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Temps de lecture estimé : 32 mn
11/07/05
Résumé:  Un jeune homme en état second se laisse aller à la folie.
Critères:  hh hbi hplusag jeunes inconnu complexe bizarre telnet volupté hsoumis cérébral fellation hsodo init
Auteur : Benjamin            Envoi mini-message
Escapade

LE DEBUT DE LA FIN


J’étais assis en tailleur sur mon lit, les mains croisées. Je fixais avec des yeux livides le téléphone qui gisait encore à l’autre bout de la pièce, contre la porte. Mon corps entier tremblait de rage. Comment avait-elle pu me raccrocher au nez, sans rien dire ? Après quelques heures de pleurs durant lesquelles j’avais fait tout mon possible pour la réconforter, elle avait raccroché. Elle avait osé me faire ça, à moi !


Son prétexte ? « Personne ne peut m’aider, de toute façon. » Je t’en aurais foutu, moi ! Le problème était tout simplement qu’elle refusait d’être aidée. Je frappai mon oreiller sans conviction, pour faire partir la rage. Elle ne partait pas, et cela me faisait un peu peur. Je ne me reconnaissais pas.

Ce n’était pas tant ce qu’elle avait dit qui m’énervait, en fait. C’était plutôt l’air avec lequel elle avait dit ça, « Personne ne peut m’aider, de toute façon », comme si elle était la seule et unique victime malheureuse de ce bas monde, certainement trop bas pour elle, et que son malheur dépassait n’importe lequel des humains bas de gamme qui n’atteignaient pas son degré de souffrance presque divin. Et j’en faisais partie. J’en faisais partie ! Comment pouvait-elle me balancer, à moi, en me raccrochant au nez, alors que j’avais tout tenté pour lui remonter le moral, « Personne ne peut m’aider, de toute façon » ? Avait-elle au moins songé, ne serait-ce qu’une seconde, à la blessure que cela pouvait être pour moi ? Avait-elle seulement imaginé que je puisse moi aussi souffrir, de temps à autre ?


Je tremblais toujours, de plus en plus, et me mis à pleurer. Elle n’avait qu’à aller se faire foutre, à la fin. Elle devait attendre que je la rappelle pour me faire de plates excuses et continuer ensuite à se plaindre, comme si ce raccrochage n’était pas un acte qui venait d’elle-même, mais de cette personnalité supérieure et toute-puissante dont le désespoir m’aurait été inaccessible. Je ne la connaissais que trop bien. J’avais une envie folle de la rappeler pour pousser un coup de gueule, mais j’avais décidé de ne pas le faire. Si elle m’ignorait, je ne voyais pas pourquoi je ne ferais pas de même. Je sortis de ma chambre, sans me soucier du téléphone, pour aller dans le bureau d’à côté.


Arrivé là-bas, je mis l’ordinateur en route et me calai profondément dans le siège en cuir qui était, comme toujours, posté devant. La machine chargeait. Durant tout le long du chargement, je rageai, je pestai. J’avais hâte que celui-ci se terminât. Je n’arrivai pas à arrêter de penser à elle, à son égocentrisme, à sa méchanceté, même. Après un petit moment, je pus enfin accéder à Internet. J’ouvris immédiatement mon logiciel de messagerie, dans l’espoir d’y trouver quelques-uns de mes amis, avec lesquels j’aurais pu discuter. Cela m’aurait calmé. Evidemment, personne n’était connecté à cette heure-ci. Je quittai alors le logiciel, de peur qu’elle ne se connectât pour voir si j’y étais.

À ce moment précis, le téléphone se mit à sonner dans ma chambre. Je fus paralysé. Si j’avais écouté ma première volonté, j’aurais décroché le combiné et continué à discuter avec elle pour arranger la situation ; c’était habituellement ce que je faisais. Mais pas ce soir. Le téléphone continuait à sonner sans que je fisse le moindre mouvement. Cela m’avait semblé durer très longtemps, une éternité même. Je l’entendais presque pleurer à l’autre bout du fil, attendant désespérément mon retour. Mais je ne fis rien. Je savais qu’elle allait avoir du mal à le supporter et j’y trouvais une certaine satisfaction. C’était très bas et complètement irraisonné, certainement aussi bête que ce qu’elle avait fait elle, mais je m’en fichais éperdument.


Quand le téléphone arrêta enfin de sonner, je me sentis tout drôle. Je sus que ce soir, le dialogue entre elle et moi s’en tiendrait là, et qu’on allait chacun dans notre coin ruminer nos paroles jusqu’à demain. Ce que j’avais fait était irréversible et allait certainement avoir des conséquences futures sur notre couple… Mais dans mon état actuel, cela ne m’attristait même pas. Ce que je ressentis le plus fort fut une étrange sensation libératrice. J’avais l’impression de n’avoir plus aucun devoir, plus aucune contrainte, comme si cette soirée avait momentanément foutu en l’air l’intégralité de ma vie et que celle-ci ne me pesait plus. Je me sentis presque bien, en fait.


Alors, dirigé par une légère pensée qui me semblait très lointaine, je pris l’initiative de retourner à mon ordinateur et de chercher un salon de discussion, pour tenter de mettre fin à mes idées destructrices et de retrouver la raison. En réalité, j’avais presque la conviction que cela ne servirait à rien, et je n’en éprouvai de tout manière nullement l’envie. Mais une voix au fond de moi me disait que je ne tournais pas rond – et dans un sens-, cela aussi me plaisait.


Je parcourus donc les résultats du moteur de recherche. Il y avait quantité de salons de discussion et je ne savais pas vraiment lequel choisir. En fait, je m’en fichais un peu, mais cette recherche m’évitait de trop réfléchir. Je tombai finalement sur l’adresse d’un salon gay, qui m’intrigua. Je ne me considérais pas comme homosexuel, mais je décidai d’y participer, juste pour m’amuser. Alors, j’ouvris la fenêtre et me connectai sous le nom de Benjamin13.


Ce salon devait être assez connu, car il y avait bien une trentaine d’hommes connectés qui discutaient entre eux. Je n’osais pas écrire de peur de me faire draguer, mais je m’amusai à observer leurs discussions. "Discussions" est d’ailleurs un bien grand mot : en fait, il s’agissait surtout d’un tas de petites annonces chaudes que chaque participant envoyait sur le salon. C’en était presque triste : à croire que tous ces hommes n’arrivaient jamais à trouver de partenaire. Tous semblaient un peu désespérés, et personne ne répondait jamais à leurs annonces. Ce qui était amusant, c’était que l’homme que la plupart recherchaient était celui qui jouerait le rôle de la femme. Je me dis qu’un homosexuel passif qui avait envie de sexe devait avoir autant de facilité à trouver des occasions qu’une jeune femme.

Je fus soudain pris d’un trouble intense. Je continuai à lire ces annonces, et je me rendis compte que j’avais envie de me faire passer pour cet homme qu’ils attendaient. Juste pour ce soir, juste sur ce salon de discussion. Je sentis une grosse boule de chaleur au creux du ventre, la même que je sentais quand j’étais encore petit garçon et que je faisais une bêtise. Le même plaisir étrange de faire quelque chose d’interdit et de pourtant tellement attrayant que l’âme toute entière semble se réveiller, devancer toute raison, et se bousculer dans tous les sens comme un enfant surexcité. Et c’était dans cet état-là que j’envoyai un message privé à un homme que j’avais sélectionné au hasard, de pseudo Jh28ans.


Benjamin13 : Coucou !


Il ne m’avait pas encore répondu et j’étais déjà quelqu’un d’autre. J’étais déjà femme. En temps normal, j’étais plutôt renfermé et timide, voire un peu sombre. Ce "coucou", ce point d’exclamation, ce n’était pas moi. C’était une femme joyeuse et un peu survoltée, comme je me l’étais créée en quelques secondes, en un seul mot. Le personnage qui était né à l’instant m’apparaissait comme une évidence. J’étais elle et elle était moi.


Jh28ans : slt

Benjamin13 : Ça va ?

Jh28ans : oui tu viens pr koi

Benjamin13 : Je viens au sujet de ton annonce.

Jh28ans : ok

Jh28ans : de koi ta envie


Je me sentis alors un peu gêné. Il écrivait avec tellement d’abréviations que ça en devenait froid, distant. Mais il était tellement direct qu’il paraissait un peu bestial, il ne faisait pas dans la dentelle. Et ça me plaisait malgré tout. Je voulais être la victime consentante de cet homme qui paraissait un peu brutal, et, plus que tout, être son objet. J’avais l’impression d’être la Belle et lui la Bête… C’était certainement le juger trop rapidement, mais je m’en moquais, j’aimais imaginer cela. À sa dernière question, j’éprouvai l’envie pressante de lui montrer que j’étais prêt à tout.


Benjamin13 : De ce que tu veux.

Jh28ans : tout


Etait-ce une question ou pas ? Il ne mettait jamais de ponctuation. Dans le doute, je ne dis rien et attendis son prochain message.


Jh28ans : tabite où

Benjamin13 : Nîmes, et toi ?

Jh28ans : au alentours

Benjamin13 : Oh, on est proche alors !

Jh28ans : oui

Jh28ans : c cool

Jh28ans : tu a kel age

Benjamin13 : Je n’ai que 18 ans… ça ne te dérange pas ?


Je savais au fond de moi qu’il y avait de fortes chances que ça lui fasse plus plaisir qu’autre chose. J’en étais quasiment persuadé, et d’ailleurs, j’adorais me sentir plus jeune que lui. Si je lui posais la question, c’était que je n’étais plus moi, j’étais cette fille survoltée et un peu naïve. Je n’en revenais pas de me voir tellement changé, mais ça me plaisait et je ne réfléchis pas plus. Je ne voulais pas retourner à la réalité de ma dispute. Je préférais largement rester dans cet autre monde que j’avais trouvé, que je découvrais comme un petit enfant curieux.


Jh28ans : non ça me derange pas tinkiet

Jh28ans : ta dejà de l’exp ou pas

Benjamin13 : Non, je ne l’ai encore jamais fait… Mais j’y pense souvent et j’aimerais essayer.


Je me surpris à constater que c’était bel et bien vrai…


Jh28ans : je peu tapprendre

Benjamin13 : C’est vrai ?

Jh28ans : oui

Jh28ans : tu veu faire koi

Benjamin13 : Je te l’ai dit : tout ce que tu veux !

Jh28ans : oui ms koi en particulier

Benjamin13 : Je ne sais pas trop…

Jh28ans : tu aime koi

Benjamin13 : Je ne sais pas…

Benjamin13 : J’aimerais bien sucer, je crois.


Décharge électrique dans tout le corps ! J’en avais vraiment envie… J’étais dans un autre univers, je ne pensais plus. Plus à rien.


Jh28ans : ok cool

Jh28ans : tu avale

Benjamin13 : Oui, j’aimerais bien aussi…

Jh28ans : vraiment

Benjamin13 : Oui.

Jh28ans : cool

Jh28ans : tu aime le sperme alors

Benjamin13 : Je n’ai jamais goûté !

Jh28ans : oui mais tu aimerai en boire

Benjamin13 : Oui…

Jh28ans : et sodo tu veux ou pas

Benjamin13 : Je ne sais pas… J’ai peur que ça me fasse mal…

Jh28ans : tinkiet je serai doux

Benjamin13 : Je veux bien essayer.

Jh28ans : super benjamin

Jh28ans : veux tu kon se voit


Là, je commençai à m’affoler un petit peu. Tout allait très vite. Tellement vite que mon esprit avait du mal à suivre. Tout ce que je lui répondais, j’étais bien conscient que je le voulais réellement… Et pourtant, je n’y avais encore jamais pensé.


Jamais ? Faux… Je me rappelai à présent d’un grand nombre de choses qui étaient totalement passées à la trappe. Comment avais-je pu oublier ? Très jeune, j’étais déjà fasciné par le sexe masculin. J’avais même plusieurs fois tenté de me faire moi-même une fellation, et j’avais été extrêmement frustré de ne jamais y arriver. Au point d’en rêver, souvent, la nuit. Tous ces souvenirs, j’avais dû les ranger bien à part, en tentant de les oublier… Je me redécouvrais.


Il restait que j’étais déstabilisé par cette conversation. Qu’il veuille me voir rendait toute cette escapade bien réelle. Je me rendais enfin compte que j’avais bel et bien affaire à un humain derrière ces phrases abstraites. Quelqu’un à qui je venais de donner plein d’espoir. Le laisser ainsi aurait été vraiment méchant… Mais que faire ? Je venais de m’engueuler avec ma copine… Si en plus j’ajoutais une tromperie à cela, tout était fini…


Mais encore une fois, je ne me posais ces questions que par habitude. C’était toujours cette petite voix derrière moi, lointaine, très lointaine, qui m’appelait, qui cherchait à me ramener à la réalité. Grossière erreur ! Car je n’appartenais plus à la réalité. Et pourquoi lui appartenir, d’abord ? Qu’elle me laisse tranquille !

Je me mis à sourire. J’étais devenu fou.


Benjamin13 : Oui, je veux bien…

Jh28ans : dacor ou abite tu

Benjamin13 : Euh…

Jh28ans : ou bien veux tu ke je teberge

Benjamin13 : Oui, je préfèrerais.

Jh28ans : ok

Jh28ans : je peux passé te prendre en voiture

Benjamin13 : Oui, d’accord.

Jh28ans : ok je te prend ou

Benjamin13 : Devant la gare ?

Jh28ans : pa de prob

Benjamin13 : D’accord, alors.

Jh28ans : ok benjamin super

Jh28ans : tu y sera dans cb de temps

Benjamin13 : D’ici 20 min, environ, je pense…

Jh28ans : ok

J’avais peur, très peur. Dans quoi m’étais-je lancé ? J’avais toujours la solution de ne pas concrétiser…

Jusqu’à ce qu’il m’envoyât :


Jh28ans : pa de lapin hein


Cette phrase me fit décider d’y aller. L’idée de le décevoir m’était insupportable. C’était contraire au caractère de la fille que je m’étais inventée. Elle ne mentait pas et ne l’aurait jamais fait. Elle aimait ouvertement le sexe et en était heureuse. Elle était un peu folle, aussi. Elle n’avait pas peur des hommes car elle les connaissait.


Benjamin13 : Non, t’inquiète pas ! J’ai hâte de te voir !

Jh28ans : moi aussi

Jh28ans : on va samuser

Jh28ans : et je te ferai decouvrir des choses

Benjamin13 : Avec plaisir !…

Jh28ans : pa de prob benjamin

Jh28ans : a tt a lheure

Jh28ans : sois la

Benjamin13 : Je serai là.

Jh28ans : jte fais confiance

Jh28ans : bye

Jh28ans s’est déconnecté.


Voilà. C’était fait. Qu’est-ce qui était fait, au juste ? Il n’y avait pas de doute, j’étais un véritable inconscient. Tant pis. La machine était lancée, inutile de l’arrêter. Le futur m’importait peu, à présent. Je me décidai enfin à sortir.


En quittant le bureau de l’ordinateur, je marquai un temps d’arrêt devant la porte de ma chambre. Derrière cette porte, il y avait le téléphone que j’avais jeté de rage, gisant toujours au sol. Et derrière le téléphone, il y avait Elle. C’était Elle que je regardais à travers la porte. Mais je ne l’ouvris pas. J’ouvris l’autre porte, celle de la sortie.


Dehors, le monde n’était plus le même.




AU-DELÀ DU RÉEL



Après une vingtaine de minutes de marche, me voilà devant la gare de Nîmes. Je ne pensais pas à grand chose et attendais avec une légère appréhension, mais beaucoup d’excitation, que Jh28ans (comment le nommer autrement ?) vint me chercher. Être debout, ici, seul sur le trottoir, en pleine nuit, me donnait l’impression d’être une prostituée. J’attendais en quelque sorte la voiture de mon client. Un type que je ne connaissais pas et qui venait me chercher uniquement pour baiser.


J’étais soulagé d’être seul, à ce moment. Le long du chemin, j’avais rencontré quelques personnes dans la rue et je m’étais senti mal à l’aise. J’étais tellement dans la peau de la fille inventée que j’avais l’impression que cela se voyait directement sur moi. Comme je n’avais pas vu leur regard clairement, j’y avais imaginé un certain mépris. Je n’avais pas honte de mes envies homosexuelles mais je savais que c’était souvent mal vu… Je déteste que l’on me remarque. Pourtant, curieusement, je ressentais une sorte de fierté qu’on m’eût dévisagé : je me sentais encore plus féminin.


Soudain, une voiture ralentit et vint se garer près de moi. Je ressentis alors une peur immense : j’avais envie de partir en courant. Je me mis à trembler. Ce moment avait dû durer quelques secondes et il m’avait paru d’une longueur infinie. J’eus le temps de constater l’ampleur de ma folie et de mon inconscience. Je ne savais plus quoi faire. Mais ma peur était si intense que je restai paralysé.

La fenêtre du conducteur s’ouvrit enfin, et le visage d’un homme apparu.


« Benjamin ? fit-il en souriant.



J’étais un peu rassuré, car il avait l’air très sympathique. Son sourire me mettait en confiance. Pourtant je restai extrêmement gêné, et j’étais encore paralysé. Mes mains tremblaient tellement que je les cachai derrière mon dos, de peur qu’il ne les vît.


« Tu es toujours d’accord pour venir, au moins ? Lança-t-il, toujours en souriant.



Quelle cruche ! Je ne savais rien dire d’autre que « Oui » ! Mais je me décidai à

monter dans la voiture tout de même. C’était peu de chose, mais qu’il m’appelle par mon prénom régulièrement me rassurait.

La voiture était très confortable, et je m’enfonçai dans le siège en cherchant à me décontracter. Ça sentait le neuf. C’est peut-être bête, mais ça me rassurait.


« Au fait, je m’appelle Jacques.



Il mit le moteur en route et on commença à rouler. Je n’osais pas le regarder et ne disais rien. Le silence était insupportable. D’ailleurs, lui aussi devait le penser, car il ne mit pas longtemps à relancer la conversation.


« Tu habites loin de la gare ? demanda-t-il.



Nouveau silence. Je serrai mes mains nerveusement. J’étais excité à l’idée de ce qui allait venir, mais ça me semblait irréel et j’étais gêné devant cet homme que je ne connaissais pas. Le silence fut vite rompu encore une fois.


« Alors comme ça tu n’as jamais essayé avec un homme ? dit-il en rigolant.



J’avais répondu hâtivement. Je ne voulais pas y penser.

Soudain, il mit une main sur ma cuisse et la serra avec vigueur. Je ne fis pas un geste, mais ça me plaisait pas mal. J’avais l’impression de lui appartenir, et surtout de lui plaire. Il relâcha sa main et tapota ma cuisse.


« Allez, détends-toi, Benjamin !



J’étais heureux qu’il vît les choses comme ça. Je me sentis tout d’un coup très

séduisant. Et puis ça contribuait à me faire sentir fille. Il me paternait un peu et j’aimais beaucoup. Je ne me sentais plus du tout viril, à l’inverse de lui, que je trouvais de plus en plus… homme ! Exactement comme si moi je ne l’étais plus, et que j’en découvrais un pour la première fois…


Nous nous taisions à nouveau et poursuivions le chemin en silence. Nous étions déjà sortis de la ville, et nous roulions actuellement sur une route large et droite. Je ne pouvais pas réellement voir où nous étions : il faisait nuit noire et on ne voyait que peu de choses en dehors du béton dévoilé par les phares de sa voiture. J’avais l’impression qu’il n’y avait plus rien au monde que moi et lui.


« On arrive ! » lança-t-il alors.


Il tourna alors pour prendre un petit sentier de terre que je n’avais même pas aperçu, sur la droite. Le sentier était caillouteux et nous étions un peu secoués. Dans ma tête, tout se bousculait également. Je ne pensais à rien de précis, mais je me demandais sérieusement comment tout ceci allait se passer. De toute manière, il était à présent ridicule de revenir en arrière. Je décidai de vivre les choses telles qu’elles m’arriveraient, sans rien prévoir à l’avance.


Il s’arrêta devant une porte de garage et je pus deviner une jolie maison de campagne derrière celle-ci. Quand il stoppa le ronronnement du moteur, nous nous retrouvâmes dans un silence oppressant et je me figeai un instant, ne sachant trop que faire. J’entendais le moindre bruissement de ses vêtements. Cela me faisait peur et, en même temps, me donnait envie qu’il se passât quelque chose. Il tourna la tête vers moi en me souriant, un sourire qui montrait qu’il sentait bien ma gêne.


« Allez ! », se contenta-t-il de dire d’un ton amusé, avant d’ouvrir sa portière et de sortir.


Je fis de même.

L’air frais de la nuit eut vite raison de mes soucis. J’inspirai longuement et commençai à me détendre. Quand je claquai la porte, j’eus l’impression d’enfermer dans la voiture mes questions, mes angoisses, mais aussi mon passé, ma vie. Ces anciennes inquiétudes restaient bien au chaud autour du siège, à l’intérieur, loin de moi. Le vent frais de la nuit balayait ce qu’il pouvait me rester de raisonnable. Tout allait commencer. Ou tout était déjà fini, je ne savais plus trop. Je ne vivais alors plus que dans le présent.


Il me guida vers la porte de sa maison, sans un mot. Quand il chercha ses clés dans la poche de son manteau, je me surpris à observer son bras viril, aussi poilu que celui de mon père, ce qui me fit encore une fois me sentir féminin. Je me plus à m’imaginer entre ces bras robustes, à imaginer que mon petit corps faible puisse faire envie à celui-ci, qui me paraissait si colossal. Il ouvrit la porte, me précéda et m’invita à le suivre.


Le temps d’un infime instant, je me retournai vers la voiture. À l’intérieur de celle-ci, j’imaginai les voix de ma raison me supplier de ne pas y aller. Mais je ne pouvais les entendre, de là où j’étais. D’un léger sourire, je leur dis d’aller se faire foutre, et j’entrai dans la maison, confiant, libre. Plus rien ne m’importait. J’avais oublié Benjamin.

Je claquai la porte de la maison.

Je me retrouvai dans une grande salle de séjour. Jh28ans – enfin, Jacques – me fit signe de venir m’asseoir sur le canapé qui se trouvait au milieu de la salle.


« Installe-toi, Benjamin ! Mets-toi à l’aise !



Pour tout dire, je n’avais pas vraiment la tête à boire. J’avais l’estomac un peu serré. Je profitai qu’il ne fusse pas là pour observer les alentours. Devant moi, il y avait une télévision, et aux alentours quelques bibliothèques. J’aurais voulu voir ce qu’il pouvait bien lire, mais je n’osai pas quitter le canapé. Je m’y enfonçai un peu plus pour gagner de l’assurance, un peu comme je l’avais fait auparavant dans le siège de la voiture.


Jacques revint avec une bière à la main, un sourire aux lèvres – toujours ce même sourire – et vint s’asseoir à côté de moi. Je croisai mes jambes. Je les croisai en les serrant, comme une femme l’aurait fait. Cela m’écrasait un peu mais ne me faisait pas vraiment mal. Il s’arrêta un instant et me regarda. Je me sentis désirable…


« Bon ! » dit-il, après une gorgée de bière.


Je ne savais pas vraiment ce que voulait dire ce « Bon ! ».


« Ça va toujours, Benjamin ? ».


Il mit à nouveau sa main sur ma cuisse.


« Oui, oui, ça va, répondis-je.



Il me regardait avec des yeux pétillants. Il attendait quelque chose.

Il but une nouvelle gorgée.


« Alors, tu veux faire quoi ? »


Cette question me rendit rouge écarlate. Je ne répondis pas et n’osai plus le regarder.

Il s’en aperçut, je crois, car il arrêta de m’observer et continua silencieusement à boire sa bière. Je me sentais partagé. Une partie de moi appréhendait ce qui allait venir, et une autre n’attendait que ça.


Et tout d’un coup, tout commença. Il posa sa bière avec un air déterminé. Moi, je le regardais et savais que cet instant était le dernier qui nous séparait. Il était là, penché sur la petite table devant nous, le verre sur la table. Un court instant s’écoula. Et il se redressa enfin vers moi.

Il me prit dans ses bras. Il ferma les yeux. Je les gardai ouverts, ne sachant que faire. J’appréciai son attention. Il était fort. Très fort, et ses bras me rassuraient. Je regardais le mur. Il me serrait et commença à me caresser le dos. Je ne bougeais pas. J’avais peur et j’étais bien. Il se collait fort contre moi. J’étais faible, mais je me sentais protégé. Si le monde s’était écroulé, j’aurais survécu. Il me caressait de plus en plus loin. Je ne le repoussais pas. J’étais à lui. Il me caressait, toujours, toujours, et j’étais comme un bijou. Comme son bijou à lui.


Il soupirait et je sentais son souffle chaud contre mon épaule. C’était un soupir de bonheur et j’étais heureux de lui faire plaisir. Je me cambrai un petit peu pour que ses caresses vinssent découvrir mes fesses. Il semblait très attiré par mes fesses. Il vint les caresser, puis les masser. Sa poigne était puissante, c’était comme si mon corps ne m’appartenait plus. Je ne me sentais plus femme : j’en étais une, tout simplement. J’avais l’impression d’être un trésor, d’être une merveille du monde. Je le rendais fou. Je me sentais incroyablement attirant.


Je me mis aussi à le caresser, un peu par obligation au début. C’était étrange, très étrange. À travers ses habits, je sentis un corps robuste, carré, un peu grossier. Rien à voir avec ce que j’avais connu jusqu’alors. Je me mis aussi à caresser son bras droit, qui était bouillant. Je sentais ses poils défiler sous la paume de ma main. C’était comme un terrain interdit ; je me sentais intrus. Comme si la nature n’acceptait pas que mon corps ne touchât le sien. Mais je me moquais de la nature. Je pris un plaisir fou à défier ses lois. J’entrai en terrain interdit et y restai.


Il se retira alors et commença à se déshabiller. Il enleva son pull et son tee-shirt jusqu’à ce qu’il se trouvât torse nu. De mon côté, je restai figé. Je n’osai plus bouger, encore une fois, comme si chacun de mes gestes avaient été un crime. J’avais envie de sentir à nouveau son corps contre moi, mais je ne pouvais pas bouger, je ne pouvais pas aller vers lui. Nous nous regardâmes alors dans les yeux pour la première fois. C’était un autre homme, il était très sérieux, et son regard était vague. Nos yeux se découvrirent ainsi un léger moment, sans bouger, sans changer, avant de se séparer à nouveau.

Il eut un petit sourire gêné, et puis revint vers moi. Il me prit à nouveau dans ses bras.


La danse reprit. Nos corps se remirent à se frotter langoureusement. Son torse était libre, clandestin dans cette pièce et devant moi. Son odeur aussi était étrange, une odeur de mâle. J’avais l’impression d’être avec moi-même, avec l’ancien moi, celui qui était un homme. Ce qui m’impressionnait le plus était la bosse rigide que je sentais sous son pantalon. Jamais je n’avais imaginé que ce fut si puissant, si chaud, si gros. C’était vraiment électrisant. Pour ma part, c’était aussi un peu dur, mais à vrai dire assez peu. Un peu comme si mon corps avait compris que cela ne servirait à rien.


Il commença à déboutonner ma chemise. Je le laissai faire mais j’avais peur. Mon unique et seule préoccupation, à ce moment, était de lui plaire et je ne voulais pas le décevoir. Ses mains descendaient de plus en plus bas et, petit à petit, mon corps se découvrait. Je me cachais du mieux que je pouvais avec mes bras : j’avais honte de mes poils, j’aurais aimé ne pas en avoir. J’avais peur qu’il trouvât ça grossier. Mais après avoir ôté ma chemise, il écarta mes bras, doucement mais fermement. Je me pliai à sa volonté.


Il me caressa alors partout, avec ses deux mains en même temps, en me regardant avec des yeux avides. C’était grandiose. Je me tordais sensuellement. Ma pilosité avait momentanément disparu et j’eus la nette impression d’avoir un corps de rêve. À partir de ce moment, j’étais entièrement en confiance, je n’avais plus aucune gêne.

Le monde entier avait changé, lui aussi. Il n’y avait plus que nous deux, ce canapé, la télévision, et les bibliothèques. Tout autour de nous régnait une atmosphère mâle ; l’air était baigné de sueur masculine, d’une odeur sensuelle et virile, on pouvait presque la palper.


Maintenant que j’étais certain de lui plaire, maintenant que je me sentais réellement désirable, je n’avais qu’une envie : le surprendre. Je me penchai alors pour commencer à déboutonner son pantalon. Je sentis à ses soupirs soudain plus puissants qu’il appréciait mon attention. J’avais l’impression de détenir la clef du bonheur de cet homme entre les mains, d’avoir un pouvoir enchanteur dont je pouvais user comme bon il me semblait. Et je comptais m’en servir. Je voulais lui faire plaisir, qui qu’il fusse. Mais ce n’était pas tout. J’étais pris d’une fureur qui faisait que j’en voulais toujours plus. Je voulais qu’il m’aimât, je voulais qu’il me trouvât merveilleux, qu’il me vît comme le plus parfait des amants. J’étais prêt à tout pour ça.


Je me retrouvai nez à nez avec son caleçon. Je pris un moment pour l’observer, enchanté, puis posai une main dessus. Mon corps entier défaillit. Cette rigidité puissante, cette chaleur étourdissante, cette forme cylindrique titanesque : tout m’impressionnait, comme si je n’en avais jamais vu ni touché de ma vie. J’empoignai ce totem de la virilité. Je sentais la puissance de la machine battre son plein sous le tissu fin. J’avais l’impression de lui être entièrement voué.


« Ah, Benjamin… Suce-moi… »


La demande ne me surprit même pas : c’était comme si je l’avais attendue depuis bien longtemps. Je me couchai un peu plus pour me sentir plus à l’aise. J’avais besoin de me sentir au niveau de cette chose, qui me fascinait de plus en plus.

Le moment tant attendu arriva : j’abaissai le caleçon. Le sexe de Jacques apparut devant mes yeux, libérant autour de lui sa chaleur invraisemblable. Il se dressa entre mes yeux, immense, écrasant. Plus je le regardais et plus je faiblissais. Je le pris dans ma main : sa peau était merveilleusement douce, mais c’était comme s’il allait exploser. Je sentais sous elle la vigueur des flux de sang.

Comme si c’était la chose la plus naturelle qui fût, je commençai à lécher ce sexe. Il n’y avait alors plus rien autour de moi.

Je tournai la langue, je léchai la chaleur et touchai la puissance, j’accédai à l’interdit. Le gland, tout en haut, dominait mon corps, je le frottai contre ma joue, c’était un baiser du diable, encore chaud. Mes mains allaient et venaient, côtoyaient les poils, la peau douce et le muscle ferme, la virilité m’envahissait. Mon esprit se troublait et toujours ma langue qui léchait, j’allais et venais, je venais et allais, très loin, très profond dans ma gorge. Je ressortais et baignais mes mains dans la rivière de feu qui coulait sur les versants, venant de ma bouche, elle qui désirait et désirait encore, et ses soupirs, ses soupirs, toujours ses soupirs, je n’écoutais pas. Je devenais petit, petit et bas, devant l’immensité dominante de ce temple du désir et du plaisir, j’aimais, je détestais et j’adorais, ma salive mélangée au divin et je continuais, inlassablement, ignorant les plaintes de ma nuque, ma salive au cœur du monde, ma langue tournant autour du magnifiquement laid. Mâle, mâle, toujours plus mâle, plus de place pour la douceur, vinrent les muscles et les odeurs de sueur toujours plus près de moi, moi toujours plus près du sexe, ce sexe toujours dans ma bouche, encombrant, exaltant, délicieusement grossier. Grossier intrus que voilà, mais je l’acceptais. Toujours plus loin, toujours plus profond, je m’étouffais avec grand plaisir…


Un liquide chaud dans ma bouche me fit sortir de la transe. Jacques avait posé ses mains sur moi pour me stopper. Je m’arrêtai volontiers, prenant conscience de ma fatigue. J’eus vite la bouche remplie, et j’avalai le tout en quelques gorgées, sans hésitation. Combien de fois j’en avais rêvé ! Ma gorge fut alors envahie par ce bijou liquide. Je ressentis comme des minuscules brûlures chatouilleuses du palais jusqu’au fond de la gorge.


« Ah, putain… » Lança Jacques sans me regarder.


Moi, je le regardais. Je le regardai longuement. Il restait ainsi, fixant le plafond, affalé sur le canapé.


« C’était bien ? » lui demandai-je.


Il ne répondit pas. J’avais besoin de son sourire, de son regard. Je voulais qu’il me regardât comme une femme, encore une fois.


« T’as l’air d’aimer ça, dit-il, toujours la tête ailleurs.



Il ne me regardait toujours pas. J’avais l’impression que tout avait changé, que ce n’était plus le même homme. Je caressais son sexe étendu, sans grande conviction.

Puis il se redressa en soupirant, et se pencha vers moi. Ses yeux croisèrent les miens mais ne s’y attardèrent pas. Ils allèrent plus loin derrière, se posant sur mes fesses. Il mit sa main dessus, sans aucune tendresse, et les prit d’une poigne ferme. J’aimais, mais j’avais peur.


Tout se déroula très vite, et je ne comprenais plus rien. Il s’était levé pour venir derrière moi et m’avait déshabillé très rapidement, je ne savais par quel miracle. Il était alors derrière moi et me malaxait les fesses. J’étais crispé de la tête aux pieds, autant par pudeur que par frayeur. J’avais du mal à réfléchir et tout se chevauchait dans ma tête. Le monde bougeait autour de moi et je n’arrivais pas à me concentrer sur quoi que ce fût. Tout n’était que trouble.


Le bout de son sexe vint se poser contre mon anus. Je ne l’avais même pas senti venir. Je ne savais comment réagir. Tout allait trop vite. J’avais peur. Je ne fis rien, finalement, et attendis. Beaucoup de choses me revinrent en tête, sans que je fusse capable de comprendre pourquoi. Le souvenir de ma conversation téléphonique revenait des tréfonds de ma mémoire, comme un lointain souvenir d’enfance. Je ne voulais pas y penser. Et pourtant, si : j’étais en train de foutre en l’air ma relation avec la fille que j’aimais… Non ! Ne pas y penser, surtout ne pas y penser !


Jacques poussa. Je sentis alors son sexe s’enfoncer petit à petit en moi. J’avais toujours aussi peur et craignis que la douleur ne se fisse sentir.


Tout ça pour quoi ? Recevoir cette chose dans l’anus ? C’était d’un ridicule…

Comment avais-je pu ? Mais non ! Ce n’était pas le moment de regretter ! Il me fallait me concentrer sur ce qui se passait. Uniquement ça !


Sans rien dire, Jacques continuait. Il me semblait à cet instant qu’une bonne partie de son sexe était déjà fourrée en moi. Il s’arrêta alors un moment, et puis commença lentement à repartir dans le sens inverse. Une immense douleur se répandit alors en moi. Je fis comme si de rien n’était, en espérant que ça se calmât. Son sexe, en ressortant, tirait sur ma peau, frottait, et cela me brûlait. Il recommença à s’enfoncer. Cela me soulagea un peu, mais je serrais déjà les dents à l’idée qu’il ressortît. Quand il le fit, la brûlure reprit de manière plus vive encore. J’avais envie de crier mais ne le fis pas - trop timide. Au fond de moi, j’avais déjà hâte que cela terminât.


Tout ça pour ça, alors ! Il n’y avait rien à faire, je n’étais pas à ma place ici. Je ne me sentais pas dans mon rôle. Je ne me sentais même plus homosexuel, j’avais l’impression d’être un imposteur. Pourquoi ? Pourquoi toutes ces idées, alors que j’étais si bien ?


Jacques allait et venait de plus en plus rapidement, et je serrai encore plus mes dents, de toutes mes forces. Bien fait ! Bien fait pour moi, je n’avais que ce que je méritais ! Je voulais qu’il continuât, je voulais souffrir encore plus, détruire ma saleté de corps, je voulais, je voulais…


Soudain nous entendîmes la porte d’entrée s’ouvrir dans un immense fracas. Je fus pris de panique, et Jacques aussi. Il sortit de mon anus d’un seul coup, m’arrachant un cri de douleur. Je tombai sur le sol glacial, les mains sur les fesses. J’avais horriblement mal.


« J’enrage ! » hurla une voix de femme, derrière moi.


Je n’eus même pas le temps de comprendre. En me retournant, je la vis qui se dirigeait vers moi. Je vis surtout ses yeux, des yeux de prédateur. Elle avançait vers moi rageusement, d’un pas décidé. Elle voulait ma mort. Je paniquai. Je me débattis dans tous les sens pour tenter de me relever. Je la sentais venir.

Une main m’agrippa l’épaule et me fit mettre debout d’un seul coup.


« Je t’avais fait confiance, Jacques ! hurla-t-elle sous des sanglots de fureur, je t’avais pourtant fait confiance ! Pourquoi tu t’obstines à voir tes tafioles ? »


Je me débattis autant que je pus et arrivai à me libérer. Je courus sans réfléchir à l’autre bout de la pièce, mes habits dans les mains. J’eus à peine le temps de voir Jacques, étendu par terre, qui pleurait. Il n’était pas prêt à m’aider. Sa femme me poursuivait, elle me poursuivait encore, avec ses yeux démoniaques. Je n’arrivais même plus à respirer tellement j’étais terrorisé.


« Espèce d’enflure ! » criait-elle.


Je ne savais même pas si ces insultes étaient destinées à Jacques ou à moi. Je ne me préoccupai plus de rien. Je courais, je courais du mieux que je pouvais. J’étais déjà dehors. Je courais pieds nus sur la route, je ne savais plus où j’étais. Je n’osais même pas regarder derrière moi de peur de perdre de la distance. Emporté par ma terreur, je courais, je courais, le plus vite et le plus loin possible…


Autour de moi, la nuit noire m’observait, spectatrice indifférente.




LOIN LÀ-BAS, LE RIRE ET LES LARMES



Au bout d’un court instant – ou d’un long, je ne savais pas du tout – je n’entendis plus la femme derrière moi. Je pris alors le risque de me retourner, et vis qu’il n’y avait plus personne à ma poursuite. Je ne voyais même plus la maison au loin, baignée dans la nuit noire. Je ne pus m’empêcher d’afficher un petit sourire de soulagement, tellement je me sentais libéré. Je soufflais sauvagement, fatigué. Enfin, elle n’était plus là… J’étais vivant.

Un klaxon de voiture me sortit de ma stupeur. Je sursautai et me décalai pour la laisser passer. Elle passa près de moi en ralentissant, m’éclairant de ses phares. Le conducteur me regarda de la tête aux pieds avec un air soupçonneux. Je le voyais parfaitement : sa vitre était baissée. Puis il vit mes habits dans mes mains, et me sourit.


« Euh, vous avez besoin d’aide ? »


Je fus pris d’une honte immense. J’étais complètement nu. Je tentai de me cacher comme je pouvais avec mes bras.


« Euh, non, non, bafouillai-je.



Je n’avais qu’une envie : qu’il partît.


« Bon, si vous le dites… »


Il me dévisagea encore.


« Je vous conseille quand même de vous rhabiller. »


Et il démarra sur cette phrase. Je n’en pouvais plus de honte. Je restai figé jusqu’à ce que la voiture disparût à l’horizon, jusqu’à ce que les lumières de ses phares ne pussent plus éclairer les arbres qui bordaient la route, jusqu’à ce que le ronronnement du moteur ne fusse plus qu’un lointain souvenir. Mes jambes tremblaient, mes pieds me lançaient violemment, j’avais mal partout. Mon anus me brûlait.


Je pris enfin la peine de me rhabiller, malgré mes douleurs. J’enfilai d’abord mon caleçon, puis je pris le tee-shirt. Il me fit une étrange impression. Ce n’était plus le mien. Il appartenait à Benjamin, tout comme le reste des vêtements. Tant pis, je les lui volai. D’ailleurs, je n’étais même pas sûr qu’ils fussent à Benjamin. Peut-être étaient-ils à cette jeune fille qui était chez Jacques, là-bas, dans la maison, il y avait encore peu de temps. Je finis de m’habiller. Moi, je n’étais plus personne. Je n’avais aucun scrupule à voler.


Une fois les habits sur moi, j’eus l’impression qu’ils ne servaient à rien, je me sentais encore nu. Le monde entier se riait de mon corps. Je le caressai sous le tissu, mais ne le connaissais plus. Tout autour de moi, la nuit était encore plus sombre que le noir. Je voyais à peine la route sous mes pieds nus. Je n’enfilai pas mes chaussures : j’avais trop mal. Le goudron s’infiltrait dans mes blessures, mais je ne le sentais même plus. Après tout, ce n’était plus mes pieds. Pas vrai ?


Je me remis alors à penser au téléphone, à ma copine. Tout là-bas, elle devait s’être endormie, belle comme le jour, à côté de son combiné. Le lendemain, pensait-elle certainement, tout se serait arrangé. Le lendemain, se disait-elle en rêve, nous nous serions dit « Je t’aime ». Elle aurait sourit, moi aussi, et tous deux, on aurait oublié, on se serait aimé, on aurait vécu comme avant. Et puis, plus tard, nous nous serions retrouvés, nous aurions fait l’amour, tendrement, bestialement, sous le soleil d’été. Elle aurait crié, peut-être, et rit certainement, elle m’aurait offert son sourire franc, ses joues amoureuses, que j’aurais embrassées, et toujours le soleil, le soleil qui brûlerait nos peaux fusionnées, nos chairs en chaleur, nos corps passionnés. Tout là-bas, dans ses rêves, elle devait vivre des moments rares avec moi. Et le lendemain peut-être, se réveillerait-elle de bonne humeur, avec des projets en tête. Des projets que l’on aurait accomplis ensemble.


Eh bien non. J’étais pied nu sur la route, seul dans le noir, à contempler l’écoulement du sang de ces pieds qui n’étaient plus les miens. Benjamin, celui qu’elle aimait, n’existait plus.

Il était mort étouffé dans la voiture de son bourreau.


Et moi, maintenant, qu’allais-je faire ? Je ne pus retenir quelques larmes. Je n’en retins d’ailleurs aucune et me mis à pleurer comme jamais je ne l’avais fait. Tout se brouillait autour de moi, la réalité se déformait. La route n’était qu’une mare grise. Je ne voyais même plus de sang. Tout bougeait autour de moi, un mouvement lent et ondulé. C’était plutôt agréable… Je me mis alors à sourire, mes joues baignées de larmes, mes lèvres tremblantes.

Ah, ça alors ! Il n’y avait donc plus rien à faire ! Et puis d’ailleurs, pourquoi me poser toutes ces questions ? Depuis longtemps déjà j’avais quitté la réalité !


Je me mis à rire nerveusement. C’était un rire étrange, il était sans joie et ponctué de sanglots. Plus je souriais, plus j’avais envie de pleurer. Je me mis à crier. Je ne savais même pas s’il s’agissait là d’un cri de désespoir ou d’un rire, et c’était certainement les deux. Autour de moi la nuit semblait m’observer avec attention, étonnée, curieuse, amusée. Et je riais et pleurais encore et encore.


Je me mis alors à marcher le long de la route, le long des arbres sur le côté. Je ne savais pas où cette route menait et je m’en foutais royalement. Il me fallait avancer, il me fallait marcher, il me fallait fondre mon corps dans la nuit, offrir à la route une pluie de larme, un fleuve de sang. Et encore d’autres idées absurdes. Tout, tout était devenu rien, et… ah !

Je ne savais plus du tout… Je ne savais plus rien. Je criai, je hurlai. Mes clameurs se perdaient dans la nuit, elles ne servaient à rien. J’étais impuissant. J’étais libre. Libre de rire et pleurer dans le profond de la nuit, pour rien, de marcher nulle part, pour rien, pour aller vers le rien. Après tout, pourquoi pas ?


Je levai les bras et me tournai vers le ciel, sans m’arrêter. Mon hurlement, alors complètement ahuri, enveloppa la nuit et me tira des flots de larmes incontrôlées.

Celles-ci me réchauffaient le visage, me rassuraient. Elles se collaient, s’agrippaient, tenaces, elles me caressaient d’une douceur maternelle, elles me disaient « Tout va bien », et faisaient briller mon sourire. Et ainsi mon cri se transformait en rire. Le rire le plus dénué de joie que je pusse répandre. Un rire vide, un rire absent, un rire qui ne demandait aucune explication, aucun sens.

Mes larmes, quant à elles, continuaient de couler à flot, en un courant violent. Mes yeux étaient une source inépuisable, une fontaine d’eau salée. J’étais secoué tout entier. Les sanglots résonnaient dans mon corps, se répercutaient violemment à l’intérieur de mon ventre. Métronome détraqué, ma respiration n’était plus mienne, son rythme était si irrégulier que je ne pouvais rien prévoir.


On aurait dit que mon corps criait encore plus fort que moi sa souffrance. Je lui avais arraché mon âme sans vergogne. Je n’avais même pas pris la peine de l’endormir. Je n’y étais pas allé par quatre chemins : mon âme, je l’avais empoignée de force, et tirée jusqu’à ce que les liaisons se déchirent, la blessant ainsi tout autant que mon corps. Quant à ma raison, n’en parlons plus : elle était étouffée là-bas dans la voiture, après s’être débattue pour tenter de survivre, en vain. Il ne me restait plus que mes larmes.


Et mon rire.


Alors la nuit avait dû, à ce moment, voir un fantôme déambuler sur la route, partir vers l’horizon. Un fantôme bruyant mais inoffensif. Attendrie par cet être qui rôdait, elle avait certainement ouvert grand ses bras rassurants, et, mère tendre et affectueuse, enveloppé le petit spectre d’un doux voile noir. Doux et pourtant si froid…




LA JEUNE FILLE DU RUISSEAU



Le temps avait passé. Je marchais toujours sur la route, la nuit était toujours aussi noire, mais je ne riais plus, je ne pleurais plus. Mon visage était maintenant figé, en une expression vide, par les larmes séchées. Lentement et machinalement, je posais un pied derrière l’autre, sans jamais m’arrêter. Mes écorchures me faisaient toujours assez mal, mais avaient commencé à cicatriser. Cela faisait déjà un certain temps que plus aucune voiture n’était passée. Il régnait un calme imposant. Je marchais discrètement, pesant chacun de mes pas, comme si un bruit de trop aurait réveillé les arbres endormis sur le bord de la route.


Dans ma tête, il ne se passait plus rien. C’était comme si j’avais perdu la capacité de réfléchir. J’avais l’impression d’être imprégné du silence qui m’entourait. Il s’infiltrait en moi, envahissait mon esprit, prenait la place de mon cerveau. Je n’étais qu’une coque vide. Mon corps était froid, j’avais le teint blanc, mon cœur battait lentement. Mes lèvres restaient fermées, et c’était comme si elles le resteraient toujours.


Alors, observant sans conviction le décor tout autour de moi, j’aperçus un sentier de terre de mon côté de la route qui partait vers la droite, dans l’obscurité. Si j’avais réfléchi à cet instant, l’idée de me fondre encore plus dans le noir m’aurait certainement plu. Mais je ne réfléchissais plus depuis bien longtemps. Je me dirigeai vers le sentier machinalement, sans l’avoir réellement décidé.


La balade le long du sentier était agréable. La terre caressait mes pieds meurtris et cela me soulageait. Derrière moi, la lumière des lampadaires disparaissait. Petit à petit, le silence se dissipait. Mes pas sur la terre et les graviers étaient un peu plus bruyant, mais il y avait autre chose.

Pas loin d’ici, j’entendais un ruisseau couler.

Le ruissellement était agréable, alors je décidais de m’y rendre. Ce ruisseau coulait pas loin du sentier, vers la gauche. Je quittai alors mon chemin pour marcher dans l’herbe. Au fur et à mesure que j’avançais, je ressentais une immense sensation de fraîcheur. Quand j’aperçus le ruisseau, quelque chose m’intrigua : il y avait une forme blanche près de lui.


C’était un corps de femme. Celle-ci était assise devant le ruisseau, entièrement nue. Elle ne m’avait pas encore entendu arriver. Je me figeai sur place et l’observai : elle ne bougeait pas. Sa peau était d’une blancheur inouïe, elle brillait comme une seconde lune sous les étoiles. Elle avait de longs cheveux blonds scintillants, portés par le vent. Je ne voyais pas son visage depuis ici, car il était masqué par les vagues de sa chevelure.

Lorsque j’arrivai vers elle, elle ne fit toujours pas un geste. Je m’assis donc à côté d’elle, devant le ruisseau, sans dire un mot.


Le ruissellement était doux et agréable. Le silence aussi.


Un certain temps s’écoula, un temps peut-être très long. À vrai dire, c’était bien le dernier de mes soucis. Je ne voyais plus qu’elle et moi, et lui, le ruisseau. Nous étions tous les trois très bien, me semblait-il…

Je mis ma main sur la sienne. Cela s’était fait tout naturellement. Ma main était sur la sienne, tiède, et nous ne bougions plus à nouveau. Je me sentais heureux.


Lorsque, alors, je la regardai, elle tourna le visage vers moi. Nos regards se croisèrent. Elle me fit un petit sourire timide, et puis porta à nouveau son attention sur le petit ruisseau. Moi, je continuai à la regarder. Elle avait un visage de petit chat. Son sourire angélique me donnait envie de tout oublier. Ses joues de les croquer. Tout en elle était doux, tout autour d’elle était vie. Je vivais à côté d’elle, et de ses joues ravies.


Je fus pris d’un désir naissant et j’approchai ma main gauche de sa poitrine. Elle ne disait rien, ne regardait pas ma main. Je gagnai en courage et posai ma main sur son sein. Elle se tourna vers moi, rapidement.


Tout se déroula très vite. Elle se leva, me repoussant, un sourire aux lèvres. Elle se mit à rire bruyamment, emplissant l’air endormi de la nuit comme je l’avais fait, et puis enfin se retourna pour disparaître dans la pénombre. Sans bouger, je la regardai courir et se faire engloutir par le noir. Le scintillement blond disparut, tout comme la clarté de sa peau blanche.

J’étais seul avec le ruisseau et contemplai les étoiles.

Je baissai la tête et souris bêtement, regardant le ruisseau.


Nous avions beaucoup de choses à nous dire, tous les deux.