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Temps de lecture estimé : 29 mn
27/04/05
corrigé 18/08/22
Résumé:  Une jeune et belle avocate se désespère de trouver un mari. Mais sa situation est-elle désespérée ?
Critères:  fh inconnu collection amour volupté revede init
Auteur : Jeff            Envoi mini-message
Les bagues de Chloé

Chloé est une jeune femme qui n’a pas encore trouvé « chaussure à son pied ». Pourtant, dieu lui est témoin qu’elle en a essayé, des chaussures et des chaussures… enfin, des hommes et des hommes. Mais rien. Rien de rien. Celui-là est trop gros, celui-ci trop poussif, ce dernier trop maigre, l’avant-dernier trop grincheux, celui d’avant trop avare, bref, tous ont des défauts irrémédiables et rédhibitoires qui rebutent Chloé.


Et à trente-cinq ans, Chloé est donc toujours célibataire et désespérée.

Pourtant elle est belle et prend soin d’elle. Esthéticienne et coiffeur toutes les semaines, séances d’UV tous les mois, shopping tous les trimestres avec changement de garde-robe lors des nouvelles collections. Et puis Chloé est aussi un cordon-bleu émérite qui sait recevoir, mettre les « petits plats dans les grands » quand il faut. C’est une jeune femme indépendante et pleine d’allant qui gagne merveilleusement bien sa vie. Bref, elle a tout pour plaire.


Tout ? Sauf un Homme.

Elle a écumé son carnet d’adresses, celui de ses copines (non sans mal ni sans quelques grincements de dents, car les femmes sont de moins en moins prêteuses), de ses relations, elle a même ratissé les fonds de tiroir de sa province natale et bien sûr, fait les poubelles de son bureau. Mais là encore, échec sur toute la ligne. Toujours rien à se mettre sous la dent. Enfin, dans son lit et entre ses cuisses. Elle a même essayé les clubs de rencontres, les agences matrimoniales et dernièrement le « speed dating » et toujours la même rengaine… rien n’est venu à l’horizon pour meubler son cent mètres carré, et encore moins réchauffer son lit désespérément vide d’homme.


Bien sûr, Chloé rencontre des hommes !

Elle sait même que dans son dos, sur son passage, lorsqu’elle traverse les couloirs du palais de justice ou la salle des pas perdus, bon nombre de ses confrères murmurent sur son passage à l’oreille de leurs interlocuteurs « Vous ne connaissez pas maître Chloé… ? Vous devriez la rencontrer! On dit qu’elle est très accessible ! » Puis, baissant le ton, ils glissent « … C’est une baiseuse hors pair ! » Aussi, le nombre des regards qui la suivent, la déshabillent de sa robe d’avocate, lui feraient presque monter le rouge de la honte au front. Elle sait aussi que les plus méchantes langues de la place de Paris (et mon dieu, qu’il peut y en avoir !) disent d’elle que, seul le métro ne lui serait pas passé sur le corps, parce qu’elle n’utilise que des taxis ! Mais ça, Chloé a du mal à encaisser ce genre d’avanie. C’est pourquoi le soir, quand par hasard elle est seule dans son lit, Chloé essuie quelques larmes qui perlent au coin de ses yeux.


Alors, depuis quelques mois, les doigts de Chloé s’ornent de bagues fines, en or. Tous ses doigts, sauf l’annulaire gauche qui, lui, reste désespérément vide. Et cette débauche de bagouzes, qui charge ses longues mains fines et soigneusement manucurées, qui s’empilent les unes à côté des autres, étonne, interroge et attire l’attention de bon nombre de ses copines et connaissances.

Comme avocate, elle utilise souvent sa main dans de larges effets oratoires gesticulés, et les feux jetés par l’or des bagues ne passent guère inaperçus aux yeux des différents publics qu’elle affronte tous les jours. Au point que le bâtonnier de l’ordre, cerbère des bonnes mœurs de ses consœurs et confrères, lui en a même fait la remarque et le reproche, un matin où ils se retrouvaient en tête à tête pour un café, avant d’aller plaider. Mais Chloé, gentiment et fermement lui a expliqué qu’elle ornait ses doigts comme bon lui semblait. Devant le ton revêche et sans répliques, le vieil homme s’était excusé de cette intrusion dans sa vie privée et sur sa façon d’exposer ses bijoux, mais sur un ton plus courtois et plus amical, il lui avait conseillé d’éviter d’étaler avec ostentation sa dot, devant les bancs des accusés ou sous le nez des juges et du procureur. Mais Chloé avait haussé les épaules, tourné les talons et était partie travailler.


C’est que ses bagues, elle y tient. Chaque bague représente en effet, les différents essais d’hommes qui traversent sa vie, depuis ces derniers mois.

Cela était arrivé comme une sorte de jeu. En fait, un matin où elle se réveillait au côté d’un beau brun, de type espagnol ou italien (elle ne savait plus très bien à quoi il ressemblait. ni son prénom). En revanche, ce dont elle se rappelait avec une effarante précision, c’est que l’homme avait un torse musclé et particulièrement poilu. Il attendait béatement qu’on lui apporte son petit-déjeuner au lit et continuait à s’y vautrer, alors qu’elle était particulièrement en retard ce matin-là. Et en bon macho méditerranéen, il commençait même à rouspéter parce que le service n’était pas assez rapide !


Non, mais ! Ni une ni deux, Chloé s’était emparée de la pile de ses vêtements, lui avait jeté à la figure et lui avait intimé l’ordre de débarrasser le lit, le plancher et de vider les lieux ! Terriblement vexé et boudeur, le mâle avait alors cherché une réplique pour sortir dignement et blesser la « conquête » de sa nuit.

Tout en enfilant un jean hyper moulant qui mettait en relief sa virilité, il s’était souvenu de leur conversation de la nuit, il lui avait jeté au visage, avec acrimonie :



Chloé qui finissait de se brosser ses longs cheveux bruns devant sa coiffeuse et surveillait dans le miroir son « passager de nuit », pour toute réponse, lui envoya sa brosse à manche en argent à la tête. L’autre n’avait eu que l’instinct de se baisser pour éviter le projectile et sans demander son reste, était parti en marmonnant qu’un « coup comme lui, elle n’était pas prête d’en retrouver un de sitôt ! » Rien que ça !


Et voilà, que dans la journée, l’idée avait cheminé pour s’imposer à l’esprit de Chloé comme une évidence : dorénavant, pour chaque mec largué, elle enfilerait une bague en or et quand la première phalange de chaque doigt serait recouverte de bagues, quand il ne lui resterait plus que l’annulaire, elle enfilerait cette dernière et l’ultime bague : celle de l’anneau de mariage. Alors, elle épouserait cet homme ! Et peu importe l’homme. Et voilà comment Chloé, semaine après semaine, depuis quelques mois, ajoutait des bagues à ses doigts. Elle les avait choisies fines, simples, mais en or !


Le seul homme qui était heureux, dans cette histoire, c’était son bijoutier. Elle était devenue, à son corps défendant, sa meilleure et sa plus originale cliente.

Et au fil du temps, Chloé alourdissait ses doigts, mais sans jamais enfiler la moindre bague à l’annulaire gauche. Elle ne les quittait plus. Préférant perdre quelques minutes à faire tremper ses mains pour nettoyer entre les anneaux que de les enlever, car il lui aurait fallu les compter. Et ça, Chloé s’y refusait.

Jusqu’alors, elle n’avait jamais tenu une comptabilité de ses amants. Non seulement cela l’aurait trop déprimé, mais en plus elle n’aurait pas su où renfermer ce terrible secret. Dans sa tête, elle savait ne pas pouvoir en retenir longtemps le chiffre. Pour cela, elle avait du mal avec sa mémoire, au point qu’un matin, elle avait même découvert que son « passager de nuit » avait déjà eu l’honneur de partager sa couche, quelques mois auparavant.

Ce crétin, heureux d’avoir réussi cet exploit, s’en glorifiait. Et Chloé, sous le coup de la surprise de s’être laissée berner et en colère contre sa mémoire défaillante, l’avait chassé hors de son lit, de sa chambre et de son appartement en lui murmurant dans un sourire étonnamment calme et perfide :



C’est qu’en plus, elle est aussi comme ça Chloé : exigeante, cassante et expéditive en matière de rupture, sauf en amour. En amour, Chloé veut de la lenteur, de la tendresse, de la douceur. Elle veut utiliser pleinement le temps qu’elle y consacre. Elle voudrait même, dans ce moment-là, arrêter le temps. Et comme elle sait que cela est impossible, alors, elle veut que la seconde se transforme en minute, et la minute en heure…


Oui, mais voilà, les « passagers de nuits », eux, sont généralement pressés. Ils ont toujours tendance à abréger les préliminaires, à bâcler le temps de l’approche, à sauter les étapes pour la sauter, elle. Et leurs gestes, au fur et à mesure où les plaisirs des corps montent, se font de plus en plus brusques, rapides. Les étreintes, au lieu de se prolonger, de s’alanguir, s’accélèrent et frustrent Chloé de son plaisir. Ensuite, leur petite extase atteinte, ils s’endorment telles des souches et ronflent jusqu’au matin.


Pourtant, avec ce temps justement, elle aurait dû apprendre à se contenter de ce que les « passagers de nuit » lui offrent et se contenter de leurs hommages, avec leurs défauts et leurs maigres qualités (toujours selon elle). Mais non. Chloé est vraiment insupportable. Elle veut la qualité, la quantité et surtout pas de défauts. Voilà pourquoi, ils ne restent que des « passagers de nuit », comme elle les appelle. Voilà pourquoi, à trente-cinq ans, elle est toujours célibataire. Et que, plus le temps passe, plus les doigts de Chloé s’ornent de bagues.


Ses amies, au début de cette curieuse manie, n’y avaient pas pris réellement garde ni réellement fait attention. Et plus les doigts de Chloé étincelaient de leur or, moins il était impossible de ne pas les remarquer, d’éviter de les fixer. Surtout que Chloé, naturellement, faisait toujours de grands gestes avec ses mains quand elle parlait. Et qu’est-ce qu’elle parlait, Chloé ! Normal, elle est avocate. Alors le cercle de ses copines, bêtement et sans beaucoup d’imagination, s’est mis à l’imiter. Et toutes, de charger leurs doigts de bagues fines qui en or, qui en argent. Et plus Chloé en rajoutait, plus les doigts de ses relations se chargeaient aussi. Certaines pensaient que c’était là le dernier cri de la mode à Paris, d’autres trouvaient cette pratique particulièrement drôle et esthétique. Mais aucune n’imaginait les larmes et les souffrances que chaque bague de Chloé pouvait représenter pour elle.


Mais ça, c’était le secret de Chloé, qui était bien décidée à n’en parler à personne.


La première bague de Chloé.


Chloé était attablée en face d’un client important, à la terrasse d’un café chic, de l’avenue de l’Opéra. À son habitude, elle avait choisi une table qui lui permettait de surveiller les allées et venues des consommateurs qui entraient et sortaient du café, tout en conservant un œil sur le trottoir et sa foule de mâles. Une place et une position qu’elle estimait essentielle et stratégique. Et d’une oreille attentive, mais les yeux sans cesse en mouvement, elle l’écoutait lui récitait la litanie de ses derniers déboires judiciaires et de ses avatars conjugaux. Elle savait que d’ici à quelques instants, l’homme allait lui demander inexorablement « alors, maître, que comptez-vous faire ? » et il faudrait qu’elle endosse, une fois encore sa tenue d’avocate pour le rassurer et venir le sortir du guêpier dans lequel il s’était fourvoyé tout seul. Et pour l’instant, elle n’avait pas trouvé mieux que de continuer à lui prêtait une oreille attentive, lasse d’entendre toujours les mêmes histoires, les mêmes excuses.


Il faut dire que Chloé était reconnue sur la place de Paris, comme la spécialiste des divorces, défendant généralement les hommes mariés qui avaient mis plusieurs coups de canif dans leurs contrats de mariage. Et malgré leurs torts, elle remportait généralement des victoires éclatantes qui remplissaient un peu plus, tous les jours, la salle d’attente de son cabinet. C’est que les hommes, elle les connaissait. Elle savait tout sur leurs faiblesses.


Un bout de cuisse entraperçu par une après-midi ensoleillée, un sourire sur une bouche pulpeuse, un regard myosotis qui les fixait durant un dixième de seconde de trop… et hop ! Pour eux, c’était dans la poche. Oublié la fidélité, les trente ans de mariage, les serments d’amour éternels et les « je t’aime pour toujours ». Ils se jetaient à la tête de cette première venue, s’amourachaient de sa jeunesse de vingt ou trente ans de moins qu’eux, s’épuisaient en rendez-vous galants, mentaient aux femmes de leur entourage, y compris à leur maîtresse en titre. Et un matin, dans la salle d’attente de son cabinet, ils devaient faire la queue, la tête basse, en se demandant bien quelle mouche avait piqué bobonne dans la nuit, pour demander le divorce. Alors, devant Chloé, ils s’effondraient pitoyables, incompris et surtout sans rien comprendre.

Et elle les écoutait attentivement, avec la commisération qui sied à sa fonction.

Tout en écoutant leurs fredaines, Chloé les jaugeait.


Elle-même en aurait croqué plus d’un ! Mais sa déontologie et surtout leur misérable déboutonnage ne l’incitaient guère à leur faire une quelconque avance. Pour elle, la majorité des mâles qui défilaient dans son bureau ne pouvait correspondre à l’image de l’homme idéal qu’elle recherchait, car malgré toutes ses expériences, l’écoute de toutes leurs fadaises, leurs plaintes et leurs jérémiades, elle restait attachée à l’image du « prince charmant » !

Eh, oui, elle était aussi comme ça, Chloé, toujours célibataire, dure en affaires, insensible et intraitable dans ses plaidoiries, mais fleur bleue.


Et tout en écoutant son client lui égrener son histoire, elle avait fixé son regard sur un beau blond, grand, svelte, les yeux bleus qui entrait dans le café. Immédiatement le regard de Chloé avait jaugé le nouvel entrant. « Ce soir, ce sera lui ! » avait-elle décidé. Par acquit de conscience, son regard s’était porté sur les mains et les doigts pour vérifier s’il portait ostensiblement une alliance ou non. Même si elle savait que l’absence ou la présence de cet anneau emblématique des serments d’amour éternels, n’avait jamais été une barrière contre les aventures extraconjugales. Celui-là ne portait rien. En entrant, il avait jeté un regard autour de la salle et ses yeux s’étaient juste arrêtés, l’espace d’un instant, sur le visage de Chloé. Elle avait senti le regard l’enrober, la détailler. Elle lui avait rendu son regard, et suivi jusqu’à une table, plus loin, mais dans sa ligne de mire. Posément, il avait commandé et ouvert un journal.


Chloé, de temps en temps, l’observait. À plusieurs reprises, leurs regards s’étaient croisés. Juste un regard. Tandis que son client avait terminé depuis longtemps l’énumération de ses humiliations conjugales, Chloé avait sorti une carte de son lourd Filofax et avait griffonné quelques mots. Sans faire attention au regard courroucé de son hôte, elle avait hélé un garçon et lui avait fait porter la carte au lecteur de journal. Durant le trajet du bristol, délicatement posé sur un plateau d’argent, elle n’avait pas quitté des yeux le destinataire, surveillant ses réactions pendant qu’il déchiffrait les quelques mots couchés sur le papier.

Et une fois encore, leurs regards s’étaient croisés. Et cette fois, un petit air rieur éclairait leurs pupilles. Ils s’étaient compris. Lui, d’un clin d’œil discret acquiesçait à sa demande de rendez-vous, dans une heure au Harry’s Bar, quelques rues plus loin.


Quand Chloé est rentrée au Harry’s Bar, il y était déjà attablé. Sûre d’elle, elle s’approche de la table et s’installe. Chloé l’examine enfin de près. Les cheveux blonds cachent des racines qui commencent à grisonner. De fines pattes-d’oie marquent le coin des yeux et mettent en relief la profondeur du bleu. Pas de cernes. Pas de paupières tombantes. Les lèvres fines sont un écran à des dents à la blancheur éclatante et à une régularité étonnante qui évoquent plus les implants que le naturel. Les mains, posées autour du verre, sont élégantes et soignées, aux ongles finement polis et manucurés. Il s’échappe de l’homme une odeur de lavande et de vieux cuirs. Sensible du nez, Chloé a immédiatement identifié l’eau de toilette. Elle examine aussi ses vêtements. Chemise à petits carreaux bleus et blancs, cravate chinée, tons sur ton. Costume en laine, gris, mais très chic et parfaitement coupé. Au poignet, une montre de marque, discrète. Pas d’autres signes extérieurs, si ce n’est une pochette assortie à la cravate et aux boutons de manchettes, petites boules de fils tressés.

Le silence qui s’est installé entre eux ne semble pas les gêner.Elle sait que si elle l’observe, elle-même fait l’objet d’un examen identique. Et elle est sûre d’elle.


Elle a ramené en un sage et discipliné chignon ses longs cheveux noir corbeau. Une coiffure qui met en valeur ses oreilles, ornées de deux diamants et son cou gracile. Cette coiffure, volontairement un peu austère met aussi en valeur son front. Légèrement bombé, haut et large. Elle sait que les hommes aiment cette volonté que certaines femmes peuvent ainsi exhiber. Les sourcils, toujours parfaitement épilés, mais naturellement fournis, rehaussent ses yeux. Dans un camaïeu de pastels bleu et rose, les paupières forment un écrin à son iris presque violet. Ses joues, très légèrement poudrées laissent transparaître sa carnation brune. Ses lèvres, charnues et pulpeuses, soulignées par un rose soutenu, viennent parfaire la mise en valeur de sa dentition naturelle et qu’elle entretient avec ferveur et dévotion.


Tout en continuant l’examen de son inconnu, Chloé se rengorge. Elle tire en arrière ses épaules pour mettre en valeur sa poitrine. D’une taille moyenne, elle a horreur des gros seins, elle sait que ce mouvement fait frotter le tissu de son chemisier de crêpe de soie grège avec celui de son soutien-gorge en soie naturelle et finira par faire pointer ses tétons qui vont provoquer le regard de l’autre.


Enfin, l’inconnu se décide à ouvrir la bouche. Il se présente dans un français impeccable. Agent d’artistes, Anglais par son père, Écossais par sa mère, l’homme se nomme Sullivan. À Paris pour quelques jours, il est là pour passer de nouveaux contrats avec quelques vedettes françaises du monde du cinéma qu’il espère débaucher pour aller trouver un nouveau souffle en Grande-Bretagne. Toutes ses raisons ennuient fermement Chloé. Elle ce qui l’intéresse c’est de savoir s’il est libre, s’il n’est pas homo et le reste, à vrai dire est accessoire pour elle.


Gentleman, Sullivan semble s’amuser de cette situation. Jamais il n’avait été dragué par une femme et cette Française vaut bien quelques entorses à son portefeuille, allant même jusqu’à régler le taxi qui les conduit aux pieds de l’appartement de Chloé, sans rechigner lorsque le chauffeur, avec l’amabilité qui est capable de les caractériser, lui réclame naturellement son pourboire.

Par décence, mais refrénant une coupable envie, toute la soirée Chloé s’est tenue à distance de Sullivan, autant pour l’aguicher, le faire lanterner aussi bien que par bienséance. Mais dès la porte cochère franchie, dans l’ombre de la veilleuse de la cour de son immeuble, à l’abri des regards indiscrets, elle lui fait face et lui tend ses lèvres. Elle attend un long et langoureux baiser.

Ses lèvres sont douces, sa langue est fouineuse à souhait. Ses mains fines, expertes dans l’exploration des courbes de son corps. Des promesses qui tournent la tête de la jeune avocate et lui font précipiter les choses.

Sans que Sullivan ne comprenne réellement l’empressement de la jeune femme, il se laisse faire, un peu ahuri, surpris.


Chloé d’une main experte a ouvert les boutons de sa braguette et l’a immiscé jusqu’à son sexe, déjà excité par le long baiser. De quelques petits coups de poignet adroits, elle entame une légère masturbation qui le rigidifie un peu plus. Les mains de Sullivan enserrent juste un peu plus la taille de Chloé, surprises par cette intrusion soudaine et inattendue. Poussé contre le mur par le torse de Chloé, Sullivan est bloqué pendant qu’elle glisse le long de son buste. Il sursaute même quand une bouche fraîche vient le cueillir et l’avale. Il ne peut que pousser un long soupir de contentement, agripper sa tête entre ses mains et jouer des doigts dans les cheveux défaits. Chloé, accroupie, l’embouche avec fébrilité et gourmandise. Elle sait que les hommes aiment ce genre de caresse et que bien souvent leurs fantasmes leur font imaginer de telles séances en des lieux inappropriés. Du bout de sa langue, elle s’applique à faire le tour du bout du gland. Respire les effluves un peu douçâtres de la peau. Elle s’enivre de ces odeurs. Puis elle joue avec ses lèvres, aspire, avale, fait rouler et coulisser la hampe. Elle l’enrobe de sa salive chaude, prémisses à d’autres sucs chauds de son corps. Elle exerce une série de va-et-vient qui alternent lenteur et rapidité, surface et profondeur. Le traitement qu’elle inflige fait gonfler le sexe de Sullivan. Elle sent contre sa langue la veine qui bat et tape de plus en plus vite et fort. Elle sent contre son palais la raideur qui s’affirme. Et de temps en temps, le fond de sa gorge perçoit quelques gouttes de sperme qui s’échappent et marquent les premiers soubresauts du plaisir masculin.


Sullivan essaye de lui faire prendre un rythme plus soutenu ou marquer par quelques coups de rein son envie d’accélération, mais Chloé reste maître de la situation. Elle amène Sullivan au bord de l’explosion, suspend son traitement, remplace sa langue par ses doigts et quand, dans la paume de sa main, elle ressent la rigidité de l’explosion, elle replonge d’un coup d’un seul le sexe dans sa bouche et l’avale loin. Alors, dans une série de tressaillements incontrôlables, Sullivan explose au fond de la gorge de Chloé. Elle s’ingénie à tout avaler, à longs traits gourmets ce nectar qu’elle espère être intarissable. Puis, avec application, elle entreprend une toilette coquine qui accentue et prolonge le plaisir de l’homme, ravive sa raideur en mélangeant sa salive et sa semence fraîche comme lubrifiant naturel, et redonne vigueur et espérances à Sullivan.


L’Anglais reste essoufflé, tétanisé par cette fellation, sensation jusqu’alors inconnue et particulièrement inespérée. Les jambes tremblantes, le ventre dur, les fesses contractées, il se laisse aspirer et n’a plus le courage de lui tenir la tête ni de jouer dans les mèches de cheveux. Il cherche sa respiration. Il cherche à retrouver son équilibre. Il cherche à récupérer son self-control. Plongé dans une semi-obscurité, la diablesse de Française le fait vaciller et il espère ne pas être en proie à une hallucination ni à un piège. Et tandis qu’il tente de reprendre un peu ses esprits, Chloé remballe, tant bien que mal, son sexe, s’empare de sa main et l’attire vers lui. Elle lui colle ses lèvres gluantes de son plaisir sur sa bouche et lui fait partager, un peu contre son gré, son plaisir répandu dans cette bouche brûlante et fraîche en même temps. Puis, d’un petit coup de rein rapide, Chloé se décolle de lui et l’entraîne dans une course folle vers son appartement.


Maintenant, Chloé est impatiente d’offrir son corps, tout son corps, à son amant. La vigueur obtenue un instant auparavant lui laisse présager une longue séance de plaisir. Essoufflé par une montée d’escalier rapide et une intrusion dans cet univers inconnu de « l’amour à la française », Sullivan n’a pas le temps de respirer que déjà Chloé est nue devant lui et que ses beaux vêtements jonchent aussi le sol de la chambre. Il contemple un instant le corps de la jeune femme. La pointe des seins, aperçue au travers des vêtements, se dresse enfin devant lui. Aréoles brunes, presque violettes, aux tétons pointus et érigés couronnent un sein lourd, ferme, en forme de pomme. Le ventre plat est marqué en bas d’une très légère toison taillée en une bande étroite qui met en relief un sexe très brun, aux lèvres luisantes de plaisir qui pendent légèrement et s’écartent déjà, prêtes à recevoir ses hommages. Les jambes, galbées, aux cuisses fermes et voluptueuses sont une invitation au toucher. La peau brune et dorée appelle sa bouche. La vue du corps de Chloé lui met le feu dans la tête et dans le ventre et son sexe, bien que déjà lessivé, se redresse de façon automatique et éhontée.


Chloé apprécie, pour sa part, la vision du corps dénudé de son « passager de nuit ». Noueux, musclé, sans graisse ni poils en trop. La peau blanche, presque diaphane enflamme son imagination. Sullivan fait un pas vers le corps de Chloé et s’attarde avec ses lèvres sur ses épaules, ses seins et promène des mains légères et fouineuses sur les fesses, les hanches, le ventre et l’entrejambe. Sous les légers attouchements, Chloé miaule comme une jeune chatte, remue de la croupe, entame une danse du ventre qui vient caresser le pénis de son amant et le stimule. Le couple, ainsi uni, s’écroule sur la vaste couche et la tête de Sullivan plonge dans l’intimité de la jeune avocate.


À son tour de découvrir les senteurs intimes de sa nouvelle maîtresse. À son tour de humer ce parfum où se mêlent odeurs de plaisir frais, de sueur aigrelette et entêtante et relents des sels de bains des ablutions matinales. Du bout de sa langue, il cherche dans les replis de la vulve tout ouverte, le clitoris pour aller le lécher, le titiller, le mordiller, l’exciter. Il le trouve, niché dans son écrin. Petite boule sensible, qui pointe timidement au milieu des replis des lèvres. Par quelques coups de langue pointue et dure, il le réveille et son menton s’humidifie du plaisir qu’il arrache. Puis il descend vers l’entrée de la grotte intime de Chloé, suit de la langue les longues coulures de désir qui l’amène à l’entrée du petit trou serré et palpitant. Avec acharnement, il s’y insinue.

Jambes écartées, fesses à moitié relevées, Chloé lui tient la tête et l’appuie contre ses chairs intimes, espérant pouvoir se répandre et tremper son partenaire dans une jouissance fulgurante qui l’étourdira. Elle sent monter dans son ventre le désir, puis le plaisir. Elle cherche à en contrôler l’accélération, la puissance, pour mieux le concentrer et exploser en une longue jouissance. Elle connaît ses paliers. Elle sent son cœur cogner. Ses chairs s’humidifient de plus en plus. Elle discerne l’arrivée de cette jouissance tant espérée, tant attendue.

C’est dans ce moment-là qu’elle voudrait que le temps s’interrompe. Que sa marche se ralentisse. Que la seconde dure une minute. Que la minute dure une heure. Que l’heure dure toute la nuit. Que cette nuit dure toute la vie.

C’est aussi à ce moment-là, généralement, que l’amant devient mufle et interrompt la montée de son plaisir. Qu’il abandonne son clitoris, son sexe, son petit trou pour la pénétrer. Et dans ce court laps de temps qui le fait changer de position pour trouver enfin le chemin de son corps, son plaisir retombe.

Chloé tente toujours de se raisonner, de se calmer, d’accueillir avec empressement et rapidité l’homme qui vient de la laisser tomber dans sa jouissance, pour conserver un peu de ce plaisir inassouvi.


Mais pour elle, tout ou presque est à recommencer.


Bien sûr, elle écarte docilement et largement ses jambes pour se rendre encore plus accueillante. Elle les enroule autour de son partenaire et creuse son ventre. Par de mystérieux et incontrôlables mouvements de son bassin, ses muscles internes se contractent et entament un massage de la hampe qui est en elle. Elle a besoin de sentir cette vigueur chaude aller et venir, doucement, lentement. Elle a besoin de retrouver un nouveau rythme pour faire remonter son plaisir. Les mains calées sur les fesses dures de son partenaire, elle tente de lui inculquer ce rythme, elle le force à s’y maintenir, l’accélérant et le calmant selon les besoins du désir renaissant. Elle perçoit la rigidité qui l’envahit, butant au fond de son intimité, écartelant son entrée, comblant son vide féminin.

Enfin, le plaisir remonte dans son ventre en vagues imprécises, lentes puis de plus en plus nettes. Elles envahissent tous ses muscles, tétanisent son ventre, lui font serrer les jambes autour des reins de son partenaire. Et quand le paroxysme semble commencer à poindre dans son clitoris, largement massé par le ventre et le pubis de l’homme, envahissant son sexe entier, c’est encore là qu’elle voudrait que le temps se suspende.


Et c’est souvent là aussi que, d’un coup de reins puissant, il se dégage soit pour se répandre sur son ventre doré, rassasié de plaisir, soit pour changer de position. D’une main maladroite, il l’incite souvent à se retourner, pour honorer ses fesses. Après une simple et rapide caresse, il pointe son pénis à l’entrée de son petit trou et d’une poussée puissante l’envahit. Chloé aime cette prise de possession. Elle aime jouir de partout. Mais elle aime surtout aller au bout de sa jouissance. Elle a horreur de cet égoïsme mâle qui prend son pied sans s’occuper du plaisir de sa partenaire. Une fois encore, il lui faut un long moment pour retrouver le rythme du plaisir et sentir le désir envahir son corps. Mais une nouvelle fois, si les sensations agréables qui parcourent son corps la mettent au bord de la jouissance, excitée par le va-et-vient qui l’envahit et qui fait monter en elle ces vagues de délectation, elle redoute le moment où elle discernera les premiers soubresauts de son partenaire - annonce de son éjaculation - et elle redoute qu’elle n’arrive avant sa satisfaction.


Mais elle a beau ahaner, soupirer, masturber son clitoris, ce qu’elle redoute le plus, arrive inéluctablement. Lui, dans un ultime et violent coup de reins, se répand. Explosion soudaine et incontrôlée. Elle recueille cet ultime hommage à l’amour en serrant les dents, la tête vide et cœur au bord des larmes, battant vite, les muscles tétanisés par sa propre excitation qui allait atteindre son paroxysme et qui est si brutalement interrompue. Sans plus oser bouger, le mâle amant, « passager de nuit », le souffle court, tente de récupérer un peu de sa superbe. Souvent, écroulé sur son dos, pesant de tout son poids sur ses omoplates, il n’ose aucun geste qui réveillerait sa virilité, tant il est épuisé par ses propres efforts. Et Chloé attend que le « passager de nuit » daigne lui laisser un peu d’air pour pouvoir bouger.


Si l’amant lui a autorisé une explosion de plaisir, lors d’un de ses assauts, Chloé, à peine débarrassée de son fardeau, aime aussi aller cueillir avec sa bouche le mélange de leurs sucs intimes. Par petits coups de langue, elle aspire, lèche et nettoie son amant. Souvent une raideur nouvelle lui fait espérer en un prolongement de leurs jeux pervers. Mais souvent aussi, l’excitation reste passagère et éphémère. Alors, avec désespoir, Chloé pense déjà à la bague qui ornera dès demain une de ses phalanges.


La dernière bague de Chloé.


Elle se l’était « promis, juré », lorsque ses doigts fins et longs ne pourraient plus accepter une seule bague, la dernière serait une alliance ! En ce matin de novembre gris et froid, Chloé contemple avec aigreur et mélancolie ses mains.

Voilà. Elle est arrivée au bout de son défi. Plus aucune bague, si fine soit-elle ne peut venir orner la moindre parcelle d’une de ses premières phalanges. Non, il n’y a décidément plus de place. Seul, son annulaire gauche reste vierge d’anneau. Chloé demeure là, muette et abasourdie. Elle en a donc déjà accumulé autant, de ces simples bijoux, symboles de ses « passagers de nuit », au point que ses doigts ne peuvent même plus en supporter encore un, rien qu’un !


Elle reste là, atterrée. Elle n’a pas vu le temps passer ni s’écouler. Oui, surprise, elle contemple ses mains, écarte ses doigts, les tend pour mieux contempler le désastre de sa vie qu’elle porte, là, devant ses yeux effarés, terrorisés. Maintenant elle se sait au bord de son gouffre personnel, à l’heure dramatique où elle va devoir abandonner ses rêves, ses fantasmes et ses idéaux.


A-t-elle le choix ?


Une petite voix intérieure lui assure avec ferveur qu’elle a toujours eu le choix ! Mais sa raison lui dicte aussi de se plier à son propre défi, lancé quelques mois plutôt, moment où elle s’était volontairement imposé une barrière à sa vie de femme libre. Elle souffre intérieurement de cette situation. Sa liberté, durement acquise au fil des ans, ses choix de partenaires, ses extases atteintes comme celles ratées, lui reviennent là, en une sarabande d’images échappées d’un mauvais film pornographique. Mauvais rushes en mi-teinte, rayés et passés en accéléré. Et en surimpression, s’intercalent les images en noir et blanc d’un homme aux tempes grisonnantes, à la figure de baroudeur, la mâchoire saillante et volontaire. Le regard clair, fixé sur son corps de femme. Les mains douces qui la caressent longuement, jusqu’à l’assouvissement complet de son désir, et qui savent le faire naître et renaître encore. Puis elle entend, comme dans une vieille bande-son grésillante, le souffle de l’homme dans son oreille qui ahane, tandis qu’il la pénètre, attendant son ultime extase avant d’exploser lui-même en elle et de rouler sur le côté en lui demandant de réanimer sa flamme pour éteindre l’ultime incendie de son corps repu par le plaisir, rassasié d’amour.

À l’évocation de ses sombres images, son corps brûle, son ventre se tend.

Pourtant, elle n’ose aller se caresser, s’offrir ce plaisir solitaire que son corps lui réclame, là, maintenant. Et sans attendre ni s’attarder, elle finit de se préparer, sans joie, pour affronter la vie, sa vie.


En ce matin de novembre, Chloé, au sortir de chez elle, resserre l’attache de son manteau pour éviter les premiers frimas de cet automne naissant, et d’un pas décidé claque les talons de ses bottes sur le pavé parisien, bien obligée d’oublier la frustration qui gronde en elle. À peine débarquée du taxi qui la dépose devant la cour d’honneur du palais de justice, elle doit fendre une foule compacte de journalistes qui assaillent les grilles et bloquent le passage.

Jouant des coudes, Chloé tente de fendre cette foule compacte qui attend l’arrivée imminente de confrères venus défendre quelques hautes causes médiatiquement exploitables. Au passage, Chloé doit bousculer un grand gaillard qui fait obstacle de sa corpulence, pour atteindre le maigre cordon de gendarmes mobiles qui contrôle sévèrement les entrées. Énervée par cette confusion qu’elle trouve ridicule, Chloé pousse, tire, se faufile, joue des coudes, les rentre dans les flancs des hommes de presse, leur marche un peu sur les pieds, oublie de s’excuser et trace son sillage dans la marée.

Reconnue par un gendarme, sa main et son bras secourables l’arrachent à la forêt de perches, de micros, de caméras et d’appareils photographiques. Enfin, elle peut respirer, adresse machinalement au passage un de ses plus beaux sourires au jeune pandore et traverse à pas rapides la vaste cour, obliquant vers les escaliers qui montent aux salles d’audience.


Par deux fois au moins, dans cette matinée grise et sale, Chloé doit traverser les couloirs encore plus encombrés que d’habitudes. Par deux fois, elle se casse le nez sur le dos d’une veste en tweed brun et ocre qui sent le tabac blond et le vétiver. Mais pressée, oppressée par cette foule grouillante, Chloé ne peut s’excuser et continue tant bien que mal son chemin. Courageusement, elle accomplit son travail. Souvent l’esprit ailleurs, elle plaide ses dossiers comme un automate, sans ferveur ni foi dans ses arguments. Pourtant, par deux fois, elle obtient gain de cause dans des affaires qui pourtant étaient bien mal engagées et reçoit le regard noir des femmes abandonnées, comme un satisfecit de son professionnalisme.


L’une d’entre elles, mais ce n’est pas la première fois, vient même l’insulter à la sortie du prétoire, en lui jetant à la figure qu’elle est « la honte de la gent féminine ! » et qu’il n’est pas étonnant que son ex-mari l’ait choisie comme avocate, car « t’es qu’une salope ! » vitupère-t-elle. Chloé reçoit ses insultes sans broncher. En habituée elle a aussi un air compatissant et de commisération envers ces femmes trompées et bafouées qu’elle vient, en plus, de spolier de leurs soutiens financiers. Souvent, après coup, elle a honte de ses manœuvres, de ses arguments utilisés, mais son métier prime sur ses sentiments personnels et elle l’aime et l’exerce avec passion, oubliant alors qu’elle est aussi une femme.


Alors que la mégère en colère lève le bras pour lui claquer la figure, Chloé a déjà fait un pas en arrière pour tenter de se mettre hors d’atteinte, tandis qu’une main puissante et secourable vient interrompre le geste et envoie gentiment, mais fermement, l’ancienne épouse ulcérée finir de vider sa bile plus loin.

Chloé, qui tient ses yeux baissés durant ses quelques secondes, ramassée sur elle-même pour mieux se préparer à recevoir une gifle, sursaute lorsqu’une main ferme lui empoigne le bras et la tire en arrière.


En un centième de seconde, elle respire le tabac blond et le vétiver et n’ose plus lever les yeux sur le « preux chevalier qui l’arrache aux griffes de la méchante sorcière ». Après avoir fait quelques pas et trouvé un recoin plus calme, l’homme se penche sur Chloé, sort un mouchoir d’un blanc immaculé et lui tend.



Chloé enfin lève les yeux vers son sauveur, inconnu et à l’odeur déjà si familière.



Et elle s’empare machinalement du mouchoir et sans regarder où elle frotte, essuie les quelques postillons qui auréolent le devant de sa robe d’avocate.

En face d’elle, ou plus exactement, penché au-dessus d’elle, il est là !

La figure tannée par le soleil, la mâchoire volontaire, serrée, l’œil noir et velouté. Les tempes légèrement grisonnantes. Une tête de plus qu’elle, la sienne arrive juste au niveau des épaules, saillantes et qui doivent être réconfortantes, pense Chloé. Et, sans honte, lentement elle continue à détailler le journaliste. Son regard accroche sa bouche. Les lèvres bien dessinées affichent un sourire mi moqueur, mi-ironique. Quelques plis viennent embellir le visage rasé de près où une barbe drue pointe déjà ses poils rêches. Le torse, large, est enveloppé par un pull de laine, laisse échapper une douce chaleur attirante. Des jambes musclées remplissent un jean impeccable. Les boots noirs, cirés terminent de donner la touche finale d’un coureur de la Terre à cet homme aux gestes doux au milieu de cet univers bruyant et agité.


Chloé a un instant d’hébétude, d’absence. Comme une sorte d’éblouissement qui la fait tituber, tandis que des bras musclés et prompts la retiennent et la maintiennent debout, un peu serrée contre le torse viril.



La sensation alors qu’elle éprouve et aussi démesurée que ses rêves de jeune fille. Là, la tête appuyée contre cette large poitrine inconnue, elle se sent bien. Heureuse. Femme. Et l’homme n’ose plus bouger. Il ne bouge plus. Contre son oreille, elle entend le souffle qui s’échappe de sa poitrine. Elle entend le cœur qui bat, vite, fort et résonne dans la cage thoracique. Elle voudrait que le temps s’arrête, ici, au milieu de cette foule. Que la seconde devienne minute, que la minute devienne heure et que l’heure soit éternité. Ils restent ainsi un long, un très long moment. Sans bouger. Sans parler. Elle, appuyée contre lui. Lui, la tenant par les bras, ses cheveux sous le nez, respirant à plein poumon son odeur. Et personne ne prend garde à eux, dans leur recoin, un peu loin de l’agitation frénétique qui ne cesse de faire aller et venir la foule du palais. Seul, un confrère ose venir les interrompre, car il a besoin d’un dossier que Chloé serre dans sa main.


Tendant le dossier vers l’homme pressé, Chloé lève les yeux et rencontre le regard de son appui.



Et avec un geste d’une tendresse infinie, une large main aux doigts fins et noueux, monte vers son visage, s’empare d’une mèche échappée de son chignon, la recale délicatement derrière l’oreille. Avec un sourire calme et serein, la chaude voix rassurante lui répond :



Et sans que d’autres paroles soient utiles, les deux bouches se touchent. D’abord les lèvres s’effleurent, puis s’ouvrent. Les langues se cherchent, se trouvent, s’emmêlent. Le baiser échangé, les yeux fermés, les isole du monde. Et comme deux amants qui se cherchaient, qui se retrouvent et pour qui plus rien n’existe, ils restent là, incrustés bouche dans bouche, échangeant salive et air. Les larges mains enveloppent les épaules de Chloé qui se laisse envahir par leur chaleur. Elle fond. Elle est émue. La tête lui tourne. Et le baiser se prolonge, encore et encore.


Enfin, le temps a suspendu son vol. Chloé se laisse porter par lui.

Une fois encore, alors que les deux amants sont intimement soudés, un confrère vient tapoter l’épaule de sa consœur et même s’il s’excuse platement pour le dérangement, en raclant sa gorge, c’est qu’il a réellement besoin de l’entretenir d’une affaire urgente. Chloé a du mal à revenir à la réalité. Il lui faut cligner plusieurs fois des yeux pour revenir dans les coursives du palais et bredouiller à son confrère qu’ils se téléphoneront demain, mais que là, elle est occupée. Et lui tournant le dos, elle voit dans le regard calme de l’homme qu’elle vient d’embrasser, une lueur de satisfaction qui l’incite à poursuivre son rêve.

Ensemble, rapidement, ils dévalent les marches d’un grand escalier et se retrouvent à l’air libre, loin de l’agitation, des perturbateurs. Dans un mouvement élégant, Chloé a retiré sa robe d’avocate et récupéré au passage ses affaires. Ensemble, main dans la main, en se regardant et en riant comme deux adolescents en goguette, ils marchent, courent, s’arrêtent, se mangent des yeux, puis repartent, courent et s’arrêtent encore pour s’embrasser à pleine bouche, là, au milieu du trottoir. Bousculés par les passants dont certains osent glisser un regard rapide et envieux envers ce couple d’amoureux.


Ils remontent les quais et leurs pas les dirigent vers chez Chloé.

Sans paroles, sans se presser, avec cette certitude que le temps n’est fait que pour eux, à pas lents et comptés, ils arpentent le pavé parisien qui les fait cheminer vers leur destin.


Chloé, dans un ultime élan, s’adosse au chambranle de la porte de sa chambre et offre ses lèvres et livre son corps à Pierre, son amant, car tel est son nom.

Avec douceur il s’attarde à câliner, caresser, embrasser voluptueusement chaque centimètre carré de son corps, dévoilant au fur et à mesure, avec une lenteur exaspérante, ses parties cachées par les vêtements qui jonchent le sol autour d’eux.


Nue, offerte, elle roule sur la couche où, sans lâcher sa proie, Pierre s’ingénie à la découvrir. Chloé, renversée, surprise, alanguie se laisse conduire et mener vers une première extase. Elle lui livre son corps, son âme, son désir et son plaisir. Elle se laisse sucer, suçoter, titiller, lécher, aspirer, triturer, masturber. Elle roule, s’enroule, se contracte, se détend, s’épuise, s’essouffle, ahane, crie, hurle, se tétanise, monte dans son plaisir, retombe et remonte encore.

La tête en feu, le ventre brûlant, les cuisses trempées de plaisir, la bouche sèche de désir, elle perd la notion du temps et de la décence. Elle explose une fois, puis deux puis trois et crie grâce. Mais Pierre semble sourd aux prières de sa maîtresse et entame pour elle une nouvelle montée dans le plaisir et le désir. Sans attendre que la vague de volupté se calme, il revient une fois encore envahir son corps avec ses mains, avec sa langue.


S’emparant du bout des seins, dont il lèche le téton, de ses doigts agiles il fouille son intimité et tendrement, les fait aller et venir. Il déclenche une nouvelle vague d’humidité qui contracte les muscles, broie ses doigts, fait claquer les cuisses de Chloé l’une contre l’autre. Les fesses serrées, elle ne peut résister à la puissance de la jouissance et laisse aller sa tête qui roule et lui tourne. Elle cherche l’air par sa bouche largement ouverte et crie sa joie de se laisser enfin conduire où elle aspirait depuis tant et tant d’années. Enfin, pantelante, le souffle encore court, les cheveux en bataille, elle tente une ultime manœuvre pour essayer de prendre le dessus, retrouver ce contrôle d’elle-même. Mais Pierre, d’une main ferme et large, la bloque. Vaincue, elle est obligée de se soumettre et reçoit le premier assaut de son amant avec une délectation et une joie indicible. Lentement, elle le sent progresser en elle, l’envahir. Par de lents mouvements de reptation, elle le perçoit au tréfonds de son intimité. Alors, par un lent et sublime va-et-vient, il entame une nouvelle montée de leurs plaisirs. Une montée qu’il réalise par paliers successifs, qui accroissent le paroxysme du plaisir de Chloé au moment de son explosion. Elle a l’impression que tout son être, tout son sexe va exploser, voler en éclat, que son cœur dans sa poitrine, va cesser de battre, que l’air va lui manquer. Au moment où elle pense qu’elle ne peut pas aller plus loin, plus haut, voilà que son amant recommence et renforce ses sensations de vertige. Et son corps en redemande.


Essoufflés, les deux amants s’immobilisent un instant avant de trouver d’autres positions, pour d’autres jeux. Pierre, d’une douce main, masse ses fesses, les lubrifie et y présente son membre raide et conquérant. Par petites poussées, par petits coups de reins, il s’immisce en elle, sans la brusquer, cherchant au contraire à lui faire connaître de nouveaux vertiges. Chloé, les reins relevés, le ventre creusé, accepte ce nouvel hommage, attend avec fébrilité cette nouvelle promesse de plaisir et étanche enfin sa soif de jouissance. L’excitation est à son comble, quand Pierre entame enfin une chevauchée fantastique qui lui fait défaillir le cœur et vide sa tête. Le plaisir obtenu, encore plus fort que tous les autres, l’emmène dans un autre monde, là où le temps s’arrête enfin, ne compte plus.


Hagarde, le corps trempé de sueurs, les cuisses moites, les seins durs, le clitoris devenu presque insensible, les deux amants s’écroulent. Pierre reste figé dans l’intimité de sa maîtresse. Alors, Chloé, dans une ultime manœuvre arrive à se dégager pour aller honorer de sa bouche la virilité encore flamboyante de son amant et lui apporter le calme et la volupté qu’il a amplement méritée.

Elle cueille Pierre entre ses lèvres, gloutonnement, avec gourmandise. À son tour, elle aspire, avale, gobe et lape sa virilité humide d’elle. Elle agit avec douceur, ménage le plaisir qu’elle sent battre contre ses dents, contre son palais. Elle l’enserre de ses lèvres pulpeuses. Elle le boit jusqu’à la dernière goutte.


Épuisée, elle va s’endormir là, la tête enfouie dans l’entrejambe de son Pierre, la main serrée sur son sexe. Heureuse. Au matin, Chloé, dans un réflexe de dormeuse se tourne, dérangée par la lumière d’un clair soleil d’automne, et perçoit en ombre une vaste tâche noire qui vient lui s’interposer devant ses paupières mi-closes. Surprise, elle ouvre avec difficulté ses yeux pour voir l’amant, un plateau à la main, attendre qu’elle émerge de son sommeil. L’arôme du café frais se mêle à la senteur des croissants chauds et à celle plus poivrée d’un énorme bouquet de roses.


L’homme, matinal, est déjà habillé, lavé, récuré, rasé. Par un long baiser frais, il vient raviver des souvenirs dans son ventre encore chaud d’excitations et elle succombe à la douceur de la langue et aux odeurs qu’elle transporte.

Mais Chloé, toujours pressée, sait refréner ses envies, son plaisir, son désir.

Plus tard, dans la journée, elle se rend chez son bijoutier qui doit user d’outils pour décortiquer ses doigts de toutes ses bagues.


Il les fondra en deux belles alliances en or où seront gravés les prénoms de Pierre et Chloé. Tel est le désir qu’ils viennent d’exprimer en s’embrassant sur un pont enjambant la Seine, avant que leur journée ne les accapare, pour mieux se retrouver, tous les deux, au soir venu.