n° 09736 | Fiche technique | 92339 caractères | 92339 15462 Temps de lecture estimé : 62 mn |
02/10/05 |
Résumé: Une femme écrivain se trouve piègée dans un château avec des lesbiennes manipulées. | ||||
Critères: #policier #initiation ff cérébral voir fmast intermast cunnilingu nopéné | ||||
Auteur : Nicky Gloria |
Épisode précédent | Série : Inès, à fleur de femmes Chapitre 03 | Fin provisoire |
Patricia, essoufflée, s’adosse contre la porte de sa chambre. Son cœur bat la chamade, et elle plaque sa main contre sa poitrine, comme si cela pouvait en atténuer les battements désordonnés. Quelle idiote ! Elle maudit son caractère introverti. Elle a paniqué, fui comme une voleuse, au lieu de se montrer drôle et pittoresque. Que va penser cette femme ? C’est certain qu’elle a laissé une mauvaise impression, et l’envie de lui courir après pour rattraper le coup et lui donner une autre image d’elle la tenaille un instant. À quoi bon ? Elle ne ferait qu’aggraver les choses, elle a été suffisamment ridicule comme ça… Elle se connaît trop, et surtout connaît ses réactions lorsqu’elle vient de tomber amoureuse. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Elle ne sait pas trop si c’est un coup de foudre, mais cela y ressemble en tout cas, avec les mêmes symptômes : gorge sèche, tempes bourdonnantes, le cœur et tout le reste qui s’affolent… La totale, quoi ! Et, en plus, il y a eu l’étonnement de la reconnaître et de la voir ici : Inès, la romancière qui sait si bien faire entrer le rêve dans le cœur des femmes, celles qui croient encore au grand amour. Ses livres, elle en a lu quelques-uns, emportée malgré elle dans ce tourbillon et ce foisonnement de beaux sentiments, mais avec malgré tout une différence : le prince charmant était une femme, une très belle femme. Un peu comme Inès : jeune, talentueuse et passionnée, d’une beauté qui se passe d’artifice, à la fois sensuelle et naturelle. Elle avait suivi sa carrière avec beaucoup d’attention, l’avait vue à quelques interviews alors qu’elle connaissait le succès, et à chaque fois c’était le même charme qui opérait. Humble et pudique, elle rayonnait de douceur et de générosité, sans jamais prendre la grosse tête. La voir si brutalement, en chair et en os, était un choc auquel elle n’était pas préparée et dont elle aurait du mal à se remettre.
La perspective de tomber amoureuse, au lieu de l’effrayer, l’emplit de joie et d’émotions nouvelles. C’est comme s’engager sur une nouvelle route dont on ignore tout, avec tout le long des imprévus, des obstacles, des moments d’intense bonheur ou de profonde tristesse, mais avec toujours cette sensation de se sentir vivante et passionnée. C’est l’esprit encore confus qu’elle entre enfin dans la chambre. Corinne l’attend, assise dans le lit, ses seins épais tressautant alors qu’elle se redresse davantage, faisant glisser le drap jusqu’au nombril. Sans le vouloir, elle adopte une attitude voluptueuse, étirant ses jambes musclées et charnues en les écartant légèrement, rejetant en arrière le buste afin de faire saillir sa lourde poitrine. Patricia, malgré elle, apprécie le spectacle. La savoir entièrement nue lui donne des bouffées de chaleur. Elle a honte des envies qui l’assaillent, surtout après avoir ressenti une minute auparavant une folle attirance pour une autre femme, mais il y a longtemps qu’elle a cessé de se poser des questions sur ses propres pulsions animales. Elles ont fait l’amour une bonne partie de la nuit, imprégnées par le luxe et la sensualité des lieux, gagnées par une fièvre qu’elles n’avaient pas connue depuis longtemps. Après, Corinne avait eu besoin de récupérer en faisant le tour du cadran, complètement vidée et courbatue. Patricia, elle, pouvait déployer une vitalité sexuelle qui, loin de l’épuiser, stimulait toujours d’autres envies. Ses ressources étaient inépuisables. Elle pouvait faire l’amour une à deux fois par jour sans la moindre difficulté, et cette pratique quotidienne la conservait souple, fougueuse et endurante, renouvelant des énergies toujours plus performantes. Ce sont ces mêmes besoins qui la poussent maintenant à s’agenouiller devant sa maîtresse, dégageant d’un geste brusque le drap qui la recouvre. Corinne tend le bras, essayant de se recouvrir, et proteste d’une voix pâteuse :
Les lèvres de celle-ci effleurent ses mollets, remontent le long des cuisses, passant de l’une à l’autre sur le versant intérieur, là où la peau devient de plus en plus douce, jusqu’à l’aine. Ensuite, du bout de la langue, elle écarte les boucles brunes du sexe, se faufile dans une féminité encore sèche et étroite. Il en faut plus pour la décourager. Doucement, elle fait aller et venir sa langue le long de la fente, titillant à chaque passage le clitoris. Elle joue savamment à attiser le désir, progressivement, accélérant peu à peu la pression, glissant partout, vrillant, suçant, lapant avec une redoutable agilité, sans ignorer la moindre partie intime. Déjà, une douce moiteur se répand dans les chairs dilatées qui ne cessent de s’ouvrir davantage. Il en émane une odeur entêtante et caractéristique, si familière. Un arôme que Patricia adore, comme le plus grisant des parfums, et dont elle ne pourra jamais se lasser. L’odeur de la femme, de l’excitation, dans ce qu’elle a de plus secret et de plus intime. Une porte ouverte sur un territoire infini, sans cesse à conquérir et à explorer, réservant toujours de nouvelles surprises. Le corps de son amie, après tout ce qu’il a subi cette nuit, en est la preuve vivante alors qu’il vibre, frissonne, se tend à l’appel d’une sensualité latente. Le vagin s’ouvre et s’humidifie à chaque coup de langue qui pénètre plus profondément.
Vaincue, Corinne ouvre les yeux, se redresse souplement, pour voir, pour admirer, mais les referme vite quand elle constate que l’ange a encore laissé place à un démon lubrique et déchaîné. C’est toujours aussi déroutant. Aussi, elle se laisse aller en arrière, caressant tendrement les cheveux de sa compagne, comme pour l’encourager à persévérer, se tordant de plaisir et gémissant sans retenue. Patricia continue de laper voracement son vagin, y mettant aussi les doigts pour mieux écarter la vallée secrète. Corinne n’y résiste pas. Elle agrippe plus violemment la longue chevelure alors que son ventre roule ardemment, secoué par les spasmes de la délivrance qui, si soudain, la fait crier de plaisir. Encore une fois, elle a joui avec une violence inouïe, incapable de lui résister. Patricia excelle toujours à tirer le meilleur profit de ses aptitudes et Corinne en fait encore les frais. Sonnée, elle se redresse alors que son amie part en arrière au pied du lit, écartant les jambes pour y glisser ses deux mains. Ses doigts frôlent le bourgeon sensible, le gratifiant d’une pression subtile de plus en plus appuyée, alors que son autre main se promène dans la vulve béante et chaude d’un vagin trempé, y faisant disparaître quelques doigts. Elle étouffe un petit cri de bien-être en se mettant à haleter bruyamment, plaquant plus étroitement la paume de la main sur le clitoris, la pressant et la secouant frénétiquement et de plus en plus vite alors que ses doigts viennent et disparaissent aussi rapidement dans la fente moite de son sexe. Ses hanches bougent au même rythme. L’autre main remonte sur la poitrine, tord, pince et malaxe les bouts des seins, plus particulièrement le gauche qui se révèle plus sensible, si sensible qu’elle est à la limite de la douleur.
Elle respire toujours plus vite et plus fort, paupières mi-closes sur des yeux révulsés, et bouche entrouverte sur un sourire à la fois ravi et enfantin. Ses joues sont roses d’excitation, ses lèvres gonflées d’un désir primitif qu’elle se mord de temps à autre avec une expression heureuse. C’est à travers un brouillard que Corinne la laisse se donner du plaisir, habituée à ce genre de débordements excessifs. Quand elle était possédée par ce genre de crise d’érotisme forcené, il n’y avait rien à faire, sauf la laisser se débrouiller toute seule. Le spectacle est aussi érotique qu’impudique. Même dans les positions les plus indécentes, Patricia sait garder intacte cette part de fraîcheur et d’insouciance qui la rendent si émouvante. Corinne se demande, en la contemplant dans ses plaisirs solitaires, comment une jeune femme pouvait mélanger autant d’innocence et de perversité. Derrière ce visage angélique, il y avait une part d’ombre inquiétante, une âme dépravée, égoïste et torturée, ne vivant que pour assouvir ses envies insatiables, en quête permanente d’absolu et de dépassement de soi-même qu’aucune femme ne serait capable de lui apporter.
Pourtant, cela faisait quatre ans qu’elles vivaient ensemble. Corinne avait été touchée par cette jolie sirène aux yeux verts, triste et pathétique, incapable de communiquer, mais elle avait réussi à gagner sa confiance. Si, dans la vie de tous les jours, c’est elle qui prenait toutes les décisions, elle devait s’avouer à la traîne sur le plan sexuel, totalement dominée et impuissante. À la longue, elle avait baissé les bras, incapable de faire face à des exigences toujours plus grandes. Pour elle, cette soif intarissable de plaisirs était une source permanente de questions et de remises en question. C’était la peur de ne plus faire le poids, d’être dépassée, d’être larguée, que son amie aille trouver ailleurs ce qu’elle ne pouvait plus lui apporter. Cette idée lui est brutalement insupportable. Son cœur en fait des bonds désordonnés, ses yeux se brouillent de larmes. Ne pas pleurer, ne pas dévoiler ses faiblesses, se protéger derrière une carapace d’insolence et d’agressivité, voilà les mots d’ordre sur lesquels elle se concentre de toutes ses forces. Ce sont ses seules armes. Elle tente toujours de contrôler ses émotions alors que, devant elle, bras et jambes en croix, le corps luisant de transpiration, son amante s’agite et se cambre, tétanisée par l’orgasme. Cela ne lui suffit pas et elle repart de plus belle dans d’autres postures plus indécentes, en proie au délire. Les autres orgasmes semblent ne jamais l’achever. Furieuse, bondissante, elle se tord en tout sens comme une forcenée, alliant fougue et souplesse avec une endurance inépuisable. Enfin rassasiée, toute frémissante, elle se blottit dans les bras de Corinne qui, essuyant vite ses larmes du revers de la main, l’accueille avec tendresse. Elle lui laisse reprendre son souffle avant d’engager la conversation :
Sa voix se brise alors que des sanglots la secouent. Patricia se serre contre elle.
Patricia se pelotonne contre elle, comme une petite chatte câline qui recherche chaleur et réconfort.
Patricia dissimule un sourire satisfait. Câline, elle caresse amoureusement le dos de son amie. Depuis le début, cette idée de faire l’amour avec une tierce personne l’avait émoustillée au plus haut point. Toutefois, elle avait feint l’embarras, pour que la décision vienne vraiment de Corinne et qu’elle n’ait jamais rien à lui reprocher si cela tournait mal.
Elle s’interrompt un instant, comme hésitant à poursuivre.
Patricia approuve silencieusement. En effet, elle l’avait vue dans un film qui avait eu de bonnes critiques et elle avait été tout aussi séduite par le charme vivifiant de l’actrice principale.
Patricia sent sa respiration s’accélérer. Elle pense à quelqu’un d’autre.
Elles se serrent amoureusement l’une contre l’autre en éclatant de rire. Corinne est ravie. Rien que le fait d’en parler et déjà elles ont retrouvé une complicité et excitation mutuelles. Tout s’annonce à merveille…
* * * * *
L’immense et luxueux salon scintille de mille feux avec ses lustres de cristal, ses chandeliers de verre, ses statues et armures anciennes qui reflètent toutes les lumières. Un banquet royal s’étale sur une longue table recouverte de soie, déjà prise d’assaut par les invitées qui, coupe de champagne à la main, se régalent entre les conversations. Pourtant, au début, l’ambiance avait été discrète, timide, où chacun se jugeait et se jaugeait avec méfiance. Leur hôte, après avoir reçu des hommages dignes d’un souverain, avait fait les présentations. Puis, repas et alcool aidant, la glace s’était brisée, les langues s’étaient déliées, les rires avaient fusé là et là avec décontraction. Maintenant, la fête bat son plein. Maria interprète quelques-unes de ses dernières chansons, installée confortablement derrière un piano. Balade nostalgique qui parle de son pays, avec émotion et ferveur. Sa voix chaude et rocailleuse, presque masculine, contraste avec sa sensualité animale et ses déhanchements lascifs qui rendent l’atmosphère à la fois lourde et intime, chaude et feutrée. Inès, fascinée, a la chair de poule en l’écoutant, imprégnée par des paroles et mélodies qui lui rappellent tant son pays aimé. Elle se sent étrangement bien, assise avec décontraction dans un lourd fauteuil. Claire se penche vers elle.
Inès approuve de la tête. C’est là un avis général apparemment, excepté une femme qui arbore une moue dédaigneuse, parlant et riant très fort et faisant tout pour se faire remarquer, sans le moindre respect pour l’interprétation de Maria. Inès et Claire ne dissimulent pas leur agacement, se regardant d’un air entendu.
Claire veut se lever mais Inès la retient.
Elle traverse le salon d’un pas vif et décidé. Inès la trouve d’une beauté piquante dans sa robe à manches longues en mousseline de soie imprimée et dentelle, lui donnant une allure légère et aérienne dans ses mouvements. Une casquette en velours côtelé encadre sa tignasse blonde aux boucles désordonnées, mettant davantage en valeur son splendide visage rayonnant de malice et de fraîcheur. Ce look décontracté, un peu été indien et folk, lui va à ravir. Sans hésiter, elle se dirige vers la femme aussi bruyante que grossière. C’est Corinne. Comme les autres invitées, elle est connue. Star rock trash et déjantée, elle joue de son image rebelle jusqu’à outrance. Elle règle ses comptes à travers ses chansons, crachant sa haine et son mépris, rejetant l’ordre moral et les valeurs puritaines d’une société conventionnelle, et revendiquant surtout son homosexualité comme un droit à la différence, avec insolence et fierté. Elle a le look adéquat : piercing sur le nez et la langue, cheveux noirs en bataille, Rimmel à gogo aux yeux, lèvres charnues maquillées d’un noir profond pour accentuer la blancheur de sa peau. Baggy taille XXL deux fois trop grand, tee-shirt trop large, poignets de cuir cloutés, toute la panoplie d’une jeunesse marginale qui veut se démarquer. Et elle y réussit à la perfection. Inès trouve cela dommage, car sous la façade tape-à-l’œil rayonne un beau visage aux traits lisses et réguliers, d’une grande douceur. Petite et dodue, elle dissimule tant bien que mal des formes avantageuses sous des vêtements trop amples, comme un complexe, au lieu de mettre en avant toutes ces rondeurs qui sont là les attraits d’une féminité dans toute sa splendeur.
Elle se tait alors que Claire, la rejoignant au bar, semble lui parler durement. Et, chose incroyable, le visage de Corinne se fend d’un radieux sourire et elle se met à parler avec volubilité. À son tour, Claire se détend et les deux femmes conversent avec sympathie. Apparemment, Claire s’est trouvée une fan. Près d’elles, Maria arrête de chanter, acceptant les applaudissements avec modestie. Elle se dirige vers le buffet, boit goulûment un cocktail de fruits avant de prendre un verre alcoolisé et de se diriger à côté de Jean Vernier qui est en pleine conversation avec Gabrielle. Celle-ci semble la féliciter de sa prestation puis lui cède sa place volontiers, trop heureuse d’aller trouver Inès qu’elle ne cessait d’observer à la dérobée. Cette dernière la regarde marcher vers elle. Une longue robe beige en crêpe de soie moule un corps voluptueux d’où jaillit une superbe poitrine qui attire irrésistiblement l’œil, grâce à un décolleté vertigineux. Classe, distinction et érotisme torride, voilà les mots qu’aurait employés Inès pour décrire cette somptueuse créature. Elle a un front haut bombé, un long visage ovale, presque triangulaire, et de magnifiques yeux très noirs, brûlant d’une expression hautaine sous les sourcils fins et arqués. Sa bouche est grande, bien dessinée, aux lèvres pulpeuses. Ses longs cheveux roux cascadent en vagues brillantes sur ses épaules. Elle s’assoit avec distinction dans le canapé qui se situe à droite d’Inès, croisant aussitôt ses longues jambes aussi parfaites que le reste.
Sa main délicate, aux doigts fins et lourds de bagues luxueuses, se referme autour de celle d’Inès, dans un long mouvement caressant.
Elle ne cesse de lui faire des éloges et Inès, malgré tout flattée, garde une certaine réserve en l’écoutant parler. Etrangement, une sonnette d’alarme la prévient d’un danger imminent, et une petite voix lui dit aussi que cette femme n’est pas du genre à ouvrir des romans à l’eau de rose. Elle répond quand même aux compliments.
Inès sourit. Elle lui a tendu un piège et Gabrielle est tombée dedans à pieds joints. Le titre de ce roman a été écrit par une autre romancière, spécialiste elle aussi des histoires d’amour. Inès s’apprête à entendre d’autres mensonges et facéties aussi grotesques lorsque, brusquement, le visage de Gabrielle se durcit. Son regard est maintenant franc et direct.
Le regard de Gabrielle la pénètre d’une lave brûlante. Elle la fixe toujours en répondant carrément :
Inès sent ses joues s’empourprer. Elle ne sait plus quoi dire. Gabrielle semble ravie de l’avoir désarçonnée.
Le feu aux joues vient de gagner tout son visage, jusqu’à la racine des cheveux. Elle ne sait toujours pas quoi répondre.
Gabrielle la dévisage avec autant d’intérêt que d’amusement. Faire du rentre-dedans semble une habitude qu’elle maîtrise à la perfection. Déroutée, Inès jette un regard éperdu tout autour d’elle, par crainte que d’autres personnes soient témoins de son embarras. Etrangement, la jolie domestique brune, Florence, est la seule à regarder dans leur direction, et ce avec un vif intérêt. Prise en faute, elle tourne aussi vite la tête et s’empresse de remplir la coupe déjà pleine de Claire. Or, s’il y avait bien un verre à remplir car il ne cesse de se vider aussi vite, c’était plutôt celui de sa voisine, Corinne. Cette dernière se lève soudain de sa chaise et porte un toast à la grande actrice Claire Broustal qu’elle accapare toujours. Elle boit cul-sec, vacille en arrière et se retient de justesse au rebord du bar. Claire, avec un sourire indulgent, l’aide à se rasseoir. L’attention d’Inès est détournée par Jean Vernier qui, tenant Maria par la main, l’entraîne vers le fond du salon, près d’un lourd rideau. Là, l’endroit est à peine éclairé par une lumière tamisée. Tous deux s’enlacent et entreprennent un slow langoureux. Depuis que Maria a cessé de chanter, une employée de maison s’est assise derrière le piano et joue quelques airs langoureux avec discrétion. Ni trop fort ni trop bas, pour ne pas noyer le brouhaha des conversations. Personne ne fait attention au couple qui danse tranquillement, invisible dans la pénombre. Inès cesse son regard circulaire alors que Gabrielle s’approche d’elle en levant son verre.
Elles boivent ensemble. Evidemment, Inès a un cocktail sans alcool. Elle ne veut surtout pas perdre la tête. Pourtant, une impression de chaleur semble affluer dans tout son corps. Inquiète, elle jette un regard intrigué sur son verre. Gabrielle se penche encore un peu plus vers elle, la questionnant :
Gabrielle penche la tête en arrière et part d’un grand rire.
Pas pour Inès. Au contraire, c’est totalement incompatible avec ses hormones, la catastrophe assurée. Elle pâlit, posant vite son verre par terre comme s’il s’agissait d’un serpent vénéneux. Gabrielle l’observe avec ironie.
Inès lui jette un regard agacé. Ce n’est pas le soudain tutoiement qui l’exaspère, mais la façon qu’à cette femme de se moquer et la prendre au dépourvu. Elle n’a pas envie de s’expliquer.
Gabrielle hausse les épaules avec indifférence. Elle remarque doucement :
Là, Inès a bien entendu. Elle l’observe comme si elle avait proféré une aberration.
L’indignation la fait bafouiller :
Le sang coure un peu trop vite dans ses veines, charriant de la lave qui commence à la faire suer. Panique ou alcool ? Ou les deux à la fois ? Cette femme a le don de la dérouter, et juste à un moment où elle a besoin de calme pour reprendre ses esprits. Elle ne lui laisse aucun répit.
Piquée au vif, Inès se lève de son fauteuil d’un seul bond.
Gabrielle est déjà debout. Avec autorité, elle la prend par la main.
Sans la lâcher, elle l’entraîne au fond du salon. Elles croisent Jean Vernier et Maria qui regagnent leur place, ce qui n’est pas pour rassurer Inès. De plus, elle se sent mal à l’aise dans sa tenue trop sexy et regrette maintenant de s’être fait violence pour sortir de l’ordinaire : minijupe en cuir blanc cassé, ce qui fait ressortir le teint mat de ses longues jambes fuselées ; un débardeur en résille de coton, rebrodé de perles et de paillettes, si moulant qu’il lui colle comme une seconde peau, faisant jaillir avec agressivité ses seins un peu trop volumineux par rapport à sa taille élancée. Tout ça parce qu’elle voulait faire bonne impression auprès de Jean Vernier, persuadée d’avoir un entretien confidentiel au lieu de se retrouver avec tout ce monde pour un banquet de bienvenue ! On ne l’y reprendra plus ! Elle se dit que c’est un peu tard pour les regrets alors que toutes deux se retrouvent dans la pénombre. Réticente, elle reste figée sur place, droite comme un piquet, et son malaise ne fait que s’accroître lorsque Gabrielle, à deux pas d’elle, se met d’abord à danser toute seule. Elle oscille sur place, bras au-dessus de la tête, se déhanche souplement, exagérant sa cambrure et faisant saillir ses seins en se rapprochant d’elle petit à petit. Enfin, tout en se trémoussant lentement, elle l’attrape par la taille et la colle fermement à elle. Tendue, Inès se laisse guider. Elles pivotent au rythme langoureux du slow. Imperceptiblement, Gabrielle colle son mont de vénus contre le sien puis, tout en se balançant, se frotte légèrement, avant de s’écarter à peine pour recommencer son petit jeu. Abasourdie, Inès se laisse faire sans trop comprendre ce qui lui arrive. La tête lui tourne, elle se demande un instant si elle n’est pas en train d’imaginer certaines choses obscènes. Ce n’est pas possible, cette femme ne peut pas mimer un acte sexuel tout en dansant avec elle. C’est si furtif, si insignifiant… Son imagination lui joue des tours. Elle a de plus en plus chaud alors que Gabrielle l’enlace plus étroitement, comme cherchant à se fondre en elle, pour ne faire qu’une… Elles sont si soudées l’une à l’autre qu’une feuille d’un millimètre ne pourrait pas se glisser entre leur deux corps…
Gabrielle lui prend une main, la serre, entrelace leurs doigts. Puis, en même temps, se cambre en arrière, écartant le haut du corps en secouant les épaules et sa splendide poitrine. Et, telle une ventouse, se recolle à elle. Seulement, cette fois-ci, elle lui a emprisonné la main de sorte qu’elle la plaque contre son sein droit et s’arrangeant pour que chaque mouvement la fasse glisser un peu plus vers le sommet, pour une caresse plus précise. Inès constate avec effroi que la chair tout contre sa paume est ferme, tiède et d’une douceur incomparable. Au lieu de ressentir du dégoût ou de l’indifférence, voilà qu’elle se sent émue comme jamais elle ne l’a été. De plus, il monte du corps de cette femme une odeur exquise, ensorcelante. Et ces ondes lascives, comme électriques, qui émanent de chaque atome de cette chair blanche et parfumée, lui communiquant sa chaleur, son désir, et l’enveloppant d’une sournoise faiblesse. Toutes ces nouvelles sensations qu’elle n’a jamais connues et qu’elle doit, là, dans les bras de cette troublante femme, affronter d’un coup. L’affolement total intervient lorsque sa main presse fortement le bout du sein droit. Elle pousse une plainte éperdue, abasourdie de sentir le raidissement d’un mamelon qui pointe et s’enfonce au creux de sa main. Et, comme si cela ne suffisait pas, la main libre de cette diablesse de femme qui, jusqu’ici, lui caressait le dos, vient de glisser sournoisement sur ses fesses. Au lieu de se dégager, son corps réagit étrangement et instantanément en se collant d’un seul élan contre Gabrielle, avec un long frisson voluptueux. Cela en est trop ! Elle est fin saoule, voilà la raison. Saloperie d’alcool ! Elle a un vertige, titube, s’accroche au bras que lui tend Gabrielle. Elle retrouve vite ses esprits, s’empresse de regagner sa place. Elle se laisse tomber sur le fauteuil avec un soupir de soulagement. Sans avoir conscience de caresser doucement l’intérieur de sa paume, là où la pointe du sein l’a marquée d’une piqûre cuisante. Gabrielle, avant de la laisser, exécute une révérence aussi théâtrale que moqueuse pour la remercier. Avec, sur son visage, un sourire narquois et victorieux. Elle s’est à peine éloignée que Claire prend sa place.
C’est son portable qui vient de sonner. Son visage s’illumine d’une joie immense alors qu’elle engage la conversation.
Les yeux imprégnés de larmes, Claire adresse à Inès un sourire radieux avant de s’éloigner et s’isoler au fond du salon. Inès l’envie. Comme elle aimerait trouver l’homme de sa vie, avoir des enfants, faire plein de projets. Claire, elle, a fondé une famille et concrétisé le rêve de toute jeune femme. Inès, par contre, est toujours seule, désespérément seule, continuant de rêver et d’espérer, trouvant un exutoire au bonheur dans les livres qu’elle écrit. Quelle triste constatation… Depuis combien de temps n’a-t-elle pas aimé, ressenti des émotions et pris du plaisir dans les bras d’un homme ? Trois ans déjà… Comme le temps passe vite. Cette longue abstinence ne lui réussit pas, et peut s’avérer dangereuse… C’est certainement ça, et l’alcool aidant, qui lui a procuré ces drôles de sensations dans les bras de cette inconnue. Car s’il y a une chose dont elle est certaine, c’est qu’elle n’a jamais été attirée par les femmes et qu’elle n’accepterait pas que cela puisse lui arriver un jour. Imaginer cela est une aberration pure et simple. Ses parents, fervents catholiques, lui avaient inculqué des principes vertueux, une vision pure et généreuse de la vie, et l’idée de piétiner ces valeurs morales ne lui avait jamais effleuré l’esprit. Bien sûr, elle n’ignorait pas que l’homosexualité existait, mais elle ne voulait même pas envisager l’aboutissement d’une telle relation, physique comme morale, car c’était là un territoire qui sortait de son idéal, un territoire aussi inconnu qu’incompréhensible. Elle ne voulait même pas penser à ce que deux femmes pouvaient faire ensemble. Sans doute faisaient-elles exactement la même chose qu’un homme et une femme, alors pourquoi aller contre la nature ? Après tout, c’était pas son problème. Elle n’avait pas à porter le moindre jugement, les gens faisaient ce qu’ils voulaient avec qui ils voulaient… Vivre et laisser vivre, fermer les yeux et ne pas y réfléchir. De toute façon, il n’y avait rien à dire sur ce sujet. Ne faut-il pas de tout pour faire un monde ? Chacun trouve son bonheur où il peut. Pour elle, le bonheur, le vrai, le seul, ne pouvait se vivre et s’exprimer dans toute sa plénitude qu’avec un couple hétérosexuel. Le parcours logique et normal qui aboutit sur le mariage, les enfants, la maison… Et, malgré sa tolérance, il n’y avait pas à revenir là-dessus. Fin du débat. Armée de ses bonnes résolutions, elle chasse de son esprit cette triste expérience du slow entre femmes. Ses idées en redeviennent plus claires. Elle interpelle l’employée de maison qui passe devant elle.
La servante prend un air profondément ennuyé.
Son expression sincère et catastrophée lui fait pitié. Ce n’est pas son genre de faire un esclandre. Et, après tout, ce n’est pas bien grave, l’incident est clos. Elle lui sourit chaleureusement.
Malgré elle, Inès suit des yeux la démarche chaloupée de la servante qui en fait des tonnes pour attirer les regards. Et ça marche. Gabrielle, installée nonchalamment au bar, en garde le verre suspendu aux lèvres, tournant si vite la tête en bravant le torticolis qu’un peu de boisson se renverse et coule sur son menton. Elle en baverait presque ! Malheureusement, elle n’en a pas le temps car, tout près d’elle, Corinne fait un scandale, gueulant comme une chiffonnière.
Elle s’en prend à Maria qui, bouche bée, n’a pas le temps d’en placer une, se faisant copieusement insulter. Corinne titube devant elle, le visage livide, la bouche déformée par un rictus mauvais qui, d’un coup, se fige dans un masque de nausée et de douleur. Apparemment, la rock-star a surestimé ses limites en matière d’alcool. Elle va s’écrouler au sol lorsque Gabrielle, avec une irritation flagrante, la rattrape et tente de la remettre sur pieds, aidée par une jeune femme qui, jusqu’ici si discrète qu’elle en était presque invisible, vole à son secours. C’est la farouche jeune femme qu’Inès avait percuté dans les escaliers.
Toutes les deux la soutiennent pour la ramener dans sa chambre. Maria, outrée, s’écrie :
Charmante ambiance. Cela arrache à Inès un sourire ! En une soirée, elle vient de plonger dans le vif du sujet, entre drame, haine et jalousie. C’est rock and roll, un château de fous ! En plus, elle s’est faite draguer par une femme, a même dansé un slow avec elle… Là, c’est du vrai vaudeville ! Elle commence à regretter d’être venue ici. Une semaine, cela va être long… Elle boit le verre d’eau que Florence lui a apporté quelques minutes auparavant, tire nerveusement sur sa minijupe après s’être levée du fauteuil. Pour elle, il est temps de regagner sa chambre. Il se fait tard. Un bisou du bout des doigts qu’elle adresse à Claire, toujours en communication et en pleurs avec son mari ou sa fille, et un grand bonsoir général à toute l’assemblée avant de prendre congé. Un moment, elle se perd, un dédale de couloirs et de portes qui semblent identiques, puis elle retrouve enfin son chemin. Elle s’engage dans le bon couloir lorsqu’un sanglot lui parvient. C’est la jeune femme timide qui, seule, pleurniche dans son coin, recroquevillée et adossée contre le mur, entre deux portes. Inès, en s’agenouillant devant elle, prend soin de l’examiner. Lèvres charnues, joues roses, visage pur et enfantin, teint nacré qui rend son regard d’un vert émeraude encore plus beau et plus intense, longue chevelure nattée qui descend jusqu’au bas des reins, elle est d’une beauté à couper le souffle. Avec cette fragilité et ce côté indomptable qui la rend à la fois attachante et énigmatique. Inès avait déjà ressenti cette impression lorsqu’elle l’avait brièvement aperçue - et heurtée - à son arrivée.
L’autre renifle et, sans lever les yeux, ronchonne :
Sans se laisser démonter, Inès insiste.
Dans un geste à la fois nerveux et puéril, la jeune femme essuie son nez de la main avant de réaliser qu’elle n’a pas de mouchoir. Du coup, elle tire sur la manche de son tee-shirt à l’en déformer pour finir de se nettoyer. Elle regarde enfin Inès, un regard à la fois curieux et craintif.
Alors Patricia lève des yeux émerveillés sur elle, la regardant comme personne ne l’a jamais regardée, avec admiration et dévouement. Inès se sent embarrassée, elle n’a pas l’habitude de provoquer des sentiments aussi exaltés dans les yeux d’une autre femme. Elle a l’air si perdue, si désemparée. Inès, brusquement, a presque envie de la prendre dans ses bras, la cajoler, la rassurer, et même l’amener avec elle jusque sa chambre, dans son lit, et passer la nuit avec elle, la serrant dans ses bras, pour lui dire que tout allait bien, qu’elle était là maintenant pour s’occuper d’elle. Un instinct maternel presque, l’envie d’être utile, de protéger. Sauf que cette jeune fille a dépassé l’âge d’user ses culottes sur les bancs d’école. Ce n’est plus une gamine, elle doit avoir une vingtaine d’année, avec un corps splendide, à la fois gracile et sensuel, des petits seins insolents aux fesses rondes si joliment dessinées. Confuse, Inès se contente de lui déposer un léger baiser sur le front avant de la laisser. Avec l’horrible sentiment de l’abandonner. Sa culpabilité n’aurait pas eu lieu d’exister si, à cet instant, elle s’était retournée pour observer l’expression de la jeune femme. Patricia n’a plus rien de la naïve enfant désorientée. Son visage trahit le désir le plus primitif alors qu’elle suit avec avidité chaque ondulation du corps à la fois souple et voluptueux de la romancière.
* * * * *
Le léger rideau s’agite en laissant passer une brise délicieusement fraîche. La tramontane vient de se lever. Inès s’étire en ouvrant les yeux, puis se remet en boule au creux du lit. Elle n’a pas envie de se lever. Elle traîne encore quelques minutes avant de prendre son courage à deux mains. Après la douche, elle enfile une robe légère, en dentelle finement brodée par la main même de sa mère, et descend dans le parc du château. Sur la terrasse, sous une tonnelle recouverte d’un chèvrefeuille grimpant, aux fleurs blanches et odorantes, l’attend une profusion de fruits, café et viennoiseries qui lui ouvrent d’emblée l’appétit. Elle s’attable à côté de Claire qui, bouche pleine, lui adresse un clin d’œil jovial.
Maria, fraîche et maquillée à la perfection, s’installe à sa droite.
Son visage se ferme d’un coup alors que Corinne, encore toute ensommeillée, vient de se glisser de l’autre côté de la table, entre deux lauriers roses en pot. Elle grommelle un vague bonjour avant de se jeter sur un croissant. Claire, discrètement, échange un regard entendu avec Inès. Pour détendre l’atmosphère, cette dernière lance joyeusement :
Une serveuse apporte du café. Blonde et presque rasée, le visage émacié, c’est une grande fille sèche et autoritaire assez androgyne, aussi jolie qu’étrange. Apparemment, c’est la responsable des employées de maison et elle prend son travail très au sérieux. Elle se prénomme Fanny. Avant de repartir aux cuisines, elle dit à Inès :
Il faudrait être sourde pour ne pas comprendre le message. Pour Inès, c’est reçu cinq sur cinq. En même temps, elle est soulagée et ravie de ce rendez-vous. Elle n’est pas là pour faire du tourisme, il lui tarde de se mettre au travail.
Claire acquiesce.
Maria renchérit.
C’est Gabrielle qui vient d’intervenir, s’asseyant près de Maria. Elle est habillée avec distinction, comme si elle allait se rendre à une fête mondaine. La classe jusqu’au bout des ongles… Elle fait la paire avec Maria qui l’accueille avec ironie.
Inès se sent déstabilisée d’être si rapidement attaquée. Pour la forme, elle veut répliquer mais Maria prend les devants.
Maria part d’un rire sec et forcé, prenant l’assemblée à témoins.
Une lueur d’amusement brille dans le regard de Gabrielle alors qu’elle approuve avec emphase :
Elle reporte son attention sur Inès.
Inès prend la mouche. Sa voix tremble :
Elle se mord les lèvres. Pourquoi avait-elle besoin de se justifier ?
Gabrielle, satisfaite de l’avoir piquée au bon endroit, arbore un sourire victorieux.
Sa voix est aussi résolue que ses bonnes intentions.
* * * * *
Inès se lève d’un bond de son fauteuil, n’en croyant pas ses oreilles.
Elle respire profondément, à plusieurs reprises, contenant difficilement sa colère. Stupeur, abattement, dégoût, tout y passe et s’entrechoque dans sa tête alors qu’elle se met à arpenter le bureau comme une lionne en cage. Si elle s’écoutait, elle ferait ses valises dans la seconde pour s’enfuir le plus loin possible de cet endroit décadent ! Incroyable, elle nage en plein délire ! Jean Vernier se dirige vers le bar et se sert un deuxième whisky. Sa démarche est semblable à sa façon de s’exprimer : résolue et posée. Il laisse plusieurs minutes s’écouler, sans dire un mot, l’observant tranquillement. Il semble comprendre son indignation, l’accepte comme un caprice qu’il faut laisser passer. Pour elle, c’est beaucoup plus qu’un fâcheux contretemps. Soit, il a l’habitude d’obtenir toujours ce qu’il veut, mais là il se met le doigt dans l’œil s’il pense qu’elle va se prêter à cette sinistre comédie. Sa voix tremble encore alors qu’elle manifeste son incompréhension :
Décidément, c’est la deuxième personne qui emploie ce mot en deux jours. Hier soir, Gabrielle l’avait utilisé pour la défier alors qu’elle hésitait à danser un slow avec elle. Agacée, elle s’emporte :
Inès le sait bien. Et c’est justement là le problème. Ce contrat, elle le veut. Non seulement il y a l’aspect financier qui est énorme, indécent presque. Elle ne court pas vraiment après l’argent, ayant peu de besoins, mais celui-ci est quand même la meilleure voie vers l’indépendance. Se sentir libre, faire ce dont elle aurait envie quand elle le voudrait, faire des cadeaux à sa famille sans compter, et se sentir surtout réconfortée et sécurisée financièrement. Et puis il y avait le fait qu’elle pouvait gagner énormément d’argent en effectuant un travail qu’elle adorait et dont elle se sentait tout à fait capable. C’était ça sa vraie motivation. L’histoire lui plaisait.
Jean Vernier l’avait alléché en résumant avec verve et passion son histoire d’amour avec Catherine, un vrai conte de fées à rebondissements. Dix ans auparavant, il avait sauvé Catherine qui, suite à une chute de cheval, était tombée dans un ravin. Il avait eu pitié de la petite sauvageonne sale et débraillée, l’avait ramenée dans son château pour les premiers secours. Evidemment, la prenant pour la petite paysanne qu’elle était, il l’avait traité avec un dédain et une désinvolture de goujat, la renvoyant aussi vite chez elle par son chauffeur. Humiliée, elle l’avait détesté pour cela. Et puis, un an plus tard, leurs chemins s’étaient de nouveau croisés. Jean Vernier, passionné d’équitation, avait embauché comme palefrenier l’employé d’un ranch voisin, un gitan fier et ténébreux, et il se trouvait que sa fille était Catherine. À une fête somptueuse qu’il avait organisé avec le gratin du show-biz, elle s’était carrément invitée et avait montré un aplomb sidérant. Vêtue d’une élégante robe et parée de bijoux rutilants, elle était d’une beauté ensorcelante, enjouée et spirituelle, et il avait été envoûté, reconnaissant difficilement la gitane sauvageonne qu’il avait dédaignée l’année d’avant. À son tour, avec malice, elle avait savouré sa revanche, affichant un mépris souverain et gardant prudemment ses distances alors qu’ils jouaient tous les deux à cache-cache avec leurs sentiments, se laissant prendre à leur propre piège. Un amour impossible car un monde les séparait. Puis, finalement, l’amour avait triomphé. Mariage aussi somptueux que médiatique, bonheur parfait, ils avaient traversé les épreuves et leurs différences avec harmonie, sourds aux jalousies et aux rumeurs mesquines qui critiquaient l’intérêt vénal de la mariée.
Et puis, une nuit, le rêve s’était transformé en cauchemar. À deux heures du matin, Jean alerte la police. Il a retrouvé le corps sans vie de sa femme, une balle dans la tête et revolver au poing. La thèse du suicide vient aussitôt à l’esprit des enquêteurs, mais un inspecteur zélé met en avant les contradictions de Jean Vernier et certains points troublants qui suscitent vite la suspicion. Le meurtre est privilégié, l’infidélité de sa femme possible, le mobile flagrant, et devant les rebondissements de l’enquête la France toute entière suit avec une fascination morbide les possibles détails d’une machination préméditée. Cupidité, luxure, manipulation et assassinat, tout est suggéré pour susciter l’horreur d’une population avide de scandale. Pour finalement aboutir, faute de preuves, sur un non-lieu. Evidemment, l’affaire a encore fait couler beaucoup d’encre, la culpabilité de Jean Vernier ne faisant aucun doute dans l’esprit de beaucoup de français. Et c’est maintenant que celui-ci avoue, pour la première fois à une Inès incrédule, qu’il était bel et bien innocent, mais qu’il a menti a la police en dissimulant certaines preuves. Catherine avait bien une liaison. Avec une autre femme. Et lorsqu’il a découvert le corps, il lui a été impossible de savoir si cela était un meurtre ou un suicide. Par contre, ce qu’il a remarqué, ce sont les traces d’une autre femme, parfum et sous-vêtement. Et, dans le sac de Catherine, une lettre inachevée ou celle-ci déclarait sa flamme et son désarroi à cette mystérieuse maîtresse. Dessus, pas de prénom ou de nom, mais juste l’énoncé d’un détail, la seule piste qui pouvait trahir l’identité de l’amante : une minuscule rose au bord des poils pubiens, un tatouage que Catherine adorait embrasser lors de leurs étreintes. C’était tout. Il avait alors paniqué et effacé les preuves. Peur du scandale, peur que l’on souille la mémoire de sa femme, honneur bafoué et dignité froissée d’avoir été cocu, désir de vengeance personnelle, c’est un peu tout ça qui l’avait poussé à amoindrir la gravité des faits et à tout tenter pour étouffer l’affaire. Peine perdue.
Encore aujourd’hui, le mystère restait entier, entretenant les rumeurs les plus vivaces, et le château gardait toujours ses sombres secrets. Maintenant, il veut découvrir l’identité de la maîtresse de sa femme, la pousser à lui dire toute la vérité. Exorciser ses vieux démons et vivre enfin en paix. Pour cela, il l’utilise, elle, Inès Genest, et c’est le prix à payer pour avoir un droit d’exclusivité sur cette histoire. L’argent n’est qu’une formalité pour Jean Vernier, et si elle refuse c’est quelqu’un d’autre qui en profitera, quelqu’un qui mettra de côté tout ses préjugés pour, en échange, toucher le gros lot. Et gâcher une histoire qu’elle seule pouvait écrire, avec la puissance émotionnelle qui la transporterait et aboutirait à un triomphe certain. Cela ne valait-il pas d’y réfléchir un peu plus longuement… Et puis, elle se sent maintenant impliquée, imprégnée par ce mystère, stimulée par une inspiration comme jamais elle n’en a ressenti. Alors qu’il lui racontait sa rencontre et son amour pour Catherine, elle prenait des notes d’une main fébrile, excitée comme une gamine, avec déjà dans sa tête des phrases qui défilaient à une vitesse folle pour décrire le cours de sa narration. Force et impact, le choc des mots, elle avait là tous les ingrédients pour aboutir à la perfection. L’état de grâce, la passion qui stimule l’artiste. Certes, la fin ne correspondait pas à cet idéal de pureté qu’on trouvait dans ses autres romans, mais il était temps qu’elle évolue un peu, qu’elle ouvre les yeux sur le monde et vive avec son temps. Déjà, alors qu’elle réfléchit à tout cela, elle réalise qu’elle change peu à peu d’avis. Elle n’est plus aussi bornée et hermétique qu’au début. Indécise, elle revient vers son fauteuil, sans toutefois s’y asseoir. D’autres questions lui brûlent les lèvres :
Là, Inès tombe des nues. Elle en bafouille :
Après la stupéfaction, le cœur d’Inès se serre de compassion. La pauvre enfant ! Timide et mal dans sa peau, en manque de repères, elle avait dû être une proie facile pour cette névrosée de Corinne. Voilà pourquoi elle semblait toujours si triste et malheureuse, et qu’elle l’avait trouvée en pleurs hier soir… D’emblée, un instinct protecteur la pousse à tout mettre en œuvre pour la sortir des griffes de cette femme, lutter pour le salut de son âme. Mais, en attendant, elle a un autre combat à mener, des négociations âpres et difficiles pour son propre avenir.
Elle cherche les mots adéquats.
Elle est à peine sortie que la bibliothèque s’ouvre en coulissant, dévoilant un passage secret. Une silhouette de femme glisse prudemment, toujours dissimulée dans la pénombre.
Un sourire matois étire les lèvres de Jean Vernier.
* * * * *
Maria écarquille les yeux de surprise :
Inès penche la tête en arrière et part d’un rire frais. Cela lui fait du bien de rire à un moment où elle en a le plus besoin. La tension qui l’habite depuis son entretien avec Jean Vernier ne fait que croître, et plus elle tourne et retourne le problème dans sa tête et plus elle s’enfonce dans l’incertitude et le désarroi. Aussi, cette petite promenade à vélo en ce début d’après-midi lui fut bénéfique. Claire, retenue par Jean Vernier qui l’avait convoquée pour quinze heures, céda sa place à Maria qui changea ses plans avec un réel enthousiasme. Apparemment, accompagner Inès ne lui déplut pas du tout, car il est vrai qu’une complicité vive et spontanée les avait aussitôt réunies. Elles ont quitté le château et sa lugubre silhouette déchiquetée qui, tel un vigile imperturbable, surplombait la vallée. Auréolé d’un soleil écrasant, il semblait figé pour l’éternité dans un étrange paysage de vignes, de feu et de calcaire, et c’est avec soulagement qu’elles l’ont laissé derrière elles. Le paysage plat et désertique s’est peu à peu adouci par une végétation dense et luxuriante. Elles ont pédalé longuement le long d’une rivière tumultueuse qui se frayait dans un bruit assourdissant un chemin sinueux sous de hautes falaises. À l’endroit où l’eau se brisait dans un bouillonnement d’écume sur d’énormes rocs, elles ont bifurqué à gauche et quitté la gorge en plusieurs lacets assez rudes. Là, elles ont dû descendre de leur vélo et continuer péniblement à pieds. Enfin, hors d’haleine et en sueur, elles ont rejoint une chapelle en ruine, vieil édifice roman ombragé par deux immenses oliviers. C’est sous le plus grand, sans doute plusieurs fois centenaire, qu’elles se sont assises.
Inès la dévisage avec méfiance, plissant les yeux d’un air soupçonneux.
Blessée, Maria se lève d’un bond. Ses yeux noirs lancent des éclairs courroucés et elle lance furieusement :
Elle porte un short en jean délavé que, déjà, elle déboutonne d’une main tremblante. Inès arrête son geste en se levant à son tour, la prenant dans ses bras pour l’emprisonner d’une étreinte à la fois tendre et possessive.
Sa voix vibre d’émotion. Les larmes ruissellent sur son beau visage, sans qu’elle puisse les contenir. Elle maudit sa maladresse. Dépassée par des événements qui lui échappaient, elle avait ressenti le besoin urgent de parler à l’une des seules personne en qui elle avait confiance. Elle se sentait très proche de Claire et de Maria, et avec cette dernière elle venait de tout gâcher. Prenant son amie par la main, elle l’oblige à se rasseoir à côté d’elle. Dos appuyés contre le tronc de l’arbre, elles restent un moment enlacées et silencieuses, savourant ce moment de tranquillité et d’intimité. Maria a aussi les yeux rouges et mouillés. Elle est d’autant plus bouleversée qu’elle n’a pas l’habitude de se laisser attendrir ou émouvoir par qui que ce soit. À trente six ans, elle tient à sa liberté et s’efforce de ne jamais s’attacher, prenant le plaisir là où il vient, prenant tout aux femmes sans jamais rien leur donner, sauf si elles peuvent lui permettre d’atteindre ses objectifs. Là, elle se sent désarmée, rongée par des sentiments contradictoires, entre désir et amitié, inquiétude de tomber amoureuse et une espèce de culpabilité insaisissable de détourner Inès de ses rêves et idéaux hétérosexuels. Confuse pour d’autres raisons, Inès pose sa tête sur son épaule et se met à parler d’une voix grave et tendue.
Alors Inès se met à lui parler comme elle n’a jamais parlé à qui que ce soit. Elle vide son sac de façon ininterrompue. La tentative de viol dont elle avait été victime. Et que cette agression avait cassé quelque chose de vital en elle : tout désir physique pour un homme. Effrayée par cette constatation, elle s’était alors plongée corps et âme dans l’écriture, avec plus d’acharnement encore, comme une bouée de sauvetage. Et surtout un espoir de guérison. Avec l’espoir d’une révélation, voulant toujours croire au grand amour, celui qui soulève toutes les montagnes, qui cicatrise les plaies et brise toutes les inhibitions. C’est sans doute pour cette raison qu’elle avait banni tout acte sexuel, ce qui s’avérait encore sale et avilissant, ce qui réduisait à néant toute la beauté et la pureté des sentiments amoureux. Emue et fascinée, Maria ne dit rien, ne pose aucune autre question, emportée par ce tourbillon d’émotions que cette femme fait naître en elle. Sa gorge est serrée, elle se sent prête à fondre en larmes alors qu’elle l’apaise doucement, noyant ses mains dans la chevelure brune et soyeuse pour la caresser avec une infinie douceur.
Sans la lâcher, elle tombe à genoux devant elle, en la serrant plus fort dans ses bras. Pour répondre confortablement à son étreinte, Inès s’agenouille aussi sur l’herbe, s’abandonnant aussitôt dans ses bras, enfouissant son visage au creux de l’épaule féminine, y imprégnant ses larmes. Elle ne peut pas parler, le corps secoué de sanglots, la voix si enrouée qu’aucun son audible ne peut en sortir. Tout ce qu’elle veut, c’est être consolée, rassurée, que Maria lui transmette un peu de sa force et de son assurance. Elle lève la tête et la fixe de ses yeux noyés de larmes, si tristes, si apeurés. Maria baisse son regard sur elle et, cessant de fourrager sa main droite dans ses cheveux, lui caresse la nuque doucement. De l’autre main, elle fait glisser ses doigts le long de la joue mouillée avant de saisir le menton et l’obliger à garder la tête haute, près d’elle. Leur regard se rive l’un dans l’autre, leurs souffles se mêlent, le visage à quelques centimètres. Maria penche encore la tête et dépose un léger baiser sur le front moite de transpiration. Ses lèvres glissent vite dans la chevelure abondante et semblent vouloir s’y noyer, s’étouffer, se grisant de son odeur, avant de revenir au visage qu’elle explore dans une myriade de baisers enfiévrés. Ses lèvres dévorent tout sur son passage : les paupières fermées, le nez, les joues toutes salées de larmes qu’elle avale de coups de langue gourmands, le menton qu’elle lèche et mordille tendrement.
Inès s’est figée, cessant de pleurer. Son visage est pâle et tendu, son regard hagard et fuyant. Sa respiration s’est accélérée, faisant gonfler sa lourde poitrine qui, nue sous le tee-shirt, semble doubler de volume. Elle garde les lèvres closes lorsque celles de Maria épousent les siennes, s’y pressent, et qu’une langue vivace cherche à se frayer un passage. Elle frémit à ce contact intime. Maria n’a plus rien de la femme qui cherche à la réconforter, comme une mère apaisant son enfant. Ses yeux étincellent d’une lueur animale, son corps vibre d’une passion sauvage, qu’elle maîtrise à peine, et qui semble l’enflammer à son tour, comme un feu communicatif. Elle vient de saisir son visage à deux mains, pour mieux le couvrir de baisers voraces. Son corps s’est collé au sien, comme cherchant à s’y fondre, plaquant sa poitrine contre la sienne avec une telle force que les bouts des seins, malgré leur tee-shirt, se touchent et se cherchent. Inès se laisse faire, trop abasourdie par ce foisonnement de sensations qui l’emportent vers un chemin inconnu. Elle sent la chaleur de cette chair féminine caresser sa peau, son odeur raffinée et entêtante, le parfum suave des cheveux lâchés, tout ce mélange qui agit sur elle comme une alchimie brûlante, un brasier qui s’étend dans tout son corps. Ses pensées semblent paralysées par le déferlement de cette lave intérieure qui l’embrase sournoisement, elle est incapable de réfléchir, de réagir. Les ongles qui s’enfoncent dans son dos la fait violemment tressaillir. Sa bouche s’entrouvre alors pour pousser un cri de surprise. Maria en profite vite pour introduire sa langue entre ses lèvres. Inès gémit, mollit, savourant malgré elle la douceur de ce premier baiser féminin. C’est indescriptible. Délicieux. À la fois doux, sensuel, brûlant, profond. Cet acte follement intime provoque un chavirement des sens qu’elle ne maîtrise plus. Elle n’a pas conscience de répondre au baiser, part à l’assaut de la bouche fruitée, de la langue agile, s’y noue, s’y dérobe, puis y retourne avec timidité et une certaine retenue encore. Tantôt elle se laisse faire, résiste ou s’offre, luttant contre ces ondes lascives qui montent et grondent comme un orage dévastateur.
Maria, avec une expérience inouïe, la relance de baisers fougueux, aiguillonne sa langue de spirales infernales, met tout en œuvre pour faire monter la fièvre de plusieurs degrés. Et elle y réussit à la perfection. C’est avec la même passion qu’Inès l’embrasse, la fouille, envoyant une vague de salive dans sa bouche et cherchant à se consumer toute entière dans ce baiser affamé. Maintenant, c’est Maria qui semble un peu surprise de ce brusque consentement. Inès met dans ce baiser une telle fougue, une telle violence, que cet élan fougueux semble presque désespéré, comme une femme qui a lutté de toutes ses forces et, finalement, s’est laissée emporter par un désir trop impétueux. Une femme qui se sait perdue et en accepte la défaite. Haletante et tremblante, Maria compte profiter de cet abandon pour aller jusqu’au bout. Elle passe à l’étape supérieure, s’écarte en suffocant, et son regard qui se pose sur la poitrine d’Inès ne calme en rien son souffle précipité. Elle voit que les pointes des seins se dressent contre le tissu du tee-shirt, et elle ne peut résister à la tentation d’effleurer du bout des doigts le sein droit, caressant à travers le tissu le bout sensible, ce qui arrache à Inès un cri stupéfait. Sans perdre de temps, Maria passe ses mains dans le tee-shirt et le remonte vite au-dessus de la tête. Le spectacle la laisse pantelante et muette, bouche bée. Les seins qui s’offrent à ses yeux sont magnifiques, d’une rare beauté. Volumineux, fermes et bien relevés, ils bougent voluptueusement au rythme d’une respiration oppressée. Sa peau veloutée a des reflets dorés, faisant ressortir superbement les mamelons tendus, aux auréoles d’un brun foncé. Inès, en se retrouvant ainsi la poitrine nue, se sent timide et vulnérable, mais le regard de Maria qui contemple son corps avec une sorte d’adoration et de fascination accentue aussi son excitation. Elle a une terrible envie qu’elle les touche, les palpe, comme pour apaiser cette faim sensuelle qui lui noue le ventre et remonte jusqu’à sa poitrine.
Maria devine son attente et s’exécute. Elle retient sa respiration en prenant les seins dans chaque main, les touchant avec délicatesse, comme s’il s’agissait d’une œuvre d’art aussi fragile que rarissime. Inès se cambre, gémit, frissonne de la tête aux pieds. Ses lèvres sont gonflées de désir, son regard fixe et brûlant, ses joues roses d’excitation. C’est elle qui bouge son corps, faisant jaillir sa poitrine avec insolence, appuyant ses seins d’un mouvement souple pour qu’ils se frottent contre les paumes de Maria. Celle-ci la laisse se caresser toute seule, abasourdie par l’audace de sa maîtresse qui, impatiente, vibrante d’un désir impérieux, continue de plaquer sa lourde poitrine contre ses mains ouvertes. Elle les referme enfin, saisissant une chair tiède, divinement douce, dont les pointes des mamelons semblaient durcir davantage. Elle les malaxe d’un mouvement lascif et enveloppant, provoquant chez Inès des tressaillements incontrôlés et des soupirs purement sexuels. Elle pousse un râle de frustration lorsque Maria interrompt sa caresse un bref instant, juste le temps d’enlever, elle aussi, son tee-shirt et le soutien-gorge, libérant des seins haut placés, d’un mat brillant, au galbe parfait. Elle a des seins plus petits qu’Inès, moins ronds, mais ils pointent néanmoins avec fierté, avec à l’extrémité de larges aréoles proéminentes. Inès les couve du regard, avec admiration et désir. Elle ne savait pas qu’une femme nue – à moitié nue – pouvait être aussi belle et désirable. Cette découverte lui monte à la tête.
Elle se jette dans ses bras, s’asseyant entre ses jambes écartées et se collant étroitement à elle, écrasant sa poitrine contre la sienne, frottant les pointes des seins dans un contact délicieux et irritant. Elle lance en même temps ses jambes autour de ses hanches, l’attirant plus à elle. Maria fait de même, tout en plaquant ses deux mains sur les fesses d’Inès, les caressant, les soupesant, les pressant sans retenue, labourant de ses ongles le short, griffant le dos et les omoplates. Avides l’une de l’autre, leurs bouches se sont retrouvées et s’entrechoquent dans un baiser ardent. Elles semblent possédées par la même folie, parcourues des même décharges électriques qui les font bondir et frémir, vaciller et défaillir. Elles ne se lassent pas de leur baiser, leurs étreintes, et Inès savoure cette sensation vive et diffuse qu’elle n’a jamais connue auparavant, qu’aucun homme n’a jamais pu lui faire partager. Rien n’est plus merveilleux au monde que leur deux corps confondus aussi intimement, une extase sans nom alors qu’elles n’en sont qu’aux préliminaires. C’est à la fois sensuel, électrisant, et insupportable de jouer avec un désir qui ne cesse de monter. Inès bouge encore plus violemment, frottant plus fort leur poitrine l’une contre l’autre, et entendre les gémissements éperdus de sa partenaire tout contre sa bouche, ce plaisir qu’elle lui donne, l’excite encore davantage. Furieusement enlacées, elles tanguent longuement d’avant en arrière sur l’herbe. Puis Maria veut la renverser par terre, appuie sur ses épaules, mais leur position qui les noue l’une à l’autre ne permet pas à Inès de s’incliner seule en arrière. Fébrile et impatiente, Maria insiste et provoque chez Inès une douleur dans le dos. Cela brise net le charme. Elle reprend vite pied à terre. À bout de souffle, elle se dégage du baiser vorace avec un petit cri suppliant :
Elle a des soubresauts convulsifs, comme une possédée qui lutte contre un esprit malsain, cherche à l’en extraire. Puis elle se calme, encore hébétée, comme cherchant à disperser le brouillard insidieux dans lequel elle s’était perdue. Maria, affolée, rompt l’étreinte. Elle observe Inès avec désespoir, sans comprendre. Celle-ci est apeurée, secouant la tête comme si elle émergeait d’un cauchemar. Son visage est déformé par l’égarement et l’incompréhension la plus totale. Elle se lève si vite sur ses deux jambes qu’elle vacille un instant, encore étourdie. Puis elle ramasse hâtivement son tee-shirt, l’enfile nerveusement, attrape et enfourche son vélo pour s’engager maladroitement sur le sentier herbeux qui redescend vers les gorges. Le visage ruisselant de larmes, Maria la laisse s’éloigner sans un mot.
* * * * *
Inès se frictionne vigoureusement en sortant de la douche, le regard absent. C’est d’un geste distrait qu’elle ôte la serviette qui était nouée autour de sa tête, libérant ses longs cheveux humides. Entièrement nue, elle se plante devant le miroir de l’armoire et se brosse pensivement les cheveux. Une sorte de sensation glaciale traverse brusquement la pièce, comme si une entité vivante et invisible venait d’apparaître, transperçant Inès d’un regard inhumain. Avec un frisson, elle se retourne vivement, examinant chaque recoin de la chambre avec effroi. Puis, aussi vite que cela est venu, l’impression d’être observée disparaît. Elle hoche la tête avec dépit. Voilà qu’elle devient paranoïaque ! Pas étonnant avec cette multitude d’émotions et de révélations aussi dérangeantes qui viennent de lui tomber dessus en si peu de temps. Bon sang, qu’est-ce qui lui avait pris de tomber ainsi dans les bras de cette femme et d’aimer aussi intensément ces baisers et ces caresses ! C’est comme si un démon avait pris possession de son corps et l’avait obligé à faire des choses insensées, la contraignant à s’abaisser dans des étreintes lesbiennes. Un démon, oui, mais un démon qui lui avait donné un avant-goût de ce que pouvait être le paradis, et non l’enfer… C’était mal, mais un mal délicieux. Voilà, elle recommençait à avoir de vilaines pensées, des envies coupables, et une bouffée de chaleur lui donne le feu aux joues. Elle chasse désespérément toutes ces pensées ignobles.
Elle ne pouvait pas aimer les femmes. C’était contre sa nature, contre toute logique, renier ses valeurs et perdre des repères qui avaient régi toute sa vie et fait le succès de toute sa carrière. C’était trahir tout cela, et que lui resterait-il alors ? Rien. Sa vie s’écroulerait, elle se mépriserait jusqu’à la fin de ses jours. Mais elle devait tenir compte aussi, qu’elle le veuille ou non, de ce qui venait de se passer avec Maria. Elle avait mis ça sur le compte de l’alcool lorsqu’elle avait dansé avec Gabrielle, mais là elle ne pouvait plus se trouver aucune excuse. Cette triste expérience l’obligeait à prendre conscience qu’un instinct aussi dangereux que sournois restait enfoui en elle, tapi dans l’ombre, prêt à surgir et bondir comme un animal sauvage et incontrôlable lorsqu’une femme la touchait. Incontrôlable, c’était bien là le mot adéquat, lourd de menaces et de conséquences car il n’y a rien de plus terrifiant que d’être dans l’incapacité de maîtriser ses propres pulsions. Cela l’amène à se poser des questions, à plonger dans les tréfonds obscurs et complexes de sa sexualité. Son agression à Paris, bien qu’interrompue à temps, avait été en partie le détonateur. Une agression qui avait été à l’origine de son blocage et sa solitude affective. Mais le mal avait des racines bien plus profondes et plus complexes, au-delà du choc émotionnel. Car cela s’était passé à un moment où elle n’avait pas encore atteint une maturité sexuelle suffisante et une connaissance assez approfondie de sa propre nature pour se ranger avec certitude dans le clan des hétérosexuels convaincus. Déjà, il y avait désintérêt pour le plaisir physique, peu d’expérience et peu de satisfaction. Aussi, elle se demande si sa libido ne s’était pas orientée inconsciemment vers une autre forme de sexualité, cherchant sa voie et l’ayant trouvée dans l’homosexualité.
Elle porte son poing à la bouche et le mord, étouffant la plainte désespérée qui monte en elle. Elle ne peut pas croire à cette conclusion, s’y refuse catégoriquement. Son esprit se ferme, elle ne veut plus réfléchir. De toute façon, elle a très mal à la tête. De gestes mécaniques, elle continue de se coiffer un long moment. Son regard est vide tandis qu’elle ne cesse de passer la brosse dans ses longs cheveux noirs, observant sans le voir son reflet dans la glace. Après quelques instants, elle commence à se sentir plus calme. Elle se lève, range sa brosse dans le tiroir de la salle de bain, regagne sa chambre et ouvre l’armoire. Elle y saisit un peignoir en soie brodée, l’enfile et noue à peine la ceinture. En fermant la porte coulissante de l’armoire, son image réapparaît dans la glace. Elle se trouve belle, lumineuse, transportée d’un sentiment agréable d’être la femme la plus désirable au monde. Sa chair vibre, envahie d’une sorte d’excitation qui resplendit de chaque atome de son corps. Sous le peignoir, ses seins se tendent, gonflés et réceptifs, comme animés d’une vie propre. Qu’est-ce qui lui prend ? C’est comme une fièvre latente qui reste en éveil, attend, anticipe, se charge d’ondes voluptueuses dans l’attente… dans l’attente de quoi ? De rien. Car il ne se passera jamais rien. Elle s’efforce de réfréner tout ça. Décidément, la nuit va être longue si sa conscience ne cesse de se heurter à des désirs inavoués. Et dire qu’elle avait été voir, après le repas, Jean Vernier pour accepter sa proposition. Ce qui revenait à s’aventurer dans des situations aussi compromettantes que risquées. Mais ce qui revenait aussi à constater que, si elle se sortait indemne de cette mission périlleuse, elle pourrait être certaine de ses orientations sexuelles et dormir l’esprit tranquille jusqu’à ses vieux jours.
Le bruit furtif et la lumière vacillante qui passent derrière sa porte l’arrache à ses pensées. Qui peut bien, à cette heure-ci, se promener dans les couloirs ? Dehors, la nuit est sombre et silencieuse, de lourds nuages masquent la lune et une légère brume commence à se former sur les vignes et le paysage environnant. C’est ce que constate Inès en passant devant la fenêtre et en se dirigeant ensuite vers la porte qu’elle entrouvre doucement. Une silhouette féminine tourne au fond du couloir, éclairée d’une bougie et projetant des lueurs sur les murs et le plafond. Intriguée et trop heureuse de se changer les idées, Inès s’avance à son tour et part à sa poursuite. Pieds nus, elle marche d’un pas léger, effleurant le tapis, descendant l’escalier, et plus prudemment sur les dalles de marbre alors qu’elle arrive dans le hall. La silhouette fantomatique s’engage dans le long corridor qui mène à l’aile sud. La bougie anime d’étranges ombres dans les embrasures des portes. Elle suit toujours la silhouette, avançant dans le noir et se guidant aux lueurs vacillantes. Le château est silencieux, les lumières toutes éteintes, et la discrétion de la personne qui rôde tel un voleur dissimule bien des intentions pas très claires. Elle veut en avoir le cœur net. La cuisine étant dépassée, elle annule la possibilité d’une fringale nocturne. Même constat pour les toilettes qui se trouvaient à l’étage supérieur, près des chambres. Que pouvait-il y avoir dans cette partie du château qui intéressait tant cette mystérieuse femme ? Enfin, celle-ci s’immobilise devant une porte, la pousse et disparaît à l’intérieur de la pièce. Inès attend un moment avant d’avancer, collant son oreille contre la porte, prête à se cacher au moindre bruit. Elle laisse passer encore quelques minutes avant de se décider à tourner la poignée, tout doucement, et pousser la porte millimètre par millimètre. Heureusement, aucun grincement.
La pièce est dans le noir total, alors elle se faufile par la porte entrebâillée avec toujours autant de précautions. Elle tend le cou, tournant la tête vers la lumière, au fond de la pièce. Elle entend respirer fortement, avec des murmures et des frôlements. Ses yeux s’habituent à la pénombre. Elle est dans une immense bibliothèque et, tout au bout de l’immense salle, deux femmes sont assises et enlacées sur le sol, au pied d’une longue étagère. Elle reconnaît Gabrielle, échangeant des baisers bruyants avec Florence, la domestique. Elle l’enlace ardemment, explorant l’intérieur de ses cuisses dont la jupe retroussée jusqu’à la taille dévoile, jusqu’à l’aine et au slip blanc, une longue jambe repliée qui s’écarte de plus en plus. Une main plonge sous le dessous, arrachant un nouveau gémissement. Tout en s’activant en bas, Gabrielle penche la tête, couvant la poitrine nue de coups de langue voraces. Malgré elle, Inès trouve le spectacle troublant, gênée de sentir naître en elle une certaine excitation. Une excitation qui laisse place à un intérêt différent lorsqu’elle réalise la semi-nudité de Gabrielle. Ses longs cheveux roux sont épars sur ses épaules nues, glissant entre ses seins libres de tout soutien-gorge, et la peau blanche de son ventre et ses cuisses ressort comme de la porcelaine dans l’obscurité. Elle n’a sur elle qu’un dessous rose fuchsia, un string sans aucun doute, qui est le seul obstacle dissimulant son sexe mais, surtout, le probable tatouage d’une fleur. Car, pour Inès, cette femme ne peut être que l’ex-maîtresse de Catherine, elle en a le profil et elle en mettrait sa main au feu. Et un simple petit bout de tissu protège la preuve. Pas pour longtemps, si Florence se dépêche de passer aux choses sérieuses. Elle en aura enfin confirmation et, en attendant, fait tout pour ne pas bouger et garder le silence.
Une pensée coupable l’assaille devant ce rôle de voyeuse, qu’elle repousse aussi vite. C’est pour la bonne cause, après tout… Son enquête démarre bien, elle n’a pas trop à s’investir pour l’instant. Immobile, elle se maintient contre la porte, et aurait pu rester longtemps dans cette position si, brusquement, une main ne l’avait violemment poussée dans le dos et propulsée à trois pas devant elle. Elle pousse un cri de douleur en partant en avant, perdant l’équilibre mais se rattrapant de justesse. Puis, aussi brutalement, la porte se referme dans un claquement sec. Inès, choquée, n’a pas le temps de se demander qui l’a ainsi poussée par traîtrise. Elle doit surtout affronter les deux femmes qui, avec un cri de surprise, se sont vivement redressées. L’une d’elles brandit la bougie et éclaire la scène. Inès se retrouve prise dans le cercle lumineux, clignant des yeux comme un animal pris au piège.
Morte de honte, Inès tourne les talons, trébuche, puis un reste de dignité l’oblige à faire face. La panique la submerge alors que la bougie se dresse devant ses yeux, l’éblouissant complètement. Elle entend un bruit de pas furtif qui la contourne, passe derrière elle. La lumière crue du lustre jaillit comme un éclair, éclairant agressivement la salle. C’est Florence qui vient d’appuyer sur l’interrupteur. Du coup, Gabrielle souffle sur la bougie, fixant un instant Inès à travers la mince fumée blanche qui s’estompe dans l’air. Elle a un regard brillant, avec cette lueur gourmande qui n’annonce rien de bon.
Elle sourit en la voyant rougir. Le regard affolé d’Inès s’attarde sur la longueur étonnante des petits dards roses qui se tendent à la pointe des seins pleins et orgueilleux de la rousse. Puis descend le long du corps élancé, s’immobilise sur le string rose. Elle ne peut s’empêcher de penser qu’un seul petit geste, tout simple, qui le ferait glisser de quelques centimètres, lui permettrait d’avoir enfin sa preuve. Un petit geste qui ne demandait qu’une seconde. Et, brusquement, une idée insensée émerge d’un coup, si évidente et logique qu’elle se traite d’idiote pour ne pas y avoir pensée plus tôt, au lieu de rester raide et stupide comme un piquet. Ce n’est pas en restant pétrifiée qu’elle découvrirait la vérité. C’est en agissant. Il lui suffisait pour cela de jouer la comédie, à peine cinq minutes, juste le temps de quelques caresses vite fait, de s’agenouiller à ses pieds en feignant toujours le consentement, et baisser le string vers le bas dans le feu de l’action. Avec audace et rapidité, l’affaire serait vite conclue. Bien sûr, cela comportait des risques. La présence de Florence demeurait un gros point d’interrogation, pouvait jouer en sa faveur ou sa défaveur, et cela elle ne le saurait qu’au moment voulu. Et surtout pas de baisers, car elle connaissait les ravages que cela pouvait occasionner chez elle. Ne pas se laisser aussi caresser, sinon son corps pouvait échapper à tout contrôle et l’emporter vers le point de non-retour. Chose d’autant plus difficile qu’elle était totalement nue sous son peignoir… Mais si elle respectait ces règles à la lettre, elle pouvait s’en tirer à bon compte. Prendre les devants, mener le jeu. C’est d’une voix méconnaissable qu’elle s’entend répondre :
Le regard de Gabrielle s’écarquille de surprise alors qu’Inès, tremblante de tous ses membres, effectue un premier pas vers elle.