L’écrivain est devant sa page blanche, il mord le bout de son crayon, il regarde le plafond, les mouches qui volent, il voit le parc par la fenêtre ouverte s’il se redresse un peu sur son fauteuil. C’est l’été.
- — Mais comment vais-je bien pouvoir l’appeler ?
Il se sent mélancolique, sa dernière compagne l’a quitté un mois auparavant. Il a sombré un moment dans la dépression et puis un désir d’en sortir en utilisant ses qualités d’imagination, l’a fait renaître à la vie. Il est en train de concocter une vengeance virtuelle. Il se parle à lui-même, en quête d’inspiration…
- — J’ai besoin qu’elle soit là, je veux lui parler. Peu importe son prénom, je veux qu’elle entre en scène…
Elle arrive de nulle part. Je ne sais pas qui elle est, ce qu’elle fait dans la vie, de toute façon.
À partir du moment où elle rentre dans cette histoire, elle est à moi, ou plutôt, elle est comme je veux qu’elle soit. Je veux qu’elle entre maintenant, dans cette pièce !
La porte s’ouvre, une forme indéfinissable entre dans mon bureau, elle referme la porte, puis fait quelques pas vers moi.
- — Bonjour mademoiselle.
- — Bonjour monsieur.
Tiens, en plus elle est polie, je ne l’ai pas fait exprès. J’aime sa voix, c’est une voix suave, douce, ensorcelante, un peu timide aussi, c’est normal que je l’aime puisque je la crée pour moi.
- — Quel âge avez-vous donc ?
- — J’ai 20 ans, monsieur, mais ce n’est pas très bien élevé de demander son âge à une demoiselle !
- — Comment ?
Je marque un temps d’arrêt, elle a du caractère ! Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’elle prenne des initiatives dans ce dialogue, je me voyais tranquille dans le rôle de celui qui pose des questions et qui attend les réponses, même les plus indiscrètes.
- — Heu… oui, c’est exact, encore que pour coller tout à fait aux pratiques officielles du savoir-vivre, il me semble bien que ce genre de questions soit à éviter pour les dames dites d’âge mûr, ce qui n’est pas votre cas. Et puis, je débute mon histoire, il faut bien que je fasse votre portrait.
Elle ne relève pas la dernière phrase, me regarde, un peu boudeuse, un peu interrogative. Son visage est ovale avec les yeux en amandes vert émeraude, une petite bouche aux lèvres très charnues, une fossette sur le menton et des cheveux d’un noir de geai, coupés court jusqu’au niveau du lobe de l’oreille, encadrent le haut du visage. La frange cache la totalité du front.
- — J’aimerais savoir ce que je fais ici !
- — Vous êtes chez moi, cela ne vous plaît pas ?
J’admets le ridicule de cette réponse, mais l’envie de jouer un peu au chat et à la souris avec elle me met d’humeur un peu taquine.
- — Mais je ne vous connais pas. Qui êtes-vous ? Comment suis-je arrivée chez vous ?
- — Je suis écrivain. Vous ne me connaissez pas mais c’est quand même moi qui vous ai inventée ! Et vous êtes ici parce que j’ai décidé de vous introduire chez moi, je m’ennuyais, et puis j’ai un petit compte à régler !
- — Mais je ne comprends rien à ce que vous me dites. Vous m’avez inventée ? Vous délirez, vous n’êtes pas mon père !
- — Je n’ai pas dit cela. Je ne prétends pas être votre père, que d’ailleurs je ne connais pas, mais il n’en reste pas moins que je vous ai inventé, oui, même si le mot vous déplaît. Avant de tourner la poignée de cette porte, vous n’étiez rien, si vous partiez maintenant, vous cesseriez d’exister.
Elle éclata d’un rire juvénile un peu forcé, avisa un fauteuil club dans un coin de la pièce, et s’assit sur l’un des bras en croisant les jambes, comme une qui prend cinq minutes pour régler un petit malentendu, pensant reprendre sa vie normale ensuite.
J’en profite pour la détailler physiquement un peu mieux. Elle ne semble pas très grande, assez potelée, sans être grosse non plus. Elle porte une jupe plissée bleu marine très courte, qui me permet d’apprécier le galbe de ses jambes et de ses cuisses, surtout depuis qu’elle les a croisées. Un petit boléro blanc boutonné sur le devant habille son buste tout en laissant voir son nombril et les bretelles de son soutien-gorge bleu-turquoise. C’est la mode du temps, les filles montrent leurs sous-vêtements, cela prouve au moins qu’elles en portent. Celle-là fait bien d’en porter parce que sa poitrine semble particulièrement volumineuse. Des escarpins de cuir blanc complètent sa tenue. Elle est séduisante, sans être non plus un top modèle. C’est le genre de fille que l’on peut remarquer dans la rue en été, et la regarder partir vers sa destinée en étant sûr de ne jamais la revoir, sauf que celle-là est chez moi et qu’elle m’appartient, sans qu’elle l’ait encore compris d’ailleurs, puisque la voilà qui repart à la charge :
- — On n’invente pas les gens ! Vous devez être un fou, ce que vous me dites est impossible. J’ai une vie, je le sais bien puisque je la vis, et vous n’y êtes pour rien.
- — C’est ce que vous croyez mademoiselle, mais vous vous trompez !
Je la fixe avec un petit sourire amusé tout en attrapant une cigarette que j’allume aussitôt.
Elle me regarde, incrédule, elle a les bras croisés, ce qui souligne particulièrement sa poitrine. Mais la voilà qui hoche lentement la tête de droite à gauche puis qui demande sérieusement :
- — Arrêtez de vous moquer de moi s’il vous plaît, et expliquez-moi ce que je fais ici.
- — À quoi bon puisque vous ne voulez pas croire ce que je vous dis ! Je vous retourne la question, si je ne vous ai pas inventée, expliquez-moi ce que vous faites ici ?
Elle a un petit soupir d’agacement, puis elle décroise les jambes et se penche en avant. Elle appuie ses coudes sur ses genoux et pose son menton sur ses poings. Dans cette position, elle m’offre une vue plongeante sur son décolleté.
- — Mais je n’en sais rien !
- — Alors, cherchez une explication plausible.
Je continue d’afficher un petit sourire et de fumer tranquillement. Elle me regarde, soucieuse, visiblement en train de réfléchir intensément, peut-être même agacée par le fait de ne pas trouver de réponse immédiate à ma question.
- — Vous êtes sûre de ne pas me connaître ?
- — Oui, reconnut-elle.
- — Vous rappelez-vous ce que vous faisiez avant d’entrer chez moi ?
- — Oui, je marchais dans la rue.
- — Vous alliez où ?
- — Eh bien, je venais ici.
- — Vous veniez ici ? Mais comment avez-vous pu prendre cette décision puisque vous ne me connaissiez pas ?
Elle réfléchit un instant puis répond :
- — Mais je ne sais pas.
- — Alors, qu’en déduisez-vous ?
- — Que quelqu’un me fait une farce !
- — Qui cela ?
- — Je ne sais pas, des amis.
- — Bien, vous essayez de trouver une explication rationnelle… ce qui prouve un bon équilibre mental et je m’en réjouis, mais je suis au regret de vous dire que cela ne tient pas la route. Essayez de trouver, maintenant, dans quelle circonstance des amis vous feraient une farce qui vous enverrait de votre plein gré dans la maison de quelqu’un qui vous est inconnu ? Tout en sachant que cette maison est cernée par un parc bordé de hauts murs et que le seul accès est un portail toujours fermé électriquement.
Elle se prend la tête dans les mains en soufflant par la bouche, puis, se redressant, elle déclare :
- — Écoutez, je ne sais pas comment je suis rentrée ici, mais je refuse de croire que vous m’avez inventé. J’ai 20 ans, cela fait une foule de souvenirs et je les ai bien en tête, on ne peut pas faire apparaître tout cela en claquant dans les mains.
- — Oui, tout cela est normal, vous avez les souvenirs d’une jeune fille de 20 ans, si je vous avais créé avec l’âge de deux ans vous n’auriez quasiment pas de souvenirs, et si votre âge était de 40 ans…
- — Arrêtez avec cela ! Vous m’ennuyez avec cette histoire, je ne suis pas inventée, j’ai un père, une mère, un frère, une sœur, des amis, une vie, j’existe !
Elle s’est levée, son visage exprime la colère, ces mains rythment chacun de ses mots, elle se tient debout devant mon bureau, elle exprime de toute sa force le refus de croire à mon histoire.
- — Comment vous appelez-vous ?
Ma question la fige, je vois passer une lueur d’effroi dans ses yeux, elle découvre qu’elle ne peut répondre à cette question.
- — Eh oui, vous ne vous appelez pas, du moins, pas encore, parce que je n’ai pas encore décidé de votre prénom !
Elle me regarde incrédule et troublée, cherchant dans mon regard une bouée de sauvetage. Tout à coup, elle s’exclame :
- — Duval ! Je m’appelle Duval !
Je souris à nouveau.
- — Oui, je viens d’avoir cette idée, je trouve que cela vous va bien. Mais votre prénom ?
Elle réfléchit intensément, très désireuse de contrer mes affirmations par une échappatoire aussi providentielle que celle qui vient de s’offrir à elle. Puis elle retourne au fauteuil dans lequel elle s’assied lourdement, et lâche sans me regarder :
Je me garde bien de troubler le silence qui vient s’installer entre nous, et me contente de la regarder. Elle a croisé ses jambes à nouveau, ses mains reposent chacune sur un bras du fauteuil, sa tête appuyée sur le dossier, elle fixe le plafond. Elle semble digérer cette joute verbale.
- — Alors, si c’est vous qui m’avez créé, c’est dans quel but ? Tout à l’heure, vous avez parlé de compte à régler ?
- — J’ai des comptes à régler avec Sylvia.
- — Qui est-ce ?
- — Mon ex-petite amie.
- — Je ne comprends pas.
- — C’est pourtant simple, mon ex-petite amie m’a largué, cela m’a fait mal et j’ai besoin de me venger. Comme je suis écrivain, j’ai décidé de créer une femme à mon goût qui sera amoureuse de moi, quelles que soient les situations que je lui ferai vivre, vous !
Elle ouvre des yeux étonnés et affirme dans un geste de condescendance :
Ses yeux me fixent intensément, elle semble chercher où est l’erreur. Elle est effondrée dans le fauteuil, les bras sur les accoudoirs, et elle s’en remet à moi pour essayer de trouver une issue correcte à ce qui est une énigme pour elle.
- — Je vais tenter de vous convaincre par des phrases, petit à petit, mais sachez que je pourrais le faire de façon plus directe. Par exemple, je peux vous demander pourquoi vous n’essayez pas de partir ?
- — Comment le pourrais-je puisque vous m’avez dit vous-même que la seule issue possible, le portail de la propriété, est fermée par télécommande ?
- — C’est une bonne réponse, mais au moins, avez-vous eu l’idée de partir ?
- — Non !
- — Pourtant, ce serait assez logique. Alors, admettez, tout comme vous venez de le faire pour l’accès de cette maison, que je suis peut-être pour quelque chose dans ce manque d’envie de fuir !
Elle ne dit rien, attendant la suite de ma démonstration.
- — Avez-vous des qualités de gymnaste ou d’escaladeuse ?
- — Pardon ?
- — En d’autres termes, êtes-vous capable de passer par-dessus un mur de deux mètres cinquante, ou un portail en fer forgé de trois mètres ?
- — Je ne crois pas.
- — Surtout dans cette tenue… et pourtant vous êtes entrée chez moi. Avez-vous des souvenirs sur la façon dont cela s’est passé ?
- — Non.
- — C’est normal, je n’ai pas pris la peine de travailler ce détail, j’étais pressé de discuter avec vous et je vous ai fait entrer dans ce bureau directement.
- — Pourquoi étiez-vous pressé de me rencontrer ?
- — Je désirais rentrer dans cette histoire le plus vite possible, j’avais besoin de vous voir.
- — Pourquoi moi ?
- — La réponse est difficile. Nous ne voyons pas les choses de la même façon. Dans ce « moi », vous mettez votre existence propre, vous vous dites « il y a tant de filles qui existent et il a fallu que ça tombe sur moi », alors que moi, je vous vois telle que mon imagination vous a créée et donc ce ne pouvait être que vous. Je trouve d’ailleurs que c’est un bon choix, mais peut-être qu’hier ou demain vous auriez été tout autre ! Mais alors, peut-être que les questions auraient été les mêmes. Qu’en pensez-vous ?
Son regard est toujours incrédule, mais elle essaie de comprendre, de trouver une faille.
- — Comment vous appelez-vous ?
- — Je n’ai pas envie de vous le dire. Mon nom figurera sur la couverture de ce livre s’il est publié, cela suffit.
- — Puisque vous m’avez inventée, racontez-moi la fin de l’histoire.
- — Ce serait trop simple, je ne peux vous la dire puisque je la découvre en même temps que vous.
Le flot de ses questions semble tari provisoirement, j’en profite pour amener la discussion sur un sujet plus intime, et commencer ainsi mes investigations perverses.
- — Avez-vous un petit ami ?
- — Pas en ce moment.
- — Mais vous en avez eu, malgré votre jeune âge.
- — Je n’ai pas à vous le dire.
- — En temps normal, vous ne répondriez pas à cette question venant d’un inconnu, mais là, c’est différent. À quel âge avez-vous eu vos premiers rapports sexuels ?
Elle se tortille un peu sur sa chaise pour marquer son trouble.
- — À 14 ans.
- — Vous étiez précoce. Vous avez fait l’amour à cet âge-là ?
- — Non, je ne voulais pas.
- — Alors, racontez-moi comment cela s’est passé.
- — C’était pendant des vacances d’été en colonie, j’étais amoureuse d’un des moniteurs.
- — Il était plus vieux que vous ?
- — Oui, il avait 22 ans. Nous flirtions ensemble, et puis le dernier soir, nous étions dans sa chambre et il voulait que l’on marque notre séparation à venir en faisant l’amour.
- — Mais vous avez refusé. Il vous avait déshabillée ?
- — J’avais ôté le haut.
- — Pas le bas ?
- — Je portais une jupe et il avait glissé ses doigts dans ma culotte.
- — Et cela vous plaisait, mais vous avez gardé assez de lucidité pour vous refuser à lui quand il vous l’a demandé.
- — Il a très bien compris, mais il semblait si déçu… et puis j’étais amoureuse.
- — Alors vous lui avez accordé une compensation.
- — Je l’ai sucé.
- — Vous deviez être très amoureuse. Ce n’est pas très facile de commencer sa vie sexuelle comme cela. Vous l’avez fait jusqu’au bout ?
- — Il a joui dans ma bouche.
- — Et cela vous a déplu.
- — Oui.
Tout en répondant de bonne grâce à mes questions indiscrètes, elle soulève sa jupe et s’évente les cuisses avec le tissu. Je distingue nettement que sa culotte, en dentelle, s’harmonise parfaitement avec la couleur de son soutien-gorge.
- — Avez-vous l’impression que le petit interrogatoire que je viens de vous faire subir et auquel vous avez répondu gentiment, ainsi que le geste charmant avec lequel vous vous rafraîchissez en ce moment même, sont des attitudes que vous adoptez spontanément dans la vie courante ?
Elle rougit immédiatement, rajuste sa jupe et bafouille :
- — Non, je ne crois pas.
- — Vous êtes charmante quand vous rougissez, vous savez. Commencez-vous à croire mes explications concernant votre présence ici ?
- — Je ne sais pas.
- — Pourtant, vous admettez qu’il se passe des choses pas très naturelles.
Elle secoue la tête affirmativement, puis ajoute :
- — Tout à l’heure, vous avez dit que vous pourriez me convaincre autrement que par des phrases.
- — En effet, il y a des situations qui pourraient vous convaincre plus directement de tout cela, mais approchez-vous donc.
Elle se lève du fauteuil et s’approche.
Elle se tient debout à côté de moi, pose une main sur mon bureau.
- — Comment occupez-vous vos loisirs ?
- — Je vais au cinéma, je lis, je fais du sport, je sors avec des amis.
- — Quels sports pratiquez-vous ?
- — Je fais du tennis et de l’équitation. J’aime beaucoup la natation aussi.
- — Vous faites de la compétition ?
- — Non, je joue juste pour le plaisir et je pratique l’équitation deux fois par semaine.
Tout en l’interrogeant, je pose la main sur ses jambes et remonte lentement sur ses cuisses.
- — Vous avez commencé jeune, je suppose.
- — Mes parents m’ont inscrite dans un poney-club dès l’âge de six ans et je n’ai jamais cessé de pratiquer depuis cet âge.
- — Vous avez dû vous faire des amis par ce club.
- — J’ai des copines que je connais depuis plus de dix ans.
Ma main remonte en haut des cuisses, sous la jupe, je parcours les rondes fesses habillées de dentelle.
- — Je voulais dire des copains. Vous avez rencontré un flirt en faisant de l’équitation ?
- — Oui, j’ai rencontré un garçon qui monte le week-end.
- — Racontez-moi.
- — Je ne le connaissais pas avant, je l’ai croisé un jour dans la forêt, j’étais avec une amie, lui montait seul, il nous a abordées et a fait un bout de chemin avec nous. Il nous faisait rire.
Je pétris doucement ses fesses, ma paume épouse la rotondité de chacune, je sens son parfum léger.
- — Vous aviez quel âge ?
- — C’était il y a deux ans.
- — Vous êtes sortie avec lui ?
- — Oui, au bout de trois mois. Il me draguait assez ostensiblement et il me plaisait.
Mes doigts cherchent doucement à pénétrer entre ses cuisses pour lisser son intimité. Elle écarte imperceptiblement les jambes et je peux parcourir la partie humide de sa culotte de dentelle.
- — Vous avez fait l’amour avec lui ?
- — Oui, nous sommes restés presque un an ensemble.
- — C’était la première fois que vous faisiez l’amour, je veux dire, vraiment ?
- — Non, j’avais déjà connu cela avec un autre homme.
- — Il était expérimenté ?
Elle pose sa deuxième main sur le bureau, elle cambre ses reins inconsciemment. Mes doigts caressent son sexe sans retenue et les effets se remarquent nettement. Sa voix est plus alanguie, son souffle plus marqué, elle lève les yeux au plafond.
- — Oui, il avait presque quarante ans.
- — En somme, vous êtes plutôt attiré par des hommes plus âgés que vous. Celui du club d’équitation était plus vieux aussi ?
- — Un peu plus, oui.
Elle provoque les mouvements de ma main à présent, elle pousse son bassin d’avant en arrière pour venir frotter son pubis sur mes doigts. Je demande sournoisement :
- — Vous aimez mes caresses ?
- — Oui Monsieur !
- — Mais, vous n’avez pas honte de vous offrir ainsi ?
- — Ho, si !
Mais elle accentue le mouvement, cherchant à prendre son plaisir.
- — Vous savez que je pourrais être votre père ?
Elle répond par un soupir de plaisir ; sans cesser ses mouvements.
- — Voulez-vous que je me conduise comme votre père s’il vous voyait vous comporter de cette façon avec un inconnu ?
- — Que voulez-vous dire ?
- — Est-ce qu’il ne serait pas déçu de vous voir vous laisser aller ainsi avec un inconnu ?
- — Si, certainement.
Cette évocation ne l’empêche pas de continuer sa quête du plaisir.
- — Est-ce qu’il ne serait pas tenté de vous réprimander, de vous punir ?
- — Mon père ne me punit plus depuis longtemps, il me sait suffisamment responsable de mes actes.
- — Pourtant, il n’approuverait pas votre attitude actuelle !
- — Non, c’est vrai.
Elle cesse tout à coup ses ondulations.
- — Savez-vous que certains pères n’hésiteraient pas à corriger leur fille dans de telles circonstances ?
Elle ne répond plus. Je continue à palper les trésors de son entrejambe, toujours à la disposition de mes doigts. Si elle ne vient plus à la rencontre de mes caresses, elle en goûte cependant les bienfaits en exhalant son souffle alangui, la bouche entrouverte.
Je reprends ce petit dialogue pervers :
- — Il me serait facile, en cet instant, de vous démontrer ce que la déception d’un parent pourrait lui inspirer, mais je crois que vous avez compris.
Est-ce par bravade ou par esprit de contradiction envers la toute-puissance que me confère cette situation, elle me répond :
- — Non, je ne vois pas où vous voulez en venir !
J’hésite une seconde, plus parce que cet aveu me pousse à la dévoiler déjà, que parce que je crains de me laisser emporter par l’urgence d’un scénario non établi. Puis, appliquant une main sur son dos pour l’obliger à coller son buste sur le bureau, de l’autre, je retrousse sa jupe. La culotte de dentelle bleue est impeccablement tendue par les rotondités qu’elle recouvre. Cependant, je poursuis ma démonstration, j’attrape l’élastique du sous-vêtement et dévoile d’un coup la masse blanche et convexe de ses appâts jumelés. J’ai beau prétendre dérouler le fil de cette histoire au gré de mon imagination, le spectacle qui s’offre à mes yeux me trouble au point d’annihiler toute envie d’administrer la correction envisagée. Je pose ma main sur ces merveilles qui ne m’inspirent que de la douceur. La chaleur qui s’en dégage m’incite à prolonger le contact.
- — Connaissez-vous cette chanson de Brassens qui s’appelle « La fessée » ?
Elle tourne la tête vers moi. Ses yeux sont brillants d’émotion. Sa voix tremble lorsqu’elle avoue :
- — Non, je ne la connais pas !
Je caresse la courbe de chacun des deux superbes renflements qui composent ses fesses, sans oser flirter avec le sillon qui les traverse, parce qu’il m’apparaît trop vulnérable.
- — Eh bien, dans cette chanson, l’auteur est amené à trousser une impertinente afin de lui donner la fessée, mais il se sent tellement troublé par les charmes qu’il découvre que ses coups se changent rapidement en caresses.
Elle scrute mon visage, exprimant un mélange de candeur et de soumission. Cette expression me désarçonne, j’ôte mes mains de son corps et je conclus :
- — Voyez-vous, contrairement à Brassens, il m’est impossible de vous donner la première claque !
Elle est assise dans le fauteuil, exactement dans la position qu’elle occupait avant qu’elle ne me demande de lui prouver mon histoire par d’autres arguments que des paroles. Je suis assis à mon bureau, comme je l’étais au début de cette rencontre. Son visage exprime un étonnement mêlé d’effroi.
- — Mais, comment est-ce possible ? Je ne comprends pas.
- — Vous ne comprenez pas quoi ?
- — Mais, ce qui vient de se passer ! J’étais à demi allongée sur votre bureau, vous aviez retroussé ma jupe, dénudé mes fesses, vous alliez me fesser et puis la seconde d’après je me retrouve dans ce fauteuil comme si rien ne c’était passé !
- — Est-ce une preuve suffisante de ce que je vous raconte ? Vous ai-je convaincu cette fois ?
Elle me regarde interdite, une réflexion s’opère en elle. L’émotion transparaît, ses yeux s’embuent de larmes.
- — Alors tout cela est vrai ? Je n’existe pas ?
Je confirme en hochant la tête gravement. Des larmes coulent sur son joli visage :
- — Mais c’est horrible ! Alors je ne suis qu’un pion, votre prisonnière ?
- — Je reconnais que la situation est assez sordide, mais c’est ainsi, je vous ai créée pour que vous passiez un moment avec moi, le temps de rédiger cette histoire. Mais ne vous effrayez pas, mes fantasmes collent aux vôtres et vous y trouverez votre compte puisque vous êtes là pour cela.
Il n’empêche, son pauvre visage exprime un désespoir inqualifiable. Elle me dévisage au travers de ses larmes, semblant me reprocher son état. Je ne sais trop comment réagir. J’allume une nouvelle cigarette que je fume sans trop la regarder et sans parler, espérant que le silence l’aidera à se reprendre. Mais elle semble inconsolable, elle a enfoui son visage dans ses mains.
- — Essayez de comprendre que toute cette vie, que vous croyez posséder, ne serait rien si je ne vous avais pas fait apparaître dans ce roman. Il me fallait une héroïne avec une histoire, il se trouve que c’est la vôtre, mais grâce à moi vous êtes là !
Quelques sanglots tiennent lieu de réponse à ma pauvre tentative de consolation.
- — Reprenez-vous, vous verrez que vous ne serez pas malheureuse, je vous promets une fin pleine de bonheur !
Les sanglots s’éteignent peu à peu, elle dévoile son visage enfin et essuie ses larmes d’un revers de la main.
- — Je vous propose un café ou un thé ?
- — Un thé… je veux bien !
- — Parfait, je vais faire un thé, et pendant ce temps, visitez la maison, elle est vaste, vous pouvez entrer partout, ne vous gênez pas, et puis faite un tour dans le jardin, vous verrez, il y a de quoi se promener.
Je me lève, lui tends la main pour l’aider à se mettre debout. Elle accepte mon aide, et abandonne un instant sa petite main gracile dans la mienne. Elle est bien plus petite que moi, vingt bons centimètres, j’ouvre la porte du bureau et la fais passer devant. En quelques mots, je lui indique quelques repères dans la maison puis, la laissant à son exploration, je vais à la cuisine.
Elle me rejoint un quart d’heure plus tard. Sa mine semble plus sereine, elle vient du jardin qui lui a beaucoup plu.
- — Vous devez être riche pour posséder une telle maison !
- — À quoi juge-t-on la richesse des autres, sinon par rapport à la sienne ? Je suppose que vos parents ont une maison plus modeste, mais cela ne fait pas de moi un milliardaire, disons que je ne suis pas dans le besoin. Mais asseyez-vous donc, le thé est prêt !
Je lui propose des toasts et de la confiture d’orange qu’elle accepte volontiers. Juste avant de mordre dans la tartine qu’elle s’est préparée, elle demande subitement :
- — Alors, je m’appelle Ludivine ?
Je souris en tripotant ma tasse.
- — C’est vrai que ce prénom s’impose de plus en plus à moi. Il m’est venu hier soir en regardant un film de Jacques Rivette. « Secret-défense », vous connaissez ?
- — Non.
- — Ce film m’a beaucoup plu. L’une des héroïnes se prénomme ainsi et elle m’a ému. Je ne connais pas du tout cette jeune actrice, dont j’ai oublié le nom, elle ne vous ressemble pas non plus. Elle est blonde et fluette, mais vous avez la même grâce qu’elle, et puis dans Ludivine il y a « divine » ! Cela ne vous plaît pas ?
Elle m’adresse une petite moue en guise de réponse avant de boire une gorgée de thé.
- — Vous vous y habituerez, vous verrez. Mais parlez-moi plutôt de votre attirance pour les hommes plus âgés que vous.
- — Qu’est-ce que vous voulez savoir ?
- — Ce que vous leur trouvez. Pourquoi cette attirance ?
- — Je crois que l’on ne choisit pas. Je n’ai pas assez de recul pour en juger. Il se trouve que le premier était plus âgé, alors je me suis mise inconsciemment à regarder plus particulièrement dans cette direction. Comme les hommes sont tous plus ou moins tentés par des filles plus jeunes qu’eux, les occasions ne manquent pas. Mais David, celui que j’ai rencontré au club d’équitation, n’avait que cinq ans de plus.
- — Et c’est votre dernière aventure ?
- — Oui, peut-être qu’avec le temps je vais recadrer mes recherches.
- — Revenons à ce moniteur de colonie de vacances qui, à mon sens, a pris des risques énormes pour s’éprendre d’une mineure dans le cadre de son travail jusqu’à passer à l’acte avec elle. Il n’a pas connu de problèmes suite à cela ?
- — Non, pas à ma connaissance. On a échangé quelques lettres, il habitait Biarritz et moi la région parisienne, ce qui fait que l’on ne s’est jamais revu. C’est lui qui m’a expliqué par courrier que nous devions mettre un terme à notre histoire.
- — Vous étiez d’accord ?
- — Il ne m’a pas laissé le choix.
- — Et vous n’avez jamais eu l’idée de porter plainte ?
- — Pourquoi ?
- — Je ne sais pas, par dépit. Après réflexion concernant un acte puni par la loi.
- — On ne pense pas à tout cela à 14 ans. Et puis, j’étais vraiment amoureuse de lui, jamais je n’aurais imaginé lui porter préjudice. J’avais espoir qu’il reviendrait sur sa décision, je lui ai écrit plusieurs fois après sa lettre de rupture, mais il n’a jamais répondu.
- — Mais enfin, quand même…
- — … J’avais choisi notre liaison, il ne m’a rien imposé, il a même été très compréhensif.
- — Après tout, c’est votre jugement. Mais comment un jeune homme de 22 ans peut-il s’éprendre d’une gamine de 14 ans, à votre avis ?
- — Je ne sais pas, il faudrait le lui demander. Je crois que tout a commencé comme un jeu, et puis le jeu est devenu plus sérieux. Je me rappelle aussi qu’il traversait une période difficile sur le plan affectif, il était en instance de rupture avec sa copine du moment. Il m’a dit aussi par la suite qu’il n’avait jamais connu de fille qui embrassait aussi bien que moi !
- — Vous rappelez-vous de ce premier baiser ?
- — Oui, très bien.
- — Racontez-le-moi.
Elle prend le pot de confiture d’orange et s’arme de sa petite cuillère.
- — Vous permettez que je déguste votre confiture ? C’est mon péché mignon, j’adore la confiture d’orange et je préfère la manger directement à la petite cuillère !
- — Faites donc !
Elle pioche délicatement dans le pot avec le bout de la cuillère puis le porte dans sa bouche en fermant les yeux, longuement, semblant se concentrer.
- — C’était un soir, dans le parc du château qui hébergeait la colonie. Une partie de cache-cache s’était organisée spontanément après la période de jeux de société qui précédait le coucher. On devait retrouver le directeur qui se planquait quelque part. Nous nous sommes dispersés par petits groupes et, au fur et à mesure que nous avancions dans nos recherches, notre groupe se scindait petit à petit, jusqu’à ce que je me retrouve seule avec lui.
- — C’était voulu de votre part ?
- — Oui, inconsciemment, nous étions déjà proches. Pendant les jeux de société du soir, je faisais très souvent équipe avec lui. Il se montrait très indulgent avec mes gaffes à la belote et surtout il me faisait rire.
- — Et personne ne remarquait votre petit manège à tous les deux ?
- — Si, bien sûr, des copines me taquinaient avec cela, mais personne n’a jamais su ce qui s’était passé entre nous.
- — Donc vous êtes seule avec lui, la nuit dans ce parc.
- — Oui, et partout autour de nous, ça grouillait de groupes qui participaient à la chasse, et il a eu l’idée de nous cacher dans un massif pour observer les autres. Il était persuadé que le dirlo se déplaçait lui aussi, et qu’en observant, on avait une chance de le découvrir.
- — Bien joué de sa part. Il avait donc une idée derrière la tête.
- — Sûrement. En tout cas, le massif était petit et il nous fallait nous serrer pour rester inaperçus des autres. Moi, j’avais le cœur qui battait si vite… l’excitation du jeu, la nuit autour, et puis être si près de lui aussi. Un moment, nous avons cru être découverts par un autre groupe, j’ai eu peur, je me suis pelotonnée contre lui, il m’a prise dans ses bras et, brusquement, il y a eu des cris vers le château, des voix qui disaient : « Il est là ! ». Alors ils se sont tous précipités dans la direction des cris et nous nous sommes retrouvés isolés, l’un dans les bras de l’autre. On s’est regardé et il m’a embrassé.
Je la dévore des yeux pendant son récit. Elle revit littéralement la scène, ses mains sont serrées autour du pot de confiture, son regard porte droit devant elle, elle n’est plus avec moi. Un instant, elle fixe sa tasse sans parler, puis elle ajoute :
- — Bien sûr, dans les jours qui ont suivi, on attendait le soir pour s’isoler sous un prétexte quelconque et se retrouver pour s’embrasser encore et encore. On parlait peu, on avait peu de temps à chaque fois, on préférait s’embrasser.
- — Et où donc aviez-vous appris à embrasser comme cela ?
Elle éclate de rire.
- — À l’école bien sûr !
- — À l’école !
- — Oui, dès la sixième l’intérêt que l’on porte à l’autre sexe est très marqué. Alors on se fait draguer et on échange vite des baisers pour se raconter ça ensuite entre copines.
- — Me Permettrez-vous de tester à mon tour ce fameux savoir-faire ?
Elle me jette un regard par-dessus sa tasse qu’elle est en train de finir. Elle la vide consciencieusement puis la pose devant elle sans se presser. Elle se lève et fait le tour de la table, je pivote pour lui faire face. Elle prend appui sur mes épaules puis s’assied sur mes genoux à califourchon. Elle noue ses bras autour de mon cou et plonge ses yeux dans les miens. Je me noie dans son regard vert, tous mes sens sont en éveil, je me sens comme le novice en quête d’une révélation. À ce moment, je suis plus jeune qu’elle. Il me semble que ses yeux pétillent, elle exprime une joie intense et un bonheur infini. Cet échange visuel paraît durer une éternité, mais c’est une éternité que je voudrais prolonger encore. Enfin, lentement, elle approche son visage du mien. Sa petite bouche charnue s’entrouvre, dévoilant ses dents fines et blanches. Je perçois son souffle tiède et tranquille. Elle pose ses lèvres sur les miennes, doucement, puis elle ferme les yeux et me donne un premier baiser… juste posé comme un souffle.
Elle m’en redonne un un peu plus appuyé, puis sa langue agile et vive s’insinue dans ma bouche. À ce moment, nos bouches se prennent totalement et nos langues se nouent en des nœuds sans cesse recommencés. Sa langue semble si active, si chaude qu’elle paraît avoir son autonomie propre. J’ai posé mes mains sur sa taille souple et ferme. L’instant est si intense que nos corps semblent ne plus nous obéir. Ses cuisses enserrent les miennes, nos ventres s’épousent, son buste s’écrase sur ma poitrine et mes mains épousent les formes généreuses cachées sous sa jupe. Le baiser dure encore et encore, sans cesse renouvelé. Le plaisir qu’il me procure déclenche en moi des flots de tendresse. Je suis les initiatives de sa bouche en tentant d’y répondre le mieux possible. Je me garde de trop d’audace, j’ai peur de gâter ce moment de bonheur fragile. Et puis, le premier, je lâche ce trop-plein d’émotions en une longue plainte nasillarde, porteuse de soulagement pour tant de souffrances passées et garantissant un bien-être immédiat. Elle rouvre ses yeux qui se plissent aussitôt, alors nos bouches se défont et nous exprimons chacun notre bonheur par sourire interposé.
Elle est en train de vider sa tasse de thé, consciencieusement, mais contrairement à tout à l’heure, elle la repose brusquement.
- — Oh non ! Vous avez encore usé de ce stratagème ? Mais pourquoi ?
- — Ne soyez pas fâché. Tout d’abord, laissez-moi vous dire que je viens de vivre une expérience extraordinaire. Votre moniteur avait raison et je déclare avec lui que je n’ai jamais été embrassé comme cela, et j’ajoute même que celui qui n’a pas connu votre bouche n’a jamais été embrassé.
- — Mais alors, pourquoi ne pas vivre les événements dans leur continuité ?
- — Parce que je veux pouvoir vivre plusieurs expériences avec vous, par petites touches, en essayant chaque fois de faire quelque chose d’unique. Comme si chaque scène était un tableau !
- — J’ai peur de pas très bien vous suivre. Vous semblez très compliqué.
- — J’essaie de mettre en scène mes fantasmes, mais je suis évidemment partagé entre le plaisir de m’entretenir avec vous, de jouer avec les mots, avec vos souvenirs, bref entre la démarche intellectuelle très enrichissante et le désir sexuel très motivant aussi, mais plus bestial.
- — Vous êtes en train de me dire que de toute façon vous allez finir par me baiser ?
- — Oh non, Ludivine, ne soyez pas vulgaire !
- — Avouez quand même que j’ai raison.
- — D’être vulgaire ? Nous pourrons jouer aussi sur ce tableau si vous le désirez, cela peut être très excitant. Aimez-vous la grossièreté pendant l’acte ?
- — Ne soyez pas faux-cul s’il vous plaît et répondez à ma question.
- — Ludivine, s’il vous plaît, ne rompez pas le charme.
- — Mais c’est vous qui le rompez !
- — Que ressentez-vous en ce moment, de la frustration ? Vous vous attendiez à ce que nous fassions l’amour dans la continuité de ce baiser ?
- — Non ! Non, mais c’est un acte fragile et important qui rapproche deux êtres, vous ne croyez pas ? Je pensais qu’après nous en serions changés et que… enfin, je ne sais plus, vous me troublez avec tout cela !
- — Soit, revenons en arrière.
Elle est assise à califourchon sur mes genoux, elle a ses mains nouées derrière ma nuque, les miennes sont dans son intimité, nous nous regardons les yeux dans les yeux, très émus.
- — Oh ! Vous cherchez à me déstabiliser.
Elle a dit cela en chuchotant, son visage est à quelques centimètres du mien, nous avons retrouvé la symbiose de l’après-baiser, mais le retour brusque à une telle émotion brise toute défense.
- — C’est vous qui me déstabilisez.
J’ai adopté le même chuchotement. Je reprends sa bouche pour goutter de nouveau à l’enchantement de son baiser. Elle caresse ma nuque et mes cheveux. Elle semble prendre autant de plaisir que moi à ce baiser, pourtant, c’est elle qui y met un terme. Elle me caresse le visage. Elle semble sereine, mais je sens qu’elle hésite à poser une question.
- — Vous ne dîtes rien ?
- — Non, je vous regarde, je savoure cet instant, et pour tout dire, je suis heureux.
- — C’est moi qui vous rends heureux ?
- — Oui, c’est vous. Vous êtes une jeune personne magnifique.
- — Ou bien, est-ce que c’est votre histoire ?
- — Non, c’est vous. J’aime vous avoir si près de moi.
- — Est-ce que votre histoire se terminera lorsque vous m’aurez fait l’amour ?
- — Je ne sais pas Ludivine. Comment ne pas avoir envie de garder une fille comme vous auprès de soi ?
- — Mais c’est important pour moi. Si vous devez clore votre histoire après m’avoir fait l’amour, cela veut dire qu’après, je cesse d’exister !
- — Je ne sais pas non plus, après tout, je doute un peu de tout ce que je vous ai dit. Comment une jeune personne comme vous ne pourrait-elle pas être réelle ?
- — Là, vous vous moquez de moi.
- — Non ! Mais je reviens à ce que vous disiez tout à l’heure. Vous aviez raison, je nous privais d’un moment de complicité merveilleux en coupant court à notre premier baiser.
- — Vous voyez ! C’est aussi comme cela que l’on apprend à se connaître !
- — Mais curieusement, j’ai quand même l’impression que pendant ce temps, mon histoire n’avance guère.
- — Pourquoi, vous trouvez que l’on ne fait rien ?
- — Ce n’est pas cela, mais j’ai prévu quelques événements.
- — Oh, racontez-moi !
- — Non, cela gâcherait la suite, et puis, avec vous, suis-je bien sûr de tout contrôler ? Écoutez, de toute façon ce qui se passera vous plaira, vous n’avez qu’à vivre chaque épisode comme une surprise agréable, un cadeau.
- — Mais je peux essayer de vous influencer, je connais certains moyens.
Elle enserre de nouveau mon cou et me donne sa bouche avec fougue. Elle interrompt l’étreinte, lorsqu’elle est sûre de m’avoir mis groggy. Elle me sourit, ses mains glissent sur mes joues, ma bouche. Elle s’exclame :
- — Vous êtes en mon pouvoir, je suis l’écrivain !
Puis elle se redresse et commence à déboutonner son boléro sans me quitter des yeux.
- — Qu’est-ce que vous faites ?
- — Vous verrez, je ne peux rien vous révéler, cela gâcherait la suite.
Elle jubile, sûre de son petit effet. Le dernier bouton est défait, elle écarte les pans du vêtement, dévoilant son soutien-gorge bleu, gonflé par un buste volumineux.
La dentelle du sous-vêtement fait plus que laisser deviner les aréoles brunes blotties en dessous. L’érotisme de cette poitrine comprimée dans un tel artifice est extraordinaire.
- — Avec de tels arguments, vous êtes sûre de gagner !
- — Je veux juste vérifier que je peux vous faire enlever vos mains de ma culotte.
Espiègle, elle dégrafe le soutien-gorge, dont l’attache est située entre les bonnets. Elle dévoile ses seins simplement, en me regardant dans les yeux. Leur forme laiteuse s’épanouit devant moi. Ils semblent d’une fermeté surprenante malgré leur taille. Ils reposent avec grâce sur son torse, mais les pointes restent tournées vers le haut. Leur blancheur tranche avec le reste de sa peau qui est plutôt mate. Le désir m’accable. Elle ne bouge pas, ses bras reposent le long de son corps, elle scrute ma réaction. Je ne sais pas quoi dire, je lui donne raison en faisant réapparaître mes mains au grand jour pour effleurer la texture de ces deux merveilles. Mes paumes glissent en dessous, mes doigts enserrent à peine les pointes. Je croise son regard, elle semble si sérieuse. Je guette un signe de sa part en faisant passer mes pouces sur ses pointes. Elle est surprise par mon attitude et prend l’initiative de guider mes mains afin qu’elles étreignent franchement ses appâts. Elle me confie d’une voix enrouée par l’émotion :
- — L’un de mes fantasmes, c’est de me faire peloter les seins par un inconnu !
- — Mais je ne suis plus un inconnu.
- — Presque !
Elle a reposé ses mains autour de mon cou, et pendant que je joue avec ses gros globes elle ferme les yeux pour mieux apprécier mes caresses.
Elle vient de reposer brusquement sa tasse, et en un éclair, elle comprend que je suis revenu à l’heure du thé. Nous gardons le silence quelques instants. Je finis ma tasse à mon tour.
- — Je vous remercie pour le cadeau que vous venez de me faire, c’était inoubliable.
- — Oui, mais vous ne m’avez pas baisée !
- — Encore cette vulgarité ?
- — C’est normal, vous revenez en arrière, chacun retrouve ses marques.
- — Je vous redis que ce moment était merveilleux, et que si nous n’en trouvons pas d’autres meilleurs, nous y reviendrons !
- — Excusez mon agressivité, mais avouez que ma position n’est pas très confortable.
- — Et lorsque vous êtes agressive, vous devenez vulgaire ?
- — Pas forcément.
- — Et la grossièreté dans l’amour, vous aimez ?
- — Pas vraiment, mais je reconnais que cela peut être excitant. Est-ce que votre épisode de la fessée n’était pas vulgaire, tout à l’heure ?
- — Non, je ne crois pas. Je le vois plutôt comme un prélude érotique.
- — Vous l’avez créé dans un but érotique ?
- — Bien sûr, mais pas seulement, d’ailleurs, je crois que cette idée vous a émoustillée.
Elle acquiesce en rougissant à peine.
- — L’imminence de la fessée vous troublait-elle tant que cela ?
Elle paraît hésiter un instant avant de répondre.
- — Il se trouve que la fessée m’excite, oui.
- — Vous avez déjà été fessée ? Je veux dire dans un cadre sexuel ?
- — Mon premier amant adorait cela.
- — Vraiment. Et c’était un homme expérimenté, m’avez-vous dit.
- — Hon hon ! C’était ce que l’on appelle gentiment un libertin. Moi je dirais plutôt aujourd’hui que c’était un cochon !
- — Vous ne semblez pas le porter dans votre cœur.
- — Pas vraiment, non. Pourtant c’est quelqu’un de ma famille.
- — Vous auriez vécu un inceste ?
- — Un oncle éloigné, il est le frère du beau-frère à ma mère. Vous me suivez ?
- — Oui, très bien, mais comment avez-vous pu fricoter avec lui ?
- — C’était un homme toujours à l’étranger, souvent en Amérique du Sud, notre tonton Cristobal à nous. On le voyait rarement, mais lorsqu’il était là, il mettait une ambiance du tonnerre dans les réunions de famille. Son grand truc, c’était les claques sur les fesses des filles, et tout le monde y a eut droit, de la grand-mère jusqu’à la dernière petite fille en passant par ses sœurs et les femmes de ses frères.
- — Il était marié cet homme-là ?
- — Maintenant oui, avec une Brésilienne, mais à l’époque il était célibataire.
- — Eh alors, expliquez-moi dans quelles circonstances il est devenu votre amant.
- — Cela s’est passé en chahutant… avec lui, il ne pouvait en être autrement.
- — Mais encore, vous m’aviez dit qu’il était expérimenté, j’en avais déduit qu’il était adulte.
- — Oui, il approchait la quarantaine à l’époque. Toute la famille était réunie dans la maison de mes grands-parents pour la communion d’un cousin. Le soir, mon grand-père avait sorti son projecteur et nous assistions dans la bonne humeur à une séance de diapos. Puis, au grand désenchantement de tous, son appareil est tombé en panne, impossible de continuer. Alors, mon oncle a proposé d’aller chercher le sien.
- — Votre oncle Cristobal ?
- — Oui, et il a demandé si quelqu’un voulait l’accompagner, j’ai été la première à répondre. Il fallait être rapide, car tous les enfants de la famille rêvaient de faire un tour dans sa voiture de sport.
- — Vous ne visiez que la voiture ?
- — J’aimais bien être avec lui parce que c’était la rigolade assurée. Je le trouvais très attirant aussi, mais je ne pouvais pas imaginer concrétiser quoique ce soit.
- — Et lui, vous croyez qu’il vous trouvait à son goût ?
- — Il me semblait à l’époque, depuis, j’ai appris qu’il trouvait bien des filles de la famille à son goût !
- — Un Casanova ?
- — En quelque sorte. Il habitait dans un appartement situé à une quinzaine de kilomètres, il roulait vite, il plaisantait tout le temps. Chez lui, pendant qu’il préparait son matériel, je fouillais partout malgré ces recommandations de ne rien toucher. Je le charriais sans cesse, bref, je jouais à l’effrontée pour le provoquer un peu.
- — Et ça a fonctionné.
- — Il me demandait ce que je cherchais et je répondais être sûre qu’il possédait des revues de charme. Il niait en riant et en m’empêchant de continuer mes recherches, avec force de claques sur les fesses, évidemment. Puis le téléphone a sonné, j’ai continué à fouiller pendant qu’il répondait et j’ai trouvé ce que je cherchais. Je lui ai annoncé que j’allais montrer à la famille ses lectures. Il m’a poursuivie dans tout l’appartement pour reprendre la revue en me promettant une vraie fessée. Il m’a rattrapée dans sa chambre, il m’a ceinturée, il s’est assis sur le lit en m’installant sur le ventre en travers de ses genoux, puis il a retroussé ma jupe, baissé ma culotte, et il m’a fessée.
Elle s’interrompt un instant, passe une main dans ses cheveux, puis reprend :
- — Seulement, le ton avait changé. Nous ne riions plus, je ne me débattais plus et ses claques perdaient de leur conviction à chaque coup. Il a fini par arrêter de me fesser, sa main s’est posée sur mes cuisses et nous sommes restés comme cela sans bouger. Offrir mes fesses nues au regard de cet homme m’excitait énormément, j’étais attentive à ce qu’il allait décider. Il a ôté sa main et m’a demandé de me rhabiller, m’a dit qu’il s’excusait. Mais je ne bougeais pas, alors il a essayé de dédramatiser la situation en plaisantant, puis, comme je ne réagissais pas, il m’a poussée et je suis tombée sur le sol. Je me suis sentie humiliée, parce qu’il avait vu mes fesses et parce qu’il ne m’avait pas jugée digne de lui. Je me suis rajustée en vitesse et je suis partie en courant vers la sortie. Il m’a rattrapée, il m’a prise dans ces bras, je pleurais. Il m’a parlée longtemps, pour me consoler. Il disait qu’il fallait oublier cette histoire, qu’il respectait trop mes 16 ans pour pouvoir aller plus loin. Mais je l’ai embrassé. Il a bien tenté de se défendre, mais sans trop y croire, et après c’est lui qui a pris les choses en main. Il m’a déshabillée rapidement, il s’est dévêtu, puis il m’a transportée dans ses bras jusqu’au canapé et il m’a prise.
- — Brutalement ?
- — Il n’était pas brutal, mais à la fois doux et viril.
- — Et il vous a fait jouir ?
- — Plusieurs fois. Il parlait pendant l’amour – toujours des mots doux – et plus son plaisir avançait, plus il parlait et plus il avait besoin de claquer mes fesses.
- — Et vous aimiez ça ?
- — Oui, c’est en partie grâce à ça que j’ai eu autant de plaisir.
- — Et ensuite, lorsque vous êtes retournés chez les grands-parents ?
- — Rien, lui il a retrouvé son humeur taquine que tout le monde lui connaissait, et moi, si j’étais troublée, j’ai dit qu’il avait roulé vite pour donner le change.
- — Vous avez eu d’autres rendez-vous ?
- — Deux autres, et puis il est parti longtemps au Brésil où il a rencontré sa femme.
- — Et cela a mis un terme à votre liaison.
- — Oui, d’autant que j’ai appris par la bande qu’il avait eu des rapports avec d’autres femmes de la famille.
- — Et bien sûr, bouche cousue.
- — Sur ma liaison, oui, mais les autres ont fait jaser dans la famille, même si cela n’a jamais dépassé ce cadre. Depuis, il vit là-bas au Brésil, il a eu deux enfants.
- — Vous cachez bien des mystères sous votre apparence de fille de bonne famille !
- — C’est vous qui me mettez plus à nu que si vous ôtiez tous mes vêtements !
- — Mes questions vous choquent ?
- — Ce n’est pas cela, mais je me demande où vous voulez en venir. Votre fantasme consiste-t-il à aligner les confessions des jeunes filles ?
- — Entre autres, oui. Mais, dites-moi, lorsque j’étais si près de vous fesser, tout à l’heure, désiriez-vous fortement que je le fasse ?
- — N’en parlons plus, puisque vous n’avez pas osé aller plus loin. Et surtout, ne trichez pas en faisant un retour dans le temps !
- — Non, je vous le promets. Parlez-moi de vos lectures.
Elle prend une grande inspiration, puis demande :
- — Puis-je vous emprunter une cigarette ?
- — Volontiers, mais elles sont restées dans le bureau. Accompagnez-moi.
Je la fais passer devant moi et nous nous dirigeons vers le bureau. Cette petite jupe qui flotte devant moi, découvrant ses jolies jambes, me fait rêver. Un instant, j’ai envie de l’enlacer, là, dans ce couloir, mais elle interrompt mon élan.
- — Vous vous arrangez comment avec l’intendance ? Je vous demande cela, parce que vous faites un thé, mais vous ne prenez pas soin de ranger la cuisine après.
- — Eh bien, petite impertinente, je vais vous avouer que j’ai mis mon intendance entre les mains d’une brave personne qui s’occupe de mon linge, de ma vaisselle, de mon marché et de la confection de mes repas.
Nous entrons dans le bureau.
- — Et après cela, vous me direz que vous n’êtes pas riche ! Qui donc est « cette brave personne » ?
- — Quelqu’un que je paie pour cela. D’ailleurs, elle ne va pas tarder, elle va nous confectionner un petit dîner en amoureux.
- — Elle sait que je viens !
- — Oui, ma chère. Voici votre cigarette, et voici du feu. Tenez, je prends le paquet avec nous ! Montons dans la bibliothèque, nous serons plus tranquilles, elle va arriver !
La jupe est encore plus attirante vue de dos, dans un escalier, mais l’endroit n’est pas propice aux étreintes. Elle entre la première et s’assied sans façon sur le petit divan de cuir qui occupe une partie de la pièce. Je prends le fauteuil.
- — Vous savez, lorsque je ne fumais pas, je trouvais qu’une fille avec une cigarette dans la bouche, c’était vulgaire. Maintenant que je fume, je trouve cela sexy. Vous y comprenez quelque chose, vous ?
- — Je ne sais pas, un rapprochement dans le même vice ? Une possibilité de partage ?
- — Une possibilité de partage, ce doit être cela. Alors, partageons-nous les mêmes lectures ?
Elle parcourt des yeux la vaste bibliothèque remplie de livres reliés cuir.
- — Je n’ai sûrement pas lu autant que vous, mais cela m’intéresse.
- — Citez-moi trois auteurs que vous aimez ?
Elle réfléchit un instant.
- — Victor Hugo, Maupassant, Boris Vian.
- — Que des Français ?
- — Oui, mais il y en a d’autres, René Barjavel, Robert Merle, Amélie Nothomb par exemple… et chez les étrangers, Dostoïevski, Hemingway, Tonie Morrison.
- — Chez Victor Hugo, vous préférez le romancier ou le poète ?
- — Je ne peux répondre, sa poésie me touche, mais ces romans sont si passionnants.
- — Avez-vous lu Verlaine, Jacques Prévert, Aragon ?
- — Prévert, à l’école, mais sans plus.
- — Vous n’aimez pas la poésie ?
- — Si, mais je n’ai pas le temps de tout lire !
Je la scrute un moment, elle finit sa clope et se lève pour l’écraser dans le cendrier qui est près de mon fauteuil. Elle donne l’aire de quelqu’un qui suit la conversation poliment mais sans y prendre beaucoup de plaisir. Elle s’est rassise, et croise les jambes ingénument. Une idée me vient.
- — Voulez-vous que je vous lise des poèmes ?
- — Maintenant ?
- — Oui, maintenant. Mais pour cela, vous devrez vous déshabiller et m’écouter nue.
Une ombre passe sur son visage, mais elle la dissipe aussitôt.
- — C’est courant chez vous cette habitude de déshabiller les jeunes filles pour leur lire des poésies ?
- — Non, c’est spécialement pour vous, alors, c’est oui ?
- — À une condition, que vous ne regardez pas le temps que je me déshabille.
Je souris en me levant.
- — Allez-y, ne vous inquiétez pas, je vais prendre mon temps pour choisir les livres.
Quelques minutes plus tard, lorsque je retourne dans mon fauteuil, elle est nue, étendue sur le ventre, ses vêtements sont entassés pêle-mêle sur le tapis. Elle a replié ses bras sous sa tête, posé sa joue sur ses mains, et me regarde, sérieuse, jouant du mieux qu’elle peut les rôles que je lui propose. Quoi de plus admirable qu’un dos de jeune femme dans une telle position ? Le sillon de la colonne vertébrale, plus marqué, ruisselle jusque dans la cambrure des reins, où il s’atténue un instant, comme au creux de la vague, pour resurgir, plus puissant, creuser une sombre vallée qui va mourir en un mystérieux delta. Je contemple sans mot dire ses formes propices à toutes rêveries, puis j’ouvre un livre au hasard, feuillette quelques pages, et choisis un texte qui correspond au mieux à mes pensées. Puis ma voix s’élève, insuffle suffisamment d’élan aux mots, afin qu’ils retombent sur elle, la couvrant de mon désir brûlant.
Les roses étaient toutes rouges
Et les lierres étaient tout noirs.
Chère, pour peu que tu ne bouges,
Renaissent tous mes désespoirs.
Le ciel était trop bleu, trop tendre,
La mer trop verte et l’air trop doux.
Je crains toujours, – ce qu’est d’attendre !
Quelque fuite atroce de vous. (Paul Verlaine)
Je choisis mes textes au plus vite, sans laisser le temps à la magie qu’ils dégagent de se dissiper. Quelques fois, plusieurs poèmes se suivent et cadrent parfaitement avec l’atmosphère que je veux créer. D’autres moments, il me faut plusieurs minutes pour enchaîner ma lecture. Dans ces instants-là, je lui jette un regard, pour juger son état. Elle a d’abord fermé les yeux, puis j’ai pu noter que le grain de sa peau prenait du relief, jusqu’à obtenir l’effet « chair de poule ». Je m’applique à vivre ce que je lui lis, pour la toucher davantage. Plus tard, en changeant de livre, comme je lève les yeux sur elle, je croise son regard, qui est plein de larmes. Pour se donner une contenance, elle me demande une cigarette. Je l’allume pour elle, puis je m’approche avec le cendrier. Je m’assieds à même le tapis, près d’elle. Je pose une main sur son dos que je caresse tendrement.
Elle me fait signe que oui.
- — Je continue ?
- — Oui, s’il vous plaît.
Je reprends ma lecture, le livre est posé sur le sol. Je suis moins concentré, je ne cherche plus les meilleurs textes, je me contente de les dire de mon mieux. Et puis, vient ce poème de Paul Verlaine :
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime et qui m’aime
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.
Je viens de dire le dernier vers, elle vient d’écraser sa cigarette, et sa voix éteinte par l’émotion m’adresse comme une prière ces quelques mots :
- — Faites-moi l’amour maintenant !
Ma main vagabonde est déjà sur ses épaules. Comment ne pas la prendre au mot ? Elle est si disponible, sa voix est si touchante. Je pose mes lèvres sur ses reins. Son corps est si chaud et sa peau si douce. Mes doigts se perdent dans ses cheveux, pendant que de l’autre main je palpe sa croupe exposée. Je goûte le grain de sa peau qui me semble sucré. Elle s’ouvre à mes tâtonnements et bientôt je bois à la source de son désir parfumé. Ma bouche gourmande happe une à une toutes ses merveilles enfouies, déclenchant au fur et à mesure l’envol de ses plaintes impudiques. Elle se cabre bientôt, comme une pouliche affolée que mes mains rassurantes ne peuvent maîtriser. La voilà maintenant assise, lovée dans mes bras, qui répond à ma bouche audacieuse par des baisers brûlants, attisés encore par le feu que j’ai allumé en elle. Cette fille est un volcan et je suis tout près de céder à sa volonté enflammée, lorsqu’un appel du rez-de-chaussée met fin à nos ébats. L’intendante de la maison réclame ma présence.
Lorsque je reparais à ses côtés, un quart d’heure plus tard, le feu est éteint, et la belle, rhabillée.
- — Je suis désolé… quelques détails à régler pour le dîner.
- — Ne vous moquez pas de moi. Le moment de me baiser n’était pas venu, voilà tout.
- — Cette phrase vulgaire qui revient comme un leitmotiv dans votre bouche ne sied pas du tout à une jeune personne aussi ravissante, mais le contraste est provocant.
- — Qu’est-ce que vous savez de ce qui me correspond ?
- — J’essaie de vous imaginer telle que je vous vois.
- — Alors, je n’ose penser ce que ce doit être, avec votre manie de me déshabiller sans cesse. Mais on se trompe souvent en voulant coller aux gens un état d’esprit d’après leur physique.
- — Vous avez raison. Combien de fois m’est-il arrivé de croiser un groupe de jolies filles dans un lieu public, et de déchanter sur leur beauté, à partir de l’instant où elles commençaient à parler ? Vous, par exemple, en voyant votre joli minois et vos manières bien élevées, je n’aurais jamais pu en déduire toutes les expériences sexuelles que vous m’avez racontées. Tenez, je vais vous faire une révélation, la personne qui nous a dérangés tout à l’heure et qui achève de préparer notre dîner en ce moment a les mêmes fantasmes que vous. Pourtant c’est une femme mariée, tout à fait convenable.
- — Voulez-vous préciser ces fantasmes-là ?
- — Eh bien, elle a une préférence pour la fessée.
- — Voulez-vous dire que…
- — Que je l’ai fessée, oui, mais sans aller plus loin.
- — Une vraie fessée ? Racontez-moi.
- — C’est un secret, mais vous m’en avez livré tant, que je vous dois bien celui-là. Cette femme qui s’appelle Manuela est espagnole. Elle aurait tout aussi bien pu être française, sénégalaise ou japonaise, là n’est pas la question. Mais il se trouve que, née en Espagne au début des années 60, elle a reçu une éducation très sévère entre un père très autoritaire et une mère très respectueuse des traditions. Cette éducation l’a marquée très profondément, cela, je l’ai su par la suite en discutant avec elle. Un jour, en rangeant mon bureau qui, à l’époque, était un vrai foutoir, elle a eu le malheur de jeter mon dernier manuscrit. Ce n’était pas très grave, car je pouvais en imprimer une autre copie, mais elle a vécu cette faute comme un véritable drame. Je lui assurais pourtant que cette contrariété serait réparée dans la journée, mais elle était si désolée qu’elle a fini par me proposer de la fesser. Je ne comprenais pas pourquoi une telle punition s’imposait, mais elle a insisté. J’étais très gêné de cette situation, alors elle m’a expliqué qu’elle préférait cela au licenciement. Je lui ai, bien sûr, assuré que je n’avais aucunement l’intention de la renvoyer, qu’elle me rendait trop de services par ailleurs pour la sanctionner aussi sévèrement sur une faute bien pardonnable. Alors elle m’a fait comprendre qu’elle ne se sentirait véritablement quitte qu’après avoir expié sa faute par le châtiment qu’elle me réclamait. La situation était devenue inextricable, elle, dans cette obsession de la fessée méritée et incontournable, et moi dans un rôle que je n’étais pas du tout préparé à exercer.
- — Alors, qu’avez-vous fait ?
- — Il y a eu un long silence, elle baissait la tête, attendant sa punition sans bouger et sans me laisser d’autres issues que de la lui donner. J’ai essayé de parlementer encore, mais elle ne répondait plus ni ne me regardait. Alors je me suis approché d’elle, et je lui ai donné deux ou trois claques sur les fesses, pas trop fort, me pensant quitte. Mais elle a dit : « Non, pas comme cela », puis elle a retroussé sa jupe, baissé sa culotte et elle s’est accoudée sur mon bureau. J’étais sidéré, je contemplais sa croupe et je n’osais agir. Elle attendait sans rien dire. Je me suis approché et je l’ai frappée. Mes claques étaient trop molles, alors elle m’a demandé de continuer plus fort. Après chacune d’elles, elle réclamait encore, sans que je sache si elle désirait que je continue ou que je frappe plus fort. Je me suis donc retrouvé à fesser cette femme, sans concession. J’avais dû trouver le bon rythme et la bonne intensité, parce qu’elle ne disait plus rien, tout juste quelques plaintes étouffées, puis elle m’a demandé de stopper. Je me suis arrêté, pensant avoir été trop loin, mais elle a remonté prestement sa culotte, a rabaissé sa jupe et a déclaré en conclusion : « Merci, monsieur, je ne le ferais plus », puis elle est retournée à son travail.
Ludivine me regarde ébahie.
- — Vous avez pris du plaisir à cela ?
- — J’avoue que cela m’a désarçonné un peu au début, mais qu’après réflexion, j’ai trouvé l’expérience plaisante.
- — Vous en avez parlé avec elle par la suite.
- — Difficilement tout d’abord, et puis au fil des jours, nous en avons parlé plus librement et elle a fini par m’avouer qu’elle y prenait plaisir, et que ce plaisir était encore accentué par le fait que je sois son employeur.
- — Et vous avez eu d’autres occasions de recommencer ?
- — Oui, au début elle les provoquait, par de petites fautes domestiques, puis elle ne s’est plus donné cette peine, et à présent, quand elle veut une fessée, elle vient tout simplement me la demander.
- — Et vous me dites que cela n’a jamais provoqué de débordements.
- — Tout dépend ce que l’on appelle débordements. Elle me demande de l’aider à réaliser un fantasme, mais elle m’a bien expliqué qu’elle ne tromperait jamais son mari pour autant.
- — Que voulez-vous dire par : « tout dépend ce que l’on appelle débordements » ?
- — Eh bien, évidemment, au fil du temps, une certaine complicité s’est instaurée entre nous et la façon dont nous procédons a évolué. Il peut y avoir certaines caresses de ma part, mais jamais sur son sexe… certains mots aussi. Elle ne se prive pas non plus de se donner du plaisir pendant l’acte, mais je vous en ai déjà trop dit.
- — Et vous, dans tout cela, quel est votre plaisir ?
- — Mon Dieu ! La situation est déjà bien érotique, si l’on y ajoute le plaisir des yeux, le contact de sa peau, le bruit des claques et de sa jouissance, le fait d’être à la fois acteur et spectateur, cela fait beaucoup, non ?
- — Vous êtes un jouisseur cérébral !
- — Oui, la formule me plaît.
Nous nous contemplons quelques instants. Elle est assise confortablement sur le canapé, ses bras sont écartés et reposent sur le dossier, ses jambes sont croisées. Quelque chose me paraît changé dans son apparence, sans que je parvienne tout de suite à expliquer cette impression, puis je découvre sur un accoudoir, à demi caché derrière elle, un morceau de son soutien-gorge. Elle a choisi de porter son boléro directement sur ses seins nus.
Nous sommes passés à table. Manuela a bien fait les choses, comme à son habitude. La table est dressée pour deux, un bouquet de roses rouges est posé dessus. Au menu, assiette de crudités, foie gras, selle d’agneau et ses légumes, fromages et sorbets. Nous avons pris l’apéritif au champagne et Ludivine a accepté de garder cette boisson pour le repas.
- — Votre histoire s’accélère on dirait, nous sommes déjà au dîner.
- — Il me faut avancer, en effet. Est-ce que le dîner vous convient ?
- — Oui, c’est très bien, même si le champagne pour une fille de mon âge est une boisson à user modérément, sinon je deviens vite incontrôlable.
- — Mais vous vous contrôlez très bien jusqu’à maintenant, je veux dire depuis le début de notre rencontre.
- — Vous trouvez ? Mais vous, est-ce que vous ne vous contrôlez pas un peu trop ?
- — Que voulez-vous dire ?
- — Si l’on considère que vous m’avez créé pour vos fantasmes, est-ce que vous ne vous retenez pas un peu trop ?
- — C’est possible. Vous savez, au début j’avais l’intention d’abuser de mon pouvoir sur vous, et puis la discussion aidant, mes sentiments ont changé à votre égard.
- — C’est-à-dire ?
- — Que je suis tombé amoureux de vous !
- — Vraiment ?
- — Vous trouvez cela idiot ?
- — Non, mais un peu commun.
- — Mais je suis très dans la norme, vous savez.
- — Alors qu’est-ce qui vous empêche de me baiser ?
- — Nous y revoilà ! Est-ce que l’on baise la fille dont on est amoureux ? Non, on la séduit d’abord, et puis, seulement, on lui fait l’amour.
- — Mais je ne suis pas une fille comme les autres et ce n’est pas non plus une histoire d’amour comme les autres. Qu’est ce qui vous empêche de me culbuter subitement où bon vous semble ?
- — Non, ce serait sans intérêt. Je préfère prendre les commandes plus subtilement.
- — Comme, par exemple, me faire répéter régulièrement cette phrase dont vous me reprochez la récurrence ?
- — Hum, je vois très bien de quoi vous voulez parler. C’est un genre de pense-bête !
- — Vous dites vouloir me séduire, mais vous l’avez fait. Rappelez-vous cette scène durant laquelle vous me lisiez des poèmes : j’étais totalement envoûtée. Vous auriez pu me faire l’amour à ce moment. D’ailleurs, je vous l’ai demandé, mais vous avez fait intervenir votre intendante juste au moment où il ne fallait pas.
- — Je sais. C’était une situation possible, et j’ai eu plaisir à la créer, mais après ?
- — Je ne vous suis pas.
- — Ne vous est-il jamais arrivé de désirer fortement quelque chose, et puis, au moment où vous l’obtenez, d’être un peu, comment dire, pas déçue, mais frustrée ?
- — Oui, mais pas dans l’amour. Les quelques expériences que j’ai eues, lorsque j’ai pu les concrétiser, je n’ai pas manqué de le faire et elles m’ont comblée.
- — Bien sûr, mais ne trouvez-vous pas que le plaisir physique engendre une grande frustration ?
- — Non, je ne crois pas.
- — C’est parce que vous êtes jeune. Je vais vous expliquer ma façon de penser. Si je fais l’amour à une fille très belle, comme vous par exemple, ne suis-je pas en droit d’attendre autre chose de plus que si je fais l’amour avec une fille laide ou quelconque ? Pourtant, physiquement, je n’obtiendrais rien de plus. N’est-ce pas frustrant ?
- — Vous obtiendrez le plaisir de posséder une fille qui vous plaît, ce n’est pas si mal.
- — Mais je veux plus.
- — Que voulez-vous de plus ?
- — Je ne sais pas. Il me faudrait pouvoir atteindre un degré de plus. Tenez, un autre exemple, je marche dans la rue derrière une fille bien faite, je devine ces fesses. J’ai envie de les voir. Supposons maintenant que l’on fasse connaissance et qu’elle me trouve à son goût. Je vais la fréquenter et pouvoir juger de l’aspect de ses fesses sous différents vêtements. Cela me satisfera un temps, mais ensuite j’aurais envie de les toucher, de les caresser, puis de les dénuder. Vous comprenez la progression ? Mais pour progresser encore, Il me faudrait les contempler, nues, à loisir, les palper, les parcourir de mes lèvres, de ma langue, et puis après… comment en jouir davantage ? En les fessant par exemple, puis en m’accouplant avec cette fille de façon à les avoir dans mes mains, sous mes yeux, et puis après ? Quel est le stade suivant ?
- — Vous pourriez la sodomiser !
- — Admettons qu’elle accepte, mais est-ce que cela empêchera la frustration du stade suivant ?
Elle me regarde songeuse, sa coupe de champagne à la main.
- — Voyez-vous Ludivine, on se heurte toujours à un mur invisible qui empêche l’accomplissement… de quoi, je ne sais pas, mais il en résulte immanquablement une frustration.
- — Vous serez toujours insatisfait !
- — Peut-être, mais n’est-ce pas notre lot à tous ?
- — Je ne pense pas, je connais des gens très satisfaits de leur sort.
- — Ce sont des idiots ou des gens qui ont renoncé.
- — Je ne sais pas.
- — Oh, bien sûr, on ne peut triompher de tout et l’autosatisfaction est toujours tentante, mais tôt ou tard, on si l’on se remet en question…
- — Comment faites-vous pour trouver la force de continuer ?
- — J’écris ! Je crée des situations, des personnages qui m’aident à me poser des questions.
- — Mais trouvez-vous des réponses ?
- — Certaines… mais je ne suis pas « trouveur », je ne suis que « chercheur ». Et vous, êtes-vous satisfaite de votre sort ?
- — Non, je me sens enfermée dans cette histoire !
- — Rassurez-vous, je pense que nous approchons de la fin.
- — À quoi voyez-vous cela ?
- — J’avais un schéma en tête et je sais qu’il s’achève.
Elle me regarde, pensive, puis déclare :
- — Je ne sais pas si je dois m’en réjouir.
Elle me fait un sourire un peu forcé, puis ajoute :
- — Je vais chercher le dessert.
Elle quitte la pièce. Mon attachement pour cette fille n’a fait que croître au fil de nos discussions. J’aime sa spontanéité, sa fraîcheur, son envie de vivre. L’angoisse à peine dissimulée qui point en elle à l’évocation de la fin de l’histoire, met en évidence sa fragilité et la rend encore plus émouvante. Elle n’a cessé tout au long de cette histoire de chercher à occuper sa place et de la justifier au mieux de ses possibilités. Elle s’est formidablement adaptée. L’initiative de s’occuper du dessert renforce encore ce sentiment et je me sens déjà triste de devoir bientôt la faire sortir de ma vie.
Un bruit de verre brisé retentit soudain en provenance de la cuisine. Je me précipite, une coupe de sorbet est posée sur la table, mais les débris de l’autre gisent à terre. Elle se tient debout, ne sachant comment se comporter, visiblement déconfite. Je pose mes mains sur sa taille et attirant son dos contre moi, je lui fais un bisou dans le cou.
- — Il semblerait que vous vouliez priver l’un de nous de dessert. Allons, nous en serons quittes pour partager la même coupe.
- — Je suis vraiment maladroite !
J’enserre sa taille de mes bras, mes lèvres cherchent autour de son oreille puis happent le lobe pour le chouchouter un instant. Elle a posé ses mains sur les miennes et les caresse.
Elle se laisse embrasser dans le cou, les cheveux, les oreilles. Je sens son corps qui s’abandonne contre moi, sa bouche entrouverte témoigne déjà de son envie de plaisir en exhalant un souffle perceptible. Le désir guide nos gestes, mes mains accompagnées par les siennes parcourent son ventre en des mouvements lisses et audacieux. Mais elle rompt bientôt ce fil ténu qui nous entraîne vers le plaisir en exigeant :
- — Non, fessez-moi comme votre bonne !
Elle s’est dégagée, maintenant elle me fait face en me défiant du regard.
- — Vraiment, c’est ce que vous voulez ?
- — Oui, je veux être punie pour cette bêtise !
Je jauge un instant dans ses yeux la volonté qui l’anime.
- — Vous souhaitez que je vous punisse comme un patron punit une employée négligente ?
- — Oui, négligente et effrontée.
- — Une belle petite garce à qui il faudrait donner une bonne leçon, c’est cela ?
- — Oui, outrepassez vos droits, abusez de votre pouvoir.
- — Je vais oublier mes sentiments pour vous, ne voir que la femme-objet que j’avais projeté de créer au début de cette histoire et donner libre cours à mes fantasmes.
- — Vous allez enfin dévoiler ce qui se cache au fond de vous.
Son attitude et le son de sa voix expriment la provocation. Je la contemple quelques secondes, comme on mesure une dernière fois un adversaire avant de passer à l’action, puis je lui révèle calmement la petite mise en scène qui me vient à l’esprit :
- — Je vais quitter cette pièce, vous allez commencer à ramasser les débris. Vous trouverez une pelle et un balai dans le placard près de l’évier. Lorsque je pénétrerai à nouveau dans la cuisine, nous jouerons le scénario que nous venons d’évoquer.
Je quitte la pièce, le temps que chacun entre dans son rôle, puis je reparais à l’encadrement de la porte de la cuisine. Je considère la scène, Ludivine de dos ramasse nonchalamment les bouts de verre éparpillés sur le sol en chantonnant.
- — Mademoiselle, encore une de vos étourderies ? Qu’avez-vous cassé cette fois ?
Elle tourne la tête vers moi, et lance :
- — Oh, ce n’est rien, une coupe à dessert que j’ai laissé tomber.
Puis elle continue son travail sans s’alarmer. Je m’approche.
- — Il me semble que c’est à moi de décider si cela est grave ou non. Je constate en tout cas que cet incident ne vous afflige pas trop et que la liste de vos bêtises s’allonge considérablement !
- — Dites, je ne vais quand même pas pleurer pour si peu… et puis, je fais ce que je peux !
- — Ne me parlez pas sur ce ton, s’il vous plaît, l’incompétence suffit, n’y rajoutez pas l’insolence. Vous profitez un peu trop de votre situation d’employée privilégiée, il ne suffit pas d’être recommandée par un notable et d’avoir un joli minois pour être inattaquable.
J’improvise, mais elle se met immédiatement au diapason de la situation.
- — Pour ce que vous me payez ! Si vous croyez que je tiens à cette place, vous vous trompez.
- — Vous n’êtes qu’une petite bourge, une sans cervelle habituée à la vie facile. Vous savez très bien que je ne peux vous renvoyer, sinon ce serait déjà fait !
Elle se redresse, me toise et lâche :
- — Et vous, avec vos romans à quatre sous, vous vous prenez pour qui ?
- — Pour votre employeur… et je resterais maître chez moi. Si je ne peux vous renvoyer, je peux quand même vous dépeindre telle que vous êtes, auprès de qui vous savez, une bonne à rien, feignante et effrontée.
Je la toise à mon tour, à quelques centimètres d’elle.
- — Vous ne me faites pas peur.
- — Vous méritez une bonne correction !
- — Vous n’oseriez pas !
J’avance sur elle, la forçant à reculer.
- — Je vous ai dit que je resterais le maître chez moi.
Elle est coincée contre le rebord du plan de travail.
- — Il y a longtemps que je rêve de cet instant, vous êtes trop imbue de vous-même, trop sûre de vos origines et de votre beauté. Montrez-moi vos fesses… que je les corrige à ma façon !
- — Vous n’avez pas le droit.
- — Montrez-les-moi ou je les découvre moi-même.
Elle tente une conciliation.
- — Non, attendez, je vous demande pardon. Je ne me comporterais plus de cette manière. Vous n’aurez plus à vous plaindre de moi.
- — Trop tard ! Découvrez-vous, petite impudente !
Elle cherche à se dégager, mais je la retiens par le bras.
- — Vous me faites mal !
- — Vous l’avez cherché. Maintenant, je vais vous lâcher le bras, mais vous allez me montrer vos fesses où je vous jure que je vous déculotte moi-même.
- — Mais, vous voulez me fesser… enfin, je veux dire… fesses nues ?
- — Comment croyez-vous que l’on punisse une petite garce comme vous ?
- — Oh, je vous en supplie, pas fesses nues !
D’un geste violent, je tire sur la jupe, un bouton s’arrache et le vêtement tombe à ces pieds.
- — Voulez-vous que je me charge de la culotte aussi ?
- — Non.
J’ai les mains posées de chaque côté d’elle, de façon à réduire ses gestes au maximum. Elle ne peut que faire glisser le sous-vêtement en restant face à moi. Je me recule un peu pour juger du tableau. Sa culotte est enroulée à mi-cuisse, ses mains se sont posées spontanément sur son intimité. Le boléro s’arrête au-dessus du nombril, ce qui fait que la vue sur son bassin est entière.
- — Retirez vos mains s’il vous plaît.
- — Vous êtes odieux.
- — Retirez-les !
Elle se cache le visage dans ces paumes et je contemple à loisir l’intégralité de son bassin.
- — Quelle chatte luxuriante, c’est très excitant !
- — Oh ! Vous me faites honte !
Elle se retourne contre le plan de travail offrant sa chute de reins superbe à mon regard.
- — L’envers vaut largement l’endroit, en fait, de quelque côté que vous vous tournez, vous inspirez le désir. Je vais avoir grand plaisir à fesser la belle petite garce que vous êtes !
Je pose mes deux paumes sur sa croupe que je masse langoureusement.
- — Vous êtes ignoble !
- — Vous avez raison, mais vos formes généreuses me détournent de ma mission première. Dégrafez votre boléro.
- — Non, vous allez trop loin.
- — Faites ce que je vous dis.
- — Non, je refuse.
Je donne une première claque retentissante sur ses fesses.
Convaincue par le ton de ma voix, elle déboutonne son vêtement. Je palpe avec gourmandise l’intégralité de sa croupe. Elle a effectué ce que je lui avais demandé, et posé ses mains à plat sur le meuble devant elle. Une de mes mains prend possession de ses gros fruits dénudés pendant que de l’autre j’entame sans faiblir à lui infliger la punition. Elle se raidit sous les coups, proteste par des cris de douleur. Je lâche ses seins pour la maintenir au collet et la forcer à allonger son buste sur le plan de travail. Elle se débat, renverse quelques objets devant elle, mais ma poigne suffit à la plaquer dans cette position humiliante. Mes claques tombent régulières sur son cul bombé, imprimant des marques rouges. Ses plaintes répondent aux claquements secs de ma main. Je ponctue mes gestes de mots grossiers qui décuplent mon excitation.
Mes insultes la touchent plus que je ne le pensais. Ses cris ont maintenant une tout autre signification, elle cambre ses reins pour s’offrir plus à ma main implacable. Sa voix rendue haletante par un mélange de douleur et de plaisir répond à mes sollicitations verbales par des acquiescements soumis. Je me mets alors à la tutoyer.
- — Tu aimes montrer tes fesses, petite vicieuse. Tu aimes les offrir à ma main inflexible ?
Entre chaque claque, j’ose une caresse intime plus appuyée et plus précise à chaque fois.
- — Tu aimes être touchée comme cela, n’est-ce pas ?
- — Oui, j’aime ça et vous le savez !
- — Touche-toi alors, donne-toi du plaisir.
Elle exauce mes désirs à la lettre, glissant une main habile entre ses cuisses. Mes claques se font plus nonchalantes, plus symboliques, et je me repais de ce bruit singulier. Elle semble accéder à la volupté et sa jouissance excite ma libido. Je tombe mon pantalon et mon slip, je promène ma verge tendue contre le sillon de sa croupe. Elle suffoque à ce contact et tente de la saisir en passant sa main entre ses cuisses. Je la saisis par les cheveux et la faisant pivoter, la force à s’agenouiller. Je lui présente immédiatement ma tige dressée, elle la happe sans réticence. Je balade mes mains sur son visage, ses épaules, ses seins. Elle me suce avec envie et application. Je l’apostrophe de toutes les formules qui me viennent à l’esprit. Elle y répond par des grognements gourmands. Je vais au bout de mes fantasmes et ne cherche pas à contenir ma jouissance qui éclate dans sa bouche, puis en chaudes propulsions sur ses gros seins pointus.
Il s’est passé un quart d’heure quand elle reparaît, enveloppée dans une serviette éponge, les cheveux encore humides de la douche qu’elle vient de prendre. Je suis assis à ma place, la coupe de sorbets est posée sur la table de la salle à manger, et j’ai préparé deux cuillères. Je l’invite à s’asseoir sur mes genoux. Nous nous embrassons longuement.
- — Ai-je été suffisamment audacieux à ton goût ? Tu permets que je continue le tutoiement ?
- — Ça ne me gêne pas, mais il me semble que je vous ai bien aidé dans votre entreprise.
- — C’est exact, tu as su jouer ton rôle et me pousser à bout. J’ai besoin de ce genre de stimulant pour être odieux à ce point, je ne suis pas naturellement dominateur, même si cet emploi m’excite.
- — Vous m’avez amené à subir une situation bien humiliante !
- — Cela a-t-il été trop dur à vivre pour toi parfois ?
- — Non, car j’avais en tête que cela n’était qu’un jeu. Je ne tolérerais pas de tels abus dans la réalité.
- — Qu’as-tu trouvé le plus abusif ?
Elle réfléchit un instant en attrapant une cuillerée de glace.
- — Je crois que ce sont vos mots qui m’ont le plus touchée.
- — Vous voulez dire les grossièretés ?
Le vouvoiement m’est revenu en percevant le reproche avec lequel elle fait allusion aux paroles que j’ai pu prononcer.
- — Pas ces mots-là, en tout cas, pas pendant l’acte. Non, ceux prononcés avant.
Un silence s’installe, je pioche à mon tour dans la coupe de sorbets.
- — Quand vous avez parlé de ma chatte !
Elle me regarde tout à coup.
- — C’est ce mot qui vous a choqué ?
- — Pas uniquement, j’étais nue, dévoilée devant vous, et ces paroles dites dans ce contexte-là m’ont touchée.
- — Vous aviez vraiment honte en cet instant ?
- — Oui !
Elle retourne au dessert.
- — Je vous prie de m’en excuser, Ludivine. Je n’ai pensé qu’à mon plaisir, et la beauté de cet écrin noir que vous portez en haut de vos cuisses, associée à ce mot vulgaire, m’a apporté beaucoup de joie.
- — Je me suis sentie si vulnérable.
- — Vous l’étiez certainement, et c’est aussi ce qui vous rendait si sublime !
- — Vous m’avez trouvé sublime ?
- — Vous êtes sublime, Ludivine ! Je passerai volontiers des heures à vous admirer nue.
Je passe mon bras libre autour de sa taille.
- — Et vous, vous avez eu beaucoup de plaisir ?
- — Énormément, vous m’avez comblé.
- — Parce que je vous ai sucé ?
Elle me regarde à nouveau.
- — Pas seulement. Vous étiez offerte dans une position de totale soumission. Je vous détenais en mon pouvoir.
- — C’est cela que vous recherchez, n’est-ce pas ?
- — Peut-être.
- — Vous aimez avoir les pleins pouvoirs sur une femme. Vous aimez pouvoir la contempler, la toucher comme bon vous semble.
- — C’est vrai.
- — Lorsque vous rédigez vos romans, c’est cela qui vous motive.
Je lui laisse les dernières cuillerées de glace et pose ma cuillère.
- — Je vois que vous êtes très perspicace, et je ne vous en admire que plus. J’ai besoin d’admirer la personne dont je suis amoureux. D’ailleurs, je ne puis l’être sans cela.
Elle finit de racler la coupe, puis noue ses mains derrière ma nuque.
- — Alors tu es amoureux de moi ?
- — Oui ! Je ne vis mes journées que pour te retrouver, ici.
Elle m’embrasse de façon délicieuse et brûlante, et murmure de sa voix troublante :
- — Fais-moi l’amour, maintenant !
Je l’embrasse fougueusement à mon tour, puis, la portant dans mes bras, je l’emmène à l’étage, dans ma chambre. Le tissu éponge dans lequel elle est drapée lui donne l’apparence d’une princesse orientale. Elle a blotti sa tête contre mon épaule.
- — Tu ne me trouves pas trop lourde ?
Sa phrase sonne comme une angoisse déguisée, comme si elle appréhendait quelque chose.
- — Tu es moins pesante que les sentiments qui semblent t’assaillir.
Elle lève la tête et me sourit.
- — Je me demande ce que tu vas inventer pour ne pas me baiser.
Je souris à mon tour.
- — Renonce à cette idée, je vais inventer, comme le chantait si bien Jacques Brel, un pays où l’amour est roi, où tu seras reine !
- — Chiche !
- — Tu as raison, cette allégorie est trop lourde de conséquences. Un pays où tu serais la reine et l’amour, le roi, suppose que je ne pourrais être que l’ambassadeur temporaire de l’amour, jusqu’à ce qu’un autre me remplace. Tant d’abnégation est au-dessus de mes forces, je ne peux te promettre qu’un pays nommé l’Amour, où nous serons souverains ensemble.
- — Alors tu es décidé ? Je veux dire, à mettre un terme à notre histoire ?
Je pousse la porte de la chambre et la pose délicatement sur le lit.
- — Ne complique pas inutilement un acte que tu sembles appeler de tous tes vœux depuis le début.
Je laisse volontairement l’ambiguïté planer sur la nature de cet acte. Je lui ôte sa tenue et je me déshabille rapidement devant elle.
- — J’ai envie de toi, petite fille tourmentée, je désire te donner plus de plaisir que tu ne l’espères et effacer à jamais toute la jouissance que tu as pu connaître avant moi. Je veux que tu sentes dans chacun de mes gestes, tout l’amour que j’ai pour toi. Je ne veux me préoccuper que de ton bien-être. Je veux que cette nuit reste gravée dans ta mémoire comme étant le seul instant de ta vie où tu as été aimée.
Je suis nu, je m’allonge à ses côtés. Je la caresse longuement. Nos yeux s’épousent et s’aiment comme un prélude merveilleux.
Épilogue :
L’écrivain, assis à son bureau devant ce manuscrit qui l’obsède, se demande si cette histoire est tout à fait finie. Alors qu’il en a achevé la rédaction depuis quelques jours, et qu’il se consacre maintenant à la correction, un événement impossible s’est produit le matin même, sans qu’il ait encore tranché si cela est à mettre sur le compte de l’imagination ou de l’hallucination. Cette fille qu’il a créée, et dont il n’arrive pas encore à se détacher, ce personnage charmant, mais totalement fictif, est apparue sous ses yeux ! Cela se passait au retour de sa promenade quotidienne, il a cru la reconnaître entrer dans une boulangerie sur le trottoir d’en face. Incrédule tout d’abord, il s’est même moqué de cette obsession puérile, puis la curiosité l’emportant sur le reste, il est entré à son tour dans la boutique. La personne qui l’intéressait lui tournait le dos, payant sa commande. Lorsqu’elle a regagné la sortie, elle est passée près de lui sans le voir mais il l’a formellement reconnue. Ne sachant comment aborder une inconnue dont on croit tout savoir, il a acheté un croissant, pour justifier sa présence dans la boulangerie, puis en est ressorti en trombe, pensant la suivre pour l’accoster un peu plus loin. Hélas, elle avait disparu ! Cet incident le met mal à l’aise. Rencontrer l’héroïne qu’il a créée de toute pièce est le comble de l’écrivain. Même s’il se persuade au fil des minutes qu’il a forcément fait erreur, l’espoir de confirmer cette thèse est envolé à tout jamais. La présence de Manuela dans la cuisine lui donne une excuse pour fuir ce doute en recherchant la discussion avec elle.
- — Bonjour, monsieur ! Vous allez bien ?
- — Aussi bien qu’un orphelin, Manuela. Et vous-même ?
- — Oui, je vais bien. Vous avez fini un roman et vous vous sentez vide, c’est cela ?
- — C’est à peu près ça en effet.
- — Mais vous allez en recommencer un autre, monsieur, et vous retrouverez vos sensations.
- — Vous croyez ?
- — J’en suis certaine. Vous réagissez pareil chaque fois. Il faut que je me dépêche, je suis passée vous ramener votre linge, mais mon mari m’attend.
- — Ah, très bien, mais laissez ça, je vais le ranger, ça va me changer les idées.
- — Bien, alors, si vous vous en occupez, je me sauve.
J’avise la pile de linge propre posée sur une chaise du vestibule, et mon cœur tressaille. Sur le dessus, un soutien-gorge bleu est en évidence. La scène décrite dans la bibliothèque où Ludivine a laissé ce même vêtement sur le divan me revient en mémoire. Refusant de croire à un tel prodige, je questionne Manuela.
- — Pouvez-vous m’expliquer ce que fait ici ce sous-vêtement féminin ?
- — Mon Dieu, il ne faut pas que je l’oublie. Il appartient à ma nièce, j’ai dû le mélanger avec vos habits.
- — Votre nièce ? Laissez-moi voir un instant.
J’examine le soutien-gorge, il est de grande taille et pourrait tout à fait convenir à Ludivine. La coïncidence est frappante, et cela fait deux fois dans la même matinée. Je commence à me demander où est le lien dans tout cela. Manuela me regarde bizarrement depuis que je tripote le soutien-gorge de sa nièce, je réalise alors l’incongruité de la situation et le lui rends prestement.
- — Vous avez une nièce Manuela ?
- — Mais oui, monsieur, j’en ai même plusieurs. Celle-là est de passage chez nous pour quelques jours. Mais en quoi cela vous intéresse-t-il ?
- — Ce serait trop long à vous expliquer, mais est-ce que je peux vous demander de me la présenter ?
- — Je ne comprends pas très bien monsieur.
- — Soyez sans crainte, Il se trouve que votre nièce pourrait avoir un rapport avec le travail que je viens de terminer.
- — Comment cela ?
- — C’est trop extravagant pour que je puisse vous l’expliquer, mais il me suffirait de la voir. Vous pourriez l’amener avec vous à l’occasion. Elle va rester quelques jours, m’avez-vous dit ?
- — Oui, bien sûr. Bon, si cela concerne votre travail, je vais essayer de m’arranger.
- — Je vous remercie, mais je compte sur vous.
Cela fait deux jours que cette conversation a eu lieu, et l’écrivain continue son travail de peaufinage. C’est le milieu de l’après-midi, et il rêvasse en regardant par la fenêtre ouverte, se demandant si Manuela va exaucer son souhait. Si c’est vraiment la même fille que celle qu’il a imaginée, la voir seulement en présence de sa tante risque d’être décevant. Et puis, quoi dire à un personnage de roman ? Il ne peut quand même pas lui faire lire ce qu’il a écrit et lui demander si cela lui correspond.
- — En fait, il faudrait que je sois seul avec elle.
Tout à coup, la porte s’ouvre lentement, une silhouette apparaît. C’est elle, c’est la fille entrevue dans la boulangerie ! Cette apparition soudaine au moment où je pensais à elle me stupéfait. Je dois être blême à faire peur. Elle a refermé la porte et s’avance vers moi en me regardant sans émotion apparente. Elle est vêtue d’une jupe et d’un chemisier. Elle a cette bouche et cette coiffure brune qui étaient les signes les plus marquants de la physionomie de Ludivine. Tout à coup, un voile se déchire. Je me rappelle où je l’ai vu pour la première fois. C’était en photo dans le salon de Manuela, une des rares fois où j’y suis venu. Je comprends alors d’où me venait cette inspiration. En fait, ce visage, cette silhouette… je ne les ai pas inventés, ils se sont imposés à moi de manière inconsciente, à partir d’une photo, entrevue un jour, furtivement, chez mon employée, et dont le souvenir conscient s’était effacé totalement jusqu’à cette minute. Cette explication extraordinaire me permet de retrouver mes esprits, même si je suis troublé, je parviens à la saluer.
- — Bonjour, mademoiselle.
- — Bonjour, monsieur.
Cet échange banal me remet en mémoire la conversation avec Ludivine au début du roman, je me souviens de la suite et enchaîne sans réfléchir.
- — Quel âge avez-vous donc ?
Elle fronce les sourcils et rétorque :
- — C’est votre habitude d’entamer la conversation avec une jeune fille par cette question ?
Je ris, elle ne comprend pas pourquoi, et craignant peut-être d’avoir été trop directe, elle ajoute :
La coïncidence des réponses me laisse perplexe, je la dévisage un instant. Ce silence la met mal à l’aise, et elle relance la conversation.
- — J’aimerais savoir pourquoi vous m’avez fait venir chez vous.
La similitude avec mon histoire continue, je me demande alors, naïvement, si cela ne pourrait pas recommencer en réel.
- — Vous êtes chez moi, cela ne vous plaît pas ?
Je connais bien mon texte, mais elle doit me prendre pour un excentrique.
- — Ma tante m’a dit que vous êtes écrivain, elle devait m’accompagner, mais elle ne pouvait se libérer immédiatement et m’a demandé de la précéder. Elle passera plus tard.
- — Oui, pour préparer le dîner.
J’étais à deux doigts de dire : « Notre dîner ». Je décide de cesser ce jeu énigmatique pour elle.
- — En fait, je dois vous dire qu’un mystère planait autour de vous, même si ce mystère est partiellement élucidé maintenant. J’ai demandé à votre tante de me présenter à vous car j’avais de bonnes raisons de croire que vous étiez le personnage principal d’une histoire que je viens d’écrire.
Elle hausse les sourcils, et s’exclame :
- — Rien que cela ! Vous me faites marcher ?
Elle avise le fauteuil club que Ludivine connaît bien et s’assied sur le bras, côté fenêtre.
- — Pourquoi vous ferais-je marcher ?
- — Je ne sais pas. C’est à vous de me le dire.
- — Eh bien, je vous ai dit la vérité, mais vous pouvez ne pas me croire.
Elle secoue la tête incrédule.
- — Elle était comment votre héroïne ?
- — Physiquement comme vous.
Elle fait une moue dubitative.
- — En écrivant votre histoire, vous aviez un physique en tête, mais vous n’aviez pas la personne devant vous, l’image était donc floue et n’importe quelle image de brune à cheveux courts pouvait cadrer.
- — Oui, mais il n’y a pas que votre coiffure qui cadre. Et il se trouve que cette image était la vôtre, maintenant je le sais.
- — Expliquez-moi cela.
- — J’ai vu votre photo chez votre tante il y a quelques mois, je ne me rappelle plus au juste, et c’est cette photo qui m’a inspiré sans que je m’en rende compte. C’est seulement lorsque je vous ai vu entrer à l’instant que cela m’est revenu.
Elle digère cette information.
- — Comment vous appelez-vous ?
- — Sylvia.
Que le destin peut être cruel parfois !
- — Alors vous en savez plus que mon personnage. Quand elle est venue ici pour la première fois, elle ne connaissait pas encore son prénom, je ne l’avais pas encore décidé.
- — Quand elle est venue ici ? Mais vous me disiez que c’était un personnage fictif.
- — Oui, tout à fait, mais au début de mon histoire, elle dialogue avec moi, ici, exactement à votre place et elle n’a pas encore de prénom.
- — Vous pourriez me la faire lire votre histoire ?
Je souris.
- — Vu les circonstances, je ne crois pas.
- — Pourquoi ?
- — Il faudrait d’abord que je vous explique le contexte, et encore, je ne suis pas sûre que cela suffise.
- — Vous êtes un grand écrivain ?
- — Puisque vous me posez la question en étant la nièce de la personne que j’emploie, c’est que je ne suis pas très connu, mais disons que dans mon genre, je gagne bien ma vie.
- — Et c’est quoi votre genre ?
À ce moment, une brise impertinente franchit la fenêtre ouverte près d’elle et vient s’engouffrer sous sa jupe. L’espace d’un instant, j’aperçois sa culotte. Elle est de dentelles bleues, comme le soutien-gorge que Manuela a remporté, comme la culotte de Ludivine. Il me semble alors que quelque chose de surnaturel s’est produit, que ce signe supplémentaire ne laisse aucun doute sur la juxtaposition possible entre le réel et le fictif. Je me mets à rêver que Ludivine et Sylvia ne sont qu’une seule et même personne. Une phrase de Ludivine me revient avec insistance : « L’un de mes fantasmes, c’est de me faire peloter les seins par un inconnu » ! Elle a rajusté prestement sa jupe et rougit délicieusement.
- — Voyez-vous Sylvia, cet incident charmant qui vient de se produire change beaucoup de choses et il se pourrait que je puisse vous faire lire mon histoire. Mais pour cela, il faudrait que je vérifie quelque chose, voulez-vous vous approcher ?
Elle me regarde, étonnée, puis, comme attirée par une perspective dont elle ne connaît pas exactement les aboutissants, elle se lève et vient tout près de moi. Je lui prends la main, timidement, hésitant à plonger dans l’inconnu d’une action audacieuse et hypothétique.
- — Ce que je vais faire maintenant pourra vous paraître indécent, c’est d’ailleurs le cas. Par ce geste, j’ai l’ambition d’emprunter le seul raccourci qui pourrait me ramener dans le pays imaginaire dont vous êtes l’héroïne.
Elle me regarde sans comprendre. Ma main remonte le long de son bras, puis sur son épaule. Elle est tendue, je masse un instant cette épaule, espérant la rassurer, puis je me lance et ma main descend sur son chemisier, jusqu’au niveau des seins. Elle se raidit. Je palpe lentement ses appâts, légèrement, comme pour les apprivoiser. Elle me regarde, son attitude est passive, mais elle reste très attentive. Je risque l’autre main sur son buste, elle ne réagit pas. J’ose alors déboutonner le premier bouton du vêtement.
- — Qu’est-ce que vous faites ?
La question trahit l’indignation. Elle a posé une main sur les miennes comme pour m’empêcher de continuer, mais je continue, alors elle repousse brutalement mes mains et s’éloigne de moi, reculant jusqu’à venir s’adosser au mur. Sa réaction semble ne trahir aucune ambiguïté, pourtant elle reste dans cette pièce, là où un homme inconnu a tenté de la déshabiller. Elle me regarde, elle a croisé ses mains derrière ses fesses en appui contre le mur, son chemisier est déboutonné sur trois boutons. Je n’accuse pas trop le coup, sa réaction est plutôt saine, mais je ne m’avoue pas vaincu, d’abord parce qu’elle ne fuit pas vraiment, ensuite parce que ce serait trop beau de relier, par son intermédiaire, le réel à la fiction. Je prends une inspiration et me lance dans une tentative de récupération de la situation.
- — Mademoiselle, je sais que les gestes que je viens de me permettre sur vous sont incongrus, mais si les apparences sont contre moi, laissez-moi vous expliquer. Tout d’abord, je connais très bien votre tante, et je ne me permettrais pas de trahir sa confiance en abusant de vous. Nous venons d’avoir une conversation où je vous exposais les motifs de votre venue ici. Vous avez désiré lire l’histoire où vous – ou votre double – êtes impliquée, et je dois avoir ce comportement pour vous laisser lire ce texte. Je ne peux pas vous laisser le lire sans avoir vérifié un point. Vous comprendrez mon comportement, en lisant le texte. Je ne vous demande rien de moins que d’être celle par qui la fiction se changera en réalité !
Elle ne bronche pas, elle écoute sérieusement ce que je lui dis, sans faire de commentaires ni trahir une quelconque émotion. J’ajoute :
- — Je vous donne l’occasion de libérer un tabou, sans aucune conséquence, et de vivre un instant hors du temps, sans qu’à aucun moment vous ne subissiez une situation indésirable. Je vous demande de vous laisser guider un peu plus loin, et d’interrompre la tentative qu’à partir du moment où cela deviendra intolérable. À moins que ce que nous avons déjà fait soit intolérable, mais je ne le croie pas, n’est-ce pas ?
Elle ne répond pas. Son regard se dirige vers le sol, elle rougit à nouveau. Je reprends d’une voix la plus douce possible :
- — Sylvia, est-ce que le fait que je touche votre poitrine comme je l’ai fait était quelque chose d’insupportable que vous ne souhaitez pas recommencer ?
Elle regarde le sol, sans répondre.
- — Répondez, en vous laissant guider par votre instinct, sans tenir compte des valeurs morales ou de la bienséance que l’on vous a inculquées. Vous savez très bien que votre tante sera ici dans un moment et qu’alors il vous sera facile de vous plaindre à elle si quelque chose de désagréable a eu lieu. Vous le savez très bien, alors que craignez-vous ?
Elle relève la tête enfin, les yeux brillants d’émotion. Elle semble résolue à retenter l’expérience. Je laisse passer quelques instants en l’envisageant gentiment. Puis, je lui souris, elle répond par un sourire un peu crispé.
- — Approchez, n’ayez pas peur !
Elle s’approche à nouveau, je lui prends les mains pour la faire venir encore plus près. Je remonte les paumes le long de ses bras pour la tenir par les épaules.
- — Décontractez-vous, si je dépasse ce que vous pouvez supporter, dites simplement « stop » et nous arrêterons là. Fermez les yeux, si cela peut vous aider !
Je repose les deux mains sur ses seins, je les caresse rapidement, comme quelqu’un qui, connaissant déjà une partie du chemin, se hâte vers ce qu’il ne connaît pas encore. Je reprends le déboutonnage du chemisier, et elle ne s’y oppose pas. J’ôte suffisamment de boutons pour dégager le soutien-gorge. Je marque une pause avant de poursuivre, elle respire fort comme si elle vivait un moment intense, son regard exprime de l’appréhension. Je me lance pourtant et attrape l’attache du soutien-gorge, située devant, afin de la dégrafer.
Elle me regarde intensément et ajoute :
Je suspends mon geste un instant, par scrupule, puis jugeant que ce « non » n’est pas le code convenu, donc ne peut pas rentrer en ligne de comptes, je libère les gros seins de leur prison de dentelles.
Elle s’est exclamée comme pour témoigner un mélange d’indignation et d’étonnement. Indignée que je passe outre ses recommandations et étonnée de se faire dénuder par un inconnu. Je prends possession de ses gros fruits. L’excitation est présente, ses pointes sont déjà érigées.
Cette exclamation-là est pleine d’abandons et je profite de mon avantage sans vergogne. Je la caresse de toutes mes paumes et lis sur son visage, au-delà de la honte contenue, la progression rapide du plaisir. Je fais jouer mes doigts sur ses tétons durcis. Je malaxe les rondeurs élastiques et dociles. Je soupèse l’extraordinaire lourdeur de ses appâts. J’écrase de mes paumes avides les tétons dressés. Elle s’abandonne à mes explorations, ses lèvres filtrant des sons plaintifs de plus en plus audibles. Sa bouche est entrouverte, le bout de sa langue frotte dans un mouvement rapide les deux barrières nacrées de ses incisives inférieures et supérieures. Je promène enfin la mienne sur ses tétines dressées. Je happe les gros bouts exaltés. Elle s’affranchit de toute honte en enfonçant ses doigts dans ma chevelure.
Enthousiasmé par la tournure de cette expérience, je lui offre de longues minutes de plaisirs. Puis, l’incongruité de la situation agissant comme un réveil, l’intensité de nos ébats s’atténue. Je relève la tête, en maintenant ses seins fabuleux dans mes mains. Je lui souris, elle sourit aussi, timidement, en rougissant.
- — Je dois vous paraître bien grossier, à présent !
Je lâche son buste qu’elle s’empresse de faire disparaître en rajustant sa tenue.
- — En tout cas, je vous remercie de vous être prêtée à ce caprice. Je suis beaucoup plus troublé que je ne saurais le dire.
Pour cacher mon émotion, j’attrape une cigarette et prends le temps de l’allumer. Elle est allée se rasseoir dans le fauteuil. Son expression trahit une hésitation entre le fait de savourer ce qu’elle vient de vivre et le doute qui doit l’assaillir pour lui suggérer qu’elle s’est peut-être fait avoir. Je ressens cela et désire effacer toute équivoque. Je décide de lui témoigner ma confiance, mon respect, en lui offrant ce qu’un écrivain a de plus cher. Je ramasse le paquet de feuilles, que je devine encore incomplet, qui constitue mon manuscrit, et le lui tends.
- — Maintenant, je crois que vous pouvez lire ce que j’ai écrit !
Elle se saisit du paquet lentement, et, après m’avoir lancé un regard où se lisent interrogation et curiosité, entreprend la lecture de mon manuscrit.