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n° 09382Fiche technique5730 caractères5730
Temps de lecture estimé : 4 mn
08/07/05
Résumé:  Onde de plaisir...
Critères:  fh amour volupté cérébral
Auteur : Armel  (Libertin sentimental)            Envoi mini-message
Ressac

L’ondée grise ne voulait pas cesser.


Quelque peu égaré, il chercha sa fuite quotidienne de l’ordinaire. Longtemps, les rues le guidèrent à leur gré, le long de murs et de façades plus sales les unes que les autres. L’errance et l’ennui étaient devenus ses compagnons privilégiés depuis quelque temps.

Autour de lui, le monde aboyait, les voix grésillaient à travers des haut-parleurs microscopiques que l’on se faisait greffer à la chaîne. Il commençait à perdre le sens des mots et cela l’inquiétait. Il marcha encore. Il attacha ses pas aux eaux ternes d’une rivière sans nom. Il avait beau regarder alentour, plus aucun visage ne lui était familier.


Il quitta le trottoir surchargé pour observer et se consacrer à ses pensées, tenter de remettre en ordre ses sentiments en pleine confusion. De ses observations, il tira la sensation d’une masse terne, sans relief, assoupie, alors qu’il bouillonnait. De ses sentiments, il parvint à tirer une carte avec un destination unique : elle. L’abstraction avait gagné tout le reste et il comprit alors pourquoi il devenait un corps aussi étranger à ce qui l’entourait.


Entré dans un café, il écouta cette drôle de musique monocorde qui paraissait hanter tous les lieux qu’il fréquentait. Il se rappela qu’ils avaient tout perdu. Tout perdu ? Peut-être pas. Mais que faire, alors, pour gagner encore un seul instant, sans pour autant oublier. Renaître, juste quelques minutes, retrouver l’abandon, total et absolu. Se convaincre à nouveau que l’impasse est un rêve qui n’a pas encore abouti. Il se surprit lui-même d’avoir ce genre de raisonnement convenu. Il était au-dessus de ses forces de continuer dans ce sens.

Son rêve à lui avait une fin, et il ne voulait surtout pas la rater.

La vie avait essuyé sur lui ses lourdes semelles, et il ne s’en remettrait pas.


Aussi avait-il retrouvé sa compagne d’infortune. Ils étaient d’accord et le rendez-vous était tout proche. Il l’avait prise par la main, et ils déambulèrent durant cette longue journée par tous les détours insoupçonnés que la cité recelait. Lorsqu’ils trouvèrent l’endroit qui leur parut convenir, ils gravirent les marches jusqu’à la chambre où ils s’enfermèrent à double tour.

Ils se débarrassèrent de tout ce qui les recouvrait encore et se tinrent là, debout, avant de s’enlacer à en perdre le souffle.


Il regarda sa bouche.


La corolle rosâtre épousa doucement la chair délicate d’un rouge plus tranchant. Elle progressait le long de la fine enveloppe légèrement parcheminée dont l’arôme et la saveur la grisaient. Elle se contracta sur la protubérance qui suivait, à la rugosité discrète. Elle prenait soin d’en flatter le creux du bout des papilles, non seulement pour s’imprégner de la forme mais aussi pour consacrer encore un peu plus la communion de leurs sens.


Le sang bouillonnait dans les canaux bleus qu’elle enserra dans son glissement graduel vers le plaisir absolu. Dans leur ivresse, leur regard les ramena l’un vers l’autre, en plein vol. Les vibrations de ses gémissements étouffés remontèrent très loin dans la poitrine de son partenaire.

Elle offrit l’abri de sa main aux escarcelles de peau tendue qui abritaient les deux amandes douces qui se sauvèrent presque à son approche. Elle le retint de l’autre main, par derrière, le sentant défaillir.

Il tressa ses doigts avec les filaments châtains de sa chevelure à elle, comme un retour de l’influx sensuel qu’elle lui insufflait dans le creux des reins. Arrivée au bout du chemin, elle s’arrêta, plongée dans une féerie de parfums interdits, au cœur d’un bosquet chargé d’exhalaisons étourdissantes.

Elle s’y attarda un long moment.

Ils auraient voulu pousser leur désir jusqu’au désespoir, à cet instant, bien plus qu’au moment de la jouissance.

Rester ainsi jusqu’à s’éteindre.

Ils se consumaient, comme des enfants qui s’aiment. Ils contournaient les angles des pièces d’une autre vie, lointaine, remontant à la surface, et que seules les notes conjuguées de leurs cris avaient le pouvoir de faire surgir.


Elle revint sur ses pas, retrouva chaque détail du parcours, puis repartit de nouveau en sens inverse, rien que pour voir si elle n’avait rien oublié, pour ne rien oublier. Le sentier luit de la même lumière que celle qui se reflétait dans ses yeux. Elle butina avec délice les petites gouttes de nectar translucide qui perlaient des petites ornières de l’allée.


La sagesse n’était plus de mise. Elle voulait boire, se désaltérer, étancher cette soif qui l’avait colonisée toute entière. Elle voulait absorber un peu de sa substance, une partie de lui. D’ailleurs, il avait déjà commencé à se fondre en elle. Elle décida de ne plus bouger désormais. Ce n’était plus nécessaire. Les corps se figeaient en un motif unique et elle en attira le liant de toute son âme. Son souffle et la plasticité mouvante de son réceptacle suffirent.

Il la prit par la main, ne voulant pas la perdre dans le flot qui grossissait. Elle, elle appelait de ses doigts son propre plaisir pour le rejoindre dans le même voyage. Puis la marée vint, se retira, vint, se retira, revint…infinie, terrifiante, si près du basculement dans le gouffre, spasmodique. De surprise, elle faillit lâcher prise, mais elle tint bon. Elle quitta à son tour la rive vers des profondeurs insondables, avec lui. Ils ondulèrent de concert, puis sombrèrent, à jamais ensemble…