n° 09581 | Fiche technique | 22854 caractères | 22854 3757 Temps de lecture estimé : 16 mn |
21/08/05 |
Résumé: Un jeune homme déprimé se retrouve dans une ferme délabrée, perdue au beau milieu de nulle part. | ||||
Critères: #nonérotique #fantastique ffh fagée inconnu grosseins bizarre laid(e)s campagne pénétratio fouetfesse | ||||
Auteur : Mérédith |
Concours : La neige |
Encore un autre hiver, plongé dans mes pensées, plongé dans ma tristesse, un très long voyage aux abords du suicide. J’avais pris l’habitude de voguer vers nulle part, seul et sans but, vapeurs d’alcool, une longue errance qui lissait lentement mon désespoir. Qu’y a-t-il de pire que la mort ? Le manque d’intérêt pour tout. Et pourquoi vivre, si c’est pour dériver ainsi dans la mouvance éphémère de toute cette vacuité ?
Après avoir pas mal éclusé, je prenais la voiture et je fonçais dans la nuit noire : j’étais maître du monde et prêt pour le grand saut. Un peu à la James Dean, un peu aussi comme tous ces jeunes paumés qui rêvent d’une grosse défonce.
Deux, trois heures du matin, le pied sur le plancher, largement au-dessus des limites de l’alcootest et la radio à tue-tête…
Mais, cette nuit-là, il avait neigé. Non pas de façon sporadique : un long déluge ininterrompu de gros flocons mastocs. J’avais pourtant pris la route, je m’étais évadé, je m’étais même risqué sur une petite route déserte, perdue quelque part dans le vide gelé de cette immensité. À deux heures de chez moi, une sortie d’autoroute, puis ensuite la montagne… Navigation au hasard, un voyage vers nulle part, ou plutôt vers n’importe où.
* * *
Je ne savais pas vraiment où j’étais, mais je n’avais guère l’intention d’en revenir. En tout cas, il s’agissait d’un coin que je ne connaissais pas, ou alors pas vraiment. Le grand manteau blanc, froid et uniforme, recouvrait déjà toute la vallée, encore immaculée à cette heure de toute souillure humaine, une vallée un peu étrange, profondément engoncée entre deux falaises abruptes.
Cet hiver-là avait été particulièrement froid. Et cette neige tardive annonçait paradoxalement un réchauffement, même si, pour l’heure, un vent glacial soufflait toujours par rafales tout autour de la carlingue du véhicule.
J’avançais au pas, ça patinait pas mal et les bas-côtés étaient désormais difficiles à deviner. La tempête de neige battait son plein au cœur de la nuit noire. Impossible de se diriger, impossible de se repérer. Mais je me disais qu’en avançant tout droit, je finirais bien par arriver quelque part… Et puis la voiture s’est mise à tousser, et tous ces efforts en première finirent par l’achever. Finalement, elle s’est arrêtée. Quelques actions sur le démarreur, mais impossible de repartir.
Et me voici perdu dans ce froid atroce en plein cœur de ce grand désert blanc fouetté par le blizzard. La perspective de mourir gelé, celle de souffrir ainsi durant de longues heures, tout ceci ne m’enchantait guère. J’avais rêvé mort plus prompte, l’écrasement contre un platane, l’explosion au fond d’un ravin ou toute autre circonstance très expéditive, du style de celles qui ne laissent pas le temps de réfléchir.
Je suis resté ainsi un long moment à écouter la radio qui déclinait peu à peu, essayant sporadiquement de raviver le moteur, mais toujours sans résultat. Le froid peu à peu m’engourdissait, tandis que les volutes d’alcool se dissipaient dans mon cerveau embué.
* * *
J’avais finalement abandonné la voiture. J’avançais péniblement à pied sur la route enneigée. Les flocons s’étaient arrêtés de tomber. À quelques centaines de mètres de là, sur l’autre versant, je croyais deviner les contours de quelques baraquements, probablement déserts. Mais, du moins, peut-être pourraient-ils constituer un abri, en attendant mieux. J’ai bifurqué sur la gauche pour couper au plus court, j’ai traversé un petit ruisseau complètement gelé, j’ai enjambé les vestiges d’un joli petit buisson décoré par la neige, pour me retrouver au beau milieu d’une cour de ferme, apparemment abandonnée, des bâtiments totalement délabrés.
Je me suis engouffré dans ce qui ressemblait auparavant à une grange. Des bottes de paille gisaient çà et là, pêle-mêle, parmi un ramassis d’outils rouillés. À l’autre extrémité, le toit s’était effondré. Par la suite, je me suis affalé sur le sol, les pieds complètement engourdis par le froid hargneux.
* * *
J’ai été réveillé, au milieu de la nuit, par un long gémissement plaintif et lugubre qui émanait du rez-de-chaussée. Le rez-de-chaussée de quoi ? D’une vieille bâtisse. Je n’étais plus dans la grange. J’étais dans une chambre vieillotte à l’aspect sinistre et qui sentait fort le moisi. Et j’étais complètement NU dans ces draps glacés aux relents d’humidité. Dehors, le vent violent hurlait comme un fou et faisait claquer les lourds volets de bois, s’acharnant sur eux pour les briser. Au loin, une pièce métallique crissait, un grincement insupportable qui ressemblait en tous points à la fraise d’un dentiste. Dehors, l’atmosphère était sinistre. Mais l’intérieur de la pièce n’était guère plus rassurant. Un vieux papier jauni, sale et défraîchi tapissait cette pauvre cambuse. De vieilles toiles d’araignée poussiéreuses dégoulinaient du plafond. Sans compter ce crucifix obscène et moribond, aux couleurs maladives, qui surplombait, tel un vampire, juste au-dessus du lit.
« Je ne dors jamais nu… mais toujours en boxer ! » Cette évidence m’avait frappé. Qui m’avait amené là ? Et qui m’avait déshabillé ? Instinctivement j’ai tâté mon anatomie pour vérifier mon intégrité physique. Geste à la con, j’avais les couilles gelées et je grelottais de froid. Dans le même temps, je me sentais envahi par une fièvre de cheval. Et nulle trace de mes vêtements autour de moi.
Nouveaux cris d’effrois provenant du bas, suivis d’une longue succession de gémissements tourmentés. Comme quelqu’un que l’on torture ! Le désarroi de cette personne faisait réellement mal au cœur.
En temps normal, je me serais planqué. Je ne suis pas spécialement courageux et encore moins téméraire. Mais rien ici n’était normal. Et la vie entière ne l’était plus. Tout n’était plus que mon cauchemar. Je me suis donc levé et je me suis traîné péniblement vers la grosse armoire qui trônait dans la pièce. Les grelottements de fièvre me faisaient tituber. Les grosses tentures épaisses, qui faisaient office de rideaux, me paraissaient menaçantes et semblaient abriter des monstres froids et visqueux, prêts à se jeter sur mon corps menu et frêle. À chaque pas, les lames du parquet craquaient et, lorsque j’ouvris la porte, je fus accueilli par le couinement atroce d’une vieille charnière usée.
La puanteur du meuble était immonde, comme si toute la pourriture du passé s’y était accumulée au fil des siècles. À l’intérieur, un empilement désordonné de nippes sans forme, un amas de vieux tissus grossiers. Finalement, je finis par trouver quelques vieilles guenilles lépreuses, qui étaient à ma taille et que j’enfilai prestement. Mais il me manquait l’essentiel, c’est-à-dire les chaussures. Il n’y avait rien qui ressemblât à cela dans cette armoire.
Par la suite, j’ai descendu lentement l’escalier en évitant, autant que faire se peut, de faire couiner les marches…
* * *
La grande salle commune était plongée dans l’obscurité, mais le bruit plaintif émanait apparemment d’une autre petite pièce à l’autre bout de la bicoque.
Un mince rai de lumière filtrait par une porte entrouverte, accompagné par une lente lamentation qui reflétait toutes les souffrances de la terre. Au passage, près de la cuisinière qui irradiait une envoûtante chaleur, je saisis le tisonnier, comptant bien m’en servir comme une arme pour terrasser un monstre hypothétique.
Je n’en menais pas large. Pourtant, curieusement, cette peur me stimulait et m’incitait à avancer, à me jeter dans la gueule du loup, à affronter définitivement un destin que je savais fatal. Comme si l’horreur était, pour moi, un exutoire, une libération qui impliquait mon sacrifice.
Je m’approchais lentement, mais inexorablement pour découvrir…
Le spectacle était dantesque : la sauvageonne hirsute était affalée à même le sol, entièrement nue, son corps luisant, recouvert d’un sang rouge vif. La vieille femme était devant elle, sévère et impassible. Elle maniait la cravache sans piper mot, faisant fi des gémissements de sa victime. L’ensemble de la scène éclairé par un imposant chandelier d’un autre âge.
Un peu plus loin sur le carrelage, les restes de ce qui avait dû être en son temps un animal. Les vestiges d’une bête complètement éviscérée. Une sorte de gros poulet, peut-être une oie ou un dindon, mais il n’en restait plus qu’un amas de plumes passablement sanguinolentes. Les viscères de l’animal pendaient çà et là, sur le corps de la donzelle assassine. Je compris dans le même instant qu’il ne s’agissait pas de son sang à elle, mais de celui de cette bestiole sacrifiée.
Impassiblement la vieille femme la corrigeait, la fouettant de toutes ses forces et arrachant péniblement de longs gémissements de douleur de la bouche de la jeune carnassière. Pourtant, le visage de celle-ci ne reflétait aucune trace de soumission, juste une haine cynique, empreinte de méchanceté féroce, les sentiments d’une jeune tigresse à l’égard d’un dompteur malingre et injuste.
Et puis, soudain…
La folasse bondit en un éclair, sauta à la gorge de la vieillarde et retomba lourdement sur le sol en s’agrippant à ses nippes. Celles-ci cédèrent sous son poids et dévoilèrent d’un seul coup la poitrine pendante de la vieille femme, tandis que notre jeune louve s’apprêtait à nouveau à s’élancer. L’aïeule avait lâché la cravache, elle vacillait sur place, la jeunette en profita pour s’engouffrer sous la table, pour passer de l’autre côté avant de se relever en émettant un cri strident. Un bond plus tard et elle était déjà dans la cuisine, passant comme une flèche tout près de moi, si près d’ailleurs que je sentis l’odeur du sang coagulé me monter à la gorge.
L’image fugace de ces deux seins sanguinolents qui s’ébattaient sans complexe… Mais elle avait déjà filé, elle avait ouvert la porte qui menait dans la cour, avant de plonger entièrement nue dans la zone enneigée balayée par les vents.
La vieille femme s’était relevée, désormais totalement dépoitraillée, elle se tenait péniblement au chambranle de la porte et me dévisageait d’un œil hagard, apparemment inconsciente du spectacle que constituaient ses seins énormes, oblongs et flasques, qui retombaient en cascade jusqu’en bas de son nombril. Je préférais pourtant cette vision à l’étrangeté dérangeante de son œil de verre.
Elle n’ajouta pas « costaud », j’étais plutôt chétif. Elle se baissa pour ramasser la cravache, mais apparemment tous ces efforts l’avaient épuisée. Elle claudiqua péniblement vers la table avant de s’affaler lourdement sur une chaise.
* * *
Je m’avançai vers le pas de la porte. La nuit était très froide, mais beaucoup plus claire que dans mes souvenirs. Et je devinais une forme humaine à l’autre bout de la cour. Faisant fi de mes pieds nus et du vent glacial qui s’engouffrait sous mes hardes, faisant fi aussi de mon état souffreteux, je me décidai à la rejoindre. Avec obstination, pas après pas, bravant le vent glacial, creusant de grosses empreintes dans la neige encore molle, les pieds brûlés par le sol gelé… et, qui plus est, complètement hermétique aux raisons de mes actes !
Je me suis rapproché d’elle. La belle s’était roulée abondamment dans la neige, elle en avait partout, et jusque dans les cheveux. Désormais, elle s’était réfugiée juste aux abords du puits. Un rire rauque et bestial, complètement inhumain, sortait de sa bouche déformée par d’imposants rictus. Elle semblait complètement possédée et se râpait le sexe comme une damnée sur la margelle du puits.
Par quelques mots mielleux, totalement inappropriés face à la situation, j’ai essayé de la raisonner. Elle a, à peine, tourné la tête, juste un semblant de seconde pour me fusiller du regard, de quoi me décourager définitivement d’approcher. Puis elle s’est concentrée sur sa masturbation contre la pierre glacée. Et, trois minutes plus tard, elle s’est mise à beugler. Une voix d’outre-tombe, monstrueuse, titanesque, une jouissance diabolique qui a transpercé la nuit d’un bruit fort et strident.
Par la suite, elle s’est calmée, et elle n’a fait aucune difficulté pour que je la raccompagne dans la cuisine. Je la tenais par les épaules. Malgré moi, son corps chaud et appétissant m’attirait. Elle sentait très fort la femelle, une odeur enivrante et musquée. J’ai risqué une main sur un de ses seins, toujours sanguinolent, mais recouvert de neige. Elle n’a pas protesté et s’est même laissée tripoter. J’avais honte d’en abuser. Pourtant, je l’ai légèrement caressée, sa peau sombre me fascinait. Et je n’ai finalement délaissé ce contact qu’en rejoignant la vieille, toujours affalée sur sa chaise, ses gros seins mous toujours à l’air et pendants le long de son corps.
En la voyant ainsi, la sauvageonne s’est immédiatement jetée à son cou pour lui prodiguer mille baisers. Les deux femmes se sont enlacées, un grand amour semblait les unir. Je me suis senti seul, étranger, inutile. Je me suis rapproché de la cuisinière pour tenter de me réchauffer un peu. Qui étaient donc ces mégères et quel lien étrange les unissait ? (Et qui étais-je moi aussi et que faisais-je en ces lieux ?) La vieillarde caressait doucement les cheveux de la jeunette, toujours blottie contre sa gorge, elle murmurait doucement à son oreille. Et la belle ronronnait. Elles semblaient avoir oublié ma présence.
Affalé sur une chaise, près de la seule source de chaleur de ce taudis, je dus m’assoupir…
* * *
Je fus réveillé beaucoup plus tard par le bruit métallique du tisonnier qui percutait le sol. Durant tout ce temps, je l’avais gardé dans la main droite, je l’avais presque oublié, il s’était comme fondu à mon corps. Il faisait toujours nuit, de plus en plus nuit. La lumière était éteinte et j’étais seul dans la pièce. Dehors, la neige continuait de tomber et obstruait désormais une bonne partie de la fenêtre. Que faisaient-elles ? Où étaient-elles ? Elles étaient montées, elles dormaient. Mais dormaient-elles seules, chacune dans leur chambre, ou enlacées dans un lit, disciples de Lesbos, leurs nudités salaces vicieusement entremêlées ? L’envie de savoir, cette curiosité malsaine qui vous force à espionner, à aller à la quête des plus petits secrets.
Je grimpai à l’étage et décidai d’inspecter toutes les pièces. Au pire, je trouverais facilement à m’excuser. Après tout, je ne connaissais pas cette bicoque et je pouvais aisément me tromper… Mais RIEN ! Rien de rien. Le vide total, aucun lit n’était défait, sauf le mien qui était dans l’état où je l’avais laissé. Les deux autres chambres étaient inoccupées et la salle de bain complètement délabrée. Où étaient-elles ? Disparues, évaporées, comme le souvenir de mes dernières illusions. J’ai regagné mes pénates et me suis affalé sur ma couche. Je n’avais plus aucun espoir, même plus celui de mourir.
* * *
Il faisait nuit et une femme était en train de me chevaucher. Une femme horrible, une sorcière sordide qui grimaçait en d’inquiétants rictus. Partiellement édentée, avec un œil de verre. Sa poitrine était flétrie, ses deux outres gigantesques pendaient le long de son corps. Je ne saurais trop dire à quoi elle ressemblait, je la voyais de loin à travers une espèce de brouillard. Seuls quelques petits détails de son anatomie ressortaient, toujours grotesques et répugnants.
Malgré la laideur de cette harpie, la sensation procurée par son corps était particulièrement agréable. On aurait peut-être souhaité qu’elle le fût moins, mais tel n’était pas le cas : cette vieille nécromancienne sybarite était réellement experte dans l’art de l’érotisme. Quel bonheur d’être entre ses reins et de la voir se déchaîner sur ma colonne de chair ! Des lustres que je n’avais pas si bien bandé, des lustres aussi que je n’avais pas eu une telle envie de baiser. Elle riait d’un rire grotesque proche de la démence absolue, un rire caverneux et satanique. Des heures durant à me faire l’amour, sans jamais montrer le moindre signe de fatigue. J’avais à peine joui que déjà elle recommençait, jamais rassasiée, toujours en manque et plein d’entrain dans cette folle cavalcade. Tant d’éjaculations, tant de jouissances… impossible à imaginer, elle me vida entièrement jusqu’à la dernière goutte, jusqu’à ce que je m’effondre comme une loque dans un sommeil profond. Et encore, elle continuait jusque dans mon inconscience, et je ressentais ses coups de reins jusqu’aux tréfonds de mes rêves…
* * *
Ridée et rabougrie, la vieille femme édentée était allongée nue près moi. Et elle me regardait avec son œil de verre. C’est la première chose que je vis lorsque j’ouvris les yeux. Elle semblait morte et hagarde, passablement décharnée, mais un ronflement subit la ramena tout d’un coup à la vie.
C’était un jour sombre, passablement neigeux. De gros flocons ventrus s’écrasaient sur la fenêtre. Blottie dans un coin juste au pied de celle-ci, j’entraperçus la sauvageonne. Toujours entièrement nue et recroquevillée sur elle-même, elle avait la bouche ensanglantée par un morceau de barbaque. Elle était en train de dévorer un pavé de viande crue, des espèces de boyaux sanguinolents qui gouttaient sur sa poitrine. Et elle me regardait fixement, avec une intensité fatale qui ne laissait présager rien de bon. Je revis dans ma tête la scène de la veille, l’épisode de la flagellation. Cette pauvre fille allait encore devoir être châtiée. Qu’est-ce qui pouvait ainsi la pousser à dévorer tous ces viscères ? Et de quel animal s’agissait-il ? Ça me paraissait cette fois bien gros pour un simple dindon…
La vieille sentait le vieux. La vieille sentait la mort. C’est ce qui me tira d’un coup de ma léthargie. L’instant d’avant, hypnotisé par la jeune femme, j’étais presque prêt à succomber à ses charmes vampiriques. Un coup d’œil sur la chaise, où j’avais laissé traîner les nippes. Un coup d’œil sur la tigresse qui semblait déjà prête à bondir. C’était l’instant ou jamais. J’ai poussé la sorcière de toutes mes forces. Elle faisait obstacle entre moi et la chaise. Le bruit mat de ses os qui s’écrasent sur le sol. Les gémissements plaintifs de cette pauvre femme, réveillée violemment par ma brutalité. Je l’ai enjambée prestement, et j’ai agrippé les quelques fringues, avant de m’enfuir vers l’escalier. Et, sans me retourner, j’ai descendu les escaliers quatre à quatre.
J’ai chopé la grosse clef dans la serrure et je suis passé dehors. J’étais entièrement nu et il neigeait toujours. Mais qu’importe le froid. Après avoir soigneusement cadenassé la porte, j’ai pris le temps de m’habiller. J’ignorais si elle était à mes trousses, mais je savais que, sans habit, je n’irais pas bien loin. J’ai même trouvé des bottes qui traînaient sous la poterne. Pas vraiment ma taille, au moins deux pointures de trop, mais pour l’heure cela ferait l’affaire.
C’est à ce moment-là que j’entendis les vitres voler en éclat. Ne pouvant passer par la porte, elle venait d’exploser la fenêtre. Je me mis à courir dans la neige abondante. Elle était là, au coin de la maison, entièrement nue dans la neige fraîche. Elle sautait comme une gazelle ou plutôt comme un bouquetin : je la voyais, je la sentais, elle était vraiment en chasse. Je savais que je n’avais aucune chance, trop forte, trop athlétique, trop bestiale, elle aurait tôt fait de me rattraper.
Puis je vis le bonhomme de neige qui trônait au beau milieu de la cour : nouveau celui-là, qui donc l’avait construit ? Et quand ? Je n’avais pas souvenir de l’avoir déjà vu. Seule solution, me réfugier derrière ce futile rempart, frêle protection contre mon agresseur…
Mais, en passant de l’autre côté, j’eus la désagréable surprise de m’apercevoir que le gros homme blanc était éventré et que ses tripes sanguinolentes s’épanchaient tristement le long de son gros ventre blafard. Une tête pourtant bien sympathique, un nez de carotte et un chapeau de paille. Le pauvre avait dû souffrir, une larme de glace perlait sur sa joue lisse. Je reculai d’un pas. La hyène m’avait rejoint et semblait déjà prête à me sauter à la gorge. J’arrachai violemment le balai de notre homme factice, ce qui eut pour effet de démasquer un bras, un bras bien humain, celui-là, ce qui leva les derniers doutes sur sa constitution.
J’étais paré au combat, prêt à livrer bataille. Bien curieux combat que celui d’une jeune fille entièrement nue dans la neige, toutes griffes sorties, et d’un jeune homme armé d’un balai de cantonnier. Nous nous sommes observés un long moment, en tournant lentement autour du bonhomme neigeux. J’espérais secrètement que le temps jouerait en ma faveur, que le froid aurait raison d’elle, qu’elle serait affaiblie et que je pourrais ainsi m’en défaire. Mais ce fut tout le contraire qui se passa, le froid me glaçait les os, il me paralysait les sens, alors qu’elle, de son côté, ne semblait y prendre garde. Je dus me rendre à l’évidence : c’était elle la chasseresse et moi le gibier, un gibier fatigué, une biche aux abois, un animal prêt au sacrifice…
* * *
Un ton sévère et sans appel, comme celui d’une préceptrice qui sermonne deux gamins espiègles. C’était la vieille qui parlait. Du coin de l’œil, je la vis qui avançait à grand-peine dans la neige. Elle s’était rhabillée et tenait fermement sa cravache, bien décidée à en découdre.
Miraculeusement, lorsque la sauvageonne vit sa patronne, elle arrêta tout de suite ses menaces envers moi. Certes, j’aurais pu en profiter, j’aurais dû en profiter. Et j’aurais pu m’enfuir à perdre haleine, à travers champs… C’est ce que vous auriez fait, probablement, à ma place. Mais pour aller où ? Et pour faire quoi ? Pour continuer, comme par le passé, mes errances en solitaire ?
Au lieu de cela, nous sommes rentrés, tous les deux, tout penauds, à la fermette, en nous faisant copieusement admonester par la vieille femme. La tigresse eut droit à quelques coups de cravache. Quant à moi, je n’eus droit qu’au regard glacé de la démone.
* * *
Force est de constater que, depuis lors, je vis avec ces deux femmes. Et je vous laisse deviner quelles sont nos activités. Peu recommandables en vérité, souvent démoniaques et sacrilèges ! Nos nuits sont sabbatiques et nos plaisirs volontiers diaboliques et irrévérencieux.
Quoi qu’il en soit, le monde n’est, ici, ni pire ni meilleur qu’ailleurs, simplement différent. Le temps s’égraine lentement dans un silence morbide. Tout ça en attendant le prochain moment intense, toujours surprenant : merveilleux instants de débauche, luxurieuses dépravations…
Un jour viendra peut-être où mes hôtesses n’auront plus besoin de moi, le jour de ma délivrance, le jour d’un sacrifice tant de fois espéré. Ce sera alors pour moi une libération, guère plus difficile que de m’écraser contre un platane !
A moins que ce ne soit moi qui ne dévore l’une d’entre elles : la vieille, la jeune, ou alors toutes les deux, peu importe d’ailleurs… mais, alors, au paroxysme d’une grande jouissance.