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n° 09753Fiche technique5614 caractères5614
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Temps de lecture estimé : 4 mn
07/10/05
Résumé:  La sensuelle contemplation d'une nymphe des montagnes.
Critères:  f jeunes vacances forêt cérébral revede voir fmast
Auteur : Papageno            Envoi mini-message
Une Napée



Elle déambule sur la terrasse, coiffée de son chapeau de paille et tenant un livre dans une main et un verre dans l’autre. Elle se dirige vers le talus qui ouvre en contrebas, comme un regard sur une échancrure sur la haute vallée de la Salzach à quelques mètres du chalet. En aval, c’est Salzbourg, mais ici seul règne le bruissement de la rivière, dans une transparence argentine, alors qu’elle polit de caresses les moraines ci et là déposées. C’est un vallon comme un sanctuaire, ou le profane s’égare sans le secours de l’initié. Ces pentes de tendresses offrent dans ses clairières le couffin malin des égarements sensibles des promenades amoureuses.


C’est dans un isolement parfait qu’elle vient s’allonger tous les jours de son été au milieu de cette herbe de montagne dans laquelle elle se fond dans une absolue illusion de naturel. Pour la réaliser, elle procède toujours au même rituel. Elle pose son livre puis son verre dessus. Elle défait de sa robe d’été d’abord la bretelle de son épaule droite ; puis celle de son épaule gauche. Elle jette à cet instant, toujours à cet instant, un petit regard en arrière que l’ombre de son chapeau feint de cacher, vérifiant ainsi qu’elle est bien seule, ou peut-être qu’on l’observe… Elle incline ensuite sa tête en avant, légèrement sur sa droite, passe sa main gauche dans son dos pour venir tenir le lin de sa robe afin de faciliter l’œuvre lente de sa main droite qui la dégrafe. Dans son dos, le tissu se fend en deux pétales, retenu sur elle par les seules courbes de sa poitrine. Revenues au-devant d’elle, ses mains glissent le long de ses seins qu’elles épousent pour y défaire l’étoffe estivale. Alors que celle-ci ne résiste encore qu’en s’accrochant à ses hanches, elle prend toujours quelques secondes pour observer dans une satisfaction de narcissisme adolescent sa poitrine fraîchement dénudée. Reculant ses fesses et se penchant un tant soit peu vers l’avant, elle achève de faire céder sa robe d’un petit coup de ses deux mains le long de ses hanches. D’abord la jambe gauche se retire de sa dépouille vaincue, toujours la jambe gauche, puis la jambe droite. Elle abandonne son vêtement dans la plus parfaite négligence de mépris, comme pour signifier, plus que son inutilité, le fait alors de son inexistence.


Elle s’assoit d’abord le long du talus. Elle parfume d’ananas et d’orange son haleine en sirotant un peu de son cocktail. Elle sourit d’une amertume grimaçante. Elle saisit son livre et s’allonge sur sa poitrine, à la page à laquelle elle en était restée. Tout au long de sa lecture ; elle est ainsi offerte à Apollon qui la dore de ses rayons et à Zeus – son divin père – qui, de son foehn remontant la vallée, glisse sur elle par à-coups dans de chauds frissons caressants, ne laissant inflexibles ni les brins d’herbe de cette campagne ni les longs cheveux d’or que son chapeau ne peut embrasser. Je crois ou je veux, la voir frissonner un moment. Le contre-jour, me jalousant d’observer, dresse devant moi une sorte de voile, rendant ici à la nature l’homérisme délicat d’une photo d’Hamilton.


Elle se retourne ensuite, apaisant les baisers un peu trop brûlants d’Apollon sur son dos par l’herbe fraîche. Elle tient son livre devant son visage comme pour se cacher qu’on l’observe et joue machinalement en bas de son cou avec une mèche blonde qui, d’une opportunité régulière, sait toujours s’y trouver. Nymphe alors toute offerte, le vent s’emballe au soleil de quatre heures. Le long du talus remontant, il se heurte contre le coussin doux de son entrejambe, se faufile entre les herbes plus fraîches encore de sa pudeur, avant de rejaillir à toute vitesse le long de son ventre et d’épouser ses seins raffermis d’un frison délicat. Elle soupire parfois. Elle taquine de temps en temps ses lèvres, sa gorge ou l’un de ses seins d’un brin d’herbe ou d’une petite fleur cueillie inconsciemment.


Le temps alourdi modifie l’humeur de sa lecture, à mesure que le soleil alpin de cinq heures commence à rougir. Alors c’est le Val entier qui semble se retenir. Il ne s’agit à proprement parler plus de frissons, et les taquineries se font moins anodines sans pour autant être moins innocentes. Indépendant du foehn, son corps prend son propre rythme d’ondulations inconstantes, de trémoussements angéliques et de soupirs inachevés. Sa main droite, après avoir défié le sens du vent, est venue se lover contre ce qu’elle peut avoir en cet instant de plus précieux, et qu’elle trouve enflé d’abondante envie. Le bout léger d’un de ces doigts fins pénètre le sacré et procède à la transsubstantiation d’elle-même. Dans le secret de l’alchimie, tout se sent, comme dans un divan naturel qui la soutient dans sa posture de languissante affalée. Comme ces prêtresses germaniques des légendes inventées, elle épouse la nature et lui fait don d’une prière profonde d’initiée qui ne s’achève que dans une transe familière et dans quelques crispations délicieuses et râles ensauvagés.


Elle s’abandonne un instant, lasse, le corps désarticulé et reposant comme il peut. Elle ferme les yeux sans doute un moment. Elle profite des odeurs du petit soir où retombent encore celles qu’elle y a laissées, comme en témoignent les nuances odorantes si particulières qui embaument quelques vertiges du vent. La clairière, si parfaite tout à l’heure, apparaît à présent échevelée et accablée de parfums et de sensations lubriques. Et pourtant de cette moite lourdeur ressort un corps et une âme élevée, satisfaite de son œuvre et du sacrifice de chair et d’encens auquel elle vient de procéder.


Elle remonte enfin.

Il commence à faire froid.

Je reviendrai demain.