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n° 08201Fiche technique11421 caractères11421
Temps de lecture estimé : 8 mn
01/12/04
Résumé:  La vie est toute simple, mais l'amour fragile comme une étincelle...
Critères:  fh amour nonéro
Auteur : Lorraine  (34 ans, mariée, fidèle et qui aime surprendre son homme...)      

Concours : Concours "Le défi"
Le défi - L'étincelle


Trois ans déjà.

Trois ans que je promenais mon existence sans aucun point de repère.

Je vivais.

Sans plus.

Où passaient mes journées ?

Comment arrivais-je à dormir la nuit alors que 12 heures par jour je traînais, sourire aux lèvres, ma façade parfaite d’homme heureux, marié avec deux enfants.

Depuis 6 mois la solidarité sociale même ne fonctionnait plus.

Dans une société contradictoire où le travail reste malgré tout une valeur de référence, mais où de plus en plus se trouvent spoliés de ce signe d’appartenance, en clair, je n’étais plus personne.


Ce dimanche-là, je m’étais réveillé tôt, habillé, rasé, j’étais sorti et en l’absence de but, je flânais dans le marché aux puces.

Peu à peu un rouage se mit à se décoincer : je regardais autour de moi. Il y avait là environ 250 « exposants ». Ils vendaient des babioles récupérées dieu sait où (et parfois, mieux valait ne pas trop se poser la question). Il était évident que la plupart ne vivaient que de ça, à la frange de l’illégalité et cela leur ramenait juste assez pour tenir jusqu’à la semaine suivante. Certains d’entre eux étaient devenus des copains et m’offraient même un café, parfois. Pour la première fois, je les voyais, eux dans leur ensemble, et moi, individuellement.

Comme tous les dimanches également, je passais devant un artisan : il vendait des miroirs sur lesquels il écrivait l’une ou l’autre maxime agrémentée d’un dessin un peu naïf. Le type même de l’objet inutile, mais qui se vendait, allez savoir pourquoi.

Ce jour-là, il avait placé en évidence un petit cadre tout simple dans lequel était écrit:

« Ce jour,

Fut-il un jour utile

Ou un jour futile ?»


J’eus un choc.

Je voyais ma tête me regardant, avec cette interpellation douce, presque gentille, aussi naïf que son illustration. Je me regardais, les yeux un peu vides. Je repensais à hier. Rien. Et à avant-hier. Re-rien. Et la semaine passée, et la semaine d’avant. Et je me rendis compte que même si je le voulais, je ne pourrais pas me payer ce petit miroir. Toutes mes possessions étaient dans ma tête et dans mon cœur.

Triste bilan.

Je me retournai et regardai mieux autour de moi.

Se posaient-ils la même question, tous ces gens ?

Cette femme qui attendait le chaland, vendant des tasses minuscules d’une autre époque ?

Ce couple, déchargeant un lot de vêtements de seconde main ?

D’un coup, j’avais envie de leur demander : et vous ?

Ma pudeur me retint. Je revins à l’appartement et me mis à préparer le café, le petit déjeuner. L’odeur et le bruit finirent par réveiller mon épouse et mes enfants. Je les regardai tous en souriant puis demandai à Elisabeth :



Oui, bien sûr. L’hôpital. Le sacro-saint hôpital. Ce temple de l’art de guérir. Ses malades-clients-patients, ses médecins-dieux dont Elisabeth était la vestale, comment avais-je pu oublier les horaires d’esclavagiste que l’hôpital imposait à son personnel ?

Elle mangea sans un mot et s’en fut, s’arrêtant juste un instant sur le palier pour me jeter un coup d’œil interrogateur.

Mes enfants finirent par se lever également. Bise distraite, petit-déjeuner ensommeillé, et direction le canapé pour la traditionnelle séance télé.

De bons petits, en somme.

Nouveau choc pour moi.

Pour eux aussi, que j’existe ou pas ne faisait pas fait la différence. Un léger vide tout au plus. Je n’en revenais pas d’être passé à côté de cet état pendant tant de temps.

Tandis que je rangeais la vaisselle, j’élaborais diverses théories à ce sujet, dont la plus raisonnable était sans doute la douceur du temps qui passe: rien, absolument rien, pendant ces trois ans, n’avait remis ma situation en question: mon emploi perdu, je n’avais pu, voire voulu, en retrouver un autre, alignant les prétextes, acceptant les excuses, bercé par la douceur de l’indemnité de licenciement d’abord, puis par le confort de l’allocation de remplacement de revenus, puis, ces 6 derniers mois, par le savoir-faire budgétaire de mon épouse et sa résignation de me voir à la maison jour après jour. Même côté besoins, je ne dérangeais personne: je ne buvais pas, ne fumais pas, ne voyageais pas, ne courais pas les filles. Un bon petit mari, en somme, dont on ne parle pas trop, qui ne la ramène pas, avec qui on fait l’amour une fois toutes les semaines avec tendresse et sans passion. Comment Elisabeth pouvait-elle supporter cette vie sans saveur ? Et qui étais-je, qu’étais-je devenu pour la lui imposer?


Il fallait que je réfléchisse.


Maintenant.

Pas dans deux jours, pas demain.

Maintenant.



Mes parents étaient pour eux une valeur sûre, mais l’était-elle assez pour qu’ils renoncent aux dessins animés dominicaux? Heureusement pour moi, il sembla que oui: une heure et un train plus tard, nous sonnions à porte de la maison de mon enfance.

Ma mère fut à la fois surprise et heureuse de nous voir arriver sans prévenir. Elle s’étonna bien qu’Elisabeth ne nous accompagne pas, mais l’hôpital et ses horaires étaient un sésame à ce genre de situation. Déjà les enfants couraient vers le jardin et leur grand-père…


Certes ce fut une agréable journée, mais je n’en profitai guère, occupé que j’étais à ruminer toutes mes sombres pensées sur l’extrême platitude de ma petite vie…



En moi s’insinuait un sentiment oppressant : Il fallait que cela change.


Les horaires d’Elisabeth et son hôpital de malheur, c’était bien beau, mais ce n’était pas ça la vie à laquelle j’aspirais.


Je pris une décision qui, me semblait-il, allait changer ma destinée.


De retour à la maison, je donnai le bain aux enfants, les fis manger et les couchai.


Une fois seul, je m’installai à mon bureau et allumai l’ordinateur. Non, après réflexion, je décidai de revenir aux bonnes vieilles méthodes et pris une feuille de papier et ma plus belle plume.


Quand Elisabeth rentra cette nuit, à pas d’heure, comme d’habitude, elle trouva la feuille portant son prénom, pliée en deux et scotchée sur la porte.

Elle l’ouvrit et lut cette simple phrase: «Je ne supporte plus cette vie, cette routine. Fais tes valises.»


Le doute et l’incompréhension la saisirent. Que signifiait cette mascarade?

Elle regarda sa montre: 5h du matin. Gênée et confuse, elle réalisa que ses priorités n’étaient plus sa famille, son mari qu’elle aimait pourtant de tout son être, mais bel et bien son hôpital, ses malades…

Chassant ces sentiments, elle sentait pointer en elle la colère envers l’incompréhension de son mari.

Mais il était tard, elle était fatiguée et ne voulait pas entamer une discussion sachant qu’elle serait incapable de garder son calme et son objectivité.

Ereintée, sentant monter les larmes, elle alla se coucher dans la chambre d’amis.


Elle dormit jusqu’à 9h ce lundi-là. Bien sûr, quand elle se réveilla, son mari avait emmené les enfants à l’école et lui devait traîner quelque part dans la maison, à moins qu’il ne soit allé à un quelconque rendez-vous, qui comme les autres, serait sans suite…


Faire ses valises… Il en avait de bonnes!!! Elle pensa à la petite chambre au dernier étage de l’hôpital. Elle était libre en ce moment. Si vraiment son mari ne voulait plus d’elle, elle pourrait y habiter quelque temps… Puis réalisant ce à quoi

elle pensait, elle se dit que c’était impossible!!!! Impossible d’abandonner ses enfants, impossible qu’ils en soient arrivés là. Il lui fallait une explication. Certes elle avait des torts mais lui???? Il fallait bien qu’elle travaille puisque Monsieur refusait

toutes les propositions sous prétexte qu’elles ne correspondaient pas à sa formation.


Elle alla se doucher, histoire de reprendre ses esprits. Une douche brûlante la détendrait tout au moins!!


Ses idées étaient confuses. Elle n’osait affronter son mari. Mais mince!! Après tout, on ne pouvait pas rayer d’une simple phrase toutes ces années vécues ensemble. Et les enfants, qu’allaient-ils devenir??


La douche n’eut pas l’effet escompté. Au contraire, elle appréhendait de plus en plus de voir son mari et l’explication qui allait suivre.

A la réflexion, ils auraient dû faire des efforts tous les deux. Elle, en ménageant ses horaires à l’hôpital et lui en acceptant le job le moins minable qu’on lui avait proposé…


Mais l’amour dans tout ça??? S’aimaient-ils vraiment encore comme au premier jour? Où était-elle la petite étincelle qui les faisaient vibrer à chaque instant, au moindre geste, au moindre mot? Qu’avaient-ils fait pour la faire vivre?


RIEN.


Le constat était accablant. Elle se mettait 2 minutes à la place de son mari. Ce nouveau dimanche de garde avait dû être la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase…


Et ces tristes constatations la poussaient petit à petit vers la chambre conjugale. Elle ouvrit les portes de l’armoire, prit une valise et y entassa quelques vêtements. Elle allait partir comme il le souhaitait. Elle aussi avait besoin d’y voir clair. La petite chambre serait bien suffisante pour quelques jours voire quelques semaines. Et pour les enfants, son mari pourrait toujours s’organiser avec ses parents…. comme d’habitude, finalement… elle était si souvent absente!!!


Elle appela un taxi. On lui dit qu’il serait devant chez elle dans dix minutes. Aussi fut-elle étonnée de le trouver déjà là en ouvrant sa porte. «Pour une fois qu’ils sont à l’heure, je ne vais pas me plaindre» pensa-t-elle. Elle monta et le chauffeur démarra. Elisabeth était plongée dans ses pensées. Au bout d’un moment, elle constata que le chauffeur n’allait pas vers l’hôpital. Sortant de sa torpeur elle réalisa qu’elle ne lui

avait pas donné d’adresse!

Elle n’eut pas le temps de demander quoi que ce soit, l’homme s’était arrêté et descendait lui ouvrir la porte.


Elisabeth, complètement hébétée, regarda autour d’elle: il devait y avoir une erreur. Que faisait-elle ici??

Elle n’eut pas le temps de se poser beaucoup de questions. Elle vit son mari en haut des marches de cet hôtel 5 étoiles. Il avait un grand sourire aux lèvres et l’accueillit avec beaucoup de tendresse.

Ils montèrent dans la suite qu’il avait réservée à leur intention. Elisabeth se croyait dans un rêve. Alors il ne la quittait pas?? Il l’aimait encore??


L’air amusé, son mari la prit dans ses bras et lui fit la plus belle déclaration d’amour qu’elle ait jamais eue! Il lui expliqua que ce dimanche chez ses parents avait été comme un déclencheur, un détonateur. Il ne voulait pas gâcher leur vie. Il allait se secouer, trouver du boulot, rappeler ce gars qui avait tant insisté pour l’engager et qu’après tout ça ne l’empêcherait pas de chercher mieux ailleurs. Mais ça permettrait à Elisabeth de souffler, de ne plus accepter n’importe quelle garde et, pourquoi pas, de travailler à mi-temps. Ils auraient ainsi plus de temps pour leur famille, leur vie sociale. N’était-ce pas plus important que leur carrière?!


Elisabeth était subjuguée par son homme!!! Cet homme qu’elle aimait plus que tout au monde, cet homme qu’elle avait choisi et qui tant d’années après savait encore l’étonner et la surprendre. Cet homme qui savait faire vivre cette petite étincelle si fragile.


Ils s’aimèrent tendrement, comme au premier jour, ils redécouvrirent chaque parcelle de leurs corps, chacun de leurs désirs les plus fous.


Ils avaient frôlé la catastrophe, ils en étaient conscients. Mais la petite étincelle était bel et bien au fond de leur cœur. Il suffisait de savoir la faire vivre…