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n° 09489Fiche technique5710 caractères5710
Temps de lecture estimé : 4 mn
29/07/05
Résumé:  Au théâtre, ce soir...
Critères:  cinéma amour volupté revede voir conte
Auteur : Armel  (Libertin sentimental)            Envoi mini-message
Vaudeville

Le vaudeville idiot en était à son apogée sur les planches poussiéreuses de la scène en contrebas. Un public en noir et blanc soulignait les effets convenus d’un fantôme de scénario, sensé les articuler ensemble, par des soubresauts épileptiques qui devaient s’apparenter au rire. Leur intensité croissait en accord avec l’indigence des situations, tout comme le nombre des entrées. La flagornerie des critiques, de son côté, n’avait d’égal que le gouffre dans lequel semblait s’abîmer cette caricature de théâtre.

Tous deux, depuis longtemps, avaient oublié les raisons de cette agitation dérisoire. Elle, lui, elle et elle, lui et lui, de quel sexe, allez donc savoir… Cette soirée-là, ils avaient décidé de se retrouver là-haut, bien au-dessus de la scène, dans les échafaudages surplombant l’agitation tonitruante de cette ruche affamée d’absurdité. À l’abri des regards hypnotiques, ils avaient convenu de jouer pour eux-mêmes une autre scène, bien plus ancienne et dévorante.

Les circonstances de l’existence les avaient amenés à se trouver là, loin du flot gris. L’heure de l’attirance irrépressible était venue, et plus rien ne pouvait les retenir. Ils ne faisaient plus partie de la troupe, ils étaient leur seul public, l’un pour l’autre.

Ils se rapprochèrent, maladroitement, dans l’obscurité. Leurs silhouettes finirent par se confondre. Dans un souffle, ils s’imprégnèrent des contours de leurs corps. Des pas pesants et des rires lourds fusèrent de la salle. Leurs sens étaient ailleurs, tout à leur désir bouillonnant. Ils se mettaient lentement à nu. Les doigts entamèrent alors un ballet aux antipodes de ce qui pouvait se passer ailleurs. De longues et tendres pressions humides laissaient des traces à fleur de peau tandis qu’un courant d’air chaud ascendant les rappela un instant à la raison.

Mais la passion reprit vite le dessus. Ils improvisaient, se laissant guider par l’instinct. Les tubulures métalliques auxquelles ils s’agrippaient parfois semblaient propager la joie brûlante de leur corps à corps. Les cintres vibraient silencieusement, répercutaient les tremblements furtifs de leurs membres avides d’étreintes.

Ils éprouvèrent alors le besoin impérieux de se débarrasser des apparences. Les masques tombèrent, ainsi que les costumes. Les tissus s’évaporèrent, les voiles s’envolèrent. Le dernier, celui qui dissimule la nudité absolue du sexe, plana un moment dans les airs, fin et translucide, avant d’achever sa course sur la tête d’un acteur en pleine réplique épaisse et suintante. Ce qui concrétisait la quête fébrile des amants juchés dans les hauteurs provoqua en bas une réjouissance hystérique. Le surréalisme du spectacle avait absorbé l’imprévu, distordu et détourné.

Qu’importe ! Le voyage amoureux entrepris ne pouvait s’arrêter là. La lumière changea. Elle éclaira l’écran satiné de la chair, modela les formes et donna vie à leurs enlacements. Pourtant, personne ne les remarqua. Les ombres devinrent suggestives, rondes, pointues, turgescentes… L’une d’elle, cambrée, attendit langoureusement que l’autre, tendue et décidée, se glissât enfin en elle. Leur obscénité sensuelle se projeta sur le mur d’en face alors qu’un délire verbal s’emparait des acteurs qui tentaient de reprendre le fil moisi de leur déconfiture.

Une nouvelle pose s’arrangea, portant le couple encore plus loin, sans retenue. Les mouvements se firent plus violents, aux portes du paroxysme. Ils ébranlèrent la structure qui les supportait. Les cris du plaisir se noyèrent dans le brouhaha inconsistant qui s’élevait des soubassements de leur union.

Puis ce plaisir devint liquide. Il s’étala dans l’obscurité de leur chair tendue à l’extrême, emprunta les chemins secrets de leurs intérieurs. Il s’y installa, même, en quête des vibrations de la jouissance. Leurs veines, leurs artères en furent envahies. Le cerveau demanda grâce, la vue se troubla et ils peinèrent à conserver l’équilibre précaire qui les maintenait dans ces hauteurs. Ils s’accrochaient, en perdition dans cette demi-inconscience.

Ils ne virent pas les quelques gouttes de semence qui s’échappèrent à ce moment-là. Elles glissèrent doucement sur le duvet d’une cuisse, puis tombèrent… La chute dura une éternité. Elles atteignirent les planches pour les teinter d’une marque indélébile.

Les pantins qui s’agitaient l’instant d’avant sur la scène tombèrent inanimés. Le décor se disloqua brusquement dans un grand fracas cendreux tandis qu’un grand silence s’empara de l’assistance. Ce ne fut qu’alors que les visages se relevèrent et qu’on les aperçut. Ce spectacle qui, auparavant, les aurait fait s’évanouir de honte ou de rage les captiva au point que le temps se retrouva suspendu. L’indignation resta dans les poitrines pour se transformer en autre chose.

Le toit au-dessus de leur tête s’envola. L’air frais de la nuit s’engouffra par cette ouverture et balaya la chape de plomb qui alourdissait leurs esprits depuis si longtemps. Le couple s’envola pour rejoindre les étoiles.

De longues minutes plus tard, la foule se leva lentement et sortit sans heurts pour se retrouver à l’extérieur et goûter à nouveau la fraîcheur nocturne. Les badauds portaient un drôle de regard sur eux, presque envieux, ne sachant pas à quoi ils avaient bien pu assister.

Puis ils rentrèrent chez eux, chacun de leur côté, et il s’ensuivit une très longue nuit d’amour…