n° 05464 | Fiche technique | 12209 caractères | 12209Temps de lecture estimé : 7 mn | 04/01/03 |
Résumé: Une femme souffrant d'être seule, confondue avec une prosituée, son sosie, rencontre un client avec une peine de coeur. | ||||
Critères: f amour volupté cérébral prost | ||||
Auteur : Godbach (Rêveur aimant écrire, avec "une" éventuellement.) |
Corinne Flamand revenait d’un "lapin", il pleuvait.
Où vont-ils ces hommes qui ne viennent pas aux rendez-vous, qui ne répondent pas aux petites annonces ? Pourquoi l’évitent-ils, lévitent-ils au-dessus d’elle ? Comment ? De justesse, par-devant, par derrière, ou s’arrêtent, soupirent.
Ils l’évitent, comme des lames.
Elle est peut-être trop fine pour être tranchée, ses cheveux bruns sont restés longs et son visage est trop doux. Trop banale peut-être, elle se remémore son annonce, elle n’a pas mis : greffière, habite au centre de Paris, un immeuble haussmannien, tagué, noirci, grande porte émeraude écaillée.
Comme des lames, de fines lames, brillantes de montures de lunettes, de chevalières, de pinces à cravates et d’alliances retirées, ils s’avancent voir les prostituées.
Ils lui conviendraient…
Les hommes s’intéressent aux magazines féminins. Ils sont là, ouverts, des femmes, offertes. Les pages, brillantes, glacées, tournent avec le vent, jetées sur le trottoir. Ils n’ont plus qu’à se baisser, les ramasser, les froisser.
Corinne s’attarde, une nouvelle. Une fille pas comme les autres s’appuyait au mur de son immeuble. Des cheveux raides et rouges coupés à hauteur des lèvres brillantes, des paupières en dégradé de rose et d’or, une jupe courte en cuir, un haut rose à fines bretelles, des bas à résilles.
Son sosie parfait, avec l’audace en plus.
Corinne achète la version papier, plusieurs, va chez le coiffeur se faire couper les cheveux au carré, se teint en cuivre et rougit ses lèvres en sombre.
Les lames maintenant se tournent, se retournent sur son passage, comme des portes à tambour, les portes de magasins dont elle a fait le tour, ses sacs marqués remplis.
Dans une vitrine, la vivante, un modèle, son modèle, à disparu. Un autre l’accroche.
La prostituée s’aperçut de son erreur. Ces yeux-là ne sont pas désabusés comme les siens.
Elle se sent encore déguisée, intoxiquée, en manque.
*
Le week-end suivant, alors qu’elle rentrait d’un rendez-vous convenu par petites annonces, rendez-vous auquel l’inconnu ne s’est pas rendu, Corinne, égouttant son parapluie à l’entrée de l’immeuble, se fit aborder par un homme qui la prenait pour l’autre.
Sandra est celle qui m’a parlée de Béa pensa Corinne.
C’est un petit bonhomme râblé, la cinquantaine à peine, des petites lunettes rondes, un par-dessus qui semblait courber ses épaules.
Il avait l’air tout à fait sincère, ce qui surprit Corinne qui n’est pourtant pas une oie blanche. Une âme en peine, comme la sienne. Tout de même, elle n’est pas ce qu’il prétend, qu’il se débrouille…
Corinne était touchée de recevoir ce témoignage, sans pudeur. Elle était tout aussi désemparée que lui.
Il sortit de sa poche une broche faite d’ambre orangé, incrusté d’un fossile, une libellule qui volait du temps où l’homme n’existait pas encore.
Corinne se pencha un instant, son cœur fissuré, attendri.
Il l’avait prise par le coude et la fit asseoir sur un siège de terrasse de bar-tabac. Le garçon, le regard plein d’ironie, leur servit une bière et un diabolo menthe. Corinne n’avait pas les possibilités ni, il faut bien le dire, l’envie de refuser. Son but de sa journée n’était pas de rentrer bredouille.
Bertrand était, en quelque sorte, sa thérapie. Ils se revoyaient régulièrement, au bar-tabac, puis chez elle. Il parlait de lui, de sa femme, des deux ensembles, l’un avec l’autre, l’un dans l’autre. Car il se dévoilait sans pudeur, croyant avoir à faire à une professionnelle. Elle, en échange, recevait des mots sans artifices, sans arrières pensées.
Il lui arrivait de pleurer dans les bras de la greffière, sa joue sur son sein, elle pleurait aussi. Ils s’endormaient, habillés, et se réveillaient au petit jour.
Au bout d’un certain temps, il venait sans prévenir, comme quand c’est la victime qui se déplace chez son sauveteur. Il venait comme un ami, un copain, une copine. Une copine, car Corinne cherchait de moins en moins à s’habiller, se déguiser, quand elle s’attendait à le voir débarquer.
Par exemple, une fois, elle était en combinaison, couchée. Bertrand se leva et est allé pisser, laissant la porte de la salle de bain ouverte. Elle ne l’aurait pas cru : elle a aimé entendre un homme uriner. Cette nuit-là, endormis sur le bras qui lui entourait les épaules, Bertrand a ouvert les yeux. Il a vu Corinne, la combinaison remontée, sa main dans sa culotte, active. Il referma ses yeux et n’en fit jamais allusion.
Une autre fois, la dernière fois, Bertrand était heureux. Sa femme et lui sont amoureux.
Elle ne se comportait jamais ainsi avec les hommes, tout avait un sous-entendu pour elle qui se croyait encore être une princesse, intouchable, intouchée. Elle riait aussi des mots de Bertrand, tantôt crus, tantôt mièvres, jamais justes, ceux qu’il cherchait pour décrire en quoi elle et lui s’entendaient mieux désormais, même s’il s’agissait de sexe, chose à quoi Corinne prétendait s’intéresser uniquement. Corinne avait acquis une assez haute estime d’elle-même d’avoir résolu un problème de cœur.
*
Un jour, Corinne alla en boîte. Elle s’était vêtue à son goût, ni plus ni moins… Elle arrêta sa phrase dans sa tête, riant devant son miroir. Ni plus ni moins audacieux que cette Béa, voulait-elle dire, sans trop d’accessoires cependant.
Là-bas, elle jouait à celle qui choisissait, l’exigeante. Elle n’était plus celle qui n’était pas habituée, mais celle qui en savait trop et c’était vrai d’ailleurs. Pas pressée, au bar, elle ne regardait que son verre, payé avec son argent. C’est ainsi que vint le plus beau. Non, pas le plus beau, autre chose. Et puis, il n’est pas vraiment venu. Il était au bout du bar, contemplant son verre, payé avec l’argent de Corinne, pour rire.
Corinne Flamand et Jacques Dubret sont restés copains dix ans, après aussi d’ailleurs. Un jour, ils se sont demandé s’ils avaient des raisons de rester ensemble. Ils étaient incertains. Plus tard, l’un dit à l’autre qu’il avait rencontré quelqu’un qui lui plairait s’il était libre. L’autre lui dit qu’il l’était et de tenter le coup, sans le lui cacher, sans jamais le tromper. L’un présenta l’autre au troisième. Ils s’en firent un jeu, car, autrement, ce n’était pas supportable.
*
Corinne sortit de sa poche une broche faite d’un morceau d’ambre orangé, incrusté d’un fossile, une libellule… Béa se pencha, émue, se mordant la lèvre inférieure comme pour cacher un romantisme désuet, perdu.
Béa se mit à pleurer. Pendant ce temps là, sous la pluie, au milieu du trottoir où les badauds se précipitaient en contournant, se retournant sur les jumelles.