n° 09835 | Fiche technique | 19919 caractères | 19919 3501 Temps de lecture estimé : 15 mn |
30/10/05 |
Résumé: Mon secrétaire avait un tiroir à double-fond... | ||||
Critères: #historique fh ff couple soubrette lavement | ||||
Auteur : Agerespectab (Vieux schnock) Envoi mini-message |
Concours : Stupéfiants secrets |
Ce texte est dédié à une « houspilleuse » qui se reconnaîtra.
Nous sommes lundi. Très exactement lundi 25 septembre 1903.
Betty entre dans ma chambre, vient discrètement s’assurer que je suis réveillée et ouvre les doubles rideaux des deux fenêtres qui donnent sur le boulevard Malesherbes.
Elle revient près de moi et s’enquiert :
Betty est ma femme de chambre. Elle est sensiblement du même âge que moi, peut-être trente ou trente et un ans, alors que je n’en ai que vingt-neuf. Je ne m’en suis jamais préoccupée, c’est ma belle-mère qui régente tout dans la maison et qui m’a attribué cette compagne d’autorité.
Je dis bien compagne, plutôt que domestique. J’ai beaucoup de chance que nous soyons elle et moi aussi complices que peuvent l’être patronne et domestique. Cet état de fait est dans son intérêt, car mon service est bien moins éprouvant que celui de la maîtresse des lieux, ma belle-maman. Tout le monde sait, dans la maison, que la « jeune Madame » tient à sa Betty autant que celle-ci tient à sa maîtresse, moi, Sophie. La nécessité y joue un rôle presque aussi important que la sympathie qui nous lie ; en effet, ma femme de chambre est une étroite confidente, au courant de tous mes secrets de femme, à commencer par ceux de ma santé. D’ailleurs, elle se penche vers moi et me murmure :
Cela signifie que je vais avoir droit à un grand lavement, pour me débarrasser de tous les excès de table du dimanche. Cette pratique est courante, la plupart des femmes de petite et grande bourgeoisie y ont recours. La médecine y est favorable et les femmes obéissantes.
Betty revient quelques instants plus tard avec un grand broc d’eau chaude ; par raison de discrétion vis-à-vis du reste de la maisonnée, le matériel, bock, tuyau, canule, ne quitte jamais mon cabinet de toilette et Betty va chercher l’eau chaude à la cuisine.
Je me positionne sur le côté, elle relève ma chemise de nuit, me glisse un coussin sous le bassin. Je ne peux la voir faire, mais, depuis le temps, je connais tous ses gestes. Il nous arrive même d’inverser les rôles. Ainsi, je sais que maintenant, elle est revenue du cabinet de toilette avec le bock qu’elle a suspendu à son cou à l’aide d’une cordelette ; elle l’a empli d’un peu plus d’un litre d’eau chaude, amenée à température convenable avec un peu d’eau froide ; elle s’est munie d’un petit flacon d’huile d’amande douce, elle s’enduit le majeur et, me soulevant délicatement une fesse, m’en oint l’orifice que vous devinez ; elle huile également la canule et, toujours soulevant ma fesse droite, me la glisse lentement en place.
C’est un moment délicieux. La coquine sait que je le goûte fort et elle en rajoute un peu en faisant aller et venir la canule un petit peu, sans en avoir l’air, puis elle finit par ouvrir le robinet : au bout de dix secondes environ, je suis envahie d’eau chaude et amenée à une douce extase proche de l’explosion sexuelle. Il arrive que j’entre en jouissance spontanément ; il arrive aussi que ma coquine de Betty s’en mêle et active les choses par de certaines caresses que je lui rendrai à la première occasion.
Mais tout cela ne concerne qu’une habitude très répandue dans mon milieu. Mes vrais ennuis sont ailleurs, même si le remède y ressemble. Je souffre en effet de démangeaisons du vagin - les médecins disent « prurit » - que l’on soigne avec de grandes irrigations à l’eau tiède additionnée de bicarbonate. Nous procédons en principe le mercredi matin. Je possède une baignoire émaillée blanche, luxe assez rare, dans laquelle je m’installe, toute nue, accroupie et me tenant aux bords. Betty vient avec le grand pichet émaillé de deux litres, elle introduit la canule dans mon vagin et la maintient en place ; puis elle élève le pichet le plus haut possible. Cette douche intime me fait généralement beaucoup de bien. Cela me calme quelques jours et, surtout, autorise mon mari à me présenter ses hommages.
Inutile de dire que ce n’est pas le médecin de famille, le bon docteur Dumoullin, qui m’examine directement. Ce serait bien trop impudique et, de plus, il ne semble pas très impressionné par mes plaintes. Il semble persuadé que ce ne sont que caprices et jérémiades de femme oisive. Pourtant, je peux vous affirmer que je n’ai rien d’une pleurnicheuse, et, certaines fois, les assauts de mon époux me font réellement souffrir. J’endure sans crier, mais en serrant les dents, en souhaitant que cela cesse le plus vite possible. Comment s’étonner qu’après quatre ans de mariage je ne sois toujours pas enceinte ? Mon mari et sa mère s’en désolent, mais que faire ? Je pourrais consulter un spécialiste, ils existent, masculins bien sûr, mais on ne fait appel à eux que dans des cas graves. J’ai jusqu’ici réussi à différer cette pénible affaire, mais je sais que je ne le pourrai pas indéfiniment.
Je ne me considère cependant pas comme une femme malheureuse, il s’en faut de beaucoup. Tout d’abord, mon mari est plein d’attentions à mon égard. Je le crois sincèrement amoureux, comme au premier jour, il y a cinq ans, quand je me suis réveillée dans ce lit inconnu, adossée à deux gros oreillers, et que la première chose que j’ai vue, ce fut ce visage d’homme blond, aux belles moustaches qui rejoignaient des favoris fournis, des yeux verts et or magnifiques, une mâle assurance qui n’empêchait pas l’inquiétude.
Ses beaux yeux verts s’emplirent d’étonnement :
Et j’ai fondu en larmes. Il a pris ma main, n’a plus rien dit, s’est contenté de me regarder un long moment. Puis il m’a saluée avant de sortir.
J’ai dormi à nouveau. J’ai fait la connaissance du Docteur Dumoullin qui m’a examinée avec l’aide d’une domestique. J’étais vêtue d’une chemise qui descendait jusqu’à mes pieds. Il auscultait du bout des doigts, à travers la chemise, me tournait et retournait avec l’aide de cette grosse femme très douce ; ils avaient bien compris que je n’étais qu’une immense ecchymose, de la tête aux pieds. La camarde n’avait pas voulu de moi. Je n’avais aucune fracture, j’étais passée miraculeusement entre les sabots et les roues, ma tête seule avait cogné assez durement. Je reste aujourd’hui persuadée qu’Aramis, un splendide pur-sang d’une intelligence folle, d’une agilité foudroyante, a réussi à ne pas me toucher.
Je suis restée dans cette chambre trois semaines. La grosse domestique, Marie-Anne, et une autre plus jeune, une certaine Betty, venaient me laver et me masser avec de la graisse de marmotte. Le lendemain de mon réveil, Léopold est entré en brandissant un journal :
Je ne me souvenais toujours de rien ; l’amnésie totale. Même en revoyant mes parents, aucun souvenir ne se manifesta. On me déclara intransportable et Léopold obtint de sa mère qu’elle plaidât auprès de mes parents pour continuer de m’héberger.
Mais comment peut-on oublier sa vie sans rien oublier de sa culture ? Je sais toujours jouer passablement du piano et jouer au whist, je pourrais servir la messe si les filles y étaient admises, je parle toujours anglais et italien, je me débrouille en allemand - en évitant de le laisser voir, tant le sentiment germanophobe des Français est virulent.
Nous nous sommes mariés, Léopold et moi, sans que la mémoire me revînt. Il n’avait plus que sa mère, son père était mort à Sedan. Sa mère n’avait guère d’enthousiasme à ce que je devinsse sa bru ; seul le nom que je portais pouvait la flatter, pas ma dot, mes parents n’étant finalement que des « fins de race » complètements décatis. Il avait fallu tout l’amour et la pugnacité de Léopold pour vaincre les obstacles.
Et voilà comment je me trouve, dans ce bel immeuble du boulevard Malesherbes, entourée d’une douzaine de domestiques, flanquée d’une belle-mère qui m’agace avec ses grands airs de snob, de parvenue. Mais aussi menant une vie de douceur, de facilité, de confort opulent et, par-dessus tout, d’un époux aimant et flamboyant cavalier. Comment n’en serais-je pas folle ? Je suis donc alanguie dans cette existence d’odalisque.
Comme chaque jour, je m’installe devant mon joli bureau à cylindre, cadeau de mon mari. J’ai un peu de correspondance en retard. Je suis un peu « pitée » sur ma chaise, mon corset en est la cause. Je crois que ce matin Betty a exagéré ; je vais lui flanquer une fessée à celle-là, si elle continue à s’amuser à ce petit jeu, consistant à me serrer, un de ses genoux planté au milieu de mon dos, souquant ferme sur les cordons, pour que j’en perde le souffle, que mes seins menacent de sauter hors de leur cage de dentelle, que mon époux puisse faire le tour de ma taille d’une seule main ou presque !
Comme chaque jour, j’ai détaché de mon sautoir une petite clé, ouvert la serrure, puis relevé le cylindre. Comme chaque jour, j’ai tiré à moi le deuxième tiroir de droite, dans la rangée du bas, et j’ai un peu trop tiré, car il s’est dégagé complètement, et là, devinez quoi ?
(Ben rien parce que c’est pas celui-là ! Ha ! Ha ! Ha ! Pardonnez-moi, j’ai pas pu m’empêcher, mais promis, je le ferai plus.)
Donc le logement était complètement dégagé et je suis femme, alors que se passe-t-il à votre avis ? Oui : malgré mon corset, je m’efforce de voir. Voir quoi ? Que peut-il y avoir à voir dans un tel endroit, sinon de la poussière, de petits débris minuscules de papier, rognures de crayon et tout au fond un… Un quoi ? Justement un « je ne sais quoi » Hi ! Hi ! Hi ! Oui, je sais, je cite Yvette Guilbert…
Je plonge la main au fond, j’attrape ce « je ne sais quoi ». Je tire dessus et une petite partie de mon écritoire s’efface, dévoilant une cavité secrète ! Vous avez suivi ? Non ?
Je vous le refais : je tire sur cette chose et mon coude dégringole dans une espèce de trou. Et au fond du trou, quelque chose de plus clair que le bois, un paquet de papier, que j’extrais délicatement. Ce sont des lettres, nouées ensemble d’un bout de ruban fané, vite dénoué. J’ouvre la première lettre, elle est sans date ni lieu :
Mon Amour,
Tu ne saurais imaginer à quel point tu me manques.
Tous les soirs, seule dans mon petit lit, j’essaie de faire revivre la douceur de tes mains sur mon corps, la chaleur de ta peau contre la mienne…
Et patati, et patata… Bref, ça n’est pas une grande plume qui a écrit cela, mais ce détail m’importe peu. Ce qui me flanque un grand coup au milieu de l’estomac, c’est cette évidence : mon mari a une maîtresse !
La lettre est signée "Ton Adèle qui t’adore".
Je suis secouée de sanglots. Je me jette sur mon lit et pleure, pleure… Je finis par me calmer un peu et, un mouchoir sur le nez, toujours reniflant, je reviens au paquet de lettres, cherchant des indices. Hélas, rien ! Pas de cachet de la poste, elles ont été portées par un domestique, un ami, ou la rédactrice elle-même.
Nouvelle crise de larmes, puis entre Betty, qui vient me prévenir que le thé est servi chez ma belle-mère. Je me précipite, ferme le bureau et m’efforce de réparer les ravages de mes sanglots, mais la cause est perdue : j’ai les yeux de lapin, les paupières gonflées, je ne peux pas affronter belle-maman dans cet état ; je demande à Betty de la prier de m’excuser.
En fin d’après-midi, Léopold demande à me voir et je l’invite chez moi. Il a été informé que je n’allais pas bien. Comme j’ai toujours eu une totale confiance en lui, réciproque je pense, je me contente de lui tendre le paquet de lettres.
Je suis abasourdie, à plus d’un titre. Honteuse d’avoir pu douter de mon époux, je ne sais plus que dire ni que faire. Avec son habituelle délicatesse, il me tend le paquet de lettres, auquel il n’a jeté qu’un bref coup d’œil. Je m’efforce de lui sourire à travers mes larmes, mais il ne semble pas fâché ; il est peut-être même flatté de ma jalousie évidente. Il reprend :
En éclatant de rire, je me précipite, m’assieds sur ses genoux, comme la première grisette venue, et l’embrasse avec fougue.
La soirée fut ce jour-là bien agréable. Madame mère s’était couchée, dolente. Nous demandâmes à être servis dans ma chambre pour un petit souper léger. Mon Léopold avait bien compris qu’il pouvait user et abuser de son droit conjugal et ne s’en priva point. Il prit pour la première fois de bien audacieuses initiatives, décidant de me dénuder entièrement, puis d’en faire de même. Nous n’avions jamais fait cela ! Quand il en fut après mon corset :
Et d’éclats de rires en plaisanteries de la sorte, nous finîmes par nous caresser bien agréablement ; comme je lui suggérais de me ménager un peu, il me chuchota à l’oreille :
Tout cela dans des rires inextinguibles. Il me banda les yeux avec sa cravate, afin que je ne fusse pas trop effarouchée et j’eus l’immense surprise de le sentir me lécher… vous devinez quoi ! Mais je ne sais si vous pouvez imaginer le plaisir qu’on peut en retirer ! C’est réellement divin ; il ne s’est arrêté que lorsque j’ai crié grâce, puis il m’a embrochée comme à son habitude, avec cette énorme différence que je n’en ai nullement souffert, bien au contraire. J’ai été réellement heureuse, cette nuit-là, au-delà de tout ce que je pouvais imaginer.
Le Docteur Dumoullin est venu me voir. Il m’a trouvé une mine superbe, puis enchaînant sur ces problèmes de mémoire :
C’est ainsi que, quelques jours plus tard, je me suis retrouvée plongée en hypnose par un homme d’apparence banale ; seul son regard était particulier, persuasif au possible. Il vous aurait fait faire n’importe quoi, me suis-je dit. Nous avions convenu d’opérer chez Dumoullin, loin de toute oreille indiscrète et de toute influence intime. Il s’installa en face de moi, sur une petite chaise, tandis que j’étais au fond d’un fauteuil confortable…
Ensuite, je ne me souviens plus de rien, sinon de m’être réveillée avec une image en tête, un portrait de femme, de jeune fille, plutôt, qui me troublait intensément. J’avais le cœur serré, la poitrine étouffée ; j’ai attendu que ce jeune médecin intervienne :
Il eut l’air un peu déçu. En fait, j’étais bien trop bouleversée pour confier à cet inconnu ce que je sentais, d’instinct, n’appartenir qu’à moi. Je lui demandai :
Nous nous sommes quittés peu après ; j’ai essayé de lui donner le change, mais je doute d’y être parvenue, tant son regard donnait cette impression qu’il savait tout de moi, mieux que moi-même.
Rentrée chez moi, je me suis précipitée dans ma chambre, fermée à double tour, à peine débarrassée. J’ai vite ouvert le fameux secrétaire, pris ce paquet de lettres et… (pourquoi ai-je eu cette intuition ?) j’ai sauté à la dernière.
Elle était laconique :
Ma chère, bien chère Sophie,
Je sais que je vais te faire du mal. J’en ai mal moi-même, c’est atroce. Il faut que nous en prenions notre parti. Il faut que tu sois courageuse : je vais me marier.
Le texte s’est brouillé, je me suis écroulée sur mon bureau et j’ai hurlé. Une plainte de bête, un cri animal, qui n’en finissait pas. On a, paraît-il, tambouriné à ma porte longtemps, longtemps, je n’entendais pas.
Je n’ai entendu que Léopold, sa voix forte et impérieuse qui me commandait d’ouvrir. À ce moment-là, je l’ai entendu, lui, parce que je commençais d’émerger de cette espèce de noyade. Je me suis arrachée à ma chaise, j’ai été lui ouvrir et me jeter dans ses bras.
Et il m’enleva épingle et chapeau que, dans ma précipitation j’avais gardés, il caressa mes cheveux doucement, me laissant sangloter sans fin.
Bien entendu, je n’ai jamais eu d’explications à lui fournir. J’ai brûlé les lettres.
Trois semaines plus tard, aucun doute : j’étais enceinte.