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n° 07983Fiche technique53584 caractères53584
Temps de lecture estimé : 32 mn
24/10/04
corrigé 12/11/10
Résumé:  Une femme entre deux âges sombre dans la folie.
Critères:  fh ff complexe bizarre travail toilettes humilié(e) cérébral massage facial fellation cunnilingu fdanus humour -humour -amourdram
Auteur : Amanite      Envoi mini-message
Sale journée

Je sentis distinctement la première giclée s’écraser contre le fond de mon palais et m’engluer d’un trait toute l’arrière-gorge. Si la deuxième jaillit avec moins de pression, s’affaissant platement en travers de ma langue, les suivantes achevèrent rapidement de remplir ma petite bouche tant l’éjaculation était abondante. L’homme cessa de s’agiter et tout redevint subitement limpide. Mon Dieu ! Qu’avais-je fait ? Pendant un interminable moment je n’osai pas bouger et je laissai passivement les effluves de son sperme imprégner peu à peu toute ma cavité buccale. Je fus prise de nausée. Un peu de jus s’écoula d’entre mes lèvres distendues, mais je me forçais quand même à en perdre le moins possible. Quand je repris enfin courage, ignorant l’odeur fétide, je fis rouler la masse de secrétions dans ma bouche et écrasai un gros amas crémeux entre ma langue et le gland glissant de l’homme. C’était vrai. C’était à vomir.


Je fermai les yeux. Je me concentrais sur la viscosité écœurante qui, je le savais, occupait à présent la totalité de ma bouche. À chaque mouvement de ma langue, de nouveaux relents faisaient se contracter spasmodiquement mon estomac. Le fluide se rependait sur mes dents et mes gencives en lentes spirales huileuses tel une matière vivante. Il glissait vers l’arrière, le long de mes mâchoires, s’accumulant au creux de mes joues et sous ma langue. Je le laissais s’insinuer lentement vers ma gorge comme de son propre chef. Bientôt, j’eus même l’impression irraisonnée de sentir les minuscules flagelles des gamètes frétiller sur mes papilles gustatives, ce qui me leva le cœur, mais je me retins de vomir tant je souhaitais que se prolonge mon supplice. Les larmes aux yeux, j’exerçais un contrôle insoutenable sur tout mon corps pour tolérer le plus longtemps possible cette crème répugnante qui saturait mes sens. Je réalisais ce que je venais de faire. La petite brune toujours élégante, souriante avec ses voisins, la petite comptable un peu pincée de chez Mercatel, venait de tailler une pipe à genoux à un inconnu et avait été récompensée comme elle le méritait, une trentaine de millilitres de laitance tiède accrochée à ses amygdales. Elle aurait dû s’y attendre, pauvre petite conne. Qu’est-ce qu’elle s’imaginait ? Alors, qu’elle déguste, maintenant ! Qu’elle savoure ce bon foutre ! Ça réchauffe, pas vrai ? Mais oui, c’est ça que tu voulais. Tu te sens déjà mieux, pas vrai ? Pas la peine de chercher des excuses maintenant. À qui tu vas faire croire ça, ma grande ? Non, tu n’as pas encore le droit d’avaler !


Je me dégoûtais. Je voulais avoir honte. Passée la satisfaction de la première gorgée, qui m’avait brutalement ramenée sur terre, le goût avait été immonde et l’idée même de ce que je faisais me révoltait. Soudain, lorsque je n’en pus plus de me torturer, je pris une profonde inspiration par le nez et je réprimai un haut-le-cœur pour laisser la masse gluante s’écouler lentement jusqu’au fond de mon œsophage. L’homme contempla un instant mon visage cramoisi, l’air satisfait, puis sorti sa queue de ma bouche pour essuyer son gland sur mes joues brûlantes. Mon rouge à lèvres maculait la bite anonyme sur toute sa longueur. Quand il eut fini, je me relevai lentement en m’essuyant les lèvres du revers de la main. J’avais encore du mal à tenir debout. Je sortis un Kleenex de mon sac à main et, après m’être nettoyé les doigts et le tour de la bouche, je remis fébrilement un peu d’ordre dans ma tenue. Il était temps de déguerpir.


Une fois dans la rue, la lumière du jour m’obligea à presque fermer les yeux. Je regrettais de ne pas avoir pris mes lunettes de soleil. En plus de m’éviter la cécité, elles auraient masqué mes yeux larmoyants. Chancelante et presque aveugle, j’essayais de m’éloigner le plus rapidement possible. L’homme, encore tout étonné, ne m’avait pas suivie, mais je ne voulais pas lui donner le temps de changer d’avis.


Je tournai au premier angle de rue et titubai encore quelques mètres, crachant par terre et recherchant, les yeux mi-clos, un café dont je pourrais utiliser les toilettes pour me rincer la bouche. À peine trois pas plus loin, mon estomac s’agita une fois de plus, mais cette fois je laissai échapper un petit rot chargé d’émanations pestilentielles. Je ne pus soudain plus respirer. Accompagné d’une bouffée de vapeurs d’alcool, le goût du foutre me revint en bouche, mais beaucoup plus fort, comme fermenté. Je revis en un instant le ventre gras de l’homme au-dessus de ma tête, le mince filet de bave reliant ma lèvre inférieure à sa verge alors que je n’en pouvais plus. Je me revoyais léchant ses petites bourses poilues qui sentaient la sueur. Ma tête se prit à tourner. Je perdis l’équilibre. Sans que je n’aie rien vu venir, je sentis mes entrailles se soulever d’une masse, comme une grosse déferlante. Prenant appui contre un réverbère, je posai une main sur mon ventre et gerbai tripes et boyaux dans le caniveau, sous les yeux hébétés des passants.


D’une certaine façon, ce regard me rassura. La crise avait dû passer. Tout, autour de moi, de l’odeur du trafic au bruit du vent dans les branches des platanes, me semblait étonnamment intense. Cette brusque secousse organique m’avait, au moins temporairement, permis de reprendre contact avec la réalité. Je tremblais encore, je devais être très pâle, mais le pire était derrière moi.


Il y avait un banc quelques mètres plus loin. Je m’y effondrai, les coudes sur les genoux et la tête entre les mains. De petites larmes roulèrent bientôt sur mes joues. Je n’étais pourtant pas du genre à craquer facilement. Mais j’essayais de repenser à tout ce qui s’était passé aujourd’hui et mon cœur fondit soudain en sanglots. C’était comme revivre une journée en Enfer. Le cauchemar avait peut-être même commencé bien avant l’aube, mais il était impossible de distinguer le factuel du délirant.


Vers cinq heures du matin, j’avais dû faire un rêve érotique car je m’étais réveillée en sueur et dévorée de désir. Je m’étais masturbée comme une forcenée pour me rendormir, mais depuis plusieurs mois mes doigts ne me suffisaient plus. Après ça, je dormis mal. Si le réveil sonna à sept heures, je ne me rappelle pas l’avoir entendu. Je me réveillai en sursaut à huit heures trente et bondis immédiatement hors du lit en me maudissant, ce qui me valut de me cogner le pied nu contre la commode. Je hurlai de douleur et m’effondrai sur le sol.


Pas le temps de déjeuner ni de prendre une douche. Une rapide toilette, un maquillage à l’arrache, le premier tailleur venu. Quinze minutes plus tard j’avais le cul dans ma Clio et le pied au plancher. Est-ce le fait d’avoir la puissance de plusieurs tonnes d’acier à portée de pédale ou la sensation de sécurité due à l’habitacle hermétique, je l’ignore, mais il est effarant de constater à quel point les citadins deviennent agressifs dès qu’ils ont un volant entre les mains. Je n’échappe malheureusement pas à cette règle. À la sortie du Grand Rond, un mec en mobylette me fit une queue de poisson et je manquai de finir sur le trottoir. Je klaxonnai ce connard et il me répondit par un majeur tendu très haut. J’eus soudain l’envie de le pourchasser et de l’écraser, et le petit branleur ne dut son salut qu’au seul fait que j’étais déjà à la bourre. Si j’avais su que j’étais sur le point de perdre encore vingt minutes dans un embouteillage, je l’aurais peut-être fait.


Je réalise à présent que je n’étais peut-être déjà pas dans mon état normal. Quand j’arrivai au bureau, j’étais bien remontée, moi qui suis plutôt calme d’habitude. En général, on ne m’entend pas de la journée. Un peu sèche, peut-être, mais jamais un mot plus haut que l’autre et, s’il n’est pas impossible que je sois parfois de mauvaise humeur, il est extrêmement rare que ce soit à ce point. J’étais tout à fait dans l’état d’esprit nécessaire pour faire une grosse connerie. Alain s’apprêta à m’engueuler mais je lui coupai la parole :


« Y’a du café ?



Oups ! J’avais hurlé. Ça m’avait échappé et Alain était livide. Pendant un instant, je crus que c’était parce qu’il ne m’avait jamais vue comme ça mais, quand je vis que son regard était dirigé au-delà de moi, je compris rapidement mon erreur. Je me retournai et j’eus l’impression que mon corps se vidait de son sang.


« Est-ce que cela signifie, Mademoiselle, que Monsieur le Directeur et moi-même devrons patienter deux heures de plus avant de pouvoir examiner les résultats d’exploitation du trimestre ? Savez-vous que vos fréquents retards sont source de désagrément pour vos collaborateurs et que ceci n’est pas vu du meilleur œil par la Direction ? Pensez-vous que la qualité de votre travail soit telle qu’elle vous autorise ce genre de latitude à l’égard du règlement intérieur ?



Là-dessus, elle tourna les talons et s’en retourna vers le bureau du Vieux. Je n’arrivais pas à croire que je lui avais répondu comme ça. Qu’est-ce qui m’arrivait, putaing ? Je ne pouvais plus la voir en peinture.


Il faut dire qu’elle collectionne les tares. Une des choses que je déteste le plus, chez Crapaudine, c’est cette manie de parler d’elle-même au pluriel, en s’incluant systématique dans ce qu’elle appelle « la Direction » et qui est en fait constituée de Rollier, le patron, et d’elle-même, son assistante.


Un autre truc que je n’ai jamais pu digérer, c’est qu’elle s’obstinât à m’appeler « Mademoiselle ». Je ne suis pas vieille mais, à mon age, on préfère tout de même « Madame », même quand c’est techniquement inapproprié. Je lui en avais fait la remarque une fois et elle m’avait simplement répondu : « Vous n’êtes pas mariée et ne l’avez jamais été ; c’est donc Mademoiselle en ce qui me concerne. » Qu’est-ce qu’elle pouvait être conne !


Aujourd’hui, elle porte un pull rose bonbon avec un ruban assorti dans les cheveux. C’est exquis. Imaginez Galabru en Barbie et vous n’aurez qu’une vague idée du ridicule qu’elle exhibe quotidiennement à nos regards effarés. Comment peut-on être une grosse dondon de cinquante-cinq ans et s’habiller comme si on en avait douze ? C’est surréaliste. Enfin, quand je dis grosse, je suis méchante. Elle n’est pas spécialement obèse. Simplement, qu’on la regarde sous n’importe quel angle, on ne voit que trois bourrelets. Une bonne bouée qui part du bas ventre et devient un cul large et flasque, puis un deuxième pli, moins gros, qui semble l’écho du premier, et enfin un troisième que seul le léger creux au niveau du sternum permet d’identifier comme étant une paire de seins et un boudin de graisse du dos soulevé par la sangle d’un soutien-gorge. Son visage est marqué de lourds cernes et de plis profonds sur les joues ; son maquillage est outrancier. À part ça, je peux admettre, peut-être, qu’elle a encore de belles jambes, MAIS C’EST PAS UNE RAISON POUR LES MONTRER TOUT LE TEMPS EN METTANT DES MINI-JUPES ULTRA COURTES ! SURTOUT QUAND ON A UN CUL ÉNOOOOOORME !


Je m’emporte, je m’emporte. Tous les gros machos vont dire que j’ai mes ’choses’, mais je les emmerde. Même pas vrai ! Quand un mec est mal luné, il est simplement mal luné ; mais si c’est une femme, c’est hormonal. Eh ben non ! C’est juste une sale journée où qui faut pas m’parler !


En tous cas, je devrais certainement apprendre à mieux me contrôler. Je m’en veux toujours un peu quand je me moque du physique de Crapaudine. Je serais sans doute moins fière si j’avais, comme elle, traversé trois ou quatre grossesses.


Oui mais voilà ! Ça ne risque pas de m’arriver, à moi. Carence de matière première. Mon usine à bébés est fermée pour cause de PÉNURIE DE MAIN D’ŒUVRE. Encore quelques années et on envisagera une fermeture définitive du site. Si je me dépêche, je peux encore devenir une vieille maman. Sinon, ça sera pas maman du tout.


Au moins une chose que Crapaudine aura réussie mieux que moi dans la vie. Elle était mariée depuis plus de trente ans avec le même homme et elle ne l’avait trompé qu’avec le patron. Et encore ne lui demandait-il plus qu’exceptionnellement de passer sous le bureau. Ils étaient comme un vieux couple tous les deux. Parfois, je me demandais si ce n’était pas elle qui tirait réellement les ficelles de la boîte. Mais non, elle était trop conne et Rollier était un vieux renard. Elle avait simplement dû être belle dans sa jeunesse. Ou peut-être avait-elle des talents cachés. Un goût immodéré pour les feuilles de rose ? Un certain ’doigté’ ? Je grimaçai en me demandant ce qui pouvait encore bien exciter ces deux gravats. Ils avaient tous les deux une tête à manger du caca. En tout cas, quelle qu’en soit la nature, la fidélité indéfectible qui les unissait ne me laissait rien présager de bon quant à ma longévité professionnelle.


Après avoir fait passer le maudit dossier à Crapaudine, j’essayai de travailler en attendant impatiemment la pause de midi car je n’avais encore rien mangé. Je n’avançai pas beaucoup. Le téléphone n’arrêta pas de sonner et je n’arrivais à me concentrer sur rien. Je pris coup sur coup trois cafés tiédasses et, en me retournant pour fouiller dans l’armoire, je renversai ma quatrième tasse sur une pile de factures entassées sur mon bureau.


Je poussai un MERDE retentissant et Alain ne manqua pas de pointer son nez à ma porte quelques secondes plus tard. Ah, celui-là ! Il n’était pas foncièrement méchant, mais je savais qu’il aurait vendu père et mère pour une vue plongeante dans mon décolleté. En général, ça ne m’oppressait pas trop, vu que je savais qu’il n’avait pas assez de couilles pour oser plus qu’un regard lubrique lorsqu’il pensait que je ne le regardais pas. De toute façon, il n’avait aucune chance. Petit-gros, rougeaud et chauve, moustachu et bedonnant : plutôt épouser Dieu ! Toujours ronchon, aucun sens de l’humour, et en plus, irrémédiablement marié. Et ça, non ! Plus jamais ! Un petit conseil à toutes mes lectrices qui chercheraient un mari : cherchez plutôt un célibataire ! Les cinq à sept à l’hôtel et les week-ends toute seule, non merci ! Le lit vide la nuit, les cachotteries, les angoisses. Tout partager avec une autre. Toujours attendre. Et puis, un jour, plus rien. Il vaut mieux qu’on en reste là. On ne va pas tout gâcher, n’est-ce pas ? Mais si, je t’aime. Il faut que tu comprennes. Bâtards!


« Quelque chose qui ne va pas ?



Tout en parlant, il avait fait le tour de mon bureau et se tenait à présent derrière ma chaise. Il posa ses mains sur mes épaules. Je lui donnai immédiatement une petite tape sur les doigts :


« Bas les pattes ! Animal !



Le coup du diplôme aurait pu me faire sourire, mais je savais qu’il ne plaisantait pas. Il m’avait montré le dit bout de papier une fois. Tout en parlant, il commença délicatement à masser mes omoplates. Je poussai un gros soupir et m’adossai plus confortablement. Papi Alain allait être très gentil, et moi, j’étais crevée.


Pendant plusieurs minutes, il fit lentement rouler les muscles et les tendons de mon cou. Ses pouces remontaient inlassablement le long de ma nuque jusqu’à la base de mon crâne, puis redescendaient masser le haut de mon dos. Je fermai les yeux. Il ne m’avait jamais habituée à tant de familiarité mais c’était paradisiaque. Je me laissai sombrer dans une sorte de demi-sommeil où tous les muscles de mon corps semblaient plongés dans un bain d’huile. Je me demande même si je ne me laissais pas entraîner dans une sorte de rêverie érotique. Je me sentais tellement fatiguée. Subrepticement, sa main droite s’était insinuée vers le devant de mon col et effleurait délicatement ma clavicule. Dans un délicieux frisson, deux de ses doigts glissèrent entre ma peau et la bretelle de mon soutien-gorge. Comme je ne réagissais pas, sa main gauche se fit plus ferme sur ma nuque, tirant ma tête en arrière ce qui m’arracha un petit gémissement de plaisir, tandis que les doigts de son autre main descendirent plus profond, pour plonger enfin sous le bonnet de dentelle qui contenait l’objet de sa convoitise. Quatorze phalanges boudinées se refermèrent sur le lobe diaphane de mon sein ; le pouce et l’index pinçant violemment le mamelon. Ce salopard avait réussi à me PELOTER !


J’écarquillai les yeux en poussant un cri de terreur et je me relevai d’un bond, le repoussant du coude. Alain recula d’un pas. Je devais être terrifiante, tremblante de la tête aux pieds, les yeux injectés de haine et les cheveux en bataille. Dans le mouvement, les deux boutons du haut de mon chemisier avaient été arrachés, dévoilant tout mon thorax. Mon sein, entraîné par la main d’Alain, avait jailli de son cocon pour pendre ostensiblement hors du soutien-gorge, légèrement de travers.


Pendant une seconde, nous restâmes tous les deux immobiles face à face. Rouge de honte, il semblait sur le point d’éclater. Il devait sévèrement regretter son insolence. Comment avait-il pu trouver le courage pour faire ça ? Je lui aurais presque pardonné tellement il paraissait pitoyable, mais je devins folle de rage quand je vis son regard braqué sur mon sein nu. Il bavait presque. Je le giflais aussi fort que possible et sa tête fit un quart de tour.


« Dis-moi, Monsieur le Chef du Personnel, une comparution aux Prud’hommes pour harcèlement, ça fait pas un peu TACHE, sur un CV ? »


Il gardait la tête basse, et il se mit à pleurnicher. Il était visiblement terrorisé. Il bredouilla quelque chose d’à peine audible :


« Je… je suis désolé. S’il te plaît, ne le dis à personne. Je suis tellement désolé. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Par pitié, n’en parle pas à ma femme. Je ferai tout ce que tu voudras.



Exactement ce dont j’avais besoin ! Une couille molle ! L’idée d’avoir le gros Alain comme esclave sexuel m’aurait presque fait hurler de rire si je n’avais pas été dans une colère noire. Je décidai de tirer profit de la situation :


« D’accord sur ce dernier point : tu n’auras pas le droit de me toucher. Maintenant, je vais te donner l’ordre de me laisser prendre mon après-midi. Si tu es obéissant, alors je ne dirai rien. C’est compris ?



J’attrapai à la volée ma veste et mon sac et je sortis en claquant la porte.


J’aurais dû en profiter pour lui arracher les couilles. D’abord un bon coup de genou bien senti, pour anesthésier, puis une séance S.M. comme il aurait aimé, avec lames de rasoir à la clef. Comment saigner un gros goret ! Et hop, un de moins !


Je retrouvai ma voiture au parking et je démarrai en trombe. Dans ces cas-là, il n’y a que trois solutions : A- Tuer quelqu’un. B- Manger du chocolat. C- Acheter des fringues. C’est uniquement le fait que mon chemisier ne tenait plus que par une épingle à nourrice qui me fit choisir la moins destructrice des trois.


Je me garai à proximité d’une galerie marchande et commençai à arpenter les vitrines. Rien que de regarder, ça allait déjà beaucoup moins mal. Je rentrai d’abord dans un magasin que je connais bien et, après cinq essayages infructueux, je me rabattis sur un chemisier sans saveur que je n’aurais jamais porté en temps normal et dont je regrettai donc l’achat dans les minutes qui suivirent mon passage à la caisse. Ceci accompli, je pouvais encore faire un petit tour pour voir s’il n’y avait rien de neuf dans les autres boutiques.


Je flânai donc un instant dans la galerie, puis je remarquai une ravissant nuisette extrêmement sexy dans un magasin de lingerie. La fine étoffe s’arrêtait très haut sur les cuisses du mannequin de cire et un entrelacs de dentelle soulignait le pourtour de ses seins en en dévoilant les trois quarts. Debout devant la vitrine, je me demandais si je pourrais réellement porter ça en conservant un semblant de dignité et surtout, pour qui, lorsqu’un homme d’une cinquantaine d’années m’adressa la parole :


« Elle vous plaît ?



J’étais sur le cul ! Je voulais le taper. Je voulais hurler que NON ! Non, tu vas pas me voir à poil ! Non, je vais pas me branler sous tes yeux ! Non, je ne me mettrais pas de doigts ! Plutôt crever ! Vous pûtes ? NON ! MOI PAS PUTE ! Va chasser sur les berges du Canal et LAISSE-MOI VIVRE !


Mais au lieu de ça, je restai muette, la bouche ouverte et les bras ballants. J’avais tant de haine à extérioriser que les mots parurent soudain dérisoires. Rien n’aurait pu exprimer le dégoût que je ressentais. J’avais envie de pleurer d’impuissance, comme acculée dans une impasse. S’il avait plu, j’aurais pu pleurer parce qu’il pleuvait. Je crois que c’est là que j’ai réellement pété les plombs. Je me suis subitement retrouvée déconnectée de ce que les braves gens appellent communément la Réalité. Je n’arrivais plus à savoir si les décors autour de moi étaient vrais ou bien fruits de mon imagination. Avais-je simplement inventé cet odieux personnage ou était-il vraiment là, palpable et prêt à me palper. Je perdis la notion des distances. Le hall de la galerie me parut soudain immense. Le bonhomme grandissait aussi. Je me suis retournée lentement, comme au ralenti, puis j’ai pris mes jambes à mon cou et j’ai couru en hurlant jusqu’à ma voiture. Le sol se dérobait sous mes pas. J’ai sauté sur le siège et je suis sortie en faisant crisser mes pneus sur la chaussée laquée du parking souterrain, conduisant par pur automatisme. En bondissant hors d’une petite rue, je ne vis pas la vieille 305 grise qui arrivait de ma droite et je ne me souviens plus de rien, si ce n’est du choc incroyable de la ceinture sur ma cage thoracique, qui me coupa le souffle, et de la masse blanche de l’airbag s’écrasant contre mon visage.


Quand je repris conscience, quelques minutes plus tard, plusieurs passants s’étaient agglutinés autour de l’accident et la police était déjà là. Malgré le choc, j’avais l’impression d’aller un peu mieux. Deux policiers m’aidèrent à sortir de la voiture alors que deux autres étaient en train de s’engueuler avec la conductrice de l’autre véhicule. Acharnement du destin, c’était une grande punk avec une grande gueule. Elle portait des Docs coquées et un jean moulant déchiré, maintenu par une ceinture de cuir noir hérissée de clous. Son torse n’était couvert que par un débardeur blanc aux emmanchures largement échancrées qui laissait apparaître sous chaque aisselle une touffe de poils soyeux n’ayant jamais été épilés. Ses bras étaient musclés et barrés de divers tatouages. On voyait qu’elle était nue sous son T-shirt. Sa poitrine était presque inexistante et elle ne devait pas avoir souvent porté de soutien-gorge. Ses cheveux noir corbeau, coupés très courts et maintenus en brosse par du gel, surmontaient un visage triangulaire qui lui donnait un air de grand félin. Un petit piercing dans le sourcil droit faisait ressortir ses yeux de jais où brûlait une ardeur que je ne pouvais identifier que comme une seule chose : la haine du képi !


Elle ne mâchait pas ses mots. Les deux flics en prenaient pour leur grade. Quand elle vit que j’étais debout, elle pointa son regard vers moi en continuant à les insulter :


« Eh ben on n’a qu’à aller lui demander, bande de nazes. Elle est réveillée. »


Elle s’approcha de moi et me demanda :


« Ça va ?



Je jugeai préférable d’intervenir :


« Laissez, Monsieur l’Agent. Je vais bien et c’est entièrement ma faute. J’aurais dû faire attention.



Des passants nous aidèrent à pousser les voitures hors de la chaussée et les flics rentrèrent au poulailler. Puis Léa s’approcha de moi pour régler le problème du constat. Elle me fit remarquer que je saignais du nez. En effet trois taches rouge vif ornaient déjà mon chemisier tout neuf. Je portai ma main à mon nez et vis qu’elle était couverte de sang. Je fouillai dans mon sac à la recherche d’un mouchoir en papier en essayant de ne pas en mettre partout, mais Léa, qui semblait s’être calmée depuis le départ des flics, proposa de nous simplifier la vie :


« T’as qu’à monter chez moi. J’habite juste ici. On sera plus tranquilles pour faire les papiers et pis tu pourras utiliser la salle de bain. »


Elle me faisait un peu peur, mais je ne pouvais pas refuser. Outre son aspect et ses manières agressives, c’était le clivage social qui me mettait mal à l’aise. Clairement, on n’avait pas eu la même enfance. Elle en portait les marques sur son visage alors que le mien, privilégié, ne portait que les marques du temps. C’était comme entre nous un gouffre vertigineux, et je m’apprêtais à faire un grand pas en avant en m’invitant dans son monde. J’acceptai et je la suivis jusqu’à l’immeuble voisin.


L’appartement n’était pas très grand et encombré d’un chaos inimaginable. Tout portait à croire que Léa n’était pas trop branchée ménage : les cendriers débordants, les volets fermés, la vaisselle figée dans l’évier, les fringues douteuses et les bouteilles vides éparpillées dans toutes les pièces. Un clic-clac déplié au milieu du salon était l’unique vrai lit de l’habitation, mais plusieurs matelas pouilleux étaient entassés dans un coin.


Elle m’indiqua la salle de bain qui, comme le reste, était crasseuse, mais où il y avait un lavabo et un miroir. Ça me suffisait. Je me rinçai le visage à l’eau froide, puis j’enlevai mon chemisier pour frotter les taches de sang sous le filet d’eau. Léa entra sans frapper pour me demander si je voulais une bière. Je croisai son regard dans le miroir et je me vis aussi telle qu’elle me voyait : échevelée, craintive, à deux doigts de craquer, vulnérable à souhait et à moitié nue. Le silence se fit et le temps s’étira. Elle s’approcha de moi, ou n’était-ce que son reflet ? Je ne voulais pas voir mon visage alors je me retournai pour lui faire face. Elle était déjà là. Elle posa ses mains sur mes hanches. Les miennes disparurent sous son T-shirt. Les yeux dans les yeux, nous approchâmes nos deux visages l’un vers l’autre. Elle m’enlaça et prit tendrement ma bouche.


J’étais folle. Je n’avais jamais même pensé à embrasser une femme. Mais étais-je vraiment sûre que Léa était une femme ? Et pis merde, elle ne s’encombrait pas de principes, elle. Elle avait envie de moi ; elle me prenait. Pas de chichis. Elle ne se laissait pas emmerder par les mecs. Elle assumait sa vie beaucoup mieux que moi. Elle mesurait une tête de plus que moi. Elle avait dix ans de moins que moi, mais elle était dix fois plus adulte que moi. Je me sentais frêle, légère et stupide entre ses bras. En sécurité, aussi. Elle ne me ferait rien de mal, je le savais. Et j’avais besoin d’elle. Je lui offris ma langue.


Elle enleva son T-shirt, puis se plaqua derechef contre moi en me caressant le dos. D’un claquement de doigts, elle fit sauter l’agrafe de mon soutien-gorge. Elle tira ensuite la boucle de ma jupe sans cesser de dévorer ma bouche. L’encombrant vêtement s’affaissa sur le sol et Léa entreprit de me débarrasser de mon collant.


Une fois que je fus nue devant elle, Léa me souleva comme si j’étais une poupée de paille et m’emmena au salon. Quel métier faisait-elle ? Soudeuse à l’arc ? Déménageuse ? Elle me déposa délicatement sur le canapé-lit sans aucun effort. Je restai allongée, nue, à la regarder pendant qu’elle enlevait son pantalon dans la pénombre. Elle vint coucher son long corps contre le mien. Sa bouche retrouva mes lèvres et ses mains explorèrent de nouveau ma peau. J’étais bouillante.


Je rejetai ma tête en arrière pour mieux offrir ma gorge à ses crocs puis je pris son visage dans mes mains et l’attirai vers ma poitrine. Les cheveux de sa nuque étaient rêches sous mes doigts. Elle prit chacun de mes seins dans une main et entreprit de les pétrir avec la plus grande douceur, suçotant alternativement les deux pointes gorgées de désir, m’arrachant des petits cris d’excitation. De mon côté, je palpais les muscles de son dos avec un délice inouï. Je passai ses reins et posai ma main sur ses fesses. Son bassin fut parcouru d’un petit frisson qui se propagea entre nos deux corps jusque dans mes ovaires. Je commençai à lui malaxer doucement les fessiers, en égarant parfois mes ongles dans le sillon qui scindait son superbe cul en deux.


Elle haletait près de mon oreille. Une de ses mains s’enfonça entre nos deux ventres et se posa sur la touffe brune de mon entrecuisse. Elle attendit ma réaction. Je la serrai contre moi. J’écartai encore plus les cuisses et je me mis à lui lécher l’oreille. Son majeur se posa sur mes grandes lèvres puis remonta lentement vers le haut de ma vulve, s’humectant au passage d’aromatiques secrétions. Je me cambrai pour encore mieux m’offrir. Son doigt trouva mon bourgeon se mit à le faire rouler tendrement au travers de son capuchon. Elle entreprit de me masturber adroitement, anticipant mes réactions, créant la surprise, suscitant sans cesse plus de désir. Je laissai mon bassin se balancer au rythme du plaisir qu’elle m’imposait. Si j’avais voulu me débattre, elle aurait pu me plaquer sur le lit d’un seul bras, par sa seule force brutale. À aucun moment elle n’y eut recours car elle me contrôla jusqu’au bout comme une marionnettiste, manipulant mon corps entier du bout des doigts.


Elle en avait justement glissé un dans mon trou. J’avais poussé un cri libérateur en l’accueillant et son tentacule s’enfonçait maintenant plus avant dans mon siphon. Son pouce se posa sur mon clitoris et son majeur vint appuyer sur la face antérieure de mon vagin, prenant ainsi mon bouton en tenaille. Je n’avais jamais été aussi bien branlée. Je l’encourageai à plus de rudesse et elle ne se fit pas prier. Elle me remplissait avec une rare passion, ressortant parfois ses doigts pour me laisser les réclamer à haute voix, puis les replongeant plus profond à chaque fois. De temps en temps, elle me caressait toute la tranchée, du clitoris jusqu’à l’anus. Je croisai ses yeux et je crus m’y noyer. Son doigt s’attarda un peu entre mes fesses, massant ma petite rosette comme pour en éprouver la souplesse.


Je repensai aux rares fois où je m’étais faite enculer. Pas franchement des bons souvenirs. Une fois, seulement, j’avais eu l’impression que ça pouvait devenir agréable. Me remémorant cet épisode, je passai mes mains sous mes genoux et ramenai ceux-ci vers ma poitrine, ce qui décolla légèrement mon bassin du matelas. L’invitation était sans équivoque ; si Léa voulait me trouducuter, il n’y avait pas de meilleure position. À elle de choisir. Sans interrompre le délicat attouchement, elle me regarda en souriant, l’air tout de même un peu surprise. Elle appuya un peu plus fort pour s’assurer qu’elle ne se trompait pas. Je lui fis « oui » de la tête. Elle orienta alors son majeur pour le mettre dans l’axe de mon rectum, puis l’enfonça lentement sans cesser de me regarder dans les yeux ni de sourire.


La sensation n’était pas des plus confortables, mais c’était l’obscénité de la situation qui m’excitait à la folie, alors je « poussai » pour faciliter la pénétration. Lorsque sa dernière phalange eut passé mon sphincter, elle s’immobilisa un instant puis entreprit de me faire relâcher mon anus en l’étirant par petits mouvements concentriques. J’eus bientôt l’impression qu’elle était plantée en moi au point de pouvoir me gratter les boyaux. Je m’ouvrais au maximum. Son doigt put enfin coulisser librement.


Elle commença alors un lent va-et-vient qui devait me faire perdre la tête. À chaque fois qu’elle s’enfonçait entre mes fesses écartelées, je poussais un petit grognement de plaisir. Elle me possédait totalement. J’étais fière qu’elle s’excitât ainsi sur mon petit corps. Je m’écartai les fesses des deux mains. La lubricité qui nous unissait, sublimée par la transgression du grand tabou, était comme un tourbillon démentiel qui m’aspirait toujours plus loin dans un délire de perversions féminines. Je voulais qu’elle m’entraîne. Je voulais sombrer dans sa débauche pour la partager entièrement avec elle. Je me mis à murmurer, puis à gémir, puis à crier tellement une radiation de bonheur pur, issue de mon anus, embrasait à présent tout mon ventre du sexe à la poitrine. Léa prit un de mes tétons entre ses dents et le mordit cruellement en me possédant par le cul de toute sa puissance. La douleur dans mon sein me fit relâcher d’un coup toutes mes défenses et je quittai terre. Pendant plusieurs secondes, mon corps ne fut plus qu’une formidable vibration immatérielle débarrassée de toutes ses contingences terrestres. Sous la pression de ma merveilleuse amante, je flottais sans effort aux sommets extatiques de la jouissance anale. J’avais l’impression d’être extrêmement légère, suspendue au-dessus du vide, retenue uniquement par une mâchoire sur mon sein meurtri et un doigt étranger touillant les fluides de mon rectum jusqu’à transformer toutes mes entrailles en pulpe de pur plaisir. J’étais devenue un être de lumière. Je crois que je hurlais.


Et puis soudain, plus rien. Le noir. Une perte de conscience d’environ trente secondes. Quand je rouvris les yeux, mon cœur battait vite et j’étais trempée de sueur. Léa aussi avait chaud. Je posai mes mains sur ses joues et l’embrassai avec une passion sincère. Elle m’avait donné le plus bel orgasme de ma vie. Je ne voulais plus la quitter. Tant pis pour le social, les relations, le travail. J’avais vu la Lumière. Plus je regardais Léa, plus je sentais que je tombais amoureuse. Plus qu’un amour, c’était une vénération, une sorte de foi païenne et primitive pour cette homérique amazone, divinité androgyne et ambiguë de l’Amour et de la Guerre. Je me serrais contre le corps de ma déesse. Elle était heureuse aussi, mais la tension qui l’agitait encore me rappela que je lui devais quelque chose. Je la fis alors rouler sur le lit pour me placer au-dessus d’elle. J’attrapai ses poignets et je les plaquai sur le matelas, de part et d’autre de l’oreiller. Elle se laissa faire en souriant.


Je déposai d’abord un doux baiser sur sa bouche, puis sur chacun de ses seins. Après quelques légers effleurements, je laissai lentement glisser ma langue sur toute la peau de sa poitrine. Les petits tétons étaient étonnamment sensibles et se dressèrent dès le premier contact. Je les pourléchai en me régalant autant du goût salé de sa peau que des attendrissants soupirs qu’elle laissait échapper. Je frottais ma joue contre ses abdominaux fermes. J’éprouvais la douceur de la peau de son ventre avec la frange de mes lèvres. Quand ma bouche se posa sous son nombril, je laissai mon menton s’enfoncer dans la motte de poils drus qui poussaient au confluent de ses cuisses. Lentement, je m’en confectionnai une barbe de mollah, accolant enfin ma bouche au petit monticule odorant. C’était de l’idolâtrie et j’étais prête à tous les sacrifices. Elle écarta ses cuisses en grand, révélant l’autel où déposer mon offrande. N’étant pas complètement gourde, j’avais une idée assez nette du programme de la cérémonie, mais mon inexpérience ne me permettait pas d’anticiper les nuances du protocole. Je ne pouvais m’en remettre qu’à mon instinct pour ne pas passer pour une novice maladroite. Du bout de ma langue, je démêlai ses poils du mieux que je pus et les plaquai de part et d’autre en une sorte de « raie au milieu » gominée de salive. Au centre brillait une perle rose, encore prisonnière des lèvres d’un petit mollusque palpitant. Je la gobai. Quand je la fis rouler sous ma langue, Léa poussa un petit cri de contentement. Je me mis alors à laper comme une jeune chienne. Parfois, je tendais ma langue jusqu’à ce qu’elle me fasse mal pour sonder sa source au plus profond, là où le goût était fort. J’avais du jus plein la figure mais je m’en foutais ; elle prenait son pied. Elle se contorsionnait sur le lit en gémissant. Son bassin ondulait follement pour s’écraser toujours plus fort contre ma bouche. De mes mains, je lui caressais le ventre et les cuisses. Parfois, n’en pouvant plus de lécher, j’écrasai mes lèvres sur le haut de son sexe et je secouais la tête de droite à gauche à toute vitesse pendant plusieurs minutes. Puis, ma langue enfin reposée, je me remettais à la fouiller avec application. Je relevai les yeux un instant et je croisai son regard. Elle n’avait pas cessé de m’observer pendant toute la caresse. Soudain, alors qu’elle braquait toujours ses yeux mi-clos dans les miens, ses mains se crispèrent sur mon crâne et elle se laissa aller à jouir. J’exultai.


Je la laissai reprendre son souffle quelques instants, puis je remontai me blottir contre elle. Je l’embrassai de nouveau à pleine bouche. Je voulais lui dire que je l’aimais, mais je me retins. Autant garder ça pour une prochaine rencontre. Faire durer le plaisir. Nous avions la vie devant nous et la grande aventure ne faisait que commencer. Elle alluma une cigarette et je posai ma tête sur ses cuisses. Elle me caressa tendrement les cheveux.


« Tu es extraordinaire, lui avouai-je.



Elle ne répondit pas.


Nous nous rhabillâmes en silence et je m’occupai de remplir le constat pour toutes les deux, m’accablant explicitement de tous les torts. Sur le pas de la porte, je l’embrassai encore une fois. Je ne savais pas comment présenter ça :


« Alors, hum… on se revoit quand ?



Il me sembla soudain que quelqu’un venait d’éteindre la lumière. Non, pas ELLE ! Elle ne pouvait pas avoir de « mec ». Elle était à moi. Elle était ma bouée, mon phare. Mais elle surenchérit, la garce, sans me laisser aucune chance :


« Écoutes ! Ce qui s’est passé entre nous, je ne le regrette pas. Et pis j’ai toujours aimé enculer les bourgeoises. Mais on est deux grandes fifilles, non ? Alors on sait très bien qu’on s’est bien amusées mais qu’on va pas se marier, hein ?



Elle n’ajouta pas de « casse-toi » ni de « dégage », mais elle me claqua la porte au nez ce qui revenait au même et j’eus l’impression de me fendre en deux. Soudain, je sus ce qu’était la mort. J’ai une révélation à vous faire : après la vie, il n’y a rien. C’est comme un profond sommeil sans rêve. Si on se réveillait, on ne saurait pas dire si on a dormi deux heures ou dix ans. Sauf qu’on ne se réveille jamais. La feuille d’automne n’a pas conscience de la beauté de sa chute. On n’est plus. On ne pense plus. Je sais de quoi je parle. La mort, si elle était venue à moi en cet instant, n’aurait pas été une libération, mais la simple confirmation d’un état de fait.


Je regagnai la rue comme zombifiée. Je traversai un boulevard sans même m’en rendre compte, ce qui obligea plusieurs automobilistes et un bus à piler brutalement. Des coups de klaxon et des injures fusèrent de tous les véhicules. Si j’avais trouvé un pont, je me serai noyée dans la Garonne, mais je tombai sur un bar et sombrai dans un fleuve de whisky.


C’était du feu liquide mais sa morsure me fit reprendre conscience de mon corps. Au bout du quatrième verre, mon voisin de comptoir, un vieux pochetron puant, me demanda s’il pouvait m’offrir quelque chose. Je lui répondis en lui crachant l’alcool à la face, ce qui me valut de me faire vider du bar par le patron et ses fidèles piliers.


Il me jetèrent sur le trottoir où je tombai à genoux. Je me relevai en titubant. Le sol tanguait et je les insultai. Il y avait un tel raffut dans ma tête que j’entendais à peine ma voix. Je leur criai qu’ils n’étaient qu’une bande de PORCS, que leurs femmes les faisaient tous COCUS avec d’autres GOUINES, que leurs mères SUÇAIENT LES COCHONS, que je CHIAIS dans le lait qu’ils avaient tété ! Ils menacèrent d’appeler la police, alors je m’éloignai en leur débitant une diarrhée verbale incompréhensible mélangeant sans subtilité insultes grossières et malédictions ancestrales.


Je ne savais pas où aller. Je ne savais plus très bien où j’étais. La vie me conchiait. Les hommes, les femmes, les animaux, même les plantes semblaient me défier par leur vivacité, moi qui n’étais plus que cendres. Je regardais chaque homme et chaque femme comme s’il ou elle allait essayer de me baiser, là, sur place. Je me trouvais même étonnée qu’aucun n’osât le faire. Je doutais de tout, à commencer par ma propre existence. J’avais froid. Je grelottais en plein soleil. Je me sentais maigre. On aurait dit que je fendais la foule telle un spectre. Les gens m’ignoraient, ne me voyaient pas, mais s’écartaient si je m’approchais d’eux. Dans mon sillage ne subsistait qu’un air glacial, chargé de tristesse et de désolation, que la foule évitait encore. Ma peau était grise. Il me sembla sentir le vent sur mes os. Je devenais un fantôme glacé, une sangsue immatérielle dominée uniquement par un insatiable appétit de carnation, un parasite cannibale, avide d’énergie organique, condamnée à pomper l’essence vitale de ses proies fuyantes pour apaiser sa douleur de ne pas être.


J’en repérai un bien vicelard. La quarantaine parvenue. Costume gris, tendu sur le devant. Un sourire de chacal. Alliance à l’annulaire, bien sûr. Il ne l’enlevait même plus pour aller aux putes. Il attendait devant une sanisette automatique, l’attaché-case à la main. La porte s’ouvrit, laissant sortir une vieille dame et l’homme disparut dans la machine. Je crois que je sus, un bref instant, que j’allais faire quelque chose que je regretterais, mais essayer de m’éloigner eût été comme tenter de me suicider en retenant ma respiration. Ma soif de substance était pire que l’odieuse agonie d’un junky en manque. Mon ombre se faisait plus claire. Je disparaissais.


Je me plantai devant la porte. Quand elle s’ouvrit enfin, je repoussai le type dans la cabine et refermai derrière moi. Un peu paniqué, il chercha à se dégager mais je pris ses deux mains et les posai sur mes seins. Je lui léchai la joue. Sa sueur avait le goût de la peur, mais il se détendit un peu. Il commença à me malaxer la poitrine. Je ne voulais pas qu’il m’embrasse, alors je me mis à genoux.


Mes jambes se posèrent dans une flaque de liquide froid que je refusai d’identifier. Les murs de la cabine vacillèrent. J’eus peur de m’évanouir. J’ouvris la braguette devant mes yeux et j’en sortis une queue flasque mais épaisse. Sans attendre, je fis rouler la peau vers l’arrière pour poser le gland décalotté sur ma langue luisante. Je réalisai que l’homme venait de pisser et que sa bite avait encore goût d’urine. L’odeur me fit tourner la tête. Je le pris lentement en bouche. Les murs tremblèrent à nouveau, puis les lignes de fuites de l’étroit cabinet se courbèrent lentement, mais inexorablement, en une focale délirante. Subitement, je vis l’homme comme dans un miroir tordu : les jambes et les pieds ridiculement petits, le tronc et la tête une seule grosse boule. La queue rose et brune, dont la base paraissait nettement plus étroite que la tête, sembla soudain mesurer plusieurs mètres. Je m’appliquais à la pomper et son volume dilata bientôt ma bouche. Puis, quand la perspective aberrante eut atteint les confins de l’inconcevable, l’entourage se dématérialisa brutalement.


J’eus la très nette impression de tomber. Je sentais ma tête cogner régulièrement contre une paroi de plastique creux. Une chose vivante et chaude allait et venait entre mes dents. Tout avait disparu et je flottais au cœur d’un néant aussi insignifiant qu’absolu, une grande nullité pré-cosmique mais étrangement familière car il me semblait avoir déjà vécu cette scène, sans savoir ni où ni quand. Seul mon sens du goût subsistait. Je crois que par atavisme je pressentis le Big-Bang et, dans cette infinie matrice vierge, me préparai pour l’origine du monde. Confiante, j’attendais passivement l’aube blanche qui chasserait la vieille nuit. La soupe originelle allait enfanter la première cellule et j’étais son témoin.


Je crus un instant que j’avais échoué, que j’étais devenue cette non-matière à qui le printemps des astres serait à jamais refusé. Mais soudain, alors que l’univers tout entier s’apprêtait à me répudier, une voix ténébreuse, venue de nulle part, articula entre deux grognements cette phrase si obscène que ma mémoire, marquée au fer rouge de la honte, en fume encore. C’était un alexandrin paillard, d’autant plus humiliant qu’il signifiait, outre ma renaissance au monde charnel de mes pairs, ma condamnation à n’être éternellement que l’objet futile de leurs abjects désirs :


« Accroche-toi, ma poulette ! c’est l’heure de la purée ! »