le vin était bon, l’ambiance discrète, bien que le service affichât complet. Minuit vint sans que Marc n’y prît bien garde, aussi eut-il une seconde d’hésitation quand il vit Marie s’emparer de son sac, l’ouvrir et en retirer une… jolie enveloppe en papier Japon !



Le papier mis en quatre bruissa sous ses doigts… Marc attendait, l’air de ne pas avoir d’air…


Elle lut. Fronça les sourcils et puis relut, réprimant à grand peine une réaction indignée : elle savait se tenir dans le monde… ! Les lèvres pincées, l’œil étincelant, elle se mit à fixer son bonhomme, les coudes sur la table, mains jointes sous le menton, tenant le « gage » du bout des doigts… Marc affichait une grimace amusée. Elle le vit esquisser un sourire, l’entendit bougonner :



Un gage était un gage, soit, mais de là à… Marie était furibonde. Sa propre voix, au timbre naturellement grave, lui parut pour le coup franchement enrouée… Réticente, butant sur presque chaque mot, du bout des lèvres, elle parvint à ânonner :



Marc s’était donc rappelé cette vieille histoire, racontée ou avouée par elle un soir où la qualité des Irish Coffees servis dans un bar branché du XIe l’avait poussée aux pires confidences… Mais quelle erreur de s’être abandonnée à de tels bavardages ! Elle d’habitude si réservée… Et puis cette aventure, aussi ! Invitée par un ami à une exposition montée au Centre Pompidou, elle s’était laissée convaincre de visiter ensuite les collections permanentes, au cinquième étage. Là, cet ami s’était montré… très entreprenant. Alors, la situation devenant agaçante, dans ce décor si particulier, elle avait fini par lui céder, à demi exposée aux regards des touristes japonais, dans un recoin, sans que, selon ses dires, son calme et sa maîtrise de soi ne puissent rien trahir de ses émois. Marc avait toujours affecté de prendre cette anecdote alcoolisée pour une rodomontade, tenant l’exploit pour difficile. Et donc, si elle comprenait bien, le billet la mettait à demi-mot en demeure de lui prouver la « faisabilité » – quel mot horrible – de la chose. Certes, le gage était inattendu… mais Marie ne passait pas pour timorée…


À la réflexion et à la relecture, et même en oubliant un instant l’outrance du projet, un point lui paraissait néanmoins obscur… une ambiguïté qui en vint à mobiliser son attention, perturbant son jugement alors même qu’elle se demandait si son devoir d’honnête femme ne lui commandait pas d’envoyer sur-le-champ le billet à la figure de son « ex » ami et de réclamer son vestiaire. Une question simple : envisager des galipettes dans le Lieu saint de l’Art moderne passe encore, mais… la « charge de la preuve », de la… « démonstration », devait incomber à QUI ?


Elle s’en voulut de prime abord d’envisager l’inenvisageable. Marc était certes un amant quasi irréprochable, se montrant constamment très amoureux d’elle, mais il n’avait jamais fait preuve de grande extravagance dans leur relation amoureuse et ne lui paraissait pas du genre à imaginer de tels égarements. Elle se dit que seule l’imprécision apportée à la rédaction du billet laissait place à cette question, à vrai dire tout à fait déplacée. Il lui fallait cependant en avoir le cœur net. Soutenant le regard du goujat, elle osa :



Marc ne répondit point de suite, il eut un sourire, un éclat traversa son regard, et avant même qu’il ouvrît la bouche, elle sut avec certitude qu’il allait lui confirmer son peu avouable soupçon :



Addition, vestiaire, où donc est garée la voiture, le reste de la soirée en devint franchement maussade, Marie affectant un air parfaitement absent, égal et sans humeur, sans que le moindre signe ou même le moindre mot prononcé ne fût concédé à Marc… Celui-ci crut être allé trop loin. Non que sa relation avec la donzelle lui ait épargné crises, faux départs ou même trahisons, mais le registre de ces moments était plutôt à la violence qu’au renoncement, et les silences de Marie lui paraissaient bien plus redoutables que ses fureurs. La fin de la nuit se passa donc, car tout passe, chacun cantonné à son extrémité de lit conjugal…


Il faisait grand jour quand Marc se réveilla. Marie entrait dans la chambre, porteuse d’un plateau de petit-déjeuner qui, pour tout rituel qu’il fut (n’ayant à assurer de cours le samedi, elle en faisait, avec beaucoup de bonheur, son jour à lui…), ne pouvait être en soi de mauvais augure. Vêtue d’un peignoir tout blanc en éponge, les cheveux humides, et fleurant bon les sels de bain, elle s’était manifestement levée de bonne heure. Toujours aussi muette, affectant un air indifférent, elle entreprit de faire le service, semblant s’en acquitter de bonne grâce, préparant tartines et petits pains qu’elle lui tendait sans plus de commentaires. Il ne savait vraiment que penser…


À dix heures trente précises, le réveil, qui était de « son » côté à elle, se mit à sonner, intempestif. D’un coup ajusté, elle le fit taire, se tourna à demi, parut hésiter, figée, regardant de façon ostensible le bout du lit, et, après un long et pesant moment de silence, souffla du bout des lèvres :



Il dut faire un effort pour réprimer une grimace et se demanda si le soulagement qu’il éprouvait à cet instant était dû à la seule perspective de réaliser son projet ou bien plus simplement à l’annonce qu’on venait de lui faire de la fin des hostilités… D’autant plus que, mis au pied du mur, cette histoire lui paraissait infiniment moins séduisante. Et pour tout s’avouer, il commençait tant à regretter sa propre hardiesse qu’à réprouver celle de sa compagne. N’eût-il pas souhaité, en fait, qu’elle se dérobât ? Elle mit d’elle-même un terme à ces inconvenances ? Au lieu de cela, « comment m’habillé-je », demandait-elle à présent ! Était-il donc possible qu’elle envisageât d’aller tout au bout de ce gage stupide ? Il prit conscience d’une cruelle évidence : dès le début du jeu, il avait parié sur le désistement de Marie. Pari plus qu’imprudent : voici que la balle était renvoyée dans son propre camp… allait-il perdre la face ? Cela dépendait de la réponse qu’il devait faire et que sa joueuse attendait, là, comme en dépendait la suite très concrète – trop concrète – qui serait donnée à l’affaire… Oserait-elle, vraiment ? Il lui fallait quand même le savoir. Il eut une ultime hésitation, un brusque serrement de gorge, et s’entendit basculer du bien mauvais côté :



Il voulait du noir ? Soit, il aurait du noir ! Marie fit donc une véritable œuvre d’art de sa mise au noir… Un strip-tease à l’envers ! À commencer par les bas, enfilés lentement, sans qu’elle eût encore retiré son peignoir… Contraste du coton couleur de neige sur la peau mate, entrevue par l’échancrure, et progressivement assombrie par la maille… Et puis le haut du même peignoir encore retenu par la ceinture nouée à la taille, qui glisse le long des épaules, faisant ainsi jaillir son buste arrogant, et puis ce geste gracieux venant fermer les crochets du soutien-gorge, dans le dos. Il dut faire un effort considérable pour qu’un temps, précieux à son projet, ne fût perdu par sa faute, surtout quand le peignoir tomba derechef pour être remplacé par un petit ensemble tout simple, gris, avec un col de velours noir… Le triangle de dentelle vint en dernier : elle était prête !


Le flux habituel des premiers visiteurs prenait d’assaut les escaliers mécaniques du Centre Pompidou. Il était Midi passé de quelques minutes, et Marie, l’air absent, se laissait guider par Marc, la foule lui ayant toujours inspiré une véritable peur panique. Au moment d’accéder aux escalators, elle se sentit fermement poussée vers la gauche par son compagnon : là se trouvaient les grands ascenseurs, qui, comme à l’habitude, étaient dédaignés des touristes. Ils n’étaient que trois à attendre la cabine et Marie crut déjà mieux respirer. Échange de regards en coin… Une femme et deux hommes. Aucun n’était le complice attendu. Marie eut néanmoins l’impression que chacun devinait le moindre détail de leur raison d’être là, et elle se sentit rougir jusqu’aux oreilles… Elle était folle ! Il fallait qu’elle se reprenne, il était encore temps. Cet ascenseur qui ne venait pas, c’était d’ailleurs un signe. Son cœur battait à rompre, elle dégagea son bras de l’emprise de Marc, prête à s’enfuir… et la cabine arriva à cet instant. Les portes s’ouvrirent, chacun s’effaça poliment pour la laisser entrer : plus moyen de reculer, ce fut donc presque malgré elle qu’elle se retrouva à l’intérieur.


Arrêt au troisième étage, celui de la bibliothèque, la femme et l’un des deux hommes les quittèrent. La Cabine reprit son ascension. Marie avait la sensation affreuse d’avoir perdu toutes ses brillantes facultés. L’intelligence en panne, elle ne parvenait plus à détacher son regard du bout de ses escarpins, obnubilée par le mouvement vertical des structures à travers les parois transparentes de l’ascenseur. Dernier étage, enfin ! L’ascenseur freina sa course, les câbles et poutrelles, dehors, s’immobilisèrent, les portes s’ouvrirent, le dernier passager sortit et disparut sur la passerelle… Elle se dit qu’Alexis devait être là, à les attendre. C’était l’instant de vérité. Il lui fallait reprendre ses esprits, inspirer un grand coup, se fabriquer, vite, vite, un sourire de circonstances… et y aller ! Mais elle se sentait clouée au sol de la cabine… Marc, impatienté, la prit par la taille et l’entraîna d’un geste brusque vers l’extérieur :



Il était dit que jusqu’au bout il se comporterait en parfait goujat ! Au moment de franchir les portes coulissantes, elle ne put s’empêcher de lui lâcher doucement, trop doucement :



Alexis était bien là, en effet, à quelques mètres en bout de passerelle, contemplant l’animation tout en bas du bâtiment. Au bruit de leur arrivée, il se retourna, eut un grand et franc sourire, et, courant droit à eux :



Puis, sans plus de formalité, il claqua deux bises vigoureuses sur les joues de Marie et serra la Main de Marc à la broyer.


Quelle réception ! Marie se sentit envahie d’un doute immense. Son gentil confrère n’affichait en rien l’attitude du malin pervers se rendant à un rendez-vous galant, soigneusement prémédité et mis en scène… Avait-il ou avait-elle tout compris de travers ? Elle ne put s’empêcher de lancer à son homme un regard lourd de questions urgentes… celui-ci, l’air aimable et distrait, affecta de n’y point répondre ; il écoutait Alexis et paraissait pour l’heure prendre le plus grand intérêt aux généralités déprimantes qu’égrainait celui-ci – n’était-il pas question, sublime point de vue, du zèle si comique de ces groupes de Japonais partant à l’assaut de nos Musées nationaux ?


Et puis, tout discutant, les deux hommes l’entraînèrent, un peu perdue, jusqu’à la billetterie, devant laquelle une queue s’était déjà formée… là, Alexis dut les abandonner un instant pour laisser son sac au vestiaire. Il fallait qu’elle en profite. Marc, impavide, semblait attendre et redouter sa question :



Il la regarda, il hésitait manifestement, cherchant ses mots. Et puis rapidement, à voix basse, d’un ton gentiment moqueur et en ayant l’air de parler de tout autre chose, il lui glissa :



Il eut un court silence, et continua :



Alexis revenait, en effet, tout sourire. Quelle complication inattendue ! Lui plaisait-il ? Ma foi, dut convenir Marie… pour ce qu’il lui était demandé d’en faire, elle aurait pu tomber plus mal ! Muscles ronds, œil clair, et jolie fossette au menton, Alexis en faisait craquer plus d’une. Et quelles mains… !


Mais il ne savait rien, donc. Et à y réfléchir un peu, c’était bien prévisible : elle aurait vraiment dû y penser ! Elle s’en trouvait à la fois soulagée et furieuse. Soulagée, car la honte d’être ainsi manipulée, ainsi offerte, lui était épargnée. Mieux : il était encore temps de faire machine arrière. Furieuse, car dans les instants où, fataliste, elle avait envisagé de répondre au défi de son tortionnaire en allant au bout de ce jeu de « chiche, pas chiche », elle s’était rassurée à l’idée qu’il lui suffirait de se laisser guider par les initiatives de l’un ou de l’autre, en affichant la plus ostensible, la plus méprisante des passivités !


Leur tour vint enfin, et vint par là même le moment où, nantis des laissez-passer, ils se retrouvèrent à pied d’œuvre, au seuil du palais, immobiles et muets face au monumental tableau de Matisse qui orne tout le fond de la première salle…


Marc prit tout de suite les devants, pour examiner un à un les collages de taille plus modeste exposés sur les parois latérales… Alexis le suivit de près, et Marie, après une ultime et rageuse hésitation, se décida. Elle regardait les chefs-d’œuvre distraitement, bien plus attentive au manège de son compagnon… Elle remarqua que celui-ci passait très vite d’une œuvre à l’autre, augmentant ainsi rapidement la distance qui les séparait. Un frisson la prit. Elle pensa qu’à cette seconde précise elle était dans l’impossibilité de dire si elle pourrait ou non honorer ce gage idiot… Alexis avait sur elle une courte avance, faisant des efforts manifestes pour l’attendre, et lui jetant de fréquents regards. Le plus comique était qu’il en faisait autant vers Marc, semblant soucieux de ne les perdre ni l’un ni l’autre ! Mon Dieu, s’il savait ! Elle eut une impulsion, vite écartée : dans la mesure où s’enfuir purement et simplement n’était pas dans sa nature, ne valait-il pas mieux tout avouer à Alexis, là, tout de suite, et mettre ainsi un terme à ce très mauvais suspense ? Quoiqu’il se passe ensuite, elle aurait de cette façon – au moins en partie – échappé aux trames tissées par son compagnon. Mais comment s’y prendre pour oser un tel aveu ?


Marc avait disparu à présent, attiré par les attraits supposés de la salle suivante. Elle était seule avec Alexis et un couple de touristes ; l’homme et la femme étaient tout proche l’un de l’autre, tête contre tête, s’efforçant de lire ensemble un panonceau couvert d’explications écrites en caractères minuscules. Quand ils s’en détachèrent, Alexis vint prendre leur place et, d’un signe, l’invita à une lecture commune. Marie se rapprocha donc de lui, à le toucher, afin d’avoir sa part de commentaire… Elle sentit que l’une de ses mèches brunes frôlait la joue de son collègue, et fit semblant de ne rien remarquer au contact de leurs épaules. Elle ne put s’empêcher de rire sous cape en remarquant qu’Alexis, figé, retenait son souffle, et en sentant le poids de la grande carcasse se faire plus pressant sur son bras. Leur lecture silencieuse continua, et dura bien au-delà de ce qu’exigeaient d’intérêt les douze lignes de l’affichette… Énervée – elle n’avait après tout rien décidé encore ! –, elle finit par y mettre un terme en se redressant vivement, fouettant par mégarde le visage d’Alexis du mouvement de sa chevelure. Il eut un sursaut, lui adressa un bête sourire d’excuse, plus rouge que vif. Qu’il était donc pataud ! Il en devenait touchant. Elle rit en dedans. Allait-elle, finalement… ? Alors qu’elle se trouvait en proie à ces états d’âme, son attention fut attirée par un mouvement furtif, au seuil de l’espace suivant : Marc, qui manifestement était revenu les observer, s’effaçait à nouveau…


Il l’aurait donc voulu ! Faisant mine de prendre les devants, elle parcourut rapidement le reste de l’accrochage. Elle s’apercevait qu’elle se prenait au jeu, se demandant à présent si, malgré toutes ses ressources (et si elle s’y résolvait), elle saurait amener ce balourd d’Alexis… à destination. D’ailleurs, n’était-ce point là l’exacte question qui lui était posée ? La salle qui suivait était consacrée aux surréalistes : Tanguy, Magritte, Dominguez, Dali, elle restait distraite, l’esprit entièrement empli des manigances et des manœuvres à entreprendre éventuellement pour circonvenir son trop doux collègue…


C’est à l’instant où celui-ci la rejoignait que se produisit le déclic. La toile accrochée devant ses yeux, cette toile qu’elle regardait depuis un moment d’un œil parfaitement distrait, toute perdue qu’elle était dans ses sombres réflexions, s’imposa brusquement à sa conscience. C’était à peine croyable. Un signe, à n’en pas douter ! Elle regarda Alexis en coin, lui aussi semblait tenter de déchiffrer le si explicite graffiti : le fameux « LHOOQ » de Marcel Duchamp, qui barrait en lettres de cinquante centimètres de haut un portrait de groupe des surréalistes ! Elle sourit, ravie, et comme il restait sans réaction, elle risqua :



Il eut un silence, fronça les sourcils de façon comique et répondit :



Elle se fit alors une voix de conspiratrice pour lui chuchoter :



Il en resta bouche bée, le regard rivé sur la peinture, répétant sur un ton égaré : « LHOOQ… LHOOQ… ». Quand enfin il décoda, son visage s’empourpra à nouveau… Marie n’en pouvait plus, faisant un effort considérable pour rester digne, affichant une pudeur faussement offusquée. En tout cas, elle tenait son point de départ ! La salle des surréalistes comportait plusieurs issues. Elle se dirigea vers celle du fond, qu’elle savait donner sur une étroite galerie, peu éclairée, bordée de part et d’autre par des vitrines inclinées, présentant des lavis et des encres sensibles à la lumière. Alexis la suivait, l’air tout à fait dépassé. Une fois engagée dans le couloir empli de pénombre, elle fit tout d’abord semblant de réellement s’intéresser aux dessins exposés, laissant Alexis s’approcher d’elle, à la toucher. L’endroit était désert, c’était le moment de progresser un peu ! Se retournant vers lui, elle lui fit « Chut ! » du bout du doigt, et, tout en le fixant, souriante, elle souleva sa jupe d’une main leste, puis retira lentement sa culotte, exposant à loisir l’éclat de sa brune toison, avant de laisser tomber le bout d’étoffe sur ses escarpins et de s’en emparer d’un geste vif pour le glisser enfin, mutine… dans la poche de son infortuné soupirant ! Elle crut qu’Alexis allait tomber en syncope, et, pour lui permettre de reprendre au plus vite ses esprits, risqua cette explication oiseuse :



Et puis :



Il est vrai qu’il était tellement plus agréable de se promener sans culotte dans cet endroit surchauffé ! Sans plus attendre les effets de son impertinence sur son malheureux collègue, elle lui tourna le dos, s’éloignant dans le corridor, ondulant de ses hanches amoureuses, à nouveau tout attentive aux cimaises…


Un visiteur apparut au bout de la courte galerie. Un homme, grand, brun, que le manque de lumière rendait inquiétant, et qui lui accorda un regard appuyé, avant de consacrer son attention aux dessins. Saisie d’une inspiration, Marie continua sa progression, dans la direction de celui-ci, affectant de marquer une pause tous les deux ou trois pas, tournant la tête à droite puis à gauche vers les vitrines, en parfaite touriste. Dans le même temps, de sa main droite repliée dans le dos, elle faisait lentement remonter sa jupe. Elle sentit du frais sur ses cuisses quand l’étoffe passa le seuil des bas. Elle allait froisser sa jolie jupe, mais tant pis ! Le bas du revers roula sous ses doigts, la chair de poule envahit ses fesses, c’était dit : elle avait le cul à l’air, et Alexis devait être au bord de l’asphyxie ! Face à elle, à quelques pas, l’homme lui jeta un nouveau regard, qui lui parut cette fois… amusé. Pouvait-il se douter que… ? Non, c’était impossible ! Vaguement inquiète, elle lâcha l’étoffe d’un coup et se retourna : Alexis était là, immobile, la convoitise éclairant son visage plus que les pauvres spots du couloir ; lui en revanche s’était dit : il était à point ! Elle eut la brusque envie de le taquiner, revint sur ses pas, et lui souffla :



Et, sans attendre sa réponse, elle le dépassa, nez en l’air, pour bifurquer à sa gauche dans la longue et sombre coursive de service, débouchant sur la façade nord du Musée, tout près des fameux Barnet Newmann, là où justement, quelques mois plus tôt… Elle avançait doucement dans l’étroit couloir, son jeu à elle était accompli à présent, et si Alexis n’était pas si empoté… Elle se demanda ce qu’il allait faire… La suivre ou bien s’enfuir à toutes jambes ? Elle n’aurait vraiment su que parier ! Attentive, elle entendit enfin un pas glisser derrière elle. Elle rit, eut alors une pensée furtive, à la fois ravie et très vaguement peinée, pour Marc… Où était-il donc passé celui-là ? Et puis elle l’oublia, toute à ses émotions son cœur cognait à rompre, elle avait l’impression qu’on n’entendait que lui, la fin du passage se rapprochait, à peine plus lumineuse, elle devinait la présence de l’autre, tout près, maintenant… À sa droite, le mur de béton, qu’elle effleura machinalement, du bout des doigts, à gauche, la mince cloison qui les séparait de la Grande Salle. Elle pressa le pas, arriva tout au bout, buta sur la rambarde métallique, trapue, cylindrique, qui courait au long de la verrière Nord, et s’y accouda. À sa gauche, en se penchant un peu, elle pouvait voir les visiteurs qui déambulaient dans l’espace d’exposition ; certains lui jetèrent un regard indifférent, d’autres lui accordèrent un vague sourire… Le sang battait à ses tempes, elle voulut s’absorber dans la contemplation du parvis, en contrebas, cette foule, tous ces gens qui allaient et venaient, minuscules, elle passait, vite, d’une fourmi à l’autre, toute tendue par l’attente énervante d’un contact quelconque… Mais que faisait-il donc ? Elle était si exaspérée que quand une main lui prit enfin la taille, elle ne put s’empêcher de pousser un cri, qu’elle étrangla tout de suite, en se mordant les lèvres, violemment…


… involontairement, elle se cambra en arrière, les doigts crispés sur la rambarde, les yeux clos. La caresse rugueuse se fit insistante, elle la sentit à travers l’étoffe, partout sur ses fesses, ses flancs, remontant vers ses seins dressés, les mamelons douloureux… Puis sa jupe fut troussée sur ses hanches, et, griffant légèrement ses bas, l’on remonta entre ses jambes, toujours plus haut, forçant un peu le passage que par jeu elle tenait fermé. Là, elle ne put réprimer un soupir et dut s’abandonner, exposant largement ses cuisses… Elle sentit alors d’habiles frôlements se risquer sur son sexe, puis agacer ses chairs les plus sensibles, avec insistance, légèreté, et, pour tout dire, une expertise inattendue ! D’instinct, elle se mit à aller et venir, au-devant de l’intrusion, arquant plus fortement les reins, ouvrant ses jolies jambes et se dressant sur ses escarpins. Elle percevait à présent les effluves d’un parfum de bon goût, qu’elle n’avait pas jusqu’alors remarqué. Et puis un souffle, saccadé, sur son cou. Le cœur cognant à éclater, elle se sentait fondre, ruisselante et mourante d’excitation ! Qu’il fasse vite, mon Dieu ! Tout se troublait autour d’elle, la caresse s’était faite plus précise, n’ignorant plus rien d’elle. Secouant la tête, elle devina, à sa gauche, un groupe de touristes… il fallait qu’elle se retienne, absolument, absolument, ne pas crier, même pas gémir, ne rien laisser voir, surtout. D’un coup, on l’abandonna. Si brusquement que ses jambes la trahirent, et qu’elle manqua tomber. Mais elle fut dans le même instant prise aux hanches, soulevée, écartée encore, écrasée contre la rambarde. Le souffle coupé, elle sentit alors l’instrument de son agresseur, dressé, dur, tâtonnant, entrer en contact avec ses fesses, son sexe, et s’enfoncer enfin, profondément, en elle. Elle eut un violent tremblement…


… Quand elle reprit conscience, un plus tard, ce fut pour contempler fixement ses propres mains, grippant encore la rambarde, les jointures blanchies, douloureuses. Sa première idée fut en forme de certitude : elle n’avait pas crié ! Mais l’avait-on remarquée ? Saisie d’une brusque angoisse, elle tourna vivement son regard vers la Grande Salle, à sa gauche. Un nouveau groupe de touristes était là, tout près, indifférent, et plus loin, de dos, absorbé dans la contemplation d’un somptueux Hartung, c’était… Marc. Il se retourna à cet instant, fit mine de l’apercevoir – quel hypocrite – et vint à elle, souriant…



Il soupira, puis continua, sur un ton mi-figue mi-raisin :



Elle se retourna… Le passage était désert. Et bien non, il n’était plus « avec » elle !


Marc la prit par la main, l’attira jusqu’à lui, déposa un baiser au creux de sa nuque, et l’entraîna vers la lumière des salles occidentales… Elle était sur un nuage. Au sens littéral, songea-t-elle : juste un peu… éreintée, les jambes flageolantes ! Quelques minutes plus tard et quelques passages plus loin, ils retrouvèrent Alexis, engagé dans une discussion animée avec la jolie gardienne d’une salle tout encombrée de Max Ernst…



Il eut un sourire contraint à l’adresse de Marie, presque l’air de s’excuser, et crut malin de continuer :



Une demi-heure ? Mais quel culot ! Et quel naturel : il était décidément parfait ! Et cette sotte en uniforme qui restait coite et se gardait de ne rien démentir ! N’en faisait-il pas… juste un peu trop, tout de même ? Elle ne s’attendait certes pas à ce que son tout nouvel et si chanceux amant se trahisse par quelque familiarité déplacée, ou au contraire un embarras excessif, mais de là à faire ainsi l’indifférent…


Une demi-heure… Un doute affreux la saisit d’un coup : une demi-heure, vraiment ? Était-il possible que… Il est bien vrai qu’elle avait perdu toute notion du temps, et l’épisode final était resté pour elle si… anonyme ! Elle s’en voulut de repasser dans sa tête le film des événements, revenant sur le détail de leur enchaînement. Sa dernière certitude : le passage des dessins… et l’abandon du trophée de dentelle. Ensuite… Ensuite, il y avait eu cet homme, au bout du couloir… C’était impossible ! Elle ne pouvait être sûre de rien ! Rageuse, Marie vrilla ses prunelles dans les yeux de Marc, quêtant, exigeant une confirmation. Mais, tout souriant, l’air d’infiniment s’amuser, celui-ci resta désespérément muet…