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31/08/05
Résumé:  À la suite d'une conversation entendue sur une place de village, à l'heure du pastis et des cigales, il m'a semblé important d'écrire ce texte...
Critères:  prost init méthode
Auteur : Jeff            Envoi mini-message
Les vieux messieurs indignes...

Ils sont légions à afficher leur bonhomie, leurs décorations arborées fièrement à la boutonnière et la placidité de leurs pas tranquilles sous les platanes ou les tilleuls des places de nos villages, à l’heure où le pastis rafraîchit les verres d’une buée blanchâtre et où les cigales recommencent à chanter.


Ils ? Ce sont ces vieux messieurs, dignes d’une reconnaissance éternelle due à tous les héros des temps anciens et modernes. Aujourd’hui, ils se prélassent, chauffent leur peau parcheminée au soleil de l’après-midi et, d’une voix chevrotante, commentent l’actualité en faisant d’impossibles comparatifs avec leur temps, s’emportant ou s’empourprant à la moindre contrariété ou contradiction…


Certains, la majorité d’entre eux, se complaisent dans leur monde, irréel et inchangé, bousculés qu’ils sont par la modernité de la réalité qui les submerge. Pourtant, bon nombre d’entre eux étaient, il y a encore peu de temps, en activité. Employés de bureau, chefs de service, contremaîtres de manufacture, responsables d’hommes et de femmes, ils ont fait et participé à la grandeur de leur pays, à sa construction, à son renom.


Le propos doit vous paraître bien amer, peu conventionnel, politiquement incorrect ! C’est qu’à force de fréquenter les vieux messieurs dignes, j’ai aussi découvert la face sombre de leurs personnes.

Toujours bien mis sur eux, la canne élégante, la cravate souvent assortie à la pochette, la bottine cirée, le pantalon lustré aux genoux à force de frotter leurs bras dessus, ils s’assemblent dans l’ombre fraîche du couvert pour deviser des choses du temps, refaire le monde selon leur vision passéiste. L’œil humide, ils ne perdent pas une miette de ce qui se passe autour d’eux.


Ils vitupèrent contre ces garnements d’adolescents qui font pétarader leurs motocyclettes et parasitent leurs sonotones, mais suivent d’un regard concupiscent la jeune beurette qui traverse court vêtue la placette pour les rejoindre et, dans un long regard égrillard, ils admirent ses seins, qu’ils trouvent arrogants, puis suivent sa chute de rein et le modelé des cuisses, qui éveillent en eux quelques réminiscences, uniques restes d’une constitution mâle aux gestes brusques, aux mœurs plus que douteuses.


Ce regard lubrique qu’ils jettent sur le monde qui les entoure est bien souvent le seul et dernier souvenir d’une vie mâle, bien remplie et menée à entretenir des us et coutumes, considérés aujourd’hui d’un autre âge mais qui firent les beaux jours de leur temps.

De cette époque, pas si lointaine, il est certains que du sexe et de la vie sexuelle on en parlait beaucoup moins, pour ne pas dire pas du tout, mais on faisait la chose avec plus de liberté et de libertinage qu’en ces temps dits « modernes aux mœurs dissolues ».

Et voilà que nos vieux messieurs dignes qui s’agitent frénétiquement sur leurs bancs de pierre, à l’ombre de nos places publiques, maugréant qu’ils n’ont pas eu une jeunesse dorée, eux, et de se trouver pour toute excuse qu’ils ont connu la guerre, eux !


Serait-ce à dire qu’en chacun de ces vieux messieurs dignes sommeille un uhlan, un Hun ? Soldatesque barbare s’il en est, qui faisait fuir femmes, vieillardes et jeunes vierges à l’annonce de leur approche, de peur que leur vertu soit mise à mal et que leur fin de vie soit plus que raccourcie !

N’imaginez surtout pas leur proposer pareille comparaison, sous peine de prononcer là des paroles blasphématoires… Non, pour les vieux messieurs dignes, leur dignité résidait surtout dans la façon dont ils pouvaient compter fleurette, faire la cour à une dame ou demoiselle - c’est en tout cas ce qu’ils vous affirmeront, la main sur le cœur.


Car en ces temps-là, la mère de famille veillait à ce que sa progéniture féminine arrive intacte au mariage, et pas question de transiger sur cet état de fait. Aussi, les vieux messieurs dignes allaient-ils perdre leur gourme dans les bouges et les lupanars locaux, s’étourdissant dans les bras de matrones au sourire aussi avenant que commercial, à la cuisse lourde, aux seins flasques et à la fesse dodue.

Là, ils apprenaient les prémices de l’amour tarifé, qui autorisait toutes les fantaisies et ils prenaient goût à la chose. Il y avait aussi, à portée de main – si l’on ose dire - un terrain de chasse et de jeux qui pouvait leur permettre de faire le tour du monde des mœurs et coutumes amoureuses, sans sortir de leur cambrousse. C’était l’époque où le pays des vieux messieurs dignes débordait largement des frontières actuelles.


De l’Asie à l’Afrique en passant par l’Océanie et l’Amérique, toutes les races pouvaient faire l’objet de convoitises, d’expérimentations amoureuses et de comparatifs, car toutes venaient trouver refuge ou étaient expédiées, manu militari, en métropole. La chair fraîche ne manquait jamais et les arrivages étaient salués par des festivités où les tenues protocolaires étaient réduites à leur plus simple expression, c’est-à-dire rien. Et les salons des maisons spécialisées se transformaient en une foire aux esclaves modernes aux parfums exotiques et aux goûts de l’interdit et du dangereux.


Les mères, pourtant conscientes des dangers que couraient leurs rejetons, préféraient pourtant les savoir à quelques lieues de leur giron plutôt que guerroyant ou parcourant les forêts tropicales ou équatoriales humides, lointaines et dangereuses ou risquant d’engrosser tout le quartier.


Certaines, à ces époques lointaines, fermaient même les yeux sur des amours ancillaires, encore moins dangereux que la fréquentation de maisons dites closes. Cette tolérance acquise et permissive laissait supposer par la suite une continuation de la chose et ouvrait les portes à bien des situations qui, aujourd’hui, font rire benoîtement le public des théâtres de boulevard mais ont fait pleurer bien des femmes.

Tolérant l’expérimentation contrôlée et espérant la garder sous contrôle, beaucoup de mères d’une unique progéniture mâle, poussaient leurs graçons dans les bras de soubrettes bien souvent niaises.

La jeune fille y perdait sa vertu, à défaut de sa place, contrainte alors de supporter les assauts qu’elle espérait voir récompensés par une élévation sociale. Mais d’élévation sociale, il n’en était que très rarement question et le jeune homme épousait celle qui lui était désignée - car, pire qu’un engrossement de la bonne, était la mésalliance.


De cette époque restent quelques belles fortunes mais surtout des compositions familiales actuelles, fondées sur des apports financiers, des intérêts partagés, des agrandissements de propriétés terriennes et de cheptel ovin et bovin. Les descendants réalisaient, au moyen d’un contrat de mariage dûment signé devant notaire, sous le regard attendri et ému des parents, leur réussite sociale, revanche sur leurs propres conditions.


Et le malheur du jeune couple commençait.


La jeune épouse, généralement non avertie en matière d’amour et de sexe, se retrouvait au lit sans savoir quoi que ce soit de la vie. À l’inverse, son jeune époux attendait d’elle des services qu’elle ne savait dispenser et que la tradition condamnait fermement. Alors, frustré, il s’en retournait rapidement vers les amours tarifés et vers la domesticité, rendue souple pour raison économique.

Ainsi, au fil des décennies, ont été copiés, imités, dupliqués et adaptés les modèles qui servirent de base au vieux messieurs dignes.


Des vieux messieurs dignes qui ne pratiquaient alors la copulation maritale que dans l’objectif de procréer avec la légitime épouse, pour perpétuer la race et le nom, transmettre le patrimoine. Madame accomplissait son devoir conjugal comme les cancres leurs lignes de punitions, en soupirant et en maudissant celui qui imposait de telles turpitudes. Puis, le résultat escompté se précisant, Madame devenait inaccessible et dévouait son temps à l’élevage des bambins, quelquefois aidée en ce travail épuisant par une ou plusieurs bonnes.


Si les soubrettes étaient choisies parmi les laiderons, Monsieur pouvait se contenter de les déniaiser, plus par habitude que par désir, une façon de les marquer du sceau du bon vouloir du maître envers ses esclaves. Si les nurses et diverses soubrettes étaient girondes, Monsieur ne se contentait pas de les déniaiser. Régulièrement, il pouvait les honorer, agitant frénétiquement devant leurs yeux la menace d’un renvoi si elles allaient jusqu’à l’outrecuidance de se plaindre auprès de Madame des assiduités de Monsieur.

Ainsi se prolongeait et se perpétuait le modèle des amours ancillaires, initialisé par la mère, toléré par tous et si pratique, car économique et peu dispendieux des revenus familiaux.


Pourtant, certains, qui avaient pris goût à la chose, préféraient sortir et fréquenter à l’extérieur selon le rang social, le niveau des revenus et de réussite, les besoins de relations. Ils prenaient une maîtresse. Une situation qui n’excluait nullement les amours ancillaires, mais là, c’était de la gourmandise !

Le rang et le titre de «maîtresse », attitrée ou non, avait l’avantage de fixer les vieux messieurs dignes dans un cercle connu et reconnu, de les stabiliser. Quelques-unes étaient délibérément choisies pour leur attractivité sexuelle. Elles n’étaient utilisées que pour faire l’amour - pour la bagatelle, disait-on. Et les mœurs de l’époque les désignaient à la vindicte populaire en les traitant de « gourgandines » et de « demi-mondaines ». C’étaient des femmes qui n’inspiraient que peu de respect, seulement de l’envie.


Souvent, les maîtresses étaient partagées avec de plus puissants ou des égaux, voire échangées. Ce trafic permettait à tout un chacun d’agrandir son réseau relationnel, de s’ouvrir les portes des maisons de crédits et des banques, les antichambres des pouvoirs locaux et nationaux. Ces femmes étaient quelque fois élevées au rang d’égéries, stade suprême auquel elles pouvaient aspirer - car la condition de femme mariée leur était quasiment interdite - et des plus hautes sphères de pouvoirs politiques et économiques à la bourgeoisie de province, chacun tentait de copier, imiter et reproduire le modèle qui allait permettre de se hisser dans l’échelle sociale au moyen de ce système à la moralité douteuse, mais si pratique.


Pour autant, les appétits sexuels des vieux messieurs dignes n’étaient pas toujours assouvis par les soubrettes et autre domesticité ou par leurs maîtresses et autres égéries. Aussi continuaient-ils à vivre leurs débordements de mâles derrière les murs des maisons, dites pudiquement « de tolérance », jusqu’à leur fermeture.

Là, au gré des arrivages, ils pouvaient parfaire leur éducation, passer leurs caprices et satisfaire à tous leurs fantasmes. Dans un univers contrôlé, tarifé, ils pouvaient tout obtenir, jusqu’au choix de l’exotisme des demoiselles qui, bien souvent, étaient forcées d’accomplir et satisfaire les désirs d’une clientèle exubérante et qui en voulait toujours plus, sous l’œil et la férule d’une patronne, aux ordres d’un ou plusieurs souteneurs.


Les vieux messieurs dignes auraient pu se contenter de cette « petite vie bien rangée et organisée ». Mais non. Il leur en fallait toujours plus. Toujours plus de plaisir, toujours plus d’exotisme, toujours plus de pouvoir et d’ascendant sur les femmes.

Bon nombre d’entre eux participèrent ainsi à l’expansion d’un colonialisme outrecuidant, où le viol, le droit de cuissage et les amours tarifés aux prix de la pacotille et de la verroterie les plaçaient au rang de seigneurs jouant avec leurs serfs. Et, quand l’époque de l’émancipation a sonné le glas des colonies, que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a été substitué au droit de cuissage et que la loi du marché est venue remplacer celle de l’échange, du troc de pacotilles et verroteries, les vieux messieurs dignes ont perdu leurs repères. Ils sont rentrés chez eux, espérant au moins y continuer leurs trafics.


C’était sans compter avec les changements de mœurs, l’évolution de l’époque et l’avancée de l’histoire.

Au sortir de la Grande Guerre, un nouveau vent de folie avait soufflé sur la société dans son ensemble. Une société largement fragilisée par la saignée ouverte, par les pertes des récentes batailles et qui avait obligé les femmes à prendre leurs responsabilités.

Devant l’absence des hommes, elles avaient pris leur place, exerçaient leurs métiers et entendaient – bien légitimement – conserver leurs avantages dans la paix retrouvée. Et si les hommes avaient, durant près de quatre ans, conservé leurs visages dans la boue et les tueries, ils avaient aussi conservé l’image des femmes comme repos du guerrier, bras accueillants entre lesquels il pouvaient espérer oublier quelques instants les horreurs des tranchées, les soumettant au bon vouloir des permissions et donc rendues disponibles au grè de leurs fantaisies.


Nombreux étaient aussi ceux qui connurent et goûtèrent à cette époque aux délices des amours tarifés et bon marché des premiers bordels militaires de campagne, ramenant chez eux des pratiques jusqu’alors totalement inconnues de leurs légitimes qui, en les acceptant, en les assimilant et en les pratiquant, au nom de cette folie, dans l’inconscient espoir de combler leurs hommes avant qu’il ne soit trop tard, se donnèrent ainsi un vrai pouvoir.

Elles avaient osé franchir le pas qui les avait jusqu’alors distinguées des maîtresses et des demi-mondaines, voire des filles de mauvaise vie qu’elles montraient du doigt quand elles en rencontraient dans la rue.


Et puis les conditions économiques avaient aussi évolué. Pas en mieux. Les effets de la Grande guerre se faisant ressentir dans tous les foyers, le retour à la paix avait aussi été marqué par la raréfaction du personnel domestique. Et quand ce personnel pouvait, au sein d’une maison, être pérennisé, les filles n’étaient plus aussi naïves qu’autrefois. Maintenant, elles étaient plus averties et moins accessibles. Rares étaient les maisons où les aventures intérieures devenaient tolérables et étaient tolérées.


C’était enfin l’époque où la bureaucratie a réellement fait son apparition, obligeant bon nombre de jeunes femmes à embrasser une carrière de secrétaire, passant de la férule d’un père ou d’une mère, d’un patron ou d’une patronne, à celle d’un chef qui, ne pouvant plus réellement satisfaire ses envies sexuelles sous le toit de sa maison, frustré par les récits épiques des aventures extraconjugales entendus autour de lui, en profitait pour exercer son droit de cuissage sur un cheptel à ses ordres, à sa dévotion, et dont l’avancement dépendait de sa soumission.


Au fur et à mesure que les femmes ont pris goût à cet espace de liberté, comprenant que la société avait besoin d’elles et de leur rôle de femmes accomplies, elles se sont empressées de le conquérir, petit à petit, grignotant de plus en plus de prérogatives et empiétant sur le terrain des femmes aux mœurs légères, qu’elles n’avaient cessées de critiquer à mi-voix et enviées dans leur for intérieur.


Puis la Seconde guerre est venue parachever leur conquête, chamboulant une fois de plus - et trop rapidement pour les vieux messieurs dignes - les codes sociaux et moraux.

Les femmes ne se contentèrent plus seulement d’être des substituts aux travaux masculins où l’on manquait alors de bras, mais prirent une part active aux faits de guerre, chose quasi-exclusivement réservée aux mâles jusqu’alors.

Et le retour à la paix a été encore plus dur, plus pénible. D’autant que le travail de reconstruction a dû être entièrement partagé et que les lieux d’exclusivité masculine rétrécissaient tous les jours.

La fermeture des maisons closes, les vrais pertes coloniales, le travail et la prise de responsabilité des femmes dans la vie économique, politique et sociale venant anéantir les dernières espérances des vieux messieurs dignes.


Alors, que reste-t-il après cela aux vieux messieurs dignes, sur leurs bancs, zyeutant avec concupiscence les robes légères qui volètent autours d’eux ?


Quelques souvenirs, d’une époque révolue où ils pouvaient alors en toute impunité, par un simple claquement de doigts, un geste discret de la tête, choisir une victime, hélant une nouvelle pour la faire « passer à la casserole », sorte de droit de cuissage moderne, désignant dans le vivier d’un atelier ou d’un bureau celle qui pourrait satisfaire à leurs envies.

« Apprentissage de la vie et à la vie », disaient celles qui étaient élues, sacrifiant leur vertu sur le bureau du réalisme économique et de la grimpette qui pouvait leur faire espérer une ascension dans l’échelle salariale, forme à peine déguisée d’une prostitution où le client devenait souteneur.

« Vieux salaud, dégoûtant », maugréaient les laissées-pour-compte ou les abandonnées du système.


Les vieux messieurs dignes savaient alors entretenir la flamme qu’ils pouvaient raviver d’un simple hochement de tête.

Le système se transmettait tout au long de la hiérarchie, le niveau supérieur donnant l’exemple au reste de l’arborescence inférieure, transmettant la valeur en la hissant à un niveau de sport collectif et national – mais pas toujours suivi par tous et toutes, qu’on se rassure aussi – se répandant dans certaines branches professionnelles comme une évidence. Au point qu’une nouvelle promotion ne pouvait alors s’acquérir que selon le système éprouvé de la « promotion canapé ». Au point que « coucher » pour avoir la place, réussir, avancer, pouvait presque se porter en légion d’honneur.


Alors, les vieux messieurs dignes ont même inventé une nouvelle hiérarchie de compétences, une nouvelle classification, celle des « faciles », des « baisables » opposées aux « inabordables » et aux « non-baisables ».

Et leurs turpitudes devenaient d’autant plus aisées que les femmes avaient gagné de nouveaux droits : celui de maîtriser la procréation en prenant la pilule et le droit d’assumer ou non la vie qu’elles pouvaient porter en elle, fruits d’amours licites ou non. Par cette maîtrise de leur corps, elles ont aussi revendiqué clairement leur volonté d’éprouver du plaisir, tous les plaisirs, officialisant ainsi leur conquête sur le terrain des filles légères, se substituant à elles et s’arrogeant leurs droits, passe-droits et privilèges.


Et les vieux messieurs dignes, avec un peu de retard, ont complété leurs classements en introduisant la typologie de « salopes », terminologie qui montre leur mépris envers ces filles et ces femmes qui s’insèrent dans le système, l’utilisent à leurs fins et réussissent au point de les dépasser, les surpasser, pour finalement les déclasser et les mettre au rebut.


Cette nouvelle avanie, les vieux messieurs dignes ont eu beaucoup de mal à la digérer, d’autant qu’elle s’est accompagnée de quelques mesures de rétorsion envers leurs attitudes jugées machistes. Les belles ont la dent dure dans la revanche des sexes et n’oublient pas les centaines d’années de couleuvres qu’elles durent avaler.

Les nouvelles et fières amazones des temps modernes, chiennes de garde d’un troupeau de brebis qui ne demandait rien, si ce n’est peut-être le respect du coup de queue donné, ont fait transcrire sur les tablettes de la loi républicaine, des mesures judiciaires – mais peut-être pas si judicieuses – à propos du harcèlement sexuel.

Elles ont déclenché quelques vagues, en poursuivant de leurs assiduités, mais devant les tribunaux, quelques vieux barbeaux qui s’octroyaient encore le droit de cuissage ou celui de la promotion canapé au sein de leur harem économique.


Et les vieux messieurs dignes se sont alors retirés du circuit. Campant sur leurs positions, criant à qui veut l’entendre que c’était là une chasse aux sorcières indigne, des procès d’intention, ils sont partis sous d’autres cieux exercer leurs droits cuissage, pratiquer la promotion canapé, assouvir leur besoin d’exotisme.


Ainsi sont-ils devenus des vieux messieurs indignes.


Parce que la société dans laquelle ils vivent est maintenant verrouillée, bouclée, policée, légiférée, que les espaces de liberté se réduisent comme peau de chagrin séchant au soleil. Parce que leur éducation et leur système référentiel datent d’un autre temps, n’ont pas su évoluer ni s’adapter. Parce que les rêves, les envies, les fantasmes, semblent aujourd’hui de plus en plus à portée de main. Parce que les femmes ont crié, hurlé à qui veut l’entendre et sur tous les toits, à la face du monde, à « la liberté sexuelle », au « droit de coucher avec qui elles voulaient, comme elles le voulaient » en revendiquant « le droit au plaisir », eux y ont cru.


Eux qui étaient bridés chez eux. Eux à qui on a fermé les maisons closes. Eux qu’on traîne sur les bancs des tribunaux de divorces à la première incartade. Eux qui subissent tous les jours les images provocantes des femmes mannequins, qui étalent en grandes largeurs et en quadrichromie leurs formes plus que féminines dans des poses lascives et suggestives. Eux qui croisent tous les jours dans les rues des femmes-enfants qui les aguichent…

Eux à qui l’on défend de tout toucher, de tout regarder, de tout consommer, alors qu’en eux brûlent ces feux incontrôlables qu’on nomme rêves, désirs, impulsions, envies…

Alors, pour ces vieux messieurs indignes, on a inventé de nouveau paradis, de nouveaux terrains de jeux et de chasse.


Des Tours Opérateurs peu scrupuleux, toujours en mal de chiffre d’affaires à augmenter, leur ont offert sur un plateau, avec marketing, photos, catalogues, prix discounts et charters organisés, ces destinations de rêves, de désirs, d’impulsions et d’envies… Ils leur ont offert ces « nouveaux paradis » où la consommation de chair fraîche est autorisée, si ce n’est légalisée.


En les fréquentant, ils ont soudain eu l’impression de revenir à l’époque de la colonisation. Quand, débarquant au milieu d’un village indigène, ils pouvaient choisir la compagne d’une nuit qui leur était apportée en grande cérémonie, soumise et consentante, par le chef du village accompagné par le père lui-même, heureux de l’honneur dont sa famille faisait l’objet.

Enfin, ils étaient à nouveau reconnus. Ils semblaient revivre cette vie d’autrefois, dont ils avaient tant et tant de fois entendu ressasser les mérites, les exploits. Ils redevenaient conformes aux idées reçues, celles qui les avaient éduqués, que leurs grands-pères, que leurs pères avaient connues.


Ces Tours Opérateurs sans morale voudraient leur faire croire avoir « inventé » le concept de « tourisme sexuel ». En réalité, ils n’ont fait que réactiver une situation et ont su exploiter la misère humaine de plus en plus grandissante dans certaines parties du monde.

Moyennant quoi, nos vieux messieurs indignes se pressent dans ces lieux de débauches et, contre quelques menues monnaies, profitent largement de la situation avec la malheureuse bonne conscience que leur argent est sensé enrichir les familles, leur donner le vivre et le couvert, alors qu’en réalité se sont les réseaux mafieux qui encaissent les passes.


Ainsi, sous couvert de tourisme général, bon nombre de vieux messieurs dignes se transforment-ils en vieux messieurs indignes, allant jusqu’à consommer de la chair toujours plus fraîche.

Et, bien que risquant de plus en plus pour leur sécurité, voire leur liberté, les vieux messieurs indignes continuent à traverser le monde en vol charter, pour satisfaire leurs envies, leurs désirs et leurs pulsions. Là, sur place, ils peuvent trouver toutes les réponses à la demande de leurs satisfactions les plus fantasmagoriques, quels qu’en soient les âges ou les sexes.


Et pour quelques poignées de dollars en plus, ils peuvent frôler la mort en refusant les préservatifs, inconscients de la transmission des maladies comme le Sida… Mais c’est vrai qu’à leur époque, révolue, le Sida n’existait pas et que cela faisait partie de leurs « hauts faits d’armes » que d’attraper une chaude-pisse ou ramener une maladie vénérienne. La première était soignée à grand coup de permanganate de potassium et les autres avec des sulfamides, puis était colportée de bouche à oreille, entre copains - l’objectif étant d’éviter de sauter la dernière copine en date qui avait couché avec le porteur des vibrions…


Et voilà comment nos vieux messieurs indignes, assis sous les chênes centenaires, ceux-là même où Saint-Louis rendait justice à ses sujets ou guérissait des écrouelles les manants, viennent à se vanter de leurs exploits, laissant bouche bée quelques amis qui les écoutent et ne rêvent plus que de marcher sur les pas de leurs bonnes fortunes.


Mais qu’adviendra-t-il de nos vieux messieurs indignes, quand ils vont découvrir qu’ils ne sont pas les seuls à profiter de ce « tourisme sexuel » ? Que leurs compagnes, femmes, maîtresses, amies ou connaissances font aussi ce genre de voyages !

Oh, bien entendu, elles n’utilisent pas les mêmes destinations. Elles préfèrent les côtes africaines, et replongent elles aussi dans les souvenirs murmurés, certains soirs, par une vieille tante, une cousine – toujours éloignée – qui, de retour de ces pays chauds, à l’époque du colonialisme flamboyant où les femmes des planteurs, des chercheurs d’or ou de diamants, s’ennuyaient ferme en attendant leurs maris, s’amusaient avec les boys. Des garçons sympathiques et bien montés, qui les aidaient à combler attente et solitude.


Aujourd’hui, leurs descendants sont tout aussi sympathiques, toujours aussi bien équipés par dame Nature et échangent un peu de leur temps et de leur corps contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Souvent, ils attendent aussi un visa et un passeport, un billet pour l’Europe, afin d’y trouver du travail, gagner mieux leur vie et distribuent généreusement le Sida en échange d’un visa.


Voilà que des vieux messieurs indignes, on arrive aussi aux vieilles dames indignes qui, par mimétisme, singent les mâles qu’elles prennent pour mauvais exemple et s’abandonnent à des activités qui mettent aussi en péril leur santé – et peut-être bientôt leur liberté. Car en cette matière, l’égalité va aussi les rattraper.


Voilà aussi comment, du badinage, on est passé au libertinage, puis à la libéralisation des mœurs, pour en arriver à l’asservissement de certaines catégories humaines, hypnotisées par l’argent facile, par la liberté, et prêtes à tout pour un bol de riz, un morceau de pain, un visa, jusqu’à vendre leur corps à des vieux messieurs indignes.



Morale & épilogue


Après une après-midi estivale passée à écouter – à la table voisine – les propos outranciers et provocateurs de quelques vieux messieurs indignes qui se vantaient mutuellement de leurs bonnes fortunes en des contrées lointaines, devant le regard éberlué et envieux de connaissances de bistrots, je me suis seulement permis, en quittant ma table, de ne pas venir les saluer mais de leur dire qu’avec au moins trois millions de mineurs qui étaient prostitués par le monde, avec plus d’un million de mineurs qui les rejoignent chaque année, la seule chose positive était que de plus en plus de pays mettent en œuvre la Convention Internationale des Droits de l’Enfant de l’ONU. Une Convention ratifiée aujourd’hui par 191 nations (sur 256), le Conseil de l’Europe, l’UNICEF, l’Organisation Mondiale de la Santé et le Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme.

Cette Convention considère que tout mineur de moins de dix-huit ans est un enfant.

Elle estime aussi que toute prostitution avant cet âge-là doit être considérée comme un crime et est donc passible d’une peine de prison. Aujourd’hui, plus d’une trentaine d’Etats ont signé des conventions d’extraterritorialité, ce qui implique que les lois européennes, par exemple, s’appliquent à des crimes du tourisme sexuel et la pédophilie (actes sexuels réalisés sur des mineurs non pubères) commis dans ces pays lointains et sont passibles de tribunaux dans leur ville.


Devant la passivité des réactions des uns, l’effarement des autres (ceux qui avaient seulement écouté), je me suis permis de leur rappeler que de plus en plus de voyageurs sont interpellés lors de leur retour de ces paradis du sexe. En juin dernier, un Néerlandais a été appréhendé à Vancouver (Canada) et condamné à vingt-cinq ans de prison pour des faits commis au Cambodge quelques semaines auparavant. Qu’à Paris, actuellement, quatre procès ont déjà eu lieu avec de lourdes condamnations obtenues et d’autres sont en cours d’instruction et de procédure.


Enfin, devant leurs mines dubitatives qui commençaient à devenir penaudes, je leur ai aussi remis en mémoire (en réalité appris) que dix-sept professionnels du tourisme français venaient de signer avec le gouvernement français (le 17 mai 2005) une charte renforçant la prévention et s’engageaient à diffuser l’information « abuser d’un enfant = prison ».


Puis, je les ai laissés là, en plan, refroidissant leurs ardeurs et remâchant leurs faits délictueux et leurs vantardises.

Rentré chez moi, j’ai longuement hésité à transcrire les détails, entendus en cette fin d’après-midi et me suis dit que Revebebe disposant d’une véritable déontologie, je ne pouvais que les aider à persévérer dans cette démarche et cette volonté.

Voilà pourquoi, j’ai préféré utiliser ce type d’article, en souhaitant que vous soyez arrivés jusqu’ici, ce dont, au nom de tous les enfants qui souffrent du tourisme sexuel, je vous remercie.