Lorsque j’ai eu la grande chance de rencontrer Eva, c’était à la veille de mes vacances.
Il me fallait alors remettre un ultime portrait de femme pouvant connaître le plaisir dans des situations exceptionnelles, incongrues ou anormales et qu’elles acceptent de vouloir non seulement se confier à moi, mais que leurs confessions intimes soient publiées dans un grand quotidien, largement diffusé aux lecteurs.
Semaines après semaines, tel un chasseur, j’étais resté à l’affût des signes discrets et généralement imperceptibles qui pouvaient venir troubler le comportement habituel d’une femme, dans sa vie quotidienne ou dans sa vie professionnelle. Je passais alors le plus clair de mon temps à les épier, les observer, disséquer leurs attitudes, leurs gestes, leurs comportements. Cela en était arrivé à un tel point que cette attitude pour le moins étrange, était devenue obsessionnelle et, paradoxalement, avait créé une sorte de vide féminin autours de moi. En effet, amies et copines me fuyaient alors comme la peste, craignant de retrouver, étalées dans une page du journal qui m’employait alors, leurs petites turpitudes solitaires.
C’est vrai que cette série de portraits avait fait grimper en flèche la vente du journal qui en avait osé la publication. Certaines bonnes âmes s’étaient particulièrement indignées que l’on ose publier de telles confidences, alors que d’autres, au contraire, trouvaient ces articles croustillants et excitants à souhait. Mais beaucoup de courriers des lecteurs (et lectrices) révélaient aussi l’importance que ces divulgations pouvaient avoir sur la vie de certains couples ou sur leur vie de femme. Ainsi, au fil du temps, en l’espace de quelques mois, était-il devenu presque normal, qu’une femme puisse "enfin" éprouver un plaisir solitaire, y compris sur son lieu de travail ou durant ses occupations quotidiennes et surtout, le reconnaisse "publiquement".
Mais aborder ce sujet avec une femme, restait cependant toujours difficile et délicat et il me fallait user d’une grande diplomatie et d’une grande persuasion pour arriver à leur arracher leurs petits secrets intimes. Il me fallait aussi de plus en plus de perspicacité pour trouver des "sujets".
C’est ainsi, que par un bel après-midi de juin, je me suis retrouvé dans le bureau encombré d’Eva, sexologue de son état, car je voulais obtenir quelques informations pointues et scientifiques sur le plaisir solitaire des femmes. Or, qui en dehors d’une sexologue pourrait me les communiquer? Voilà pourquoi je voulais la rencontrer. Pour moi, pour mon travail et pour vous, ami(e)s lecteurs et lectrices.
Eva est une femme mûre, au regard trouble et troublant tantôt vert de gris, tantôt gris clair. Sa figure, pâle, aux pommettes saillantes, les lèvres très ourlées mais toujours méticuleusement entretenues par des couleurs sombres qui sont en accord avec le feu cuivré foncé de ses cheveux qui auréolent sa tête. Sa longue silhouette, aux courbes majestueuses, est toujours soulignée par une longue robe noire d’intérieur, sorte de djellaba unie, illuminée par une rose ou un camélia rouge (selon la saison et l’arrivage de son fleuriste).
Elle me reçoit, non dans un bureau, mais dans son boudoir, selon sa propre désignation des lieux où, ajoute-t-elle non sans malice, elle vient là méditer le cas de ses patients.
Après quelques longues minutes passées à converser de tout et de rien, de nos relations communes et des difficultés de la vie, bref une conversation mondaine, j’aborde le sujet qui nous réunit : le sexe et le plaisir solitaire féminin.
- — Certaines de vos patientes, vous confient-elles leurs expériences solitaires ?
- — Certaines …
- — Ces récits, vous émeuvent-ils ?
- — Immédiatement, non. Après, quelques fois, mais quelques fois seulement …
Constatant mon silence, qu’elle interprète comme une réelle envie d’en savoir plus, elle continue de sa voix chaude et un peu grave.
- — Lorsqu’une femme se donne du plaisir, que fait-elle et à quoi pense-t-elle ? Elle fait toujours ou presque toujours les mêmes gestes, adopte les mêmes attitudes, poursuit les mêmes pensées … et cela peut … à la longue … devenir … névrotique et c’est comme ça qu’elle va droit dans l’insatisfaction sexuelle et physique.
- — Voilà une analyse que je n’avais et que je n’aurais pas osé …
- — Mais, mon cher ami, il faut oser ! dit-elle en riant.
Et sans attendre, elle continue.
- — Prenez n’importe quelles femmes … et parlons, par exemple, de … leurs poitrines, leurs seins, leurs nibards, leurs roberts, leurs nénés, leurs miches …. Celles qui n’en n’ont pas, en voudraient. Et celles qui en ont, en voudraient moins. Certaines se les font gonfler au point de ressembler à des bouées de sauvetage. Malheureusement, il faut se rendre à l’évidence, le plaisir n’augmente pas proportionnellement avec l’augmentation de la volumétrie mammaire … C’est presque l’inverse qui se passe … Si, si, demandez à celles qui se sont fait faire des implants … D’abord durant des semaines et des mois, elles ne peuvent plus supporter la main de l’homme ou sa bouche … après elles ont peur …
- — Peur ?
- — Oui, peur … que les implants crèvent sous une brusque caresse, que les muscles ne tiennent pas, et que sais-je encore …
- — Pourtant elles sont légion à subir ces traitements …
- — Bien sûr ! Mais c’est sous la pression des hommes …
- — Ah ! Je me disais bien …
- — Désolé de mettre à mal la virilité de vos fantasmes … mais tous les hommes recherchent dans la femme avec qui ils couchent ou avec qui ils veulent coucher, leur mère nourricière … dotée alors d’une ample et forte poitrine de femme allaitante …
- — …
- — Regardez comment vous vous comportez dans la rue, dans une réunion … vos regards se portent souvent vers les poitrines avantageuses … qui naturellement attirent vos regards et vous font fantasmer … alors, évidemment, si votre femme ou votre compagne est normale ou bien plate comme une limande … en suivant vos regards, une fois, dix fois, cent fois, elle a vite compris que si elle veut attirer votre attention, elle doit aussi passer par le gonflage des seins… au risque de vous perdre.
- — Mais vous généralisez un peu …
- — Certainement … mais c’est vrai à plus de 75% des cas. Ainsi, si pour vous, les hommes, la poitrine est un objet de fantasme, pour les femmes, elle est souvent un objet de cauchemars.
- — Oui, mais certaines femmes éprouvent du plaisir avec leurs seins …
- — Bien sûr ! Mais si peu… trop peu ! Beaucoup moins en tout cas que ne voudraient souvent le faire croire la littérature…
- — Est-ce à dire que la littérature n’exploite que des fantasmes … masculins ?
- — Pour beaucoup, oui. Ce sont les mecs qui achètent cette littérature et les auteurs exploitent le filon, caressent les lecteurs dans le sens du poil, si je peux m’exprimer ainsi …
- — Pourquoi si peu de femmes éprouvent-t-elles alors si peu de plaisir avec leurs seins ?
- — Outre le fait qu’elles n’en sont jamais satisfaites, c’est un endroit complexe.
- — Complexe ?
- — Le sein n’est pas une zone érogène à proprement parler … C’est juste une zone sensible, ultra sensible au toucher, au chaud, au froid ou au simple contact des vêtements et encore plus de la peau d’un partenaire. Le téton, ce bout brun - souvent une toute petite pointe - qui tente de prendre l’avantage sur le reste, ou au contraire qui est un bout cylindrique large que les hommes ne pensent qu’à hérisser et faire grossir sous leurs doigts en le vrillant, en le pinçant, en le suçotant … revenant ainsi en enfance, à leur toute petite enfance quand ils tétaient le sein maternel … Ce bout est presque insensible dans la réalité. Il est justement fait pour résister à la morsure de la bouche du bébé et lorsque le bébé grandit, cela devient tellement désagréable de se faire mordre le bout du sein, que le corps arrête naturellement de produire le lait nourricier …
- — Mais le reste du sein …
- — Mais le reste du sein est comme le reste du corps … il dispose d’une sensibilité naturelle, à fleur de peau. Seulement à fleur de peau ! Comme le dos, le ventre, les cuisses, les bras … Le sein ne renferme pas de terminaisons nerveuses spécifiques qui en font une zone érogène particulière …
- — Pourtant, lorsqu’une femme éprouve du plaisir, ses seins durcissent … se gonflent …
- — Hum … encore une jolie vue de l’esprit masculin … Ce sont des zones remplies de glandes lactifères, généralement vides. En période de repos, sans excitation, la peau qui les enveloppe est lâche. Les seins sont juste tenus par les muscles de la poitrine. Si vous excitez la peau, par des attouchements et que votre partenaire est en état de réceptivité, sa peau va subir une sorte de rétractation – c’est le phénomène de chair de poule ou de frissons - qui va, sur les seins entre autre, se tendre plus fortement qu’ailleurs. Là, à cet endroit, c’est plus visible que sur ses fesses ou sur son ventre… Sa peau se tend et a donc tendance à comprimer le sein qui réagit, se gonfle sous cet effet. Il prend du volume et les tétons, sous la poussée musculaire interne, vont pointer et se friper sous un effet de chair de poule, plus ou moins voyant en fonction de l’anatomie et de la réceptivité de votre partenaire …
- — Donc, si je vous comprends bien c’est un simple phénomène mécanique … dû à un simple phénomène tactile …
- — Oui. Le sein n’est pas à proprement parler une zone érogène. C’est une zone où la peau est plus sensible car le réseau de nerfs est à fleur de peau. À l’intérieur, le sein reste fonctionnel et il n’y a quasiment pas de place pour les nerfs. Voilà pourquoi une femme peut paraître sensible des seins.
- — Mais alors, toutes les images sur les femmes qui veulent qu’on caresse leur poitrine dans les préliminaires …
- — … sont à revoir ? Non ! Mais il faut aussi savoir qu’une femme a besoin de beaucoup plus de temps pour monter dans le plaisir qu’un homme et pour cela, elle ouvre toutes ses terminaisons nerveuses … et en premier, celles qui couvrent sa peau …
- — Pour vous résumer, il faut caresser, caresser et encore caresser la peau de sa partenaire …
- — … et vous pouvez ajouter … et encore caresser … Comme dit le proverbe, "cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage". Ainsi, plus vous caressez la peau de votre partenaire, toute la peau, et pas seulement ses seins, mais aussi son visage, son cou, ses bras, son ventre, ses flans, ses jambes … plus elle sera réceptive au plaisir.
- — Mais quand une femme se caresse, se donne un plaisir solitaire, souvent elle commence par masser sa poitrine ?
- — C’est vrai. Mais c’est à la fois un geste naturel et culturel. Naturel, parce qu’elle a besoin de commencer à rendre sa peau réceptive aux caresses ultérieures, plus intimes. Mais c’est aussi un geste culturel, parce qu’elle fantasme et rêve souvent qu’un homme fait les gestes qu’elle s’applique.
- — Au début de notre entretien, vous disiez que la répétition de ces gestes peut devenir … "névrotique" ?
- — C’est ce que j’ai malheureusement constaté chez bon nombre de mes patientes, pour ne parler que d’elles. Les femmes, moins que les hommes, n’ont pas beaucoup d’imagination en matière de fantasme. Les mecs, vous osez entrer dans des sex-shops, acheter de la littérature érotique ou pornographique, vous fréquentez des cinémas pornos… vous parlez aussi entre vous … Vous pouvez alimenter vos fantasmes. Vous pouvez aussi les voir en photos, en films, en vidéo … Mais vous avez déjà vu beaucoup de femmes, seules, entrer dans de tels lieux ? Les femmes, par culture, par éducation … de ce point de vue là … c’est le néant. À quelques rares exceptions, quand elles osent franchir le pas de l’homosexualité en toute dernière extrémité… et encore parce qu’un copain a su habilement les dégoûter des rapports hétérosexuels. Maintenant, avec la grande liberté d’opinion, la presse qui parle de tous ces sujets jusqu’alors tabous, on assiste à une plus grande ouverture d’esprit des femmes aux fantasmes… mais que de générations sacrifiées !
- — Ce sont ces générations qui sont "névrosées" ?
- — Oui… et encore bon nombre des jeunes femmes actuelles, qui n’osent pas … qui continuent à utiliser les fantasmes inculqués, culturellement, par la mère. Elles attendent "Le" prince charmant, qui leur fera découvrir "Le" grand Amour avec un grand "A" … et dès qu’il arrive … Patatras ! Il ne correspond pas ni de près ni de loin à l’idéal imaginé durant des heures et des heures durant lesquelles, elles se sont paluchées en douce, sous la couverture en rêvant à Lui. Sans compter celles qui, aux détours de conversations avec des copines plus dégourdies, moins inhibées, ou un article de journal, découvrent que ce qu’elles croyaient vivre comme le grand Amour, n’est en réalité qu’une mascarade de pacotille … et crac ! C’est la Crise ! Crise dans le couple. Crise identitaire. Censure ! Cassure ! Exclusion ! Divorce …
- — Ben, dites-moi, vous n’êtes pas franchement optimiste !
- — Y a pas de quoi se réjouir !
- — Pourtant, il me semble que les rapports entre hommes et femmes ne sont pas si mauvais que cela ?
- — Ah ! Vous trouvez ?
- — Les femmes semblent assumer de mieux en mieux leur féminité, leur sexualité ?
- — Détrompez-vous ! Moi, je les vois au quotidien. Elles viennent ici, me parlent de leurs fantasmes et de leurs problèmes relationnels dans le couple. Oh ! Bien sûr. Certaines acceptent de se plier à des caprices masculins… mais généralement elles ne sont pas les "légitimes". Celles-là, elles le font dans l’unique objectif de garder la main sur un mec qui pour l’instant, dans le moment présent, est là, bien là ! Un mec qui ne les a pas encore laissé tomber. Elles savent d’ailleurs souvent à quoi s’en tenir. Dès que les mecs sont ensembles et qu’ils abordent ces questions entre eux, se sont les premières à être traitées de "salopes", de "traînées". Les autres, les "légitimes", elles ont du mal à s’adapter aux fantasmes des mecs et oublient vite leur propres fantasmes, leurs envies de douceur, de câlins, de tendresse. Elles oublient vite, trop vite leurs envies "de se voir enlever par un super héros qui les fera jouir comme des folles, comme des chiennes en chaleur". Se sont aussi elles, les névrosées de la masturbation. Les frustrées. Elles sont doublement frustrées. D’abord elles n’osent pas avouer à leur mari qu’elles se caressent, car il faudrait aussi qu’elles expliquent à quoi elles pensent et pourquoi. Et ça, cela les dépasserait. Ensuite, elles restent frustrées parce qu’elles n’arrivent pas à sublimer leurs fantasmes. Et ça, cela les dépasserait encore plus.
- — Alors, à quoi rêvent-elles les femmes quand elles se caressent dans la triste solitude de leur vie quotidienne ?
- — Je ne veux pas généraliser… Chacune à ses propres fantasmes, alimentés plus ou moins par l’univers dans lequel elles vivent… Au bureau … ou comment se faire aimer d’un collègue, de son chef. La voiture … où la peur de tomber en panne et de se faire violenter est souvent plus présente que le plaisir de changer une roue ou attendre un hypothétique dépanneur aux doigts maculés de cambouis et qui pue l’essence et qui pourrait vous sauter à la va-vite… Le train fait partie aussi des peurs et des fantasmagories féminines … les magasins et les cabines d’essayages … et puis la terrasse de café ou le self de l’entreprise où l’on rencontre des collègues ou son patron …
- — Tout à l’heure, vous avez évoqué les seins, comme zone hypersensible. Et qu’en est-il de la masturbation proprement dite ?
- — Toutes les femmes aiment masturber leur clitoris. N’oubliez pas que ce clitoris est un pénis sous-développé. Chez l’embryon, les organes génitaux restent indifférenciés durant de longues semaines et ce n’est que vers deux mois qu’ils évoluent soit en fille soit en garçon. Alors, le clitoris reste un pénis. C’est un endroit sensible plus ou moins développé physiquement chez les femmes, en fonction de leur anatomie et donc plus ou moins sensible. Mais c’est le point de départ du plaisir, de la jouissance.
- — Et la masturbation interne ?
- — Elle reste essentielle et complémentaire. En fait si vous vous regardez bien, vous les garçons, vous constatez que la peau de vos bourses est fripée, fait de petits replis extérieurs… et bien, c’est la même configuration, rentrée dans le corps de la femme qui forme le vagin. Et si vous aimez qu’on vous les caresse, ces bourses durant les préliminaires, votre partenaire éprouve le même besoin, pour les mêmes raisons. C’est une zone ultrasensible, mais chez elle, humide et rentrée dans le ventre.
- — Dernière question que je souhaite aborder avec vous : le rapport anal durant le plaisir solitaire?
Eva, s’interrompt un instant. Elle me considère à travers ses yeux mi-clos.
- — Ah ! La sodomie … Vaste sujet !
Pour détendre un peu l’atmosphère, je l’interromps :
- — Vaste ! Vaste, quand même pas si vaste. Peut être … étroit ?
- — Oui… enfin … si vous voulez. C’est étrange. C’est aussi bien un fantasme qu’une pratique aussi ancienne que l’Homme. Cela a été durant de nombreux siècles, la seule méthode contraceptive, plus élégante que le refus, pour les femmes qui évitaient alors de se faire violer légalement. Certains hommes n’y voyaient alors que du feu. Dans les temps anciens, elle était largement répandue et tolérée. Mais lorsque l’église s’en est mêlée … Pff ! Finie. Terminée. Interdite. Forbidden. Verboten. Ainsi, devenue un interdit avec menaces d’enfer et d’excommunion, l’Homme n’a de cesse de transgresser l’interdit… surtout que c’est pour son plaisir, sans compter le nombre d’entre eux qui ont péri dans les flammes pour avoir pratiqué la sodomie sur un semblable et les femmes pour l’avoir subie.
- — Comment les femmes réagissent-elles aujourd’hui ? Pratiquent-elles de tels attouchements, de telles pénétrations lors de leurs plaisirs solitaires ?
- — Certaines, oui. D’autres, bien évidemment, non. Les premières le font soit par réel plaisir soit pour essayer de se prouver à elle-même qu’elles peuvent en éprouver. Dans ce cas c’est que généralement leurs partenaires les ont initié à cette pratique et que dans un premier temps cela a été un échec, pour elle. D’ailleurs bon nombre d’entre elles, complètent la sodomie par une masturbation clitoridienne. Mais bon nombre d’autres refusent cette pratique parce qu’on leur a dit, lorsqu’elles étaient petites, "c’est caca", "c’est interdit", "c’est contre nature" … bref, elles restent totalement inhibées.
- — À vous entendre, c’est une forme de plaisir à rechercher ?
- — Cela peut être en effet une forme de plaisir, à condition que ce ne soit ni l’effet d’une contrainte ni l’effet d’un palliatif …
- — C’est à dire ?
- — Que la femme qui est amenée à accepter ce type de rapport, ne le fasse pas uniquement pour retenir son partenaire, de peur qu’il n’aille sodomiser le premier fessier qui passe à sa portée. Il faut que cela reste une pratique complémentaire de l’acte d’amour et considéré comme tel. Et comme nous parlions des zones érogènes, l’anus en fait réellement partie, comme la muqueuse vaginale. Et avant de le visiter, il doit avoir autant d’égards que le clitoris ou le vagin, ou les grandes lèvres de la vulve…
- — Et pour les femmes qui se caressent, ont-elles aussi ces égards?
- — Peu en parlent, très peu les évoquent. On dirait qu’il y a une certaine honte ou une honte certaine à avouer ce type de rapport avec son anus. Les psychiatres parlent encore de "stade anal non dépassé". Moi, je préfère parler de la honte de ses orifices naturels … une honte qui est souvent visible chez les femmes au moment des règles, au point qu’inconsciemment et en dehors du travail physiologique interne à leur corps, elles deviennent pénibles en émettant un signal envers les hommes pour leur dire qu’elles ne seront pas disponibles pour la reproduction durant quelques jours et qu’on est prié de leur foutre la paix …
J’observais longuement mon interlocutrice avant de tenter de conclure :
- — Si je vous comprends bien, l’homme et la femme sont loin d’avoir atteint l’harmonie que l’on souhaite nous faire croire et nous vivons encore un peu aux temps préhistoriques ?
- — Complètement.
- — Alors, comment conclure sur le plaisir solitaire féminin ?
- — Si le plaisir solitaire féminin n’est pas un substitut à une situation de "mal baise" ou de "non baise", il peut être un bon complément à l’évolution de la connaissance de son corps, de son plaisir, de ses désirs. Surtout si l’on fait appel à des souvenirs plus qu’à des fantasmes. Quant aux situations que vous avez pu rencontrer, vous avez eu beaucoup de chance. Rares sont les femmes qui acceptent de s’extérioriser ainsi, d’exposer sous les feux de la presse, leur intimité. Mais peut-être qu’elles étaient un peu … exhibitionnistes, après tout, cela n’est pas seulement réservé aux hommes… En tout état de cause, la publication de vos portraits a permis à certaines d’entre elles de mieux assumer la solitude de leurs actes qui peuvent devenir normaux et les sortir de leurs frustrations par rapport aux hommes. Et pour une fois, c’est moi qui dis merci … à un homme ! Et la chose est suffisamment rare pour être souligné.
Eva, sur ces paroles encourageantes pour mon travail, se lève et me signifie que notre entretien est terminé. Rapidement, je prends congé de mon hôtesse et vais, dare-dare, coucher les mots sur le papier pour vous les livrer tout chauds… à votre réflexion, en attendant les prochains portraits de femmes dans leurs plaisirs solitaires.