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19/09/05
Résumé:  Eudeline veut Guillaume. Elle a pour rivales une religion jalouse, et la mort...
Critères:  fh jeunes religion pénétratio historique ecriv_f
Auteur : Lise-Elise  (Dilletante)            Envoi mini-message

Concours : Concours "Figure imposée"
Montségur

Eudeline avait toujours été entière. Si son père, Maître Longamel, mercier de la bonne ville de Carcassonne, apportait pour elle quelque friandise, elle s’en gobergeait aussitôt jusqu’à en être gavée de sucre. Ce qu’elle désirait, elle le voulait tout de suite, en suffisance. Jamais on n’avait réussi à la réformer.

A dix-sept ans, Eudeline était une enfant encore. Un visage aux joues rouges comme des pommes, encadrés de longues tresses brunes, une bouche rieuse, des yeux couleur de châtaigne, voila qui ne la distinguait pas beaucoup. Avec ça, petite, vive et potelée, aimant les fêtes et le tapage. Elle n’était jamais plus heureuse que lors des farandoles de mai, ou des feux de la Saint Jean. On l’y laissait courir. Arrêter Eudeline revenait à saisir un feu follet entre ses doigts.


Quand Guillaume Bellainne, fils d’un maître drapier, passa le seuil de la boutique, elle sut qu’il était pour elle. Il ne se pressait pas d’aborder un commis, semblant goûter l’odeur d’épices, la profusion de richesses et de couleurs débordant des étals. Les Bellaine n’étaient pas familiers de l’échoppe. On les disait pingres, on disait pire encore. Eudeline rajusta sa mise, guignant l’homme du coin de l’œil. Il était grand, mince sans être maigre, ses épaules étaient larges. Il avait les cheveux châtains aux reflets fauves, dans ses yeux luisaient des éclats dorés. Une ombre de barbe se perdait sur ses joues mates, et Eudeline soupira en pensant que ce duvet là devait être doux sous la main.

Enfin il vint vers elle, lui adressa la parole.



Le cœur d’Eudeline se fendit en deux. Elle fit cependant front



Le jeune homme avait rougit. Heureux fiancé, amoureux éconduit ? La jeune mercière sentait le sang battre à ses tempes.



Un commis approchait. Eudeline repris, plus commerçante :



Eudeline faillit crier de soulagement. Elle se contrôla, lui montra plusieurs articles. Il se décida pour une garniture de col, en soie brodée.

Discrètement, du bout de l’ongle, la jeune fille tira un fil.



Elle se précipita vers la réserve.


Il n’y avait bien sur là pas le moindre col. Elle joua cependant son rôle, ouvrit plusieurs boites et fit un peu de bruit.



Le jeune homme acquiesça. Eudeline jubilait. Elle avait sans efforts obtenu le rendez-vous qu’elle convoitait.


Sa mère fut surprise de la voir manier l’aiguille avec tant de soin. Plus surprise encore, quand, lui demandant quel était cet ouvrage, elle répondit



Mais son étonnement ne connut plus de borne, lorsque la jeune fille, le lendemain, déclara vouloir aller à vêpres. Jamais celle-ci n’avait assisté à un office sans y être obligé. Eudeline gagna l’église, et, après vêpres, le lieu de rendez-vous.


Elle se trouva pourtant déconfite devant la maison du drapier. Y demander Guillaume lui semblait bien hardi. Elle fut sauvé par l’arrivée du jeune homme.



La jeune fille lui tendit le paquet. Il le prit, puis, s’avisant soudain qu’elle était seule.



Eudeline y avait compté. Elle conversa avec lui tout au long du chemin. Partout la ville portait des cicatrices visibles. Là où les soudards de Montfort avaient brûlé, restaient les traces de suie. Les boulets restaient enchâssés dans la pierre, les murs trop neufs criaient les batailles récentes.

Le jeune homme, en confiance, aborda des sujets dont la jeune fille n’avait entendu parler qu’à mi-voix. Il pestait du nombre de signes chrétiens dans la ville. Il parlait, aussi, des persécutions. Pour la jeune fille, ces histoires de croisades étaient bien ennuyeuses. Les incursions régulières de seigneurs hérétiques lui suffisaient bien. Mais le jeune homme s’enflammait, ses yeux brillaient, et pour l’écouter encore elle voulait bien s’intéresser à n’importe quoi.


Cette nuit-là, Eudeline ne dormit guère. Elle le voyait, les joues rougies, les mains voltigeant parlant d’inquisiteur, de juste. Il était hérétique. Ce mot là enflammait son imagination.



Elle était encore assez jeune pour l’admirer, et croire qu’elle pourrait le soutenir.


Elle comprit vite qu’il faudrait jouer finement. Pour son père, ces gens là étaient des va nu-pieds. Elle trouva milles ruse pour le rejoindre. Auprès de lui, qui ne parlait que de vertus, elle apprenait les vices. Le premier de tous, ce fut le mensonge.


Elle compris vite pourquoi son père haussait le sourcil au nom de Bellaine. Dans cette ville où l’inquisition et l’hérésie se côtoyaient, la volonté permanente de Guillaume d’afficher sa foi le rendait dangereux. Malgré le joug de la couronne de France, la ville permettait encore bonshommes de vivre en son sein. Mais les accrochages renouvelés, la guerre toujours présente, faisaient monter une tension que les horreurs du siège avaient maintenue à couvert. Guillaume par ses bravades attisait les haines.

« Je le changerais », se disait Eudeline. Elle y réussissait.


Guillaume un jour la prit violemment à parti



Il l’amena à des réunions secrètes. Là, de jeunes gens, presque toujours les mêmes, parlaient avec exaltation de foi et de libération. Cette agitation paraissait vaine à la jeune fille. Ces soirées lui permettaient toutefois de se rapprocher de Guillaume, jusqu’à sentir sa chaleur. Elle prêchait, parfois, la prudence. On reconnaissait la sagesse de ses exhortations, car aucun d’entre eux ne souhaitait mourir sans avoir reçu le sacrement unique.


Elle alla aussi aux prêches. Ces derniers lui semblèrent plus ennuyeux encore que les offices chrétiens. Pas de pompe, pas de belles toilettes ou de statues dorées. Les fidèles venaient en vêtement de travail, par petits groupes, écouter la lecture du livre saint en langue d’oc, et les vociférations d’un petit homme gris – ils se ressemblaient tous- qui les incitait à se détacher du monde terrestre.


Dans la ville, la tension devenait palpable. Guillaume ne tenait plus en place. Quand on lui proposa de mener une livraison à Montségur, il n’hésita pas. Mue par une soudaine inspiration, Eudeline voulu l’accompagner. En quittant subrepticement la maison, ce jour-là, elle abandonna sa famille, son enfance, sa religion, comme des habits trop petits. Le voyage durerait huit jours, au pas lent des bêtes de joug.


La jeune fille croyait connaître le commerce des hommes avec les femmes. Elle en fut pour ses frais. Guillaume partagea avec elle ses provisions, ses couvertures, sa conversation, ses prières. Il ne la toucha pas.


Sous le ciel lourd d’orage, le paysage était sinistre. La route, suivant une mince rivière, circulait avec peine dans la vallée abrupte. Les collines alentour semblaient la plus impénétrable des prisons. La forteresse se dressait, couronnant la plus escarpée des hauteurs, sinistre. Elle avait été conçue pour soutenir un siège, elle avait résisté à de nombreuses reprises. Il réussirent péniblement à atteindre la première enceinte. La charrette n’irait pas plus loin. La charge serait ensuite portée à dos d’homme.

Il régnait jusqu’au porte une sorte de gravité qui inquiéta Eudeline.



Eudeline se demanda s’il était temps de repartir. Guillaume ne se posa pas la question. Montségur résisterait, il voulait en être.


Les jours suivants furent éprouvants. Les hommes consolidaient les remparts, contrôlaient les accès. Certains contournèrent le pog pour chercher une faille dans la muraille infranchissable qui constituait le flanc. D’autres transportaient tout ce qu’ils trouvaient de comestible vers l’intérieur de l’enceinte. Parce qu’elle était robuste, Eudeline dut faire la navette entre le village et le château. La montée était épuisante, il lui semblait que les jambes lui rentraient dans le corps. Elle posait son chargement à l’entrée d’une tour, où un homme déplaisant inventoriait les réserves. Les yeux petits et durs, le crane luisant, les lèvres trop pleines sur lesquelles il passait régulièrement la langue, et surtout son regard, faisaient peur à la jeune fille.



A la montée suivante, Eudeline n’osa pas le regarder. Elle posa sa charge et redescendit le plus vite qu’elle le put.


Le dernier jour d’attente fut de loin le pire. Il ne restait qu’à scruter les collines, en cherchant le scintillement du soleil sur les armures.



La peur envahissait la citadelle. Le défilé de soldats ne semblait pas cesser. Les collines en étaient couvertes. On entendait la rumeur de leurs camps, sans cesse, et d’autant mieux que la vie des assiégés était très silencieuse.

Des réunions de prières avaient lieu, plusieurs fois par jours. Eudeline s’en lassa très vite. La tension amena plusieurs jeunes gens dans la force de l’âge à demander le sacrement. Si Guillaume cédait lui aussi ? Mais les préceptes interdisaient de prendre aucune vie, et il rêvait trop de vengeance pour s’infliger un tel handicap.


La forteresse était pleine comme un œuf. Dans le donjon, se tenaient les bonshommes et les bonnes femmes, pour beaucoup nobles sans terre, tous ordonnés, tous respectant la plus stricte discipline. Par souci de décence, on avait séparé les hommes des femmes. Les derniers arrivés étaient logés en bas, dans la première enceinte, non loin du silo. Eudeline partageait une maison d’une seule pièce avec autres, de vieilles paysannes du village, une jeune fille craintive, et une espagnole qui par son silence faisait bien jaser.



Eudeline ne pouvait croiser son regard sans se signer.

Guillaume, lui, avait demandé à être des gardes. Il partageait sa couche avec quatre autres, ils l’occupaient chacun à leur tour. Le jeune homme profitait toujours de ses quelques heures de liberté pour rendre visite à la jeune mercière.


Eudeline tremblait à chaque percée, chaque escarmouche. Elle fut soulagée lorsque Guillaume se révéla bon archer. Il ne serait pas au cœur de la bataille. Les hautes murailles de la forteresse étaient infranchissables.

La plus grande préoccupation était celle du ravitaillement en vivre et en eau. Si Montségur était imprenable, c’était grâce à ses réseaux de connivence. Ces opérations étaient tenues secrètes. Les dévoiler à des profanes, c’était ouvrir une brèche dans la forteresse. Il ne le fallait à aucun prix.


Lorsque Eudeline surpris l’alchimiste baragouiner en latin au pied des murailles, elle s’approcha. Quiconque serait passé l’aurait cru en train de réciter son bréviaire, tant il le faisait bas. Les gens entendant le latin n’étaient pas nombreux dans la forteresse, et la plupart restaient confiné dans le donjon. Eudeline, elle, ne comprit que trop. Elle l’entendit détailler combien d’hommes en arme comptait leur pauvre compagnie. Elle remonta en courant vers le poste de garde, ralenti, puis s’arrêta.

Elle n’avait rien à gagner dans cette guerre là. Une traîtrise annonçait une défaite sans panache, peut-être sans morts. Elle tourna, retourna l’idée. Elle voulait la fin du siége, quitter ce nid d’aigle, revenir à la civilisation. Elle se tut. Elle se détourna désormais à chaque fois que les petits yeux du moine se posèrent sur elle. Elle attendait la chute. Celle-ci ne venait pas.

Il souffrirent de la chaleur. Leur seul réconfort était que leurs assaillants, harnachés comme ils l’étaient, souffraient plus encore. Dans la petite maison, l’atmosphère était irrespirable. L’Espagnole y restait pourtant presque tout le jour, ouvrant son corsage et relevant ses jupes. Eudeline fut choquée quand, entrant à toute volée dans la pièce sombre, elle trouva cette femme nue jusqu’à la ceinture, un de ses seins tombant hors du corsage. Elle la trouva belle, elle la trouva hideuse. Elle baissa désormais les yeux en passant la porte. L’image la poursuivie jusque dans ses rêves, où la femme nue la toisait, pendant que moine défroqué sautait autour d’elle en chantant du latin.


L’association n’était pas seulement imaginaire. De fait, l’Espagnole ne parlait à personne, en dehors de cet homme. Ils conversaient ensemble dans une langue rocailleuse, que personne ne semblait comprendre. La femme sortait de ces entretiens furieuse. Elle y revenait pourtant. Eudeline se surprit à guetter ces allées et venues. La citadelle manquait de distractions.


L’automne fut froid, la neige tomba tôt. Il n’y avait pas de bois à perdre pour chauffer les habitations. On se rapprocha pour dormir. Eudeline se retrouvait ainsi le nez sur les seins de l’Espagnole –ils étaient plus bruns et plus longs que les siens-. Elle n’en rêvait que plus. Lorsque Guillaume venait la voir, elle avait du mal à le regarder en face. Elle ne pouvait s’empêcher de chercher son contact.



Il lui prenait les mains, mais à travers sa pelisse



Il la regardait d’un air désolé. Il ne pouvait rien de plus pour elle. Elle voulait qu’il revienne. Elle l’aurait, sans cela, agoni d’injures.


Elle posait maintenant les mains sur le ventre brûlant de la mauresque. Elle se mentait à elle-même, et n’y croyait pas.


Le froid se faisait plus vif, la peur, plus grande. Combien de temps allaient-ils rester là ? Le cliquetis des armes les poursuivaient jour et nuit. Il faillait maintenant faire fondre la glace avant de pouvoir boire. Autour d’elle Eudeline voyait des visages gris, comme usés, et elle portait ses mains à ses joues, effrayée. Etait-elle, elle aussi, vieillie avant l’heure ?


La Noël arrivait, la triste Noël. La veillée de prière fut longue, presque tous y participèrent. Il n’y aurait pas d’attaque cette nuit. Eudeline ne quittait pas Guillaume des yeux. Il était amaigri, et semblait plus adulte ainsi. Un feu sourd couvait au fond de ses yeux, comme une fièvre. Cet éclat attirait la jeune fille, lui donnait l’envie de se jeter contre lui.



Tous sursautèrent. La barbacane était le seul point d’accès au mur naturel. Elle était imprenable. Pourquoi crier ainsi ?



Des soldats saisirent leurs armes. Ils se gênaient mutuellement, poussaient des jurons. Il y eut d’autres cris.



Un capitaine alla aux nouvelles. Sa voix grave résonna par-dessus l’assemblée



Un silence se fit.



Le capitaine repris



Une dizaine d’hommes se dirigeaient vers la porte. Guillaume en était. Eudeline leur emboîta le pas. On voulut l’arrêter, elle rétorqua :



Elle était si déterminée qu’on la laissa passer. Elle rejoignit le jeune homme.



En réponse, Guillaume allongea le pas. Mais Eudeline s’était endurcie en montant et descendant les sentiers du pog. Elle aurait pu le précéder si elle l’avait voulu.


Elle connaissait le bas comme sa poche, et dans l’obscurité elle les guida. Les échos de la bataille leur parvenaient, encore lointains. Il firent un voyage, puis deux, chargé du grain qu’il fallait mettre en sac avant de monter. Pour aller plus vite, on ne s’attendait plus. Seule Eudeline s’accrochait à Guillaume, et le jeune homme commençait à trouver sa présence rassurante. On criait en se croisant les nouvelles du combat. Ça ne s’annonçait pas bien.


Au troisième voyage, on cria



Eudeline et Guillaume pressèrent encore le pas. L’air gelé leur brûlait les poumons. Il ne furent pas assez rapide. Les soudards n’étaient pas nombreux, mais ils leurs coupaient la route. La jeune fille, lâchant son chargement, tira l’homme par la manche.



Leurs genoux ne les portaient plus. Il s’effondrèrent sur un amas de paille moisie. Il entendirent le pas des gardes sur le plancher, des meubles qu’on jette à terre, les jurons.



Eudeline tremblait, ce n’était plus de froid. C’était à cause d’elle qu’ils avaient pu entrer. Elle l’avait souhaité, mais pas comme ça. Pas de mort, pas de cri. Une reddition sans heurt. Est-ce que c’était possible ?


Guillaume se méprit sur la cause de ces tremblements. Il crut que c’était le froid, la peur. Il la frictionna vigoureusement, l’embrassant doucement sur le visage. Il n’osait pas parler. Eudeline ne pensait plus à rien. Ces mains qui la touchaient, enfin. Elle tourna la tête, un peu, pour que ses lèvres effleurent les siennes. À peine les avaient t’elle touchées, que la frénésie les prit, leurs souffles se mêlèrent, leurs dents s’entrechoquèrent, leurs langues se cherchèrent l’une l’autre.

Les caresses de Guillaume prirent un tout autre sens. Il ne cherchait plus à la réchauffer, mais à ployer son corps. Eudeline dénouait tout ce qu’elle trouvait, sa cote, la chemise. Elle sentit la peau nue pour la première fois sous ses mains. Elle désirait cela depuis si longtemps. Il se frottait à elle, il était vif, brutal, il lui mordait le cou, froissait ses chairs. Elle le voulait encore, elle voulait plus. Elle sentit un objet dur contre sa cuisse. Elle savait ce que c’était, et quoi en faire. Elle n’avait plus froid. Elle pris le pieu de chair dans sa main, l’amena où elle voulait qu’il fut. Elle se frotta contre lui, il fit de même, elle planta ses dents dans son épaule pour ne pas crier, il saisit ses fesses et les fit aller et venir. Elle serait restée ainsi pour l’éternité.


Les plaisirs terrestres, jamais ne durent.


Elle se réveilla à cause du froid. Elle rattacha ses cordons du mieux qu’elle put, sortit avec la plus grande prudence. L’aube naissait. Il y avait des traces de pas sur la neige, et quelques traces de sang, aussi. Le silo avait était incendié, la citerne éventrée. Des bruits de pas mêlés de chuchotements la firent tressaillir. Elle se cacha.



L’une des voix était du moine. L’autre venait d’une femme. Elle jeta un œil. L’Espagnole.


Ils se dirigeaient vers un point précis, sur l’enceinte extérieure. Dés qu’il s’arrêtèrent, il traça au sol plusieurs lignes, en griffant la neige jusqu’à atteindre la terre nue. Lorsqu’il eut termine. Il se plaça, ainsi que sa compagne, au centre du pentagone ainsi formé. Eudeline tremblait de rage. « Traître ! Sycophante ! Félon ! Scélérat ! », fulminait-elle. Il dénuda la poitrine de sa comparse, l’arrosa d’un liquide rouge, puis lui empauma les seins.



Eudeline ne voyait rien du rictus de la femme. Elle n’avait pas non plus perçu le sens de leurs paroles. Elle vit l’homme sortir son vit, courber la femme et s’immiscer entre ses cuisses.



Son anathème la frappa de plein fouet. Elle-même, qu’était–elle ? Ses yeux se remplirent de larmes, alors qu’à ses oreilles parvenaient les râles de ce couple hideux. Qu’avait-elle fait ! Guillaume ! Elle courut en remontant, essuyant les pleurs qui lui brouillaient la vue.


Le jeune homme sortait à peine de la cave, quand elle revint vers lui. Elle ne put le regarder en face. Lui-même en fut soulagé.



Ils n’avaient pas pris la barbacane. Pas encore. Mais les pertes étaient rudes, et il y avait bien pire. Avec l’aide de montagnards aguerris, ils avaient monté une catapulte. Les deux premières enceintes étaient comme perdues. Il fallait défendre la troisième, sous une pluie incessante de projectiles.


Eudeline évitait Guillaume, et le jeune homme le lui rendait bien. Elle se sentait malade, sans force. La culpabilité lui rongeait le cœur. Elle s’en voulait de l’avoir blessé.

Le moine et l’Espagnole avaient disparus.


La barbacane céda. Le ravitaillement n’était plus possible, ce qu’on avait sauvé du silo ne durerait plus longtemps. Montségur l’imprenable tombait.


On négocia la reddition.



Il n’y eut qu’un lourd soupir pour réponse. On ne le savait que trop.



Eudeline avait déjà choisi. Elle n’était pas hérétique. Elle ne voulait pas mourir. Elle ne pouvait pas. Elle portait déjà le deuil de Guillaume.


Elle fut dans les premières à sortir. Elle échangea un dernier regard avec lui, un long regard. Elle voulait tout y mettre, son amour, son regret. Lui la dévisageait d’un air doux, étonné. Depuis si longtemps il n’avait plus porté les yeux sur elle. Elle sentit un regard insistant sur son ventre. Il avait vu. Elle ne sut pas si elle en était heureuse ou non. Il avait trop répété que la naissance était une condamnation. Ces mots là faisaient mal à Eudeline. Il était trop tard pour rien effacer.


Elle ne s’éloigna pas. Elle voulait le voir partir. Ils allaient passer devant elle, ceux qui n’abjureraient pas. Ceux qui marcheraient, demain, vers le bûcher.

Un soldat la bouscula.



Elle recula. Le défilé fut lent. Elle connaissait chaque visage, chaque nom. Demain ils seraient dans les flammes. Elle ne voyait pas Guillaume, était-il passé lorsqu’on l’avait écarté ? Elle se haussa sur la pointe des pieds. Elle l’aperçut enfin, loin, devant. Ces cheveux, cette démarche, c’étaient les siens.


Elle n’avait jamais eu beaucoup d’espoir. Elle n’en avait plus.


Il lui fallait parti. Quitter ce lieu de mort, s’éloigner. Elle se força à reprendre la route. Plus de charrette, plus de vivres. Elle marchait lourdement, d’un pas mécanique. Ses pensées la tiraient en arrière. Elle voulait le rejoindre, le sauver. Elle ne pourrait pas. Elle ne voulait pas être présente à son supplice.


Ils étaient quarante, cinquante à avoir quitté la forteresse pour rejoindre les prêtres. Quarante, cinquante personnes qui tournaient, titubaient sur la route, ivres de honte. Eudeline s’efforçait de ne penser qu’à elle. Elle sentait, dans un mirage atroce, la fumée du bûcher, l’odeur immonde des chairs qui brûlent. Elle perdait le souffle à force de pleurer. Elle aurait voulu hurler, elle ne pouvait déjà plus. Elle tomba plutôt qu’elle ne s’assit. Il n’y aurait personne pour l’aider. Chacun en avait assez avec sa propre détresse.


Pourtant si, quelqu’un approchait. Un soldat, peut-être. Elle ne leva pas la tête. Pas tout de suite.