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n° 08758Fiche technique70555 caractères70555
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Temps de lecture estimé : 49 mn
28/03/05
Résumé:  Deux désespérés, condamnés à s'ignorer mais dangereusement attirés l'un vers l'autre, se partagent les jours et les nuits d'une ville sordide jusqu'à ce que les destin les rassemble. De leur confrontation, un seul pourra sort
Critères:  #policier h fh hh fhh ffh grp hbi inconnu prost hépilé complexe bizarre magasin boitenuit voiture hsoumis hdomine humilié(e) contrainte lingerie chaussures travesti hmast rasage facial fellation anulingus double sandwich fsodo hsodo partouze
Auteur : Amanite & Arnage      
L'Ame Soeur


Je dresse la carte de ma terre promise. Je retrace dans son giron le chemin passionnant que j’avais si longtemps dû suivre, des premiers tâtonnements aux portes de son indifférence feinte, au coup de grâce qu’elle me suppliait de lui asséner. Excitée sous la caresse de la mine, sa fève se gorge de lymphe. Flatté à son tour, le clitoris fraîchement éclos s’exaspère. Lui faisant perdre son capuchon, je lui fais perdre la tête pour qu’elle s’écartèle et me hèle comme une pestiférée. N’y tenant plus, je m’apprête à souiller mon chef-d’œuvre d’une empreinte indélébile lorsqu’un doute me traverse l’esprit. En lieu et place du don magnifique qu’elle m’avait maintes fois concédé, je crois voir un iris en train d’éclore, à moins qu’il ne s’agisse-là que d’un papillon tout juste extrait de son cocon. Pour en avoir le cœur net, je mords la chose à pleine de dent. L’aride sécheresse de la feuille de papier me fait déchanter. Je ne contemple qu’une simple empreinte de graphite que, par simple convention intellectuelle, mon esprit considère comme vulviale. Panique, ce sexe n’existe pas. Je bande pour un leurre. Mon désir lui-même n’est qu’illusion. Existe-je seulement moi-même ? A bout, je balaye toutes mes feuilles d’un ample revers de la main.


Comme chaque soir, le fou furieux du dessus a fait vroum-vroum pour aller suivre la baballe sur écran géant. Cet imbécile heureux a cet avantage d’être à l’abri de l’angoisse qui m’habite. Sur la table débarrassée, il n’y a plus rien qu’une pauvre nappe râpée. Rien n’existe. Tout n’est que convention. Mes stylos à encre de Chine roulent à terre en marquant la moquette de sombres éclats. À mes pieds s’étalent mille et un dessins, planches inachevées et croquis raturés. Il y en a partout. À défaut de pouvoir un jour terminer ma BD érotique, je pourrais toujours tapisser les murs de ma piaule avec, mais à force de réinventer des femmes qui n’existent plus, j’ai fini par passer à côté de ma vie.


Dans la lumière tamisée de ma piaule barricadée, les ombres sournoises reflètent mes désirs illusoires. Tout cela n’existe pas. Assez pour aujourd’hui. Je n’ai plus qu’à rejoindre ma couche immensément vide de toute conquête et attendre que la faucheuse vienne me baiser à mort.





  • — -x--




Je suis une déracinée. Les étoiles noyées dans les brumes acides des cheminées d’usines ne sauront jamais guider mes pas, sous ce pesant ciel urbain qui cerne mon univers. Je n’ai aucun souvenir de promenades nocturnes au long du littoral, ni de bains de minuit. Ni palmiers, ni pins parasols. Avec les rayons orangés des réverbères en guise de lune rousse, les hurlements lointains des mobylettes remplaceront ce soir, une fois de plus, le chant oublié des cigales. Dans la moiteur de cette orageuse nuit d’été, qui fait coller mes draps à ma peau lactescente, seuls les néons intermittents de la pharmacie de garde évoqueront encore la valse confuse des vers luisants. Les gratte-ciel de la ville pieuvre et sa chape de gaz d’échappement forment depuis des années mon unique horizon.


Il est presque dix heures et j’ai dormi toute la journée. Je suis encore ensuquée dans les miasmes d’un rêve désagréable que je voudrais achever. Pourtant, je sais que l’appel de la rue aura bientôt raison de ma paresse. Lentement, je perçois la sève de la vie reprenant le dessus. En m’étirant à contrecœur, je l’autorise à irriguer un à un mes membres engourdis par quatorze heures de sommeil. Je me lève, fatiguée mais électrique. Je sens l’homme.


Nue, je déambule un instant dans le studio sans autre but que d’être nue. Je n’ai pas faim. Je n’ai jamais faim. Tandis que je me fais couler un bain bouillant, je me regarde dans le miroir qui s’embrume rapidement et je me trouve belle. Je prends quelques poses, pour rire. Je m’essaye aux sourires pervers, aux œillades langoureuses. Une sensation familière assaille bientôt mes terminaisons nerveuses. Mes mains glissent sur mes hanches de leur propre chef, remontent le long de mes flancs, s’attardent même un peu sur ma poitrine. Je renais. Je pince délicatement mes mamelons et ne peux réprimer un gémissement. La nuit sera chaude.


Lorsque le bain est prêt, je me glisse dans l’eau brûlante avec une lenteur calculée. La douleur atroce exacerbe aussitôt mes bas instincts. Le moment que je préfère, c’est quand mon bassin franchit la surface ; l’exquise meurtrissure de mon entrecuisse ébouillanté. Chaque soir, je râle d’excitation en m’infligeant cette mutilation rituelle. Alors que je serre les dents, les mains rivées aux accoudoirs de la baignoire, je m’oblige à savourer méthodiquement ce délectable supplice. Je complète parfois mon calvaire en m’immergeant toute entière dans le monde du feu liquide et des échos de la plomberie. Je garde la tête sous l’eau presque une minute. J’étouffe.


Quand je refais surface, la douleur s’est estompée et je me sens plus sale que jamais. J’attrape alors un gant de crin et je me frictionne de la tête aux pieds, pour enduire mon corps de lait parfumé jusqu’en ses moindres replis. Quelques poils disgracieux ont repoussé sur mes mollets. J’ai horreur de ça. J’aurais besoin d’une bonne épilation mais, pour ce soir, un coup de rasoir suffira. Bientôt, une lame d’acier bleuté crisse furtivement sur mes tibias savonnés, révélant peu à peu la peau divinement glabre. Par amour de cette sensation, je lui fais poursuivre son chemin jusqu’en haut de mes cuisses. Elle consolide, de ce fait, sa moisson de duvet léger. C’est du vice, mais je suis vicieuse. Alors que le tranchant ustensile virevolte dangereusement au creux de mon aine, un rictus haineux déforme soudain mon visage. Sans réfléchir, je rase mon pubis intégralement, à longs coups de rasoir sur mon bas-ventre tout entier.


Au sortir du bain, je suis plus nue que jamais. Me comparant à Vénus issue des flots, je regagne ma chambre en émergeant d’un nuage de vapeur et de parfums légers, les cheveux drapés dans la conque d’une serviette éponge. Ma svelte silhouette, maintenant parfaitement lisse, rutile dans le halo brumeux d’une nuée de particules réfringentes.


Il me reste encore à choisir les accessoires de la soirée. Une mini-jupe en skaï, qui couvre à peine mes fesses, me semble appropriée. J’y ajoute un porte-jarretelles et des bas noirs assortis. Ils ne dévoileront qu’une fine bande de peau tendue sous la frange de l’affriolant abat-jour. Un « must » en matière d’allumage, vous diront mes consœurs. D’autre part, un petit soutien-gorge rembourré compensera avantageusement une légère carence volumique. C’est de la triche mais, dans mon secteur d’activité, déontologie est un vain mot. J’opte également pour un chemiser semi-transparent en imprimé léopard, d’un goût douteux et pourtant diablement efficace.


Je n’ai pas vu le soleil depuis des mois et le teint de mon visage semble avoir perdu de son hâle naturel. Je force donc un peu sur le fond de teint et rehausse mes pommettes d’une ombre de fard léger aux reflets de pêche. Appliquée d’un preste mouvement du poignet, une larme de rimmel double instantanément la longueur de mes cils. Après qu’un trait précis, au bord de ma paupière, eut surligné mes grands yeux de faon, je complète le tableau par un rouge grenat sur mes lèvres en cœur ; deux cerises laquées triomphent au milieu d’un lit de sucre candi. Il ne me faut pas moins de vingt minutes pour me maquiller mais le résultat est à la hauteur des efforts concédés. Et puisque j’ai le choix, ce soir je serai rousse. Je me glisse dans mes escarpins, j’attrape mon sac et descends l’escalier en espérant ne croiser aucun voisin.


Dehors, les claquements de mes talons aiguilles résonnent dans l’élément nocturne comme un vibrant appel au viol. Mue par d’irrépressibles instincts, je m’enfonce à petits pas pressés dans les méandres des contre-allées désertes, attirée comme par le vide vers ces quartiers maudits où la misère se camoufle en néons. De vétustes, les façades aux fenêtres condamnées deviennent bientôt lugubres.


Je sais où je vais. Au bout du boulevard, je serai la dernière, avant que les clients ne fassent le tour pour un deuxième passage. Ce n’est pas la meilleure place mais je sais qu’ici les autres filles ne pourront pas me voir. Elles apprécient modérément la concurrence des amatrices. Une fois rendue sur le lieu sacrificiel, je m’installe ostensiblement sous un lampadaire inoccupé et allume une longue cigarette. L’envie tenaille déjà mon ventre. Je jette régulièrement de furtifs coups d’œil derrière moi. J’ai l’impression d’être observée.


La ronde des michetons commence à peine. Plusieurs véhicules ralentissent pourtant en me surprenant à la sortie du virage, mais rares sont encore les chalands qui osent engager la négociation. Les trois premiers curieux ne font d’ailleurs que me poser la traditionnelle question avant de poursuivre leur chasse, ce qui ne les empêche pas de me déshabiller du regard en remontant leur vitre. Le quatrième, enfin, accepte une fellation en solde. Je m’installe sur le siège passager et lui indique où se garer dans la pénombre.


Il a peut-être trente ans, mal rasé, une sale gueule que je distingue à peine. Il recule son siège et extirpe de sa braguette une grosse queue déjà raide. Docile, je m’humecte les lèvres avant de me pencher sous le volant. J’enroule mollement ma langue autour de son gland, pour le faire languir, mais il me pénètre aussitôt en appuyant fermement sur ma tête. Il entreprend alors de me bourrer la gorge à petits coups de reins nerveux. Je me laisse faire, les mains derrière le dos, assoiffée et délicieusement soumise. Ma passivité le comble. C’est pour ça qu’il me paye. Quand il me laissera me redresser, moins d’une minute plus tard, ma bouche sera complètement pleine de crème. J’ai l’habitude.


Je quitterai alors l’habitacle sans dire un mot et me déhancherai sensuellement pour rejoindre mon poste de guet. La langue encore pâteuse, je garderai son goût en bouche en anticipant les suivants. J’en sucerai plus d’une dizaine avant l’aube. Deux ou trois, probablement, souhaiteront me sodomiser à même le sol derrière un buisson, parmi les seringues rouillées et les vieux emballages de préservatifs. Je ne peux m’empêcher de sourire. J’attends…





  • — -x--




La Mort n’est pas venue. Le soleil pointant au travers des persiennes a fini par me tirer de mon rêve. Le plafond comme unique paysage, je recherche au fil des lézardes les petites fées de ma nuit. Le jour scélérat les a malheureusement chassées de mon champ de vision. Mon regard glisse à tout hasard sur les fleurs géantes de ma tapisserie, au cas où l’une de mes naïades se serait cachée nue dans cette jungle naïve. Peine perdue. Je jette un œil à l’horloge digitale. Les chiffres lumineux se gravent sur ma rétine sans que je puisse les rattacher à quoi que ce soit d’intelligible. Le temps m’échappe. J’entends au dehors les enragés du volant courir après leur bifteck. Leur quête n’est plus la mienne. Depuis mon licenciement sec, je n’ai plus l’envie de me lever ni même d’ouvrir mes volets. J’ai assez vu le mur de grisaille du dépôt d’en face. Je ne demande plus aujourd’hui qu’à trouver le sommeil. Hélas, le voisin du dessus a rallumé sa radio. Sur ses ondes sévissent vacances à crédit, voyages aux Bahamas, et bonheur à deux en trois fois sans frais. Je voudrais être sourd. Il y a longtemps que je n’emploie plus la seconde personne du pluriel, et de mes amours envolées, il ne me reste que ces relents de foutre rassis qui parfument ma chambre.


De guerre lasse, j’extrais une Gauloise brune de mon paquet bientôt vide et fais des ronds de fumée. Les bouffées volatiles se tortillent, esquissant au gré des arabesques et des doubles saltos des formes chimériques. Culs furibonds, cambrures baroques et exubérances mammaires se dessinent au-dessus de ma couche. Je revois dans ces volutes les déhanchements lubriques d’une putain étirant vers les nues sa femelle insolence. Les filets blancs de ses bras se prolongent en fils de marionnettiste. À ses pieds, les spirales de fumée se font queues monstrueuses. Leurs distorsions lactées déchirent l’air. Elles cour-jutent. Leurs serpentins blancs dessinent des constellations crémeuses avant que leurs derniers jets ne retombent en molle déliquescence. À mon tour, je répands mon baume d’albâtre sur mes draps poisseux. À peine réveillé, je suis vidé de ma seule réjouissance et je n’en peux déjà plus de vivre. Ma piaule est un cul-de-sac, ma vie, une impasse. J’ai envie de fuir ce cloaque, mais pour aller où ? Je daigne me lever pour me nettoyer un peu quand une douleur m’assaille à la cuisse gauche. Sur ma peau blême, de longues éraflures me sautent aux yeux. Dans quel bar glauque ai-je traîné mes guêtres pour me mettre dans cet état ? Je n’ai pourtant pas mis un orteil hors du lit depuis hier après-midi et ma dernière grosse cuite remonte à une dizaine de jours déjà.


Dans la salle de bain m’attend l’épreuve de la glace. Ma silhouette longiligne fait peur à voir, je suis maigre comme un clou et mes jambes ressemblent à des échasses. Pourtant, il me reste encore une certaine fraîcheur et une chevelure à peu près abondante. Etudiant, on me qualifiait de « romantique ». Cela faisait toujours fondre les filles, ce mélange de virilité et de fragilité, mais aujourd’hui, mes yeux cernés, fatigués, éteints, n’y croient plus. Et cette balafre à la cuisse ? Comment ? Qui ? Pourquoi ? Mon Dieu, mon crâne, j’ai une de ces migraines ! Je m’affale sur le rebord de la baignoire. De ma verge effondrée bave un mince filet blanchâtre. Je contemple mon dérisoire orgueil ruiné par son propre poids. La déchéance de mon corps me fait horreur. Mon cher Emmanuel Nadal, quel romantique vous faites ! me dis-je en moi-même. Je me prends la tête entre les bras et retiens un cri, puis, à cran, tous les muscles de ma bouche se relâchent en laissant échapper un hurlement hystérique.



Sans pouvoir me maîtriser, j’empoigne vigoureusement le séchoir à linge métallique et fracasse le miroir. Mon corps de grande perche et ma patte égratignée explosent en une multitude d’éclats cristallins. Tout cela n’existe plus. Cela n’a JAMAIS existé. Me voilà délivré d’une angoisse, je peux aller m’aérer les méninges. Manquant de me blesser la plante des pieds, j’entrouvre ma penderie, enfile en vitesse les premières frusques qui me tombent sous la main et accours au dehors.


La rue ne m’offre que le sentiment désolant d’un vieux quartier ouvrier. Le long du trottoir, les sinistres rideaux de fer abaissés succèdent aux grillages dégoulinant de rouilles, là où un J7 sans moteur attend que quelques désœuvrés viennent mettre fin à sa pitoyable agonie. Malgré tout, la lumière de ce début juillet se fait chatoyante entre les cimes des immeubles. Cela suffit à m’extraire de ma léthargie. Je me décide à aller prendre un café revigorant à la gare Saint-Jean. À la limite, je me sentirais plutôt bien si le souvenir de ma blessure ne me revenait pas avec tant d’insistance. Impossible d’en omettre l’existence. Mon jean me serre terriblement et le frottement de la toile sur ma cuisse réveille la douleur. Je ne comprends pas, tous les jeans de mecs taillent large. Celui-ci a exagérément rétréci au point de me mouler les fesses à la louche. J’ai vraiment l’impression de me dandiner comme une poufiasse ! Je jette un regard derrière moi pour m’assurer qu’aucun esprit tordu ne s’attarde sur les ondulations de mon postérieur.


Le soleil cogne au point de me faire éternuer. Saleté de rhume des foins ! Je cherche le mouchoir qui siège systématiquement dans la poche droite de tous mes pantalons. Nouvelle angoisse, la poche est vide. Je plonge ma main dans l’autre poche et en ressors un bout de papier froissé où est inscrit un numéro de mobile sans aucune autre précision. Je ne reconnais pas l’écriture qui ne peut en aucun cas m’appartenir. Qui a fourré ça dans mon froc, s’il s’agit bien du mien ?


Sans réfléchir, je me rue sur la première cabine téléphonique venue. Entre deux tremblements de terre causés par les croisements des poids lourds, j’entends péniblement une première sonnerie, puis une seconde. Enfin, quelqu’un décroche. J’occulte fermement la partie phonique du combiné pour qu’IL ou ELLE ne puisse pas m’identifier, mais l’inconnu(e), tout aussi malin, sinon parano, que moi, ne laisse choir aucun indice sonore. Le silence, interminable, me cisaille les nerfs. Alors, en changeant un peu ma voix, je me risque à susurrer.



Une voix masculine, très grave, me répond.






  • — -x--




La soirée d’hier s’est terminée en catastrophe et j’ai eu de la chance de m’en sortir aussi bien. La rafle a eu lieu vers quatre heures du matin. Ce qui m’a sauvée, c’est d’avoir remarqué les deux costauds dans la Safrane trop banalisée. On ne va pas là-bas à deux. Je me suis planquée tout de suite et quand les trois cars de flics ont débarqué, j’ai pu m’échapper par le parc. J’ai abandonné mes escarpins sur place pour pouvoir courir et j’ai foncé comme une idiote dans le noir au travers des buissons épineux et des branches basses. Je ne me souviens pas de combien de fois je me suis cogné la tête mais je sais que j’ai manqué de m’empaler en escaladant le grillage.


Maintenant, assise au bord de mon lit après une nouvelle journée de sommeil, je me demande ce que je vais mettre ce soir car j’ai également déchiré dans l’action ma dernière paire de bas valide. Comment peut-on vivre avec une garde-robe aussi minimaliste ? Heureusement que les magasins où je me fournis restent ouverts la nuit. Je m’accorde une soirée de RTT et décide d’aller faire un peu de lèche-vitrine. Mais d’abord, un bon bain.


J’attrape une serviette et vais ouvrir la porte de la salle de bains mais, au dernier moment, ma main reste paralysée sur la poignée. Sentant monter la peur, Je réalise avec horreur qu’il m’est psychologiquement impossible de tourner le loquet. Quelque chose de terrifiant m’attend derrière cette porte, ça m’a fait comme un flash.


Je cherche autour de moi la cause du funeste pressentiment. La chambre est vide, mais j’ai l’impression d’être observée. Soudain, je bondis. Lui ! Ma main crispée sur le laiton est prise d’un tremblement irrésistible qui se propage immédiatement dans tout le bras. Je perds le contrôle de mes membres, mes jambes flagellent et je tombe à genoux sur le parquet. Alors que ma vue s’embrume subitement, mon corps tout entier commence à ruisseler de sueur glacée et ma tête est prise dans un étau. Je sombre dans une vague de noir.


Quelques secondes plus tard, allongée sur le sol, les yeux écarquillés, je reprends mes esprits d’un coup. Le vertige s’est dissipé mais pas la peur. J’ai senti Sa présence, le parfum de Son âme. La salle de bain en est sûrement saturée. Ça pue jusque dans la chambre. Et c’est Lui. Il est revenu pour me finir. Il m’a ratée la première fois mais il lutte sans cesse. Un jour, pourtant, c’est moi qui le tuerai. Il mourra à ma place. Mais l’heure de la vengeance n’est pas encore venue. Je ne suis pas assez forte et je dois m’enfuir, une fois de plus, vite !


Sans perdre une seconde, je me remets debout et rassemble hâtivement mes esprits et mes vêtements. Je n’ai même pas fini de m’habiller que je me jette déjà dans la rue et claque la porte derrière moi. Deux carrefours plus loin, adossée contre un mur et le cœur battant la chamade, je me maquille tant bien que mal dans mon petit miroir de poche qui n’arrête pas de trembler, avant qu’on puisse me voir dans un état pareil. J’essaye de reprendre mon calme. Respirer lentement. Marcher. Respirer. Je crois que ça va aller. En tout cas, pas question d’annuler le plan shopping. J’ai besoin de prendre l’air.


Un quart d’heure plus tard, un peu reconstituée, je pousse enfin la porte du « Sex & Leather Ranch », sex-shop à la déco d’inspiration texane et qui prétend proposer « Tout le nécessaire au dressage des chevaux et des femmes ». Surtout des femmes, d’ailleurs, si j’en crois les bijoux sexuels qu’arborent les mannequins de cire maquillés en squaws sur le sentier de la guerre.


Le patron, un petit gros d’une quarantaine d’années habillé en cow-boy, me regarde entrer avec des yeux ahuris. Il lui faut plusieurs secondes pour revenir sur terre et réaliser, peut-être, que je suis la seule cliente de son magasin. Avec un grand sourire, il s’approche en dodelinant :


« Euh M… Madame ? Vous désirez ?



  • — Une paire de cuissardes. J’en ai vu de magnifiques, en vitrine. »


Il me considère un instant de la tête aux pieds. Son regard s’attarde significativement sur le fuselage de mes cuisses, sur mes hanches. Je pose, l’air de regarder ailleurs. Après une brève hésitation, il m’annonce qu’il a exactement ce que je désire en réserve. Si je veux bien le suivre…


Il est presque minuit, un jeudi soir. Le magasin est désert à l’exception du deuxième vendeur, plus jeune, occupé à feuilleter une revue porno derrière le comptoir. J’accepte de suivre mon vacher vers l’arrière-salle obscure.


Au milieu des cartons poussiéreux, pendent les sangles et breloques de harnachements de tout poil. Une paire de menottes par-ci, un cheval d’arçon par-là. Plusieurs bustes de feutre exhibent des entrelacs complexes de corde et de métal, réservés aux clients initiés. Il y a même un gros pilori en bois massif. L’homme déplace quelques boîtes grises et extrait lentement de son papier de soie un long pli de cuir souple aux reflets chatoyants.



  • — Enfile-ça ! me dit-il en tendant le paquet.


Je découvre, ébahie, une superbe paire de bottes, du cuir le plus fin, conçues spécialement pour gainer la jambe toute entière jusqu’à mi-cuisse sans entraver outre-mesure la flexibilité du genou. Les finitions sont d’une rare qualité. J’effleure du bout des doigts la fine peau lustrée et je la savoure même du revers de la main. Sans pouvoir résister, je la porte à mon nez, à mes joues, à mes lèvres. Je chavire.


Après avoir échangé un long regard lubrique avec le vendeur, je m’assoie sur une caisse presque propre et entreprends fièrement de me glisser dans ces fuseaux rutilants qui mouleront mes formes comme sur mesure. L’homme ne cesse de me regarder et une sérieuse bosse éprouve à présent la résistance de sa braguette.


Une fois apprêtée, je déambule un instant sous ses yeux pour savourer la caresse animale du tarse à l’aine. L’homme m’indique un miroir au fond d’une allée d’étagères. Je l’y précède avec force déhanchements. Là, je réalise enfin le miracle vestimentaire. Le cuir luisant épouse si étroitement la forme de mes jambes qu’il en surligne chaque muscle et révèle de mes courbes un galbe insoupçonné, tout en s’évasant légèrement vers le haut. Le vendeur, par derrière, m’attrape par la taille :


« Elles te plaisent ?



  • — Pas autant qu’à toi, mens-je effrontément.



  • — Je te les fais à moitié prix si tu baises.



  • — Dans ce cas, lui réponds-je après une feinte hésitation, je les prends. On va les étrenner.



  • — T’as de la chance, ajoute l’homme en rigolant, ce que je préfère, c’est enculer les filles. »


J’ignore superbement cette dernière remarque. Je pose mes mains de chaque côté du miroir et je plie légèrement les genoux en me cambrant pour lui faciliter la tâche. Il relève ma jupe et j’entends sa braguette s’ouvrir. Au travers de la fine étoffe de mon string, il palpe d’abord mon sexe à pleine main, puis son doigt écarte la ficelle et vient tester mon anus. Souple, je réponds favorablement en relâchant le muscle. Je sors même un tube de vaseline de mon sac à main et il me félicite pour ma prévoyance.


Très vite, son majeur enduit de gelée revient à la charge et force le passage de mon sphincter anal pour me lubrifier profondément. Il me découvre parfaitement ouverte, détendue et accueillante. Jugeant, à juste titre, que je ne mérite pas plus amples préliminaires, il appose promptement son gland au centre de ma collerette. Dans le miroir, mon visage se crispe sous la surprise d’un bref inconfort, mais bientôt l’arrimage est accompli et sa bite, plantée jusqu’aux couilles, trouve sa place attitrée entre mes reins.


Il entreprend alors un puissant martelage. Enfin je me sens pleine. Il me bourre avec force au point que je suffoque. Parfois, il ponctue le pillage de mes ressources naturelles par de grandes claques sur mes fesses et de vicieuses insultes haletées près de mon oreille. Je ne comprends presque rien à ce qu’il m’arrive. Le type m’embroche si profondément que je peux à peine bouger la tête. Soudain, le plaisir monte d’un coup et il réussit à me faire prendre mon pied. En serrant les dents, je sens mon sexe congestionné fondre spasmodiquement entre mes cuisses. Le vendeur, s’en rendant compte, s’excite de plus belle dans mon cul vibrant sous l’orgasme et fini par me remplir de foutre, quelques secondes plus tard, en couinant comme un porc.


Après quelques soubresauts, il cesse subitement de grogner et s’extirpe sans ménagement de mon cul défoncé. Son jus se mêle alors au mien pour ruisseler lentement jusque dans l’entonnoir de mes nouvelles bottes. Il s’accumule un instant le long du rebord évasé puis s’écoule inexorablement vers l’intérieur des longs fourreaux de cuir. Encore tremblante, je reste immobile, les fesses à l’air, et je laisse le poisseux mélange s’immiscer entre mes deux peaux comme pour mieux les coller l’une à l’autre. L’homme s’éloigne déjà.


Quand je ressors du magasin, une toilette intime plus tard, je me sens remontée. La nuit est encore jeune et me voilà bien équipée pour ne pas rester seule trop longtemps. Puisque le boulevard est un peu dangereux, je décide d’aller finir la soirée dans le petit bosquet, près du lac, où les homosexuels en manque viennent parfois s’échanger caresses et plaisirs anonymes à la faveur des ombres des vieux chênes. Une étrange conviction me laisse pressentir que je n’aurai aucun mal à séduire quelques-uns de ces messieurs aux goûts particuliers.


Je contemple, un instant encore, les reflets des néons sur mes resplendissantes cuissardes. Elles masquent parfaitement la vilaine écorchure qui lézarde la face interne de ma cuisse droite sur toute sa longueur. J’ai du laisser une belle bande de peau sur la clôture, hier soir. Quand je suis enfin assurée que plus rien n’y paraît, je fais demi-tour et prends la direction du lac…





  • — -x--




Malgré l’intermède d’une nuit de repos, le choc téléphonique d’hier n’a de cesse de traverser mon esprit en boucle. J’ai préféré raccrocher au nez de l’inconnu. La journée avait été déjà suffisamment dense en étrangetés pour faire l’économie d’une névrose phobique en pleine rue. Dans ces moments-là, il m’est de toutes façons impossible de me contrôler. Aussi, ne sachant ni trop où aller ni quel choc traumatique éviter, j’ai couru me vider l’âme et le corps avenue de la Gare. Dans ce coin-là, les fées n’ont pas d’ailes mais monnayent quelques vols planés à l’arrière de vieux fourgons. De jour, il faut aller les chercher dans les petites ruelles attenantes. J’ai dû m’enfoncer assez loin dans le quartier pour croiser le regard ahuri d’un J7 stagnant au fond d’une impasse. La grosse cylindrée qui stationnait juste derrière venait de démarrer en trombe. La place était libre pour un nouveau conte de fée. La Mélusine avait repris position au volant du carrosse où elle continuait à parcourir le dernier torchon à ragots. Quand elle me vit à hauteur de sa vitre coulissante, elle n’eut pas grand mérite à deviner mes trop prévisibles intentions et disparût illico à l’arrière.


Les portes de son fabuleux royaume s’ouvrirent sur le pourpre toc d’étoffes des Mille et Une Nuit que dissimulait une tenture de rideaux fleuris. Charmant. Vue de près, mon hôtesse tenait plus de Carabosse que de la fée Clochette, mais elle n’en affichait pas moins quelques beaux restes. Ses bas-résille s’exhibaient par la fente d’une robe rouge sang qui contenait par ailleurs deux énormités bustières prêtes à me péter à la figure. Je pris sa blondeur artificielle et son maquillage surfait pour de la touchante naïveté. En guise de dialogue, peu de mots, juste un chiffre net accompagné du froissement de vieux billets extirpés de mon porte-feuille.

L’écrasement paresseux des ressorts trop comprimés par l’auguste fessier dont j’avais loué les sévices me rappela l’époque révolue où cœurs et cuisses s’ouvraient encore spontanément à moi.


Je n’en demandais pas tant pour remonter au champ d’honneur. Le cul à l’air et la fleur au fusil, j’ai fougueusement harponné mon elfe de composition. Féerique, elle l’était surtout par sa contenance. Son sexe mollasson, quasi déliquescent, semblait m’aspirer vers des abîmes de langueur. J’aurais voulu m’y engoncer tout entier, revenir à l’état fœtal pour mieux recommencer cette vie gâchée. Entre ses chairs flasques agitées des soubresauts mous d’une conviction douteuse, j’ai ranimé l’espace d’une baise éclair, l’illusion de lendemains radieux. Ses soupirs sans crédit et sa bouche occupée à mastiquer de la gomme, je ne les entendais ni ne les voyais. Seule m’importait l’irrésistible flambée de ma jouissance et à l’approche de mes convulsions orgasmiques, ma sylphide a bien sûr joui comme dans un conte.


Une fois ma dernière giclée tarie, ses masses molles cessèrent de ballotter comme de la gelée, et notre couche, de couiner à tous crins. Un réflexe instinctif me poussa à me retirer prestement de son étuve gluante qui n’avait tout à coup plus rien d’accueillant. Je n’ai jamais pu m’ôter de l’idée que ma sœur jumelle avait péri dans ce qui est aussi un tombeau de chair. Elle avait donné sa vie pour que je vive, sans pouvoir m’écarter complètement de cette matrice infernale. Etrange ironie d’une existence qui en revient inexorablement à son morbide commencement.


J’ai réussi malgré tout à rentrer chez moi dans un état globalement stable. Il y a certes eu cet incident où la petite vieille du premier, me voyant parvenu en haut des marches, s’est brusquement réfugiée dans son appartement. Je l’ai entendue, calfeutrée derrière son judas, marmonner quelque chose du genre « mon Dieu, ça fait trembler de voir des choses pareilles ! » Elle a balancé ça suffisamment fort pour que je l’entende, histoire de me faire porter une honte dont elle seule connaissait le poids. Je n’ai même pas cherché à démêler le pourquoi du comment. Dans ce monde de fous, plus rien désormais ne m’étonne, et il n’y a guère que dans mon studio où je me sente à peu près à l’abri de ces horribles crises d’angoisse.


Maintenant que la nuit a effacé les torpeurs d’hier, je retrouve presque avec bonheur l’horizon monochrome de mon plafond. Comme à chaque réveil, mes petites fées sont allées se cacher dans le trompe-l’œil végétal de mon papier peint. Rien que de très normal, mes fées ne sortent pas le jour. Ce n’est qu’une fois assoupi, et personne ne viendra me contredire sur ce point, qu’elles viennent s’affairer autour de ma queue toute offerte. Dans mon sommeil, j’ai comme l’impression de sentir des milliers de petites langues s’acoquiner autour de mon bulbe mûr à point. Elles se nourrissent de semence humaine dont elles raffolent. Je suis si heureux de leur rendre la tâche agréable ! Tout va pour le mieux. Je pose un regard bienveillant sur mon mobilier. Les années passées ici m’ont habitué à la semi-obscurité. Je peux discerner le moindre détail. Rien ne cloche dans l’ordonnancement de mon petit chez-moi. Dans l’embrasure de mon armoire, mes yeux glissent sur l’alignement parfait des reliures contenant mes magazines pornos. Si seulement les petites cases de mon cerveau pouvaient être aussi bien rangées !


Une anomalie soudaine vient malencontreusement perturber le passage en revue. Dans la rangée du haut, je remarque une avancée anormale des volumes reliés vers le rebord de l’étagère. Sautant du lit, je vais naturellement les repousser pour ne pas qu’ils tombent mais je sens, à bout de bras, qu’il y a quelque chose derrière. Je tente d’extraire une année de parution de Playboy, mais ce qui devait arriver arrive. Plusieurs kilos de boucherie sur papier glacé s’écroulent sur moi au moment où je découvre le secret qu’ils occultaient. Tout au fond de l’étagère, une très grande boîte à chaussure se tient verticalement contre le mur. J’attrape une chaise et me saisis de l’objet inconnu. La boîte s’ouvre inopinément et le contenu tombe à mes pieds.


Sous mes yeux stupéfaits s’étale le butin d’un cambrioleur de sex-shop : des culottes coquines, des soutiens-gorge pigeonnants, une jupe minimaliste, des bas en veux-tu en voilà… et par-dessus tout, ces immenses bottes de cuir qui prennent toute la hauteur du colis. Partagé entre l’incompréhension et l’excitation érotique que m’inspirent ces objets, je contemple béatement ma trouvaille, accroupi sur la moquette. La lumière tamisée se coule le long des pliures brillantes des bottes. Le cuir est comme un miroir reproduisant la moindre variation du jour et de l’ombre sur sa surface. Les coutures de la gaine d’indécence ondoient et se cambrent au niveau de la cheville tandis que le puissant talon se fait phallique. La chose recèle tout un imaginaire érotique, mais cela ne me dit pas ce que tout cet attirail fout là.


Sentant le chaos intellectuel arriver au pas de charge, j’essaie de garder mon calme. Voyons, qu’il s’agisse des petites fées des tapisseries ou de la physique quantique, toute chose possède ici bas une explication rationnelle. Ça y est, j’ai trouvé. Il y a quelques années, j’avais acheté un petit ensemble sexy à mon dernier amour et la boutique avait continué à me relancer tous les ans pour la Saint-Valentin, même bien après ma rupture. Il m’arrive parfois de passer devant leur vitrine, mais l’amertume attachée à mon seul et unique achat chez eux m’empêche à jamais de pousser leur porte. Je n’ai donc pas pu ramener ça chez moi. Alors ?


L’explication ne vient pas. Je commence à paniquer. Non, rationalisons, il y a moyen d’en savoir plus. Un examen attentif de l’une des bottes me fait remarquer le très léger craquellement du cuir au niveau du point de flexion des orteils. L’évidence me glace le sang. On a déjà porté ces bottes. Quelqu’un a pénétré dans mon appartement et les a cachées à mon insu derrière les rangées de Playboy. Mais comment ? La porte n’a jamais été forcée. Quelqu’un possèderait donc le double de mes clés, mais à qui les aurais-je données ? Dans cette ville, je n’ai plus de connaissance, à fortiori, féminine. Alors, qui ? J’attrape, fébrile, l’une des culottes. Le tissu velouté glisse entre mes doigts comme un ruban de soie. L’effilochement des coutures fait cependant planer le doute quant à la virginité du morceau d’étoffe. Qui va me dire l’identité de cette femme ? Son odeur, peut-être ?


Un bruit me fait brutalement sursauter. Ça vient de la salle de bain. Bon sang, la porte est fermée, je ne me suis douté de rien ! Je ne peux plus repousser le stress qui me gagne. Cette diablesse possède la clé de mon appartement et habite chez moi ! La flambée d’adrénaline me fait pousser un cri de guerre.


« QUI EST LA ??? »





  • — -x--




Où diable ai-je foutu le numéro de téléphone de Rudy ? C’est pas vrai ! Il m’avait dit de le rappeler vendredi soir. Il est presque onze heures et je vais rater le début si ça continue. Après une demi-heure de recherche, je finis par retrouver le maudit bout de papier dans la poche d’un vieux jean que je ne mets presque jamais.


Je ne suis pas dans mon assiette. La nuit d’hier à été assez pauvre en rebondissements. Je n’ai taillé en tout et pour tout que deux pipes. Même pas de quoi me garnir l’estomac. Je suis rentrée vers quatre heures, passablement frustrée. Une bonne soirée avec Rudy me fera le plus grand bien.


Il a un réel talent pour organiser des événements raffinés, où des notables masqués s’octroient les faveurs de dégénérés sexuels des deux genres moyennant une rondelette participation aux frais. Pour être admise dans ces soirées, un joli cul et une nymphomanie rampante sont les meilleurs passeports. Néanmoins, Rudy sait sacrifier une honnête part de ses bénéfices pour défrayer les semi-pros dans mon genre, lorsqu’elles savent satisfaire les exigences particulières de sa riche clientèle. En clair, c’est chic, profondément immoral et remarquablement bien payé. Tout à fait mon genre.


Je compose hâtivement le numéro.


« Rudy ?



  • — Luna, c’est toi ?



  • — Bien sûr mon trésor. Qui veux-tu que ce soit ?



  • — J’sais pas. Hier j’ai reçu un appel bizarre d’un type qui avait un peu ta voix et qui a … »


Je n’entends déjà plus ses mots. Dans le silence qui suit, il me semble qu’une vieille cloche fêlée sonne lentement le glas au fond de ma poitrine. Le vertige et le froid me reprennent aussitôt. Comment ai-je pu être assez idiote pour laisser le numéro de Rudy dans mon jean ? Si j’avais voulu que l’Autre me retrouve, je ne m’y serais pas prise autrement. Quelle conne !


Je réalise aussi quelque chose qui ne m’avait pas frappé tout à l’heure. Mes vêtements de travail, que je range soigneusement dans une grande boîte en carton, n’étaient pas ordonnés exactement de la façon dont je me souvenais les avoir mis. Il les avait sûrement trouvés ! Il était entré dans ma chambre pendant mon sommeil et il avait fouillé dans mes affaires. Le combiné du téléphone suspendu dans le vide à côté de mon oreille, j’imagine un instant ce pédé s’excitant sur mes soutiens-gorge, reniflant mes culottes. L’envie de tuer me submerge à nouveau, mais la voix de Rudy me ramène sur terre :


« Luna ? Ça tient toujours, pour ce soir ?



  • — Tu as besoin que je prenne soin de toi ?



  • — Non, Luna. Tu sais très bien que t’es pas mon genre. Désolé. Mais j’ai un client aux goûts un peu spéciaux qui aurait besoin de tes services.



  • — C’est quoi, des goûts spéciaux ?



  • — Je peux pas t’en dire plus, mais si tu acceptes, c’est payé double. Par contre, je veux pas de discussion après coup. Tu devras faire tout ce qu’il demandera sans broncher. C’est à prendre ou à laisser. »


Je ne sais pas ce qui m’excite le plus : la perspective d’un double cachet ou l’anticipation de ce que devrai faire pour le mériter ? Quoi qu’il en soit, j’accepte sans hésiter.


« Je savais que tu ne me décevrais pas, répond Rudy. C’est une soirée privée au CockPit, la boîte gay de la rue des Rosiers. Je préviendrai les videurs de te laisser entrer ; tu n’auras qu’à dire que tu viens de ma part. Sois là-bas dans une demi-heure. »



De toutes façons, je ne vais pas rester ici à attendre que l’étrangleur revienne. À peine raccroché, j’enfile mes cuissardes et me dirige d’un pas décidé vers la rue des Rosiers et sa faune noctambule.


Comme prévu, les deux videurs ne font aucune difficulté. Je devine cependant, à leurs moues dégoûtées, qu’ils n’apprécient guère les êtres de mon genre. À peine mon petit cul a-t-il franchi la double porte d’entrée que je les entends ricaner dans mon dos. Qu’importe ? On ne peut pas plaire à tout le monde.


Quand je déboule sur la piste principale du CockPit, une trentaine de personnes sont déjà présentes. J’y reconnais tout de suite quelques figures notoires des partouses de la ville. Je salue Daliane, lesbienne casanovesque exhibant chaque semaine une nouvelle conquête. Elle porte une combinaison moulante, en latex noir, décolletée jusqu’au nombril. Son col relevé souligne la grâce de sa nuque rasée, au pied de la flamme rousse de ses cheveux en brosse. Elle me sourit.


Ce soir, elle me présente Annie, une jeune institutrice qui me paraît pas tout à fait à sa place ici. Habillée modestement d’une jupe de lin et d’un gilet beige, elle semble impressionnée par mon allure. Daliane aura une fois de plus réussi à leurrer une timide jeune femme jusque dans un de nos lieux de perdition préférés. Malgré le dédain naturel que m’inspire la concurrence féminine, j’ai hâte de savoir à quelle sauce va être dévorée la petite intello. Enseignera-t-elle à ses élèves, lundi prochain, qu’on ne dit pas « Je suis allée manger» mais au contraire « J’ai été mangée dans les bas quartiers » ?


Poursuivant mon tour d’horizon, je repère également un acteur porno connu, habitué des lieux, et quelques gigolos régulièrement recrutés pour leur endurance avérée et leur hygiène irréprochable. Dans un coin, près du bar, trois call-girls de luxe papotent innocemment en attendant le début des hostilités. Elles ne semblent pas remarquer les deux hommes qui s’embrassent juste à côté d’elles. Ils ont pourtant la trentaine, des beaux mecs, bien foutus. L’un d’eux, un grand brun aux yeux bleus arborant une fine moustache, porte un pantalon de cuir noir et un débardeur blanc moulant. L’autre est blond. Il est entièrement nu à l’exception d’un minuscule cache-sexe à paillettes et du foulard épais qui lui bande les yeux. Ils sont enlacés près du mur et s’embrassent à pleine bouche, le brun malaxant les fesses du blond, et celui-ci tâtant à l’aveuglette la braguette de son amant anonyme.


Dans les soirées de Rudy, on achète le droit de porter un masque. Une dizaine d’hommes, et même une femme d’une cinquantaine d’années, se sont offert ce privilège. Le plus imposant d’entre eux, portant un costume de confection et un masque rouge de star du catch, est en pleine discussion avec Rudy, une coupe de champagne à la main. Quand Rudy me voit arriver, il me fait signe d’approcher. J’ondule donc de la croupe au travers de la piste pour rejoindre les deux hommes. Les petits yeux du catcheur, par les trous du masque, brillent d’une effrayante lueur vicieuse alors qu’il scanne mon corps de la tête aux pieds comme s’il pouvait voir au travers de mes vêtements.


« Luna, je te présente ton maître pour la soirée, m’annonce Rudy. Monsieur Raimond est un excellent client. Tâche de ne pas le décevoir. »


En guise de réponse, je croise mes mains derrière mon dos et décoche un regard langoureux vers la braguette du maître en passant la pointe de ma langue sur le pourtour de mes lèvres.


« Très bien, me complimente ’Raimond’, tu m’as l’air d’être une bonne garce. Ce soir, j’ai envie de me défouler sur une petite pédale habillée en pouffiasse. J’espère que tu seras à la hauteur. Je te préviens, je ne serai pas tendre. »


Je corrigerais volontiers les manières de ce gros con, mais les consignes de Rudy sont formelles. Le client est roi et, si vous voulez mon avis, il y peu de chance qu’on détrône celui-ci. Alors je reste silencieuse. Après tout, une bite est une bite, un contrat est un contrat et mon cul n’a pas d’oreilles.


Raimond sort alors de sa poche un collier pour chien, en cuir noir clouté, et me le passe autour du cou. Il y attache une longue laisse et me demande de me mettre à quatre pattes. Un cercle s’est formé autour de nous. Rudy s’est éclipsé.


« Lèche mes godasses, petite chienne ! »


J’obéis et la pointe rose de ma langue laisse bientôt une traînée luisante sur le cuir noir des mocassins vernis. Raimond se penche alors en avant et soulève ma jupe, puis me file une claque sonore sur les fesses. Tandis que je m’applique à saliver sur les chaussures de mon maître, je remarque que les groupes se forment dans la salle. La femme masquée a enlacé deux jeunes gigolos et leur roule des pelles à tour de rôle en leur palpant les fesses. Daliane a invité Annie à s’asseoir avec elle sur un sofa et lui caresse tendrement les cheveux pour la rassurer, tout en l’encourageant à suivre des yeux le spectacle de l’orgie naissante. Un vieux monsieur portant un masque de Mickey prend deux call-girls par la taille et leur demande de s’embrasser devant lui, ce qu’elles font avec délectation tandis que leur troisième consœur s’asseoit sur les genoux d’un autre homme, dont le masque de cuir ne couvre que le haut du visage, et l’embrasse sur la bouche. La main de l’homme se pose sur les cuisses fuselées de la superbe blonde et disparaît rapidement sous la courte jupe.


Un homme grisonnant, portant un loup vénitien, s’approche de Raimond :


« On dirait que t’as trouvé chaussure à ton pied, vieux briscard.



  • — Tu m’étonnes. Des godasses à six mille balles. Le vendeur m’a assuré que le mieux, pour bien les lustrer, c’est la bave de travelo.



  • — Alors tu m’en voudras pas si je m’occupe du cul de la gamine pendant qu’elle te cire les pompes ?



  • — Non, bien sûr. Mais attends, on va se mettre à l’écart. J’ai envie de voir si elle fait aussi bien reluire les bites que les chaussures. »


Ce disant, Raimond me tire par la laisse et m’entraîne près du canapé où Annie et Daliane sont maintenant en train de s’embrasser. La jeune institutrice est vautrée sur le sofa et la rousse Daliane, presque couchée sur elle, la couvre de baisers en fouillant d’une main experte sous la jupe de lin. Elle a si bien troussé sa copine qu’on aperçoit le triangle de coton blanc entre les cuisses potelées de la petite brune. L’acteur porno, l’air de rien, s’est assis à côté d’elles et se caresse la queue en les regardant.


Raimond me fait mettre à genoux, dos contre le mur. Il sort sa bite, trapue et courbe, et me la fourre entre les lèvres. Je me mets immédiatement au travail, sachant par instinct comment faire juter rapidement un homme avec ma langue. Sa queue gonfle vite jusqu’à m’écarteler les mâchoires. Il entreprend alors de me bourrer violemment la gorge en me pistonnant contre le mur. Son copain semble impressionné du fait que j’arrive à l’avaler jusqu’à la garde même si, les larmes aux yeux, je manque d’étouffer.


Assise dans un profond fauteuil, la femme masquée a troussé sa longue robe du soir jusqu’à la taille et se fait lécher par un jeune gigolo à genoux entre ses cuisses. Elle se pâme sous la professionnelle caresse, tandis qu’un autre jeune type l’embrasse à pleine bouche en lui malaxant les seins des deux mains.


Au centre de la piste, l’homme au masque de Mickey a plongé sa main dans le décolleté de la plus belle des deux call-girls et en a extrait un sein parfait, superbement galbé. Il demande alors à l’autre fille de prendre en bouche le mamelon offert. Celle-ci ne se fait pas prier et commence immédiatement à sucer le sein de sa collègue, qui ne peut réprimer un gémissement de plaisir. L’homme en profite pour l’embrasser.


Annie vient de sursauter car, au moment où Daliane plongeait deux doigts sous l’élastique de sa culotte de coton, l’acteur porno lui a mis une main sur la cuisse. Elle a voulu lui dire d’arrêter mais Daliane lui a intimé l’ordre de ne pas faire la sainte-nitouche :


« Tu m’as bien dit que tu aimais le faire, avec des hommes, non ?



  • — Oui, mais…



  • — J’ai envie que tu me montres. Tu dois être si belle, quand tu fais l’amour.



  • — Mais, Daliane, c’est avec toi que je…



  • — Alors fais-le pour moi, ma chérie. J’ai envie de te voir baiser. Montre-moi comment tu fais. Et puis, Pierre est un vrai pro, tu sais. Je suis sûre que tu vas adorer. »


La frêle jeune femme, subordonnée, ne peut qu’obtempérer. Elle ferme les yeux et relâche sa tête en arrière sur le dossier du canapé, offrant sa gorge aux baisers de Daliane et son entrecuisse aux quatre mains inquisitrices. Quand Daliane tente de lui ôter sa culotte, elle soulève même les fesses, vaincue, pour lui faciliter la tâche. L’acteur plonge alors sa tête entre les tendres cuisses et s’en va goûter au petit fruit fendu dont Daliane elle-même n’a découvert la saveur que le week-end dernier.


La queue de Raimond change soudain de goût et je m’apprête à savourer ma victoire lorsqu’il se soustrait subitement à ma succion et me laisse pantelante. Serrant les dents dans un effort surhumain pour se retenir, il invite son copain à prendre sa place. Même travail, Luna, juste une autre bite. C’est quand même un métier où ne voit pas beaucoup de nouveaux visages. En professionnelle chevronnée, je m’applique à faire gicler le monsieur avec toute la tendresse dont je me sais capable. Mais il ne semble pas pressé.


Sur le fauteuil, la femme masquée s’est mise à quatre pattes, le cul à l’air, et son lécheur la prend à présent en levrette. L’autre gars, de l’autre côté du dossier, lui présente sa queue à sucer. Pendant ce temps, sur la piste, Mickey et ses deux copines se sont mis à poil avec une rapidité déconcertante. Les deux filles sont maintenant à genoux aux pieds du vieux et se partagent sa petite bite fripée en simulant talentueusement la gourmandise et l’excitation. Seul mon oeil d’experte me permet de percevoir la supercherie. L’homme, lui, est aux anges. Sachant que les deux putes ne lui refuseront rien, il demande même à la plus jeune de passer derrière lui pour lui lécher l’anus pendant qu’il se fera pomper par l’autre fille.


Annie, à présent, est bien échauffée. Elle a fini par admettre que baiser avec n’importe qui devait être le comportement à adopter pour être acceptée dans ce milieu auquel elle ne comprend pas grand chose. Pierre, l’acteur, s’allonge sur le sofa, la bite à la main, et Daliane demande à Annie de s’empaler sur lui. La jeune femme, peut-être de peur de perdre sa compagne, enlève sa jupe et vient s’accroupir au-dessus du membre tendu. En s’écartant les lèvres avec les doigts, elle laisse la grosse queue de Pierre dilater les chairs palpitantes de son intimité. Une fois passée la surprise première, elle pousse un long soupir et son visage s’illumine bientôt de pur bonheur alors qu’elle monte et descend sur la colonne de chair sans plus pouvoir se contrôler.


Pierre attire l’institutrice contre lui pour l’embrasser et Daliane contourne l’accouplement pour observer le joli cul de sa copine sous un angle plus avantageux. Elle approche subrepticement son visage de la pénétration et, en évitant soigneusement les organes masculins, passe sa langue entre les douces fesses d’Annie, lui lapant la rondelle jusqu’à ce que celle-ci soit parfaitement souple et luisante. Elle invite alors un autre homme masqué à prendre place au-dessus du trio. Annie fait mine de protester :


« Non ! Daliane, non…



  • — Tais-toi ! Tu m’as dit que tu l’avais déjà fait.



  • — Oui mais…



  • — Alors fais-moi plaisir. J’en envie que tu le fasses, pour moi.



  • — Mais je ne l’ai jamais fait avec deux hommes. Et je ne sais même pas qui c’est.



  • — Alors imagine que c’est moi qui te le fais. Tu l’ouvrirais, ton cul, pour moi. Tu n’as pas bronché quand je te l’ai léché, si ?



  • — Non mais… aaargh ! »


Elle n’a pas le temps de finir sa phrase que l’autre homme s’est déjà allongée sur elle. Daliane lui maintient les fesses écartées et la queue anonyme force bientôt son passage dans le cul de rêve de la belle institutrice.


« Laisse-toi faire, lui susurre Daliane à l’oreille. Offre-moi ton cul et prépare-toi à découvrir une sensation inouïe. Fais la femelle, petite pute. Fais-le pour moi. »


Annie, réduite à l’impuissance par l’imposante personnalité de Daliane, finit par se soumettre à la double pénétration qui, réalise-t-elle, n’est pas totalement insupportable dès lors que l’on desserre un peu les fesses. Elle finit par encaisser les deux queues avec un petit cri de satisfaction et ses gémissements de plaisir, incontrôlables, remplissent bientôt la pièce, à peine couverts par le cri de Mickey dégorgeant un long flot de sperme dans la bouche de la belle prostituée qui l’a si bien travaillé. Son bassin, pris en tenaille entre les deux langues habiles, n’en finit pas de vibrer tandis qu’il hurle son plaisir à la cantonade.


Trouvant sans doute que je pompe un peu trop mollement, Raimond décide de reprendre les choses en main. Il demande à son copain de se placer debout dos au mur et se place derrière moi pour m’enculer en levrette pendant que je sucerai l’autre. Il relève ma jupe d’un coup et me déchire presque le sexe en m’arrachant mon string.


« Pompe-le plus fort, pédale, où je t’arrache les couilles » hurle-t-il en plantant sa queue tordue entre mes fesses.


Je n’aime pas qu’on me parle comme ça. C’est pas une façon de parler à une dame. Je voudrais protester mais il m’embroche d’un coup sec, ce qui me fait pousser un petit cri de douleur. Du coup, je laisse échapper la queue de ma bouche. Prenant ma maladresse pour une provocation, il m’attrape par les cheveux, ce qui a pour effet de m’arracher ma perruque. Il la jette par terre d’un air dégoûté.


J’ai horreur d’être sans perruque. Sans mes cheveux, je ne suis pas moi. Privé de sa prise favorite, il serre alors ses deux mains autour de mon cou tout en m’enculant de toute sa puissance. Le sang me monte à la tête. Je sens que je vais perdre connaissance. Une vague de souvenirs haïs semble monter du plus profond de mon âme, de cette face obscure que chacun d’entre nous cache au fond de lui même.


Soudain, je panique. Il serre plus fort et secoue ma tête d’avant en arrière pour y faire entrer la verge de l’autre homme. La Présence ! Je la sens. La sueur froide ruisselle dans mon dos. Il est revenu. Cette fois, il ne me ratera pas. Le monstre, le frère maudit qui m’étranglait déjà dans l’utérus commun avec son cordon ombilical. Non, pas maintenant ! Mais que fait Rudy ? Trop tard ! Je manque d’air. Il triomphe. Je meurs…





  • — -x--




« Arrête, Raimond ! Elle a perdu connaissance !!! »


Mon crâne a heurté le sol. Putain, quel horrible cauchemar ! Hier, j’étais pourtant parvenu à dissiper mon angoisse en m’assurant qu’il n’y avait personne dans la salle de bain. Ceci fait, j’avais consciencieusement rangé les accessoires de l’Intruse à leur place afin que rien ne pût troubler mon repos. Peine perdue. Cette nuit-là fut la pire de toutes. J’ai rêvé que des espèces de gros vers mous et gluants m’assaillaient de toutes parts. Pis, leurs ignobles têtes chauves et brunes me rentraient par les cavités naturelles avec une telle férocité que même mes orifices semblent en avoir gardé le goût et l’emprise.


Je gis ventre à terre sur ma moquette, bien que ce pourpre baroque s’éloigne fort du bleu Saint-Maclou de ma descente de lit. Je suis à genoux les fesses à l’air. Le sol vibre sous le tonnerre grésillant des basses. Qui a allumé la musique à fond ? Et tous ces gémissements de femmes que je perçois autour de moi ? J’essaie de croire à un nouvel assoupissement de mon voisin devant le porno du vendredi soir quand je m’aperçois que quelqu’un m’enjambe. À ma plus grande stupéfaction, j’ai le fantôme de l’opéra au-dessus de ma tête. Pantalon noir, chemise blanche et loup de feutre, il me domine du regard, la queue pantelante. Nom de Dieu, dites-moi que je rêve ! Je n’ai pas le temps de me redresser que de puissantes mains m’attrapent par la taille. À nouveau, la même douleur subite me déchire le fondement. Ça y est, les vers, ça me reprend, mais non !


C’est une queue qui me perce, me troue, m’obstrue ! Il y avait un autre spectre derrière moi, bien plus impressionnant que le premier. Je hurle comme un condamné à l’écartèlement de mes chairs. Par-dessus mon épaule, je vois un véritable malabar s’agiter en moi. Il est habillé d’un justaucorps rouge exhibant sa musculature dissuasive. Je recherche en vain son regard au travers du masque écarlate qu’il porte à la manière d’un héros de comics.


« LACHEZ-MOIIII !!! » crie-je, la larme à l’œil.


L’une de ces mains veut me faire taire en m’écrasant la figure dans la moquette. Il m’en veut, le bougre ! Du coin de l’œil, je parviens à distinguer l’entremêlement de cuisses s’agitant tout près de moi sur un sofa inconnu. Mises à mâle sous les saccades de deux hercules généreusement dotés, les muqueuses d’une sylphide se fendent et se froissent sous la brûlure écarlate de la miction. Les piaillements de cette pisseuse semblent vouloir couvrir mes appels à l’aide. Le tumulte de ce qui n’est pas ma chambre grossit. J’essaie tant bien que mal de tourner le museau.


« Mais où suis-je, bordel ??? »


Je ne crois pas si bien dire. Sous les dorures rococo et les flashes clinquants d’un bar à hôtesses s’agite toute une faune digne des Romains de la Décadence. Des blondes échassières s’agitent sur leurs talons hauts, leurs culs ronds valsant sur les pieux démesurés de play-boys masqués. Sacrebleu, je suis en plein carnaval de Venise et c’est moi le dindon de la farce ! Je vois des courtisanes empalées sur les péninsules de leurs cyranos et la marquise de Pompelamour entretenir l’ardeur de ses gigolos. Il y a même Mickey Maousse qui porte sur ses épaules une espèce de coyote girl, un verre de champagne à la main pendant qu’une autre lui astique la libido. C’est l’orgie. Il y en a partout, sur la scène mais aussi dans les petits salons tout autour. Les images bombardent ma rétine dans une logorrhée nauséeuse de chairs irradiées. Les cons voraces engloutissent les élans de désirs pantagruéliques alors que les pulsations des basses se confondent avec les coups de queue dans mon ventre. La phobie du vagin me reprend. Ce trou incertain qui libère les hommes, les happe ou les tue en son sein, je le porte désormais en moi telle une blessure jamais cicatrisée. Et ce fou furieux qui remue le couteau dans la plaie comme pour mieux me ramener à la tragédie de ma naissance ! Je me révolte.


« Assez ! ASSEZ ! ASSEEEEEEZ !!! »


Mon bourreau ne peut plus contenir mes convulsions désordonnées. Il me jette à terre d’un puissant coup de rein tout retirant sa trique. In fine, un crachin saccadé me gicle au bas du dos. Je veux fuir, mais mes pauvres cuisses endolories s’écroulent avec moi. Mon sphincter est à ce point éventré que je sens remonter des courants d’air dans ma bouche à dégoût. Horreur, je n’ai plus de fondement ! Dans un tel état, si je parvenais à me lever, mes intestins se déverseraient sous leur propre poids entre mes pattes. À moins que tout ne ressorte par la bouche.


« SALOPE ! Comment oses-tu te dégonfler ainsi devant ton maître ! »


On me tire sèchement par le cou. Je crois mourir étranglé. Le propriétaire de la voix m’oblige à me redresser sur mes genoux et m’attire dans sa direction. J’ai le réflexe de porter les mains sur ma gorge qu’un collier de pitbull écrase à la limite de l’étouffement. Impossible de résister, il me tient en laisse comme un petit chien, et ses bras ont l’air aussi large que mes cuisses. Par les ouvertures semi-elliptiques de son masque, ses yeux durs me fusillent.


« Au moment où je jouis, en plus ! Pauvre emmanché ! »


Non, ce type ne peut pas exister, tout ce cirque n’a jamais existé ailleurs que dans ma cervelle ! Je vais me réveiller dans mon lit et retrouver ma chambre. Demain, j’irai chercher du boulot. Tout va s’arranger, tout ira pour le mieux ! Hélas, la montagne humaine m’arrache à mes espérances. Je n’ai même pas vu son immense paume droite s’abattre sur moi. Il m’envoie littéralement au tapis. Ma tête cogne contre un mur. Un peu sonné mais conscient, je distingue le tortillement grotesque d’une bite ramollie en train de disparaître dans l’entrecuisse du premier homme. Il faut me résoudre à cette épouvantable idée. Je n’ai pas rêvé.


« Mais arrêtez bordel, vous allez me l’esquinter ! » s’enquiert une tierce personne.


Force rouge se détourne un instant de moi. Les visages interrogatifs qui m’entourent m’évoquent une erreur de script dans la mascarade qui se joue à mon insu.


« Ah, vous revoilà, Rudy ! bronche-t-il. Vous m’aviez promis une bonne garce qui n’a pas froid aux yeux et sur quoi je tombe ? Sur cette espèce d’omelette qui tient à peine sur ses pattes ! »


L’homme se confond en excuses puis se penche brusquement vers moi. Je me recroqueville sur moi-même comme pour essuyer un nouveau coup mais une main me tire fermement par l’épaule.


« Je t’avais dit de lui obéir sans discussion ! me sermonne-t-il. Mais qu’est-ce qui te prend, Luna ! Jamais je n’aurais cru ça de toi ! »


J’ignore ce dont ces barjots veulent parler. Quelque chose de plus crucial éprouve mes pauvres nerfs. Etalé de tout mon long sur le dos, je me découvre catin des pieds à la tête. De longilignes bottes à talons hauts me gainent jusqu’à mi-cuisse. Au-delà, des bas tape-à-l’œil prennent le relais jusqu’au porte-jarretelles que dévoile une jupe hâtivement troussée. Ce que je croyais n’être qu’une chemise de nuit n’est autre qu’un chemisier stratégiquement entrouvert sur les dentelles noires d’un Wonderbra pour plate. Au milieu de cet hallucinant patchwork, ma bite désœuvrée ferait presque tâche. À moins qu’ELLE… non, pas ELLE…


Serrant mes poings de rage, je sens l’irrésistible flambée d’angoisse me parcourir le bide. Je perds la maîtrise de mes muscles. Deux hommes, peut-être plus, tentent de m’immobiliser. Je mords dans le tas. Ils crient, me font lâcher prise, se partagent ma dépouille. Je prie pour qu’ils me tuent. Tout à coup, une détonation retentit. La pression des mains sur mon corps diminue. Les grésillements des basses s’effacent devant les cris des femmes et les bris de verre.


« Putain, Raimond ! Il a été touché !



La masse brute du superman en combinaison rouge s’est abattue à quelques mètres de moi. Le fantôme de l’opéra et quelques autres tentent de lui porter assistance.


« Bon Dieu, il ne respire plus !!!



Panique généralisée. Des jambes en l’air se re-fagotent en toute hâte derrière un canapé renversé. Le peuple de la nuit se sauve par une porte dérobée. Une call-girl à moitié nue s’entrave à mes bottes et se vautre à mes côtés, le cul en majesté et le gazon luisant. Je profite de la confusion pour rassembler mes frusques et filer. Un embryon de string me lie les talons. Je n’ai pas le temps de l’enfiler entre mes fesses poisseuses que des hommes en arme investissent la piste de danse, l’arme au poing.


« _ POLICE !!! Tout le monde à plat-ventre ! »


Echanges de tirs. Des fugitifs tombent sous les balles des nerveux de la République. D’autres se contentent d’avaler leur carte SIM. Un monde s’écroule. Bas les masques. Les cliquetis des menottes remplacent ceux des bijoux de corps et des accessoires sado-masochistes. La fin du cauchemar. Pas sûr.


Je fais partie du coup de filet. Les caïds survivants disparaissent dans des berlines banalisées. Je suis le mouvement avec quelques autres dans un fourgon de poulets. On me presse. Handicapé par les talons-aiguille, j’ai comme l’impression de marcher en permanence sur la pointe des pieds. Au moment de monter à l’arrière du minibus, je crois reconnaître ce dénommé « Rudy », menotté entre deux costauds en uniforme.


« Si tu parles, t’es foutue ! » me lance-t-il.


Que m’importe désormais ! Je m’avachis douloureusement sur la banquette en skaï du panier à salade. Assise en face de moi, une excentrique femme en latex côtoie une petite bêcheuse en larmes. Aux luisances vénéneuses de l’une répond la tiédeur mate de l’autre.


« Arrête de chialer comme une madeleine, Annie ! » lâche Catwoman, agacée, à sa voisine d’infortune.


Je me désintéresse d’eux. Le front appuyé contre la baie vitrée, je n’aspire qu’à un peu de paix intérieure. Il se met à bruiner. Caprice d’été dans cette atmosphère orageuse. Les premières gouttelettes de pluie dissolvent les lumières de la ville. Au travers de ce joli flou artistique m’apparaît le reflet émacié de mon visage. Non, ce n’est pas le mien… ces cheveux tirés en arrière et ce teint de poupée de cire ne n’appartiennent pas. ELLE m’a pris mon visage, et j’ai l’impression que ça la fait sourire. Je réprime un accès de folie et tourne le dos à l’Apparition.


Nous arrivons sous bonne escorte au commissariat central. À peine ai-je posé le talon dans le hall que je deviens le point d’attraction des agents de nuit. Ils ne m’épargnent aucun rire étouffé ni autre sifflement sous cape. J’ai beau repousser de toutes mes forces les souvenirs atroces encore imprimés dans mes chairs, ces imbéciles me ramènent systématiquement devant le fait accompli. Comment faire abstraction de cette jupe au ras du cul ? Et ces putes de cuissardes qui m’imposent de ressortir les fesses et de bomber le torse ! Ce n’est pas ma démarche que ces blaireaux reluquent du coin de l’œil, mais la SIENNE. Ils veulent ma mort !


Trois longues heures s’écoulent dans l’antichambre du bureau du commissaire. J’attends sous les clignotements intempestifs des néons, le ballet des prévenus pour seul spectacle et les gueulantes des interrogatoires en guise de fond musical. Deux sous-fifres qui n’ont pas inventé l’eau chaude font peser sur moi leur présence étouffante. Tandis que l’un rumine connement, l’autre me dévisage.


« Hé, poulette, tu sais qu’elles me bottent tes cuissardes ! Comment tu fais pour les faire reluire à ce point ? Tu demande à tes clients de juter dessus ? »


L’autre retient un rire débile. Ils se sentent en position de force, bien au chaud dans leur nid. Seul avec une partie de moi-même, je n’ai comme arme que la résistance passive.


« Ouais, n’empêche que j’aimerais bien savoir comment ça lustre, une tarlouse ! Par ces temps d’orage, je me ferais sucer par n’importe quoi ! »


Je ne peux pas m’assoupir. Hors de question d’abandonner mon corps à l’Autre en présence de ces deux abrutis. Mes yeux les fuient autant que possible. Derrière leur tête à claque, une affiche fait la promotion du soutien psychologique par téléphone. Drôle d’ironie.


Enfin, la garde à vue survient comme une délivrance. Pas pour longtemps. Dans le bureau étriqué s’impatiente le commissaire divisionnaire. Mes deux gardes aux trousses, je pénètre dans un univers blanc clinique de lignes abruptes, de maillage cartographique et de courbes statistiques. La chaleur se dégageant des PC jaunis rend l’atmosphère suffocante. Le maître des lieux, portant moustache et double menton, me fait signe de m’asseoir en face de lui. Ses yeux globuleux analysent chaque centimètre carré de mon accoutrement. La sueur perle sur son front dégarni. Debout près de la cafetière durement sollicitée, son second se tient attentif, les bras croisés.


Je m’empresse de leur expliquer mes mésaventures, mais ils me font immanquablement endosser une identité qui n’est pas la mienne. Rapidement, les questions pleuvent, mais comment répondre à une question qui ne s’adresse pas à vous ? La, je me borne à leur livrer ma seule certitude.


« Je suis un autre… »


A voir leurs mines déconfites, je me dis que le bureau sépare les fous des censés sans savoir précisément de quel côté je me trouve. Le commissaire perd patience, cogne du poing sur la table en me postillonnant dans la gueule.


« Ecoute-moi très attentivement, ma jolie ! Jean-Paul Rodier dit « Raimond », ancien premier adjoint et principal suspect dans l’affaire des bordels SM, vient de se faire descendre alors qu’il partousait au CockPit. Deux de nos taupes, infiltrées dans la soirée, enquêtaient sur son réseau. Malheureusement, ce meurtre nous a poussés à intervenir plus tôt que prévu, et voilà le travail ! »


L’homme se ravise un peu.


« Evidemment, Raimond en savait trop pour ses petits copains de la pègre ! Maintenant qu’ils l’ont fait taire, c’est aux courtisans comme toi de coopérer avec nous ! Et je te préviens, on en a suffisamment bavé sur cette affaire, alors on ne te lâchera les basques que lorsque tu auras vidé ton sac !



L’absurdité de sa supposition m’étonne moi-même. Après tout, peut-être suis-je réellement fou. Je ne sais pas, je ne sais plus. Une seconde rafale de questions me frappe comme autant de coups dont je ne sentirais même plus la douleur. Le second s’en mêle.


« J’te ferai parler cette langue de pute, moi ! Elle les a tous sucés jusqu’à la garde, cette salope ! Et je vous dis qu’elle a encore le goût de leur queue dans la bouche ! »


Les nerfs lâchent. Une gifle part, les insultes fusent. Je capitule dans leurs filets. Ils me font avouer tout et n’importe quoi. Une éternité plus tard, tout s’arrête. Les deux laquais me conduisent dans une cellule au fond d’un couloir sans fin. Le martèlement obsédant de mes talons revolver me remémore la Présence à chacun de mes pas.


Peut-être serais-je mieux enfermé. Non, dorénavant ELLE ne me lâchera plus. Mes tortionnaires idem. Sitôt dans la geôle, le plus baraqué des deux me relève la jupe sans délicatesse. Je riposte à coup de poing dans la gueule. Geste dérisoire. Il me met illico hors de combat en me tordant l’épaule. Je m’exécute sous la douleur, les jambes écartées, face au mur de béton gris.


« Pas commode, la petite ! Hé, regardez-moi, ce beau petit cul de gonzesse ! On s’y croirait ! Ça change des boudins de l’accueil, hein Francis ? Tâte-moi donc cette came !



Des doigts épais s’infiltrent dans le sillon de mes fesses. Les intrus écartent la ficelle du cache-misère, me fouillent sans ménagement. L’anneau passé, mon conduit s’élargit sans résistance. Je m’appuie contre la cloison, les yeux clos de désespoir, le temps que ça passe. Il remonte loin en moi. Ma propre contenance me terrifie.


« Et bien profonde, en plus ! Qu’est-ce que tu en dis si tu suçais mon copain ? me souffle-t-il au creux de l’oreille. Ça devrait te rafraîchir la mémoire pour l’interrogatoire de demain, une bonne bite à travailler ?



Me voilà dos au mur, encore une fois humilié, à genoux, et le bras toujours endolori par l’énergumène. Dépêche-toi, imbécile, sors ton instrument, qu’on en finisse ! La trivialité de son entrée en matière décuple l’horreur que j’ai de sa trique. Il me harponne au visage. Ma langue amortit la violence aveugle d’une bête chercheuse. Il s’agite de trépidations bornées. Je prie pour qu’il ne me heurte pas la glotte. Il n’a pas d’autre saveur que celle du dégoût. J’appréhende le moment où il crachera sa crème immonde. Il s’enfonce un peu plus et m’impose l’insoutenable vulgarité de ses valseuses. Un dernier espoir me vient au détour d’un haut-le-cœur. Il pousse ses cris désordonnés de misérable petit frustré. Je parviens à temps à lui gerber dessus. Le déshonoré m’insulte, son acolyte se venge sur moi. Qu’importe, calfeutré dans mon fort intérieur, je fais la tortue.


Je survis à la tempête. Ils ont quitté la cellule en me laissant à même le carreau. Défait. Détruit. Je n’ai que dix mètres carrés pour jouir du rien d’intimité qu’il me reste. Cela sera bien suffisant. Non contente de m’avoir dépossédé de mon corps et infligé tous ces sévices, l’Autre vient à présent s’approprier mon esprit. Mes paupières me pèsent. Irrésistiblement, ELLE me gagne. Je parviens à connecter encore quelques neurones pour me projeter au début de mon histoire. Non, j’aurais dû laisser vivre ma jumelle plutôt que de subir ce cauchemar éveillé, mais en fin de compte, le repos vient comme un juste retournement de situation. L’Ame Sœur aura eu ma peau.