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Temps de lecture estimé : 15 mn
20/07/03
Résumé:  Petit déjeuner au lit et tous ses parfums.
Critères:  fh fplusag alliance volupté voir exhib intermast
Auteur : Augledance  (Homme, divorcé, célibataire, 59 ans)      
Mano, opus quatro


" Les pensées danger ", ouvrage en cours d’écriture, extrait.



C’était aussi l’été dans ce beau nord de France.


Le jour s’était levé depuis longtemps.

Je profitais d’avoir le lit pour moi tout seul pour faire la grasse matinée en m’étalant de tout mon long. Toutes les chambres de la maison se trouvaient à l’étage. La nôtre était située juste au-dessus du magasin de vêtements, au bout du couloir. Elle était joliment meublée en style picard, gaie et ensoleillée jusqu’au soir. Les fenêtres donnaient directement sur le chemin de halage du canal de Saint-Quentin. En pleine nature, juste à la sortie du village. On pouvait même papoter tranquillement avec les mariniers quand ils rangeaient leurs péniches en bordure pour attendre de passer l’écluse.


J’entendis soudain dans l’escalier qui montait à l’étage, des bruits de pas qui s’arrêtèrent juste derrière ma porte. Quelques petits coups feutrés… puis la poignée grinça et la porte s’ouvrit, tout doucement.


Elle entra sans faire de bruit, enleva ses claquettes pour marcher nus pieds sur le tapis et posa le plateau sur le guéridon. Elle m’appela, mais en murmurant pour savoir si je dormais encore. J’ouvris les yeux. Je la devinais dans la pénombre. Ça sentait bon le café frais et les croissants chauds. Elle tira les doubles rideaux, ouvrit la fenêtre en grand. Le soleil levant inonda immédiatement la chambre. Elle s’avança vers moi en arborant un large sourire.

Elle était radieuse.


Ce n’était pas la première fois qu’elle me montait ainsi le petit déjeuner au lit, mais ce matin là, elle portait une robe de chambre en soie blanche, longue, très élégante, sans manches ni ceinture, aux bords finement dentelés et fermée du haut en bas par de fragiles boutons nacrés. Je remarquai que deux ou trois d’entre eux, autour de son cou, n’étaient pas attachés…

Sa tenue était vraiment vaporeuse, aérienne, légère, transparente même. Elle se déplaçait ingénument dans la lumière en faisant danser autour d’elle les rais de soleil qui créaient des mystères éclatants et majestueux autour de son corps de femme mûre.


Elle me permettait complaisamment d’entrevoir des ombres de dunes allongées par les vents qui envoûtaient ses reliefs charmants. Je voyais ses contours onctueux, ses modelés bouleversants et ses gestes qu’elle ralentissait intentionnellement pour annoncer, sans équivoque, au travers de ses voiles de soie, des audaces préméditées…


Après m’avoir demandé si j’avais bien dormi, elle s’approcha de la table de nuit, croisa vertueusement ses mains sur sa poitrine et se pencha sur moi pour me dire bonjour.


Elle dégageait d’exquises odeurs de douche, de savon parfumé, de dentifrice et de crème matinale passée sur le visage. Ses joues étaient douces et tendres. Ses cheveux blonds, bouclés, à peine séchés, vinrent me taquiner gentiment le nez, les narines…

Tout en retendant machinalement la couette sur mes épaules, elle m’embrassa plusieurs fois en mettant dans ses baisers une chaleur et un empressement inaccoutumés.

Comme elle avait décroisé ses mains pour venir flatter le bas de mes joues, j’aperçus discrètement les premiers arrondis bombés de sa gorge dans l’échancrure déboutonnée de sa robe de chambre.


« Oh, mais vous piquez beaucoup depuis deux jours ! »


De taille moyenne elle avait cependant les formes rondelettes et flatteuses des femmes de son âge. Mais juste ce qu’il fallait. Toujours très soignée de sa personne, dans une grande simplicité. Vraiment classe.


Ainsi que je le lui disais souvent, j’étais à la moitié d’âge entre elle et sa fille. Et je sentais bien, encore ce matin, qu’elle était un peu envieuse, un peu jalouse… Justement, sa fille était partie tôt ce matin pour prendre son service médical à l’hôpital de jour, me laissant ainsi le grand lit pour moi tout seul.


Elle se redressa, soulageant ainsi mes premiers embarras, mes gênes.


En l’absence de sa fille partie à son travail et sans modérer un instant ses regards tatillons, elle me plaisanta poliment à propos de ma position suggestive, dessous la couette. J’étais largement relâché, bras et jambes écartés recherchant le frais des draps dans les espaces… Elle savait que je ne dormais qu’avec un maillot de coton et elle devait sans doute imaginer mes nudités, mes contours interdits, mes émotions lascives, mes abandons impudiques… Dans le chaud du lit.


« Vous me troublez ce matin ! »


Je me redressai pour m’asseoir sur l’oreiller. Elle me troublait aussi.


J’aimais bien, sans le lui avoir jamais dit, quand elle n’était pas maquillée et que je la trouvais belle dans sa cinquantaine. Epanouie. Avec un regard de fouine rieuse et des yeux malins.

Elle développait autour d’elle et dans sa famille, un culte voué à la vraie vie. Bonne chair, bonne bouffe, bons câlins, bons dodos, bonnes siestes… Tout en touchers subtils avec les yeux, avec les doigts, avec quelques inclinations parfois. Des convoitises singulières parfois…


Ce matin je la sentais libertine…


A petits pas comptés, elle m’apporta le plateau avec la cafetière, le bol, le sucre, un verre de jus d’orange et des croissants au beurre qu’elle avait réchauffés dans le micro-onde. Elle s’avança vers moi avec mille précautions sans quitter le plateau des yeux afin de ne rien renverser et s’inclina lentement pour le poser sur la couette dans le rond ouvert de mes cuisses. Dentelles arabesques, broderies frivoles.


Elle m’observa furtivement en étirant son menton vers le haut et en battant des cils plusieurs fois pour surprendre mon regard, mes yeux.

Sans rien laisser paraître, elle remarqua aussitôt qu’ils s’étaient délibérément introduits dans l’ouverture béante de son décolleté. Je découvrais ses seins nus, je les distinguais avec émoi, si blancs, si doux, si enchanteurs. Superbement matures.


Pendant tout ce temps - qu’elle prolongeait malicieusement afin de m’installer confortablement pour le petit déjeuner - je voyais bien qu’elle goûtait mes indiscrétions soutenues, mes flâneries visuelles douillettes et sensuelles sur sa poitrine dégagée. Qu’elle prisait mes insistances…

D’ailleurs, en se courbant pour déposer le plateau, les deux pans de soie doublés de son décolleté s’étaient abaissés pour s’évaser plus encore… Comme le rideau se lève soudain sur la scène d’un Opéra.


Elle offrait ainsi avec grâce, si tendrement, ses seins de femme à mes regards aimables, empressés. J’entrevoyais ses mamelons, ses aréoles, j’apercevais ses tétons pointés, je sentais ses molles chaleurs, ses troubles, ses perturbations intrépides. Elle allongeait et savourait avec gourmandise les fugaces caresses virtuelles que je lui prodiguais. Elle me sourit, bienveillante. Si consentante, si complice. Comblée.


« Vous aimez n’est-ce pas ? »


Elle lâcha enfin le plateau entre mes cuisses, appuya ses mains à plat sur le matelas par dessus la couette. Puis elle resta ainsi, penchée sur moi, plus proche, plus audacieuse, plus provocante aussi… Elle inspira puis elle expira d’aise. Elle me regarda droit dans les yeux. Pour les guetter.


« Vous aimez n’est-ce pas ? Vous ne m’avez pas répondu… Mais, mais je ne devrais peut-être pas ? »


Elle inspira profondément pour embellir sa poitrine. Elle hésita en silence. Elle persista.


« Bon, je vous mets deux sucres, comme d’habitude ? »


Elle me mit deux sucres comme d’habitude, versa le café noir encore chaud et tourna la petite cuillère dans le bol. Tranquillement. Je respirais, je déglutinais un peu avant de boire mon café.

Depuis deux ans que je la connaissais, jamais elle ne s’était prêtée ainsi à mes attentions… Elle délectait, elle enivrait, elle chavirait tous mes sens. Je voyais ses seins qui ondoyaient et ballottaient joliment dans les dentelles blanches, lumineuses et grandioses du décolleté de sa robe de chambre.


J’imaginais ses galbes, ses courbes, ses figures libres, ses étreintes passées, ses séductions, ses palpations magnanimes, ses bains moussants, ses provocations peut-être, ses frissons personnels, ses souvenirs… Jeune, elle avait du attiser d’irrésistibles tentations, susciter des égarements coupables, provoquer des désarrois définitifs…

Dans ma tête, soûlée par les vertiges de mon âme secrète, j’entendais simultanément des musiques suaves et des symphonies endiablées. C’étaient ensemble, la trompette ouatée de Miles Davis et les violons endiablés de Mozart. C’était Smooth Operator susurré par Sade et les chœurs de Nabucco sur la scène aquatique du lac de Constance… J’admirais les flous fous et précieux de David Hamilton et les nuances délicieuses des sculptures replètes de Botero.


Le soupirail dévoilé de ses seins exhalait des effluves de fleurs des champs fraîchement coupées, des arômes de pain cuit encore chaud… Il y avait dans ses balancements espacés, dans ses déplacements magiques, des souffles d’air tièdes qui s’évaporaient, des valses impulsives, fougueuses, étourdissantes, magistrales. Le soleil jouait divinement avec ses dômes, ses refuges, ses berceaux, en distillant divinement des lueurs, des lumières tamisées et des brillances incestueuses.


Mes chairs, tourmentées par ses faveurs matinales imprévues, se soumirent sans condition à la loi de la mâle nature. Vaincues, solitaires, tendues et frémissantes, sous les plis emmêlés de la housse de couette.


« Votre silence traduirait-il des émotions cachées ? Ou des états égoïstes que je ne pourrais voir ? » Elle rit.


J’entendis le bruit des moteurs d’une péniche de mariniers qui naviguait sur le canal en faisant clapoter l’eau sur les berges. Pas elle.


Sereine, elle apposa ses mains sur mes mains pour les saisir. Elle porta ainsi nos mains jointes sur ses joues en effleurant doucement avec mes doigts incrédules, ses pommettes lissées. Je les lui caressai avec une infinie délicatesse. Ses yeux pétillaient au plus profond des miens. Puis ses mains douces invitèrent les miennes à venir courtiser sa nuque impatiente et la prendre au bas de son cou.

En toute simplicité.


Du bout des doigts, je défrisais ses petites bouclettes de cheveux blonds, juste derrière. Elle aima. Oh oui, elle aima infiniment. Nos doigts entrelacés atteignant progressivement ses épaules, commençaient à ouvrir silencieusement l’échancrure de ses étoffes décolletées.

Le tissu soyeux se tendit généreusement au moment où nous dénudâmes ensemble ses épaules.

Dehors, les mariniers échangeaient tranquillement des propos de mariniers. De sas boueux, d’écluses devenues désuètes, d’attentes interminables…


Moi je flottais, désorienté, entre deux vagues. J’évaluais maintenant le moment où elle allait assouvir ses tourments, sa probable tempête.

Sous la tension imposée par la fièvre de nos mains, un petit bouton de nacre céda en irisant ses reflets dans le soleil. Puis un autre.

Insolents, irrespectueux.


Peu à peu, en laissant glisser ses blanches soieries brodées le long de la peau de son dos, nous dénudions aussi ses seins.

Elle inclina sa tête en arrière.

Folle.

Elle passa sa langue sur ses lèvres et dissimula un sourire sibyllin. Elle fêtait déjà une victoire qu’elle s’était annoncée, une conquête perverse, une prouesse sémillante, une domination libertine…

Quand ses mains, entraînant toujours les miennes, atteignirent ses coudes, elle sortit ses avant-bras au travers des plis du tissu froissé.


Elle marqua un temps d’arrêt.

Je vis ses yeux se fermer à peine, ses paupières clignoter. Elle soupira et retint le prélude d’un léger sanglot, puis elle sortit ses bras. Le haut de sa robe de chambre chuta le long de son dos et s’étala sur ses flancs.


Elle s’assit vivement sur la couette, à côté de moi, pour en stopper les plis juste à temps sur sa taille. En croisant ses jambes.

Son buste, ses épaules, sa gorge, ses seins m’apparurent pour la première fois. L’orée pâle de ses hanches aussi…


Elle était belle, épanouie, ravie, si sensuelle. Elle respirait rapidement en tournant la tête pour quêter un peu d’air…

Elle prit délicatement le plateau du petit déjeuner pour le poser sur la table de nuit. Son regard fixé sur moi était toujours aussi intense, brillant, très femme, si craintif, si désireux…


Elle se saisit à nouveau de mes mains, les porta à sa bouche pour les embrasser à petits coups de lèvres humides et, m’attirant insensiblement vers ses appas, elle les étreignit langoureusement dans les siennes pour les poser d’abord sur ses épaules.

Mes paumes étaient brûlantes, tremblantes et moites pour les envelopper. Puis nos doigts réunis, entrelacés, errèrent longuement le long de son cou. Elle les aventura ensuite sur sa gorge capiteuse en laissant échapper, à ce contact si charnel, un discret gémissement, une plainte coupable.

Enfin, du bout des ongles, elle déposa effarouchée, comédienne perfide, nos quatre mains devenues intimement câlines… sur ses seins nus. Fiers, honorés, si consentants.

Elle soupira, elle sursauta de contentements confus, mélangés.

Puis elle ferma ses yeux.


Ses mains fines et alertes abandonnèrent soudain les miennes.


A cet instant précis, sous les projecteurs outrageants du soleil, les choristes et les musiciens de l’orchestre de la Scala de Milan magistralement dirigés par Tullio Serafin, entonnèrent les premières mesures de Norma. La voix de la Callas monta comme une invite.


Ô heureuse.



Sans cesse à mes côtés s’agite le Démon

II nage autour de moi comme un air impalpable

Je l’avale et le sens qui brûle mon poumon

Et l’emplit d’un désir éternel et coupable.


Parfois il prend, sachant mon grand amour de l’Art,

La forme de la plus séduisante des femmes,

Et, sous de spécieux prétextes de cafard,

Accoutume ma lèvre à des philtres infâmes

.

II me conduit ainsi, loin du regard de Dieu,

Haletant et brisé de fatigue, au milieu

Des plaines de l’ennui, profondes et désertes,

Et jette dans mes yeux pleins de confusion.

Des vêtements souillés, des blessures ouvertes.


Charles Baudelaire – Les fleurs du mal


Elle entrecroisa ses bras en arrière sur la chute de ses reins, se cambra et redressa son buste. Ses seins admirables m’étaient offerts.

Mes mains les caressaient doucement, les attendrissaient, les chérissaient. Je suivais leurs courbures galbées du bout de mes doigts, j’effleurais à peine leurs pointes avec mes ongles limés. Elles étaient si gourmandes… Plus j’adulais ses seins, plus elle rejetait sa tête en arrière, l’agitant éperdument de tous côtés. Insensée, si heureuse.

Les yeux fermés, s’abandonnant à mes seuls touchers, en poussant des petits gémissements de joie, des soupirs profonds, elle confirmait ses doléances, encourageait mes étreintes, bénissait mes assauts…


« Oh, mais vous m’intriguez tellement, vous me comblez, vos mains sont si déliées, si virtuoses, si douces, oh oui, mon jeune ami, comme vous faites bien ces choses là… Mais peut-être ne devrions-nous pas ? »


Avec un soupçon d’impudence, elle tourna la tête, ouvrit les yeux et regarda mes mains câliner pleinement ses seins, les enthousiasmer, les mignoter, les agacer… Elle me regarda.


« Je ne doutais pas que vous alliez me concéder aimablement ces menus plaisirs, vous êtes adorable, oh oui, continuez, continuez encore… Finalement, tout ceci n’est pas bien méchant. »


Elle se souleva pour s’asseoir plus près de moi. Elle éparpilla ses doigts sur mon front, sur mes sourcils, frôla mes joues puis posa ses deux mains sur ma taille. Je sentis quelques pressions sur mes hanches, quelques indécisions ambiguës et diverses convoitises… Elle insista son regard.



C’est une femme belle et de riche encolure,

Qui laisse dans son vin traîner sa chevelure.

Les griffes de l’amour, les poisons du tripot,

Tout glisse et tout s’émousse au granit de sa peau.

Charles Baudelaire – Les fleurs du mal



« Moi aussi j’aimerais bien… »

Ses mains s’introduisirent subrepticement sous mon maillot en le soulevant à peine. Elles parvinrent affolées, brûlantes, sur ma peau nue. Ardentes, exaltées… J’en eus la chair de poule, une déglutition incontrôlable.


« S’il vous plaît n’arrêtez pas les aventures prometteuses de vos mains sur mes seins, je les sens vives et heureuses n’est-ce pas ? Vous me donner un tel bonheur, vous ne pouvez pas imaginer. Tout mon être en frissonne. Vous êtes un doux amant. Si jeune encore pour moi. Mais, moi aussi j’aimerais bien… »


En murmurant ces quelques mots, elle avait laissé descendre ses mains sur le bas de mon buste, le haut de mes fessiers. Elle me les touchotait. Sous la couette ses doigts agiles atteignirent mon ventre, pianotèrent mes cuisses jusqu’aux genoux, puis remontèrent sur les plis de l’aine.

Elle temporisa, elle prolongea. Elle pressa ses paumes.


« Oui, j’hésite car je crois me souvenir que vous dormez toujours sans rien à ces endroits. Vous voulez bien n’est-ce pas ? Moi aussi j’aimerais beaucoup vous gâter, vous choyer… Nous ne sommes que tous les deux toute la journée. Même que ce midi, nous serons en tête à tête pour le déjeuner. Tôt ce matin, j’ai préparé une bonne mayonnaise aux herbes de Provence, nous finirons le rôti de veau d’hier midi ? Avec une petite salade d’endives du pays ? » Elle reprit ses attouchements, ses doigtés.


« Vous permettez n’est-ce pas ? Nous ne dirons rien. J’en ai tant envie ! »


Une péniche remit ses moteurs en marche au ralenti, pour commencer ses manœuvres vers le bief amont de l’écluse. Ce matin s’annonçait coupable pour moi. Se jouant de ma fausse pudeur, elle osa.



Et dans ses bras ouverts, que remplissent ses seins,

Elle appelle des yeux la race des humains.

Elle croit, elle sait, cette vierge inféconde

Et pourtant nécessaire à la marche du monde,

Que la beauté du corps est un sublime don

Qui de toute infamie arrache le pardon.

Charles Baudelaire – Les fleurs du mal



« Oh mais oui je savais bien que vous étiez nu à ces endroits-là, j’en étais sûre ! Vous avez dit un jour, à table, que vous ne portiez qu’un maillot pour dormir, c’est tout ! Jeune homme malicieux vous me faites perdre la tête vous savez. C’est si agréable pour moi de vous toucher ainsi… De vous… enfin de recueillir au creux de mes mains vos émotions si chaudes, si intimement enflammées, si juvéniles encore. Je n’osais pas… Excusez-moi, je vous chatouille un peu peut-être ? Voilà, comme ça, avec mes paumes ce sera mieux. Laissez-moi… Laissez-vous faire, laissez-vous aller, faites comme moi, j’ai tellement confiance en vous… Vous semblez avoir une charmante constitution, mes compliments. Vos talents sont déjà si fiers, si disposés… Vous voyez, ce sont ces agitations là dont je vous parlais tout à l’heure. Vous ne me les cachez plus maintenant et c’est aimable à vous de me les concéder un instant. Dans mes mains, je mesure votre orgueil amplement épanoui, longuement jubilatoire… Quel tempérament, quelle vigueur je sens là ! »


On entendit quelqu’un frapper vainement à la vitrine du magasin. Puis, déçu, repartir à pas lents. Elle osa. Un peu plus encore.



Ce n’était pas un temple aux ombres bocagères,

Où la jeune prêtresse, amoureuse des fleurs,

Allait, le corps brûlé de secrètes chaleurs,

Entrebâillant sa robe aux brises passagères ;

Charles Baudelaire – Les fleurs du mal



« Oui, ce matin, nous allons être en retard pour ouvrir le magasin, mais tant pis, j’ai mis une pancarte pour prévenir les clients. Pour une fois, ils peuvent bien attendre. Oh, je sens bien que mes mains ne sont plus solitaires ! Elles sont ? Comment dirais-je ? Si agréablement accompagnées par vos multiples réjouissances, vos régals instinctifs. Depuis que je vous connais, j’ai toujours apprécié la fermeté dont vous savez faire preuve… Mais je, enfin… cette fermeté là m’était inconnue. »


Elle me sourit en libérant toutes ses témérités, tous ses aplombs.

Le couple de mariniers se chamaillait prestement à propos des manœuvres à accomplir afin d’écarter la péniche du quai. En tapant sur le polochon, elle libéra mes mains et fit en sorte d’épanouir mes appuis.


« Oui, prenez toutes vos aises, vous êtes mieux installé maintenant, j’aime beaucoup votre posture inconvenante. Mais elle est tellement plus confortable. Vous n’avez pas trop chaud sous la couette ? Reposez-vous un peu, abandonnez vous aussi, vous l’avez bien mérité. Vous avez été vraiment parfait, si intrépide ! Cet après midi, nous irons faire quelques courses en ville. Nous avons du monde à dîner ce soir. Un rendez-vous annuel que mon mari me demande, oh pardon… que mon mari me demande d’organiser tous les ans. Vous m’aiderez pour le service ? Oh, à nouveau pardon, je suis maladroite, je vous fais sursauter, je ne le ferai plus c’est promis ! Vos attraits sont devenus si sensibles maintenant, je les surprends si frémissants sous mes doigts. Et vous aussi ? Si vous voulez bien, c’est vous qui irez choisir les vins à la cave pour le dîner. Vous savez les assortir fort à propos. On mettra un vin blanc pour accompagner les entrées et un bon vin rouge pour le repas. Et pour le dessert, j’ai préparé un champagne millésimé et deux seaux à glace. Vous aimez mes ballottements ? En tout cas, je vous sens de plus en plus ému sous mes touchers, fortement même si je peux m’exprimer ainsi. Jeune vaurien. Oh oui, ne vous défendez pas, fermez vos yeux, ne luttez plus maintenant, vous n’avez pas à vous défier de moi, pas davantage à vous justifier. Tout ceci est de ma faute. Obligez-vous un peu ? Juste ce qu’il faut, une soumission anodine, une brève docilité ? Ce soir, nous recevons le nouveau Maire du village et sa femme, avec quelques adjoints et leurs épouses. Et la famille évidemment… »


Des gamins passèrent en vélo en se dirigeant vers la place du village.



Elles tournent leurs yeux vers l’horizon des mers,

Et leurs pieds se cherchent et leurs mains rapprochées

Ont de douces langueurs et des frissons amers.

Les unes, coeurs épris des longues confidences,

Dans le fond des bosquets où jasent les ruisseaux,

Vont épelant l’amour des craintives enfances

Et creusent le bois vert des jeunes arbrisseaux ;

Charles Baudelaire – Les fleurs du mal


« Je vais descendre un peu la couette vous permettez ? Vous devez avoir trop chaud. Oui, je vous sens tout moite, tout fébrile. Non, non, je ne regarde pas. Voilà. Ce n’est pas mieux ainsi ? Gardez vos yeux fermés, concentrez-vous sur mes caresses, sur mes petites cajoleries féminines. Comme moi je me suis concentrée sur les vôtres tout à l’heure. Vous sentez mes mains ? Moi je vous constate si gaillard, si souple en même temps… Ce soir, je vais revoir quelques femmes d’adjoints ou de conseillers que je n’apprécie pas beaucoup, mais vous verrez, certaines sont vraiment de très jolies femmes. La plupart s’habillent ici, chez moi. J’en suis déjà un peu jalouse. Je sens que vos ardeurs sont de plus en plus intenses, c’est bien normal. Attendez, je vais glisser cette main… Là, voilà, respirez profondément, respirez plus fort. »


Je rouvris les yeux. Je la regardai. Mon cœur comme un oiseau…


« J’ai fini de lire l’ouvrage de Catherine Millet. Elle est bien connue dans les milieux de l’art, mais là, elle raconte sa vie sexuelle avec une crudité et une clarté dont je suis restée confondue. Je crois bien que c’est l’un des livres les plus audacieux et les plus stupéfiants que la tradition érotique ait donné à la littérature française. C’est peut-être cela qui me donne des idées frivoles, voluptueuses. D’ailleurs il faut que je le prête à l’une de ces dames, ce soir. Elle me l’a demandé. Mais… mais je sens votre cœur battre de plus en plus fort ! Serait-ce moi ? »


Mon cœur comme un oiseau voltigeait tout joyeux…


Elle passa habilement une main dans mes cheveux. Elle m’embrassa. Dans le même temps, je maîtrisai une subtile contraction, une surprise, un étonnement. Elle raffola beaucoup de ma détresse passagère.


« Oh ! Excusez-moi, vous êtes si sensible… Vous voilà maintenant entièrement décoiffé. Mais j’ai fait très doucement n’est-ce pas ? Votre front transpire un peu mais vos lèvres sont sèches. Aimez-vous mieux ainsi ou dois-je cesser ? Après le champagne, nous irons tous ensemble sur le pont du canal, si vous voulez. Il fait si bon le soir à la tombée de la nuit, c’est si plaisant. Oui, je crois bien que c’est moi… Vous allez de mieux en mieux, il n’y a plus de doute. Je sens venir votre joie, votre ivresse, vos épanchements. Abandonnez-les moi s’il vous plaît. Faites-m’en le présent. Vite. Envolez-vous. Ô qu’il m’est agréable de vous entendre ainsi. Qu’il est beau ce chant d’homme. Magnifique ! »



Mon coeur, comme un oiseau, voltigeait tout joyeux

Et planait librement à l’entour des cordages

Le navire roulait sous un ciel sans nuages

Comme un ange enivré d’un soleil radieux.

Charles Baudelaire – Les fleurs du mal



Tout explosa dans ma tête, tout jubila dans mon corps.


« Pardonnez-moi, j’étais si impatiente… »