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Temps de lecture estimé : 36 mn
30/10/05
Résumé:  Je suis tombé amoureux de Jade, inaccessible objet de mes sentiments...
Critères:  fh hplusag asie collection amour volupté fsoumise hsoumis revede fetiche init
Auteur : Jeff            Envoi mini-message

Concours : Stupéfiants secrets
Jade, l'inaccessible...

En ce début mars, les derniers frimas d’un hiver languissant avaient tendance à faire oublier aux femmes leurs lourds vêtements pour leur faire adopter des tenues plus légères. Dès lors, mes yeux ne cessaient d’en détailler les formes avantageuses et offertes à la lubricité de mon regard de jeune mâle en soif d’aventures.

Voilà pourquoi je peux affirmer ici, qu’assurément c’était le plus beau cul de Paris que je suivais des yeux, à cinq pas de moi. Comme moi, il remontait les Champs-Élysées. Il n’y a pas à dire, il était parfait ! Soutenu par deux magnifiques jambes montées sur des escarpins vernis noirs à talons aiguilles et gainées de bas blancs. La robe bleu marine à petits plis qui le soulignait plus qu’elle ne l’habillait se dandinait au rythme d’un déhanchement lascif. À cette vue, j’étais de moins en moins certain de pouvoir aller jusqu’au bout de ma marche, tellement mon sexe se dressait déjà dans mon pantalon et me faisait mal.


Et toujours le cul se balançait devant moi. Son relief s’accentuait chaque fois qu’il enjambait les bordures de trottoir ou lorsqu’il évitait les plaques d’égout ou les grilles d’aération du métro.

Toujours il avançait à un rythme soutenu.

Le dos qui le surplombait était droit, presque rigide, seulement à peine voûté au niveau des épaules. La taille était fine. Le buste s’évasait harmonieusement au niveau des seins. Au ras du col, oscillant au rythme des pas, une masse de cheveux noir corbeau aux reflets bleuâtres, taillés au millimètre.


Après bien des tergiversations, je me décidai à doubler le magnifique cul ambulant pour voir la frimousse qu’il emportait au rythme de son dandinement. Je voulais vérifier si l’avant valait l’arrière.

Je pressai donc le pas, bousculant légèrement un couple de Japonais qui déambulaient en sens inverse et je jetai un coup d’œil rapide sur l’avant.

Mazette ! La jeune femme était une Asiatique. Petit nez légèrement retroussé, yeux noirs en amande, pommettes saillantes, petite bouche fine au-dessus d’un petit menton juste marqué par une légère proéminence. Les seins à peine marqués. Elle lisait une revue et ses mains étaient élégantes, aux ongles rouge écarlate. Elle était coiffée comme Mireille Mathieu.


Pff ! Aussi belle par-devant que par-derrière, au point que je faisais un demi-tour pour marcher à reculons afin de mieux l’admirer, ce qui en ce lieu n’est pas franchement conseillé, et je ne cessais de la fixer en lui adressant un sourire à la fois charmeur, admiratif et certainement niais.

Mon attitude étrange, sans vraiment la troubler, a dû l’amuser car elle leva la tête de sa lecture et, avec des yeux rieurs, commença à ouvrir la bouche, comme pour faire « Oh ! » et je me suis cogné dans quelqu’un… Tournant alors instinctivement la tête pour m’excuser, je me suis rendu compte que mon dos avait buté contre la vaste poitrine d’un gendarme mobile, en patrouille.



J’étais confus. Confus mais ravi.

Maintenant je savais qu’elle parlait français et j’avais trouvé là un moyen d’entrer en contact avec elle. Aussitôt, je m’empressai de la remercier comme il se doit, tout en la complimentant sur sa beauté. Cela continuait à la faire rire et j’en profitai pour lui proposer de boire un verre pour me faire pardonner.

Après avoir, avec un geste d’une grande délicatesse féminine, rapidement consulté sa montre, elle accepta mon invitation en hochant la tête.

Heureux hasard des rencontres, nous étions à la hauteur du célèbre Fouquet’s. Cela tombait à pic.

Nous nous sommes installés à cette terrasse où nous avons pu ainsi faire plus ample connaissance.


Son nom à lui seul était un départ vers l’exotisme : Jade ! Son travail ouvrait aussi tous les plus beaux rêves du monde : traductrice à l’UNESCO ! Mais non, elle n’était pas Asiatique, elle était Eurasienne et tenait fermement à cette association transcontinentale. Née d’une mère siamoise, habitante du Siam - là aussi elle tenait particulièrement à l’usage de l’ancien nom royal de la Thaïlande - et d’un père français mais inconnu, elle était née à Phnom Penh vingt-quatre ans plus tôt et disposait depuis longtemps de la double nationalité.


Elle parlait d’une voix flûtée, un son de voix qui était une mélopée, un gazouillis des plus agréables à mes oreilles. En l’écoutant, juste en l’écoutant, j’étais déjà en Asie, j’en respirais les odeurs… Elle ne semblait guère farouche, ni intimidée. Elle trouvait que la situation était drôle et prenait la vie comme elle venait.

Bien entendu, nous nous sommes revus et plutôt deux fois qu’une. Pourtant, à cet instant de mon récit, il me faut en reprendre le fil chronologique.

Nous nous sommes quittés sur le seuil du Fouquet’s en nous donnant rendez-vous pour le soir suivant, au même endroit. Pour ma part, j’avais un repas, un tête-à-tête, qui m’attendait à deux pas de là, avec mon oncle Jacques.


Mon oncle Jacques, frère de mon paternel, était un vieux monsieur aux nombreuses décorations, à la tête blanche mais encore parfaitement bien sur ses épaules d’ancien officier parachutiste. Bien qu’il fût d’excellente constitution, sa vie aventureuse avait rendu son cœur fragile. Hormis ce détail, très personnel et invisible, il restait un bel homme sur lequel nombre de rombières se retournaient encore bien qu’il aille sur ses quatre-vingts printemps.

Financièrement très à l’aise, sans femme ni enfant, il était toujours tiré à quatre épingles, l’élégance anglaise chevillée au corps. Il disposait d’un carnet d’adresses à faire pâlir de jalousie bon nombre de personnes. C’est que, en-dehors du fait d’avoir été militaire, ce qu’il était resté dans l’âme et dans la démarche, c’était un ancien haut fonctionnaire de l’État français qui avait «grenouillé» dans le monde interlope du renseignement et de la diplomatie parallèle, à l’époque où la France était encore un empire colonial.


Bref, un personnage haut en couleur, au passé sulfureux, traînant dans son sillage bon nombre d’anecdotes au parfum d’aventure et aux relents de sueur et de sang, mais d’une extraordinaire discrétion quant à sa vraie vie, passée à sillonner les anciennes zones d’influence de la France à travers le monde.

Oncle Jacques, telle était son appellation familiale, m’avait toujours fasciné et me fascinait toujours. Quand il nous rendait visite, j’aimais écouter ses histoires, ses aventures – enfin, celles dont il voulait bien nous parler – et quand il était absent pour de longues et incertaines périodes, je guettais avec avidité ses lettres et cartes postales, venues en droite ligne du bout du monde et ornées de magnifiques timbres qui allaient grossir ma collection. Tous les jours, durant ces périodes d’absence, je guettais l’arrivée du courrier, reconnaissant de loin son écriture penchée, serrée et fine.

Aujourd’hui encore, j’aime à partager avec cet homme quelques moments en tête-à-tête, et je n’ouvre jamais mes albums de timbres et d’enveloppes sans entendre dans mon oreille les descriptions des paysages qu’il a traversés.


C’était aussi en raison de cette admiration que nous avions rendez-vous au restaurant de l’hôtel du Prince de Galles, juste en face du Crazy Horse. Seulement, après ma rencontre avec Jade, j’arrivai au rendez-vous avec près d’une demi-heure de retard et fus fraîchement accueilli. Mon hôte n’avait jamais supporté le moindre retard : militaire il avait été, militaire il restait !

Heureusement que ma rencontre avec Jade, la belle Cambodgienne, nous permit de briser le lourd silence qui s’était installé dès le début notre apéritif, l’homme étant, de plus, rancunier. Mais je savais qu’il connaissait le Cambodge pour y avoir séjourné, je ne sais plus trop à quelle occasion, et j’avais donc bon espoir de l’entendre me narrer son expédition, espérant même quelques révélations. Jade devint alors notre principal sujet de conversation.


Bien que je ne sache pas grand chose d’elle, la façon dont je lui parlais marquait mon trouble et mon émoi. Sans agacer le vieil homme, pourtant coriace, il s’est alors lui-même mis à me raconter ses longs et nombreux séjours dans ce pays, m’en décrivant les paysages, les hommes et surtout les femmes. Et, tout en évoquant les femmes cambodgiennes, son œil bleu, généralement froid et distant, se mit à briller d’étincelles que je ne lui avais jamais connues.

Ainsi, je découvrais là une facette cachée de cet homme qu’en secret je vénérais, et m’apercevais que, sous son cuir rustre et son torse bombé, se trouvait un cœur tendre.


Très vite, il passa de l’évocation des rizières à celle de la brousse, puis à celle de la «brousse» pubienne de quelques jolis spécimens rencontrés lors de ses séjours là-bas et qui, selon la coutume locale, mettaient en relief leur intimité en l’épilant avec le plus grand soin. Avec un regard perdu dans le vague de ses souvenirs, il me parlait des temples abandonnés qu’il avait pu visiter, pour enchaîner rapidement sur d’autres lieux sacrés, voués aux dieux de l’amour, évoquant au passage ces vallées cachées, encore plus intimes.


Jamais, au grand jamais il n’avait osé de telles confidences. Il parlait avec ferveur et émotion des courbes des ventres, des chutes de reins, des seins en pomme aux petits tétons violets et pointus. Il se remémorait ses instants de plaisir et de félicité dans les bras chauds et alanguis des jeunes Cambodgiennes. Au fur et à mesure qu’il réveillait ses souvenirs, je reportais moi-même sur Jade ces vivantes images qu’il me décrivait, ce qui avait pour effet de tendre mon pantalon. Heureusement que j’étais assis !


Mais, en homme du monde habitué à côtoyer et entretenir le secret, à aucun moment de ses confidences sur ses amours au Cambodge il n’avait évoqué un nom particulier, un souvenir précis. Non, il était resté dans les généralités, dans le vague, dans le flou, entretenant son aura d’homme mystérieux, d’aventurier.

Tout ébaubi par ses confidences égrenées d’une voix chaude et tremblotante, et sous le charme des images évoquées, je suis reparti de mon dîner émoustillé, avec une seule hâte, celle d’être rapidement blotti dans le giron de Jade et d’entamer dans ses bras ma propre initiation aux délices de l’Extrême Orient.


D’ailleurs, la nuit qui suivit notre dîner fut peuplée de filles magnifiques qui déambulaient nues dans la jungle, les seins ballottant légèrement, le ventre plat couvert d’une toison noire laissant apparaître une intimité épilée à la mode du pays. Leurs lèvres aubergine s’ouvraient sur un intérieur rosâtre, presque diaphane, suintant de plaisir. J’y perdais ma langue, mes doigts, me laissais asperger de leur plaisir, m’en douchais. Chaque fois que je levais la tête, toutes avaient le minois de Jade qui me souriait.

Le lendemain soir venu, je hâtai le pas en direction du Fouquet’s où la belle, la sublime Jade m’attendait.


Elle était bien là, assise dans son coin, feuilletant une de ces revues qu’elle semblait apprécier. Elle était belle. D’elle semblait irradier un calme et un bonheur étrangement contagieux. Son port était si majestueux qu’on aurait dit une impératrice au moment de son couronnement !

À peine avais-je mis le pied au Fouquet’s qu’elle me fit un léger signe - comme si je ne l’avais pas vue ! – pour me signaler sa présence en m’adressant un large sourire.

La soirée s’annonçait sous les meilleurs auspices.


Le gazouillis de Jade charmait mes oreilles et je ne cessais, durant tout le temps où nous fûmes ensemble, de l’imaginer nue. La chose n’était guère difficile. Habillée très court, elle avait croisé haut les jambes et je pouvais admirer ses cuisses, naturellement dorées. Je n’avais qu’un regret, sa poitrine si menue, juste soulignée par un léger soutien-gorge dont j’apercevais, par transparence, les broderies. En dehors de cette « petite imperfection », son corps ne cessait de m’électriser.

Après bien des circonvolutions et des tergiversations, j’avais réussi à poser ma main sur son bras, puis son poignet et je m’étais emparé de sa main. Sa peau était chaude, souple, élastique, sensuelle. Ses doigts fins, aux ongles longs magnifiquement entretenus, venaient de temps à autre gratouiller ma paume et me lancer à travers le corps de longues décharges érotiques.


Après un rapide mais raffiné repas, je lui proposai de venir prendre un dernier verre chez moi. Je savais que, là, j’aurais toutes les chances de conclure avec elle. Avec un grand sourire, elle pencha sa tête vers mes lèvres et, en guise d’acceptation, m’embrassa longuement.

Surpris par cette manœuvre, je lui répondis en la serrant un peu plus contre moi. Contre mon corps, je sentais sa chaleur animale et elle devait sentir, au niveau de son ventre, mes envies… d’elle.


Durant tout le trajet en taxi, nous nous sommes tenus la main, sagement, sans cesser de nous regarder, de nous observer. L’un et l’autre, nous n’avions qu’une hâte : être à nouveau enlacés, et cette perspective m’offrit l’une de mes plus belle érections.


À peine la porte palière refermée, sans avoir le temps de faire les honneurs du propriétaire, nous étions de nouveau enlacés, bouche contre bouche. Mes mains étaient parties, instinctivement, en exploration de son corps. Elles caressaient, empaumaient, fouillaient Jade qui ne cessait de se trémousser, d’ahaner, de soupirer à ces indiscrets attouchements. Sous mes doigts, je devinai sa peau, son intimité chaude et mouillée, nue, comme me l’avait si bien décrite oncle Jacques.

Mon sexe, prisonnier de mon pantalon, était de plus en plus raide et Jade ne pouvait qu’en sentir la barre dure. D’ailleurs, elle-même, d’une main papillonnante, s’enhardissait et l’excitait par de terribles effleurements qui me mettaient la tête en feu et le ventre à la limite de la souffrance. Ses doigts agiles eurent vite fait de le sortir de son écrin et, tandis que je tentais d’explorer sa raie fessière, Jade échappa à mon indiscrète intrusion pour glisser le long de mon torse et porter sa bouche à hauteur de mon sexe, tête rougeaude et brillante, largement excitée.


D’une lèvre gourmande, d’une bouche goulue, elle l’avala, l’excita, le titilla, elle m’aspira et m’absorba le plus loin possible.

Je tentai bien de résister, mais ce fut en vain. L’excitation était trop grande, les images et la peau de Jade trop provocantes pour que je résiste longtemps à ce manège, et j’explosai dans le fond de sa gorge. Elle m’avala tout entier et continua à me retenir entre ses lèvres, jouant de sa langue à prolonger mon plaisir jusqu’à ce que je sois redevenu dur.


Derechef prêt à servir, je m’essayai à lutiner son sexe. Lieu magique où son intimité dégagée laissait paraître deux lèvres brunes, suintantes de plaisir. Mes doigts trouvèrent l’entrée de sa porte secrète et s’exercèrent à échauffer son minuscule clitoris, mais Jade semblait apparemment préférer que je la pénètre de mon sexe. Jambes ouvertes, largement écartées, elle m’a attiré en elle, et le mouvement de son bassin, les contractions de ses muscles intimes, la moiteur de sa peau, le sucré de sa sueur, ses petits cris ont eu rapidement raison de moi et de ma fougue. En l’espace de quelques minutes, je ne pouvais plus me retenir et m’épanchai largement en elle, puisant dans mes réserves très personnelles et les épuisant pour l’instant.


Je me suis senti vidé et bête. De cette union, je m’étais fait une vraie fête et elle tournait court, me laissant un arrière-goût de bâclé, de gâché. Alors, je me suis promis de recommencer le lendemain jusqu’à parfait unisson entre nos corps.


Le lendemain soir, c’était chez elle que nous abritions nos ébats. Un cinquième étage sans ascenseur, à gravir sur la pointe des pieds pour ne pas alerter les voisins et surtout la voisine, vieille dame qui ne cessait d’épier tout ce qui entrait ou sortait de chez Jade, et qui la couvait d’un air maternel et un peu jaloux.

L’appartement était petit, simple, presque monacal. Frustré encore de la veille, je voulais mieux explorer son corps, lui donner du plaisir avant qu’elle ne m’en donne et que nous partagions ensuite notre jouissance.


À peine entré, je pris donc les initiatives et enfouis directement ma tête sous sa jupette, arrachant avec mes dents, tel un sauvage, le mince filet de soie qui lui servait de string.

Des lèvres et de la langue, j’accédai à son intimité qui s’ouvrit largement sous mes sollicitations, obligeant Jade à s’allonger, à remonter ses genoux et s’ouvrir le plus largement possible pour me laisser accéder à son sexe.

Léchée, sucée, suçotée, elle me tenait la tête pour tenter de me faire remonter à elle, mais je résistais, respirant à pleins poumons ses odeurs les plus intimes et les plus enivrantes. Aspirée, pénétrée par ma langue et mes doigts, elle finit par émettre de longs gémissements de plaisir qui trempèrent ma bouche, mes lèvres et même mon menton.


En échange de ce long moment de plaisir, elle m’offrit une chevauchée fantastique et inoubliable. Campée au-dessus de moi, elle avait enfourné mon sexe au plus profond et, sans bouger un seul muscle extérieur, elle massait ma hampe, me menant ainsi, mieux que par une série de va-et-vient, à un plaisir sans cesse repoussé par le rythme des muscles de son ventre et ses lèvres intimes. L’explosion de mon plaisir conjugué au sien me laissa pantois et hors d’haleine, tout esbaudi et à la limite de l’inconscience durant de longues, très longues minutes.


Au fur et à mesure de nos rencontres, qui avaient pris une cadence régulière et quotidienne, Jade se laissait de plus en plus conduire vers son propre plaisir. Nos jeux de mains, de langues, nos corps à corps se prolongeaient toujours plus et nous en sortions épuisés mais heureux.

Seule légère ombre à nos ébats, Jade me refusait d’office tout accès à son petit trou, conservant toujours ce surprenant état de conscience qui m’obligeait à abandonner, pour l’instant en tout cas, l’idée d’aller y fourrer ma langue, mes doigts ou mon sexe. Elle m’avait obligeamment expliqué qu’aucun de ses amants n’avait été autorisé à investir ce lieu.

Aucun de ses amants ? Diantre ! Certes je n’étais pas né de la dernière pluie et avais compris que Jade était une jeune femme libérée, ayant certainement connu d’autres hommes (mais combien ?) et bien entendu, j’étais parfaitement conscient de ne pas être son premier amant. Mais très vite j’oubliai et effaçai cette petite phrase de ma tête, préférant imaginer que pour l’instant j’étais le seul en course… et heureux de l’être.


Ainsi, au fil des jours et surtout des soirées et des nuits, notre relation s’établissait sur des bases de plus en plus stables, tantôt chez moi, tantôt chez elle. Nous aimions aussi nous retrouver pour jouer à la dînette avant de passer à des jeux plus osés qui nous amenaient jusqu’au matin. Ces matins où j’aimais me réveiller à ses côtés car, au bout de quelques joutes, il nous avait paru préférable de dormir blottis l’un contre l’autre plutôt que de devoir interrompre notre nuit pour rentrer chacun chez soi.


N’ayant jamais eu à connaître ce genre d’aventure qui permettait de se réveiller aux côtés de l’être cher, de contempler son corps totalement abandonné, lascivement pelotonné dans les bras, surveillant son souffle, régulier, admirant la courbe de sa nuque, le léger rebondi d’un petit sein, terminé par un petit téton brun foncé ou le creusement d’un ventre sous l’effet d’une respiration enfin reposée, qui faisait bomber un pubis orné de sa touffe échevelée et encore poisseuse des ébats de la nuit… Que c’était beau de voir Jade ainsi endormie. Je ne me serais jamais lassé de ce féerique spectacle.


Certains jours c’est elle qui me contemplait, et elle me surprenait en me réveillant par de doux et voluptueux baisers qui tendaient mon corps de désir et me mettaient en appétit pour toute la journée. C’est ainsi qu’au travers de mes paupières mi-closes, dans un rayon du soleil printanier naissant, elle me murmura, la première, un « Je t’aime… » qui me laissa dans un état proche du nirvana pour le reste de la semaine.

Une semaine qui, pourtant, s’annonçait morose, car, en cette fin de mois de mars, mon père venait de m’annoncer sa visite.



Cela faisait donc près de trois jours maintenant que je n’avais pas pu voir Jade. D’un côté cette absence m’arrangeait bien. Depuis trois jours mon père avait débarqué à Paris, presque sans crier gare, et il squattait chez moi - enfin, pour plus d’honnêteté, chez lui, puisqu’il me logeait gracieusement dans son appartement de Paris.


Il était là pour affaires, c’est-à-dire qu’il avait surtout décidé de m’entraîner à sa suite à ses différents rendez-vous, car il avait bon espoir que je prenne rapidement sa succession à la tête de l’entreprise familiale. Enfin, au bout du troisième soir, il m’annonça que j’avais quartier libre car il avait un rendez-vous auquel il ne souhaitait pas m’emmener.

Heureux, et sans me poser de questions, je sautai sur le téléphone pour tenter de joindre Jade et lui proposer de nous voir, de passer une de ces fabuleuses nuits. Malheureusement, impossible de la joindre.


Contre toute attente, je sautai dans un taxi et me fis conduire chez elle.

Avec impatience, je grimpai au cinquième étage, sans ascenseur, et toquai longuement à sa porte, sans obtenir de réponse. Alors que, d’humeur chagrine, je m’apprêtais à redescendre, sa voisine, que j’avais déjà rencontrée plusieurs fois dans l’escalier ou sur le palier, sortit sa poubelle.

Heureusement, Jade, jamais en veine de confidences pour la vieille dame, lui avait dit où elle se rendait. Ce soir, elle avait un rendez-vous chez Maxim’s ! Sans réfléchir, je hélai un taxi pour me faire conduire au célèbre restaurant de la rue Royale.


Pourquoi n’ai-je pas seulement pris la peine de réfléchir ? Pourquoi avoir été aussi impulsif ?


J’avais à peine débarqué du taxi que je me précipitai dans le sas d’entrée, déposai mon imperméable au vestiaire et m’apprêtai à rejoindre le bar d’où je pourrais peut-être apercevoir Jade. Je me figeai sur place !

À dix mètres de moi, Jade était là !

Je la voyais de profil. Je pouvais voir son nez mutin légèrement retroussé, et sa bouche fine et gourmande en train d’embrasser son vis-à-vis, au-dessus d’un seau à champagne.

Elle lui tenait la main gauche, tandis que la droite jouait avec un lourd collier de perles. Sur la nappe immaculée, un écrin rouge qui attirait immanquablement mon regard.


Que Jade entretint des relations amoureuses avec d’autres hommes que moi ne me gênait pas trop. Enfin, j’étais jaloux, mais conscient de mes limites, surtout financières. En revanche, ce qui me sidérait, c’est que l’homme qu’elle embrassait à pleine bouche était nettement plus âgé qu’elle et que ce n’était pas n’importe quel homme.


Non, c’était… mon père !


Bousculé gentiment par le personnel de service, je restais pétrifié. Un maître d’hôtel vint vers moi pour m’inviter à rejoindre une table ou le bar et s’enquérir de mes désirs. Il me fallut de longues secondes pour comprendre ce qu’il voulait. Alors qu’il me poussait délicatement hors du passage, j’avais l’impression qu’un bloc de béton me tenait cloué au sol. Je décidai, avant qu’il ne soit trop tard, de disparaître. Malheureusement, debout au milieu de toutes ces tables et malgré le va-et-vient du service, j’attirais à coup sûr l’attention, d’autant que l’abondance de miroirs qui servaient de décor à la salle du restaurant permettait de tout surveiller.

Voilà comment Jade m’a repéré.


Instinctivement, elle s’est retournée en m’adressant une mimique interrogative. Avait-elle peur d’un scandale ? Il est certain qu’elle était aussi surprise que moi de me trouver là, planté au-milieu de l’entrée de chez Maxim’s, et qu’elle ne s’attendait évidemment pas à me voir la surprendre en train d’embrasser un autre homme. Son insistance à me fixer attira évidemment le regard de mon père qui, au même moment, levait sa coupe de champagne et faillit la laisser tomber de surprise.

Lui non plus ne s’attendait certainement pas à me voir là, le surprenant en pleine embrassade avec une jeune Cambodgienne à qui il venait d’offrir un ravissant et très coûteux collier de perles naturelles.


Jade fut la première à réagir. Dans un grand sourire, elle fit un petit signe de la main pour m’appeler à ses côtés et se pencha vers mon père pour lui murmurer quelques mots. Tout en me dirigeant vers leur table, à pas lents et comptés, je ne cessais de le fixer du regard.

Jade ne se doutait de rien. Elle me tendit ses joues pour que je l’embrasse comme une bonne camarade. Distraitement, du bout des lèvres, je déposai sur la peau de pêche de ses deux joues un très léger baiser, sans pour autant quitter du regard mon père qui restait figé et silencieux. Jade entreprit de me présenter à son compagnon de table alors que nous nous toisions toujours du regard.



Le ciel aurait pu lui tomber à cet instant sur la tête qu’elle n’aurait pas été plus surprise, plus figée. Elle semblait encore plus consternée que moi par cette situation et ses yeux allaient de l’un vers l’autre, sans comprendre.

Avec un empressement et un zèle intempestif, un maître d’hôtel s’approcha de nous pour proposer d’ajouter un couvert. Avec rapidité, sans un mot, j’en profitai pour battre en retraite et fuis sans demander mon reste ni la moindre explication.


Dehors, la fraîcheur de la nuit parisienne me permit de reprendre mes esprits, sans pour autant clarifier les idées qui s’embrouillaient dans ma tête et sans apaiser l’immense colère qui montait en moi et me faisait un mal de chien, jusque dans la gorge. Tout se bousculait en moi : Jade, mon père, moi. Le couple qu’ils formaient, le couple que nous formions, mes rapports avec mon père…

Groggy, sonné comme un boxeur qui vient d’encaisser un violent uppercut, j’errais lamentablement à travers les rues de Paris sans arriver à me décider à reprendre le chemin de l’appartement pour y affronter mon père. J’entrai dans un bar, dans un second puis dans un troisième. J’avais la tête de plus en plus lourde, l’esprit de moins en moins clair et de plus en plus embrouillé par les vapeurs d’alcool. Et plus la soirée avançait, plus j’ingurgitais d’alcool, plus Jade devenait une « véritable salope » et mon père « un salopard d’enfoiré de sa race »…


Titubant, les idées méchantes et embrouillées, la tête lourde d’alcool, trébuchant sur les marches en me tenant fermement à la rampe, j’arrivai à rejoindre l’appartement.

Là, au milieu du salon, droit comme un « i », un verre de whisky à la main, en robe de chambre, mon père m’attendait calmement, avec ce flegme légendaire que je lui connaissais et qui m’avait toujours impressionné.


Mon père fait partie de cette catégorie d’hommes qui n’a nullement besoin d’élever la voix pour savoir se faire obéir ou respecter de sa progéniture ou de son entourage. De sa personne émane une autorité naturelle et d’un simple regard il vous remet dans le droit chemin. Rares ont été les fois où nous nous sommes affrontés et, chaque fois que je tentais de m’opposer à lui, à sa volonté, il argumentait pour finir par me persuader que lui seul avait raison, et cela suffisait à me faire plier.

Homme d’expérience, chef d’entreprise à la réussite éclatante, il avait toujours représenté la droiture, le sens de l’honneur et surtout celui de la famille. Pour tous ses enfants, pour son entourage, pour ses collaborateurs, c’était une sorte d’exemple à suivre et à imiter. Travailleur acharné, c’était aussi un homme de goût ouvert à la culture, à toutes les cultures, et qui avait su nous inculquer la notion de curiosité et d’ouverture d’esprit et de tolérance.


Pourtant, ce soir-là, la tolérance et l’ouverture d’esprit me semblaient particulièrement éloignées de mes préoccupations du moment. L’image idéale du « pater familias » venait d’un seul coup de se lézarder méchamment, et l’image idyllique que je m’en faisais avait volé en éclat dans la grande salle de chez Maxim’s.


Pourtant il n’y eut ni drame ni reproche de sa part. Au contraire, au contact de ce calme et de cette sérénité dans ce moment si délicat, j’en oubliai même mes acrimonies et mes ressentiments envers lui et son attitude pourtant si choquante.

Constatant mon état d’ébriété, sans un mot de réprobation, il me poussa sous la douche froide. Pendant que je me séchais, il me prépara un café fort puis m’installa en face de lui, dans un des moelleux fauteuils de cuir du salon, avant d’entamer un long monologue.


De ses remarques, de son discours, il ne me reste que quelques vagues souvenirs.

D’abord, il m’a expliqué qu’il avait rencontré Jade trois ans auparavant, lors d’un congrès professionnel où elle servait d’interprète. Il avait eu le coup de foudre pour son sourire, son visage puis son corps. Depuis, tous les mois, sous prétexte d’affaires, il montait à Paris et la rencontrait en secret. De temps en temps, lors de voyages d’affaires à l’étranger, il l’emmenait avec lui.

À la maison, bien sûr, rien n’avait transpiré, personne ne s’était rendu compte de rien. Mon père était la prudence même. Ma mère n’était pas au courant et il valait mieux… Quant à mes frères et sœur, il les considérait comme étant beaucoup trop jeunes pour être mêlés à de telles affaires. Même oncle Jacques ne savait rien.

C’était jusqu’alors un secret particulièrement bien gardé et mon père était en train de m’expliquer que j’étais le seul à le connaître et à le partager avec lui. Eh oui, il savait aussi pour Jade et pour moi, mais il eut le bon goût ou la discrétion de ne faire aucun commentaire à notre sujet.


Après un long moment de silence, gêné, il me félicita pour mon bon goût, avec sa façon si particulière de faire de l’humour.

Il ne fallait pas être sorti des grandes écoles pour comprendre combien cette situation était embarrassante pour lui. Non seulement c’était désobligeant pour lui de s’être fait pincer en compagnie de sa maîtresse, mais en plus il se rendait parfaitement compte de l’incongruité de la situation : il devait se rendre à l’évidence, il partageait sa maîtresse avec son fils.

Même si ce genre de situation peut s’avérer relativement courant dans la société, pour mon père, elle était non seulement inédite mais inconvenante.


Pour moi aussi, cette situation était indécente, peut-être même plus pour moi que pour lui.

Partager sa maîtresse avec son père n’était pas chose facile à admettre. Pour ma part, je me voyais mal continuer à vivre une telle situation.

Tous les deux, nous savions qu’il allait falloir trancher dans le vif et que, quelle que soit la solution adoptée, elle ferait des victimes et laisserait des cicatrices.


Oui, il lui fallait prendre une décision. Cependant, considérant l’état de décrépitude dans lequel je me trouvais, j’étais dans l’impossibilité de prendre une quelconque décision.

Alors, sur ses conseils avisés, je suis allé me coucher.


Dire que je n’ai pas réellement dormi ne devrait pas vous étonner. Dans les quelques moments de mon lourd sommeil, mes cauchemars étaient remplis de Jade marchant, nue, au bras de mon père, tandis qu’il me tenait loin de lui à bout de bras pour éviter les coups de pieds que je tentais de lui lancer en souriant.


Au matin, le tête-à-tête du petit déjeuner fut encore plus pénible.

D’abord lourd de silence et de regards pleins de sous-entendus, jusqu’à ce que mon père prenne enfin la parole. Sur un ton sentencieux, avec son esprit analytique et rationnel qui avait repris le dessus, il reprit son rôle de père de famille, décideur et autoritaire.


Il m’annonça que j’embarquais le soir même pour une tournée professionnelle. Devant mon étonnement, il précisa qu’il venait de me nommer « directeur du développement international », poste encore inexistant dans l’entreprise puisque c’était jusqu’alors sa chasse gardée. Il m’expédiait, durant quelques semaines, visiter clients et fournisseurs répartis à travers la planète. Ainsi espérait-il m’occuper l’esprit, me faire oublier Jade et m’éliminer de son champ d’action.

En même temps, la précipitation de cette annonce lui permettait aussi d’éviter que je puisse revoir sa maîtresse dès qu’il aurait le dos tourné ou que j’aille me réfugier dans le giron maternel pour y noyer mon chagrin, ou pire, tout lui raconter.


Dans la vie, on n’est jamais trop prudent et gouverner, c’est prévoir !

Sur ses ordres, plus que ses conseils, je me rendis à un ultime rendez-vous afin de pouvoir faire mes adieux à Jade. Cela se passerait à midi, dans un restaurant. Il avait lui-même soigneusement choisi le lieu de rendez-vous, suffisamment peuplé et huppé pour éviter toutes effusions et tout drame d’adieux déchirants entre deux amants séparés de force… et par la force des choses.


À l’heure dite, j’entrai dans la salle où, déjà, Jade m’attendait sagement, le visage baissé, les yeux fixés sur l’assiette vide.

À mon arrivée, elle a levé vers moi sa figure si mignonne, m’adressant un pauvre sourire. Ses yeux, généralement rieurs, étaient cernés de fatigue et, malgré la profondeur noire de son regard, je pouvais clairement y lire de la détresse et de la tristesse. Nos premiers mots furent difficiles à formuler. D’ailleurs, que dire ? Que faire ? L’engueuler ? Crier ? Tempêter ? Pleurer ? À quoi cela aurait-il servi ? Les jeux semblaient bel et bien faits. Le hasard de la vie avait joué à l’apprenti sorcier et tous les deux, nous nous y étions brûlés nos jeunes ailes.


Je tentai bien de mettre la main sur la sienne pour la réconforter, mais elle la retira d’abord rapidement. Pourtant après un peu d’insistance, elle en accepta le contact. En jeune femme asiatique, ayant appris à se soumettre aux caprices de la vie et des hommes, elle semblait accepter cette situation avec résignation.

Le repas fut vite expédié car je n’avais nullement l’intention de me soumettre totalement à mon père et à ses diktats.

Je proposai alors à Jade de rejoindre une chambre d’hôtel de l’autre côté de la rue, pour qu’une fois encore, une dernière fois si c’était là son souhait et celui de mon paternel, nous puissions jouir de nos corps. Je l’ai sentie réticente et tiraillée par un douloureux combat intérieur. Elle aussi avait envie de faire l’amour - elle avait toujours envie de faire l’amour - mais en même temps elle devait se demander si elle en avait le droit.


Nous nous sommes retrouvés enlacés dans une chambre minable aux volets à moitié clos, assombrie par de lourdes tentures fanées et poussiéreuses. Dans la pénombre de cette chambre impersonnelle, blottie sur mon épaule, elle s’est mise à pleurer en me demandant pardon. Comme si tout cela était de sa faute !

Collé à elle, je sentais à la fois la chaleur de son corps et les hoquets de ses sanglots qui roulaient sur mon épaule.

Ce corps que j’aimais, que j’avais appris à connaître et à aimer, où j’aimais perdre ma bouche, ma langue, mes doigts, ce corps était en train de m’échapper. À cet instant précis, ma vie semblait ne plus avoir de sens, ni valoir la peine de continuer. Mais il fallait aussi que je montre à Jade que j’étais capable d’être fort. Bien sûr, moi aussi j’étais au bord des larmes. Et l’odeur de ses cheveux, la souplesse de son corps contre moi, la raideur qui commençait à faire une bosse dans mon pantalon, tout me faisait comprendre qu’il me fallait l’aimer au moins une dernière fois, si dernière fois il devait y avoir.


Alors, tendrement, avec douceur, nous nous sommes embrassés, nous nous sommes touchés, nous nous sommes étreints.

Elle m’a laissé promener longuement mes lèvres sur tout son corps, explorer ses replis les plus intimes, y compris ceux de son petit trou, où j’ai pu me délecter de ses odeurs fauves et goûter les premiers sucs qui en exsudaient.

Dans un dernier élan d’amour - geste inoubliable pour l’amant interdit que je devenais - elle m’a offert cette virginité. Avec une tendresse immense j’en ai assoupli les bords, déclenchant cris et gémissements, suintements et jets de plaisir. Au moyen de ma langue, puis de mes doigts, je l’ai pénétrée, avant qu’elle ne m’y guide de sa main tremblante aux doigts si fins. Ainsi participait-elle volontairement à cet accouplement que jusqu’alors elle avait refusé à tous ses amants, y compris mon père.


Et l’idée de cette victoire sur lui, alors que j’étais enserré dans ce fourreau étroit et glissant de plaisir, a fait que je n’ai pu retenir très longtemps ma jouissance. Jade semblait heureuse. Durant quelques minutes j’ai même cru qu’elle avait oublié notre situation, que rien n’avait existé, que nous avions vécu un simple cauchemar, un mauvais rêve.

Mais non. Malheureusement, la réalité était bien là. Il me fallait la quitter, peut-être à tout jamais. L’abandonner là, à Paris, aux bras de mon père… L’insurmontable sentiment de haine qui montait en moi risquait de me faire devenir violent, et Jade comprit qu’il fallait abréger nos adieux.


À la dernière minute, alors que j’embarquais dans un taxi pour prendre l’avion, Jade, après m’avoir longuement embrassé, m’annonça dans un souffle qu’elle savait que mon périple passerait par le Cambodge et elle me confia une lettre pour sa mère. Elle me fit promettre d’aller la voir pour la lui remettre en mains propres. Avec quelques sanglots dans la voix, j’ai promis, avant que le taxi ne démarre en trombe, laissant sur le bord du trottoir Jade, son chagrin, ses amours avec mon père… et ses contradictions.


Au bout d’un long périple, l’un des derniers pays que mon père avait inscrit dans mes visites était bien le Cambodge, comme Jade me l’avait annoncé en me remettant la lettre pour sa mère. Une mère qu’elle n’avait pas revu depuis longtemps. Cette lettre était aussi mon seul lien « physique » avec Jade et elle ne m’avait pas quitté un instant. À tout moment, je portais les doigts sur le bord de l’enveloppe et, en sentant le contact du papier, j’avais l’impression de toucher un peu Jade. Son souvenir, loin de s’estomper, devenait au contraire encore plus vivace.

Selon la promesse que je lui avais faite avant de partir, je ne lui avais ni écrit, ni téléphoné. Ce n’est pas que l’envie m’en ait manqué ! Mais une promesse doit rester une promesse, même si elle vous coûte cher.


En me forçant à m’éloigner, mon père avait eu malheureusement raison : il m’avait permis de réfléchir, mais pas comme il l’avait souhaité ni envisagé. Après ces quelques semaines d’une solitude forcée, j’étais bien décidé, en rentrant à Paris, à avoir une vraie conversation avec lui, d’homme à homme. Je voulais lui dire que je ne pouvais pas me passer de Jade… et tant pis pour lui !

Moi, ma vie était à faire, la sienne était faite, sans compter qu’il y avait aussi ma mère ainsi que mes frères et sœurs.

J’étais aussi décidé à lui mettre le marché en main : il se devait de m’abandonner Jade, de m’embaucher définitivement - avec un excellent salaire – et de me laisser l’appartement de Paris. En échange de quoi, bien sûr, je ne disais rien de son aventure extraconjugale.

Autrement… je ne savais toujours pas comment me débrouiller avec la suite de cette menace…


Autrement… quoi ?… Voilà à quoi bon nombre de mes soirées de célibataire forcé avaient été consacrées durant ce laps de temps.

Autrement… J’avais bien pensé à différentes menaces, dont celle de révéler ce lourd secret à ma mère. Cette solution, souvent évoquée, aurait eu comme conséquence immédiate de briser son ménage, de lui causer du chagrin et, surtout, de me rendre odieux vis-à-vis d’elle. Ça, je ne pouvais m’y résoudre.

D’autres idées étaient aussi venues m’effleurer l’esprit. Par exemple, une rupture avec le cercle familial… Mais j’en avais vite rejeté l’idée, par peur de perdre Jade qui m’avait semblé si attachée à cette notion de cercle familial.


Et pourtant, je ne me voyais franchement pas introduire officiellement Jade dans ma famille. Comment pourrait-elle considérer mon père – son ex-amant – avec les yeux d’une « bru » ? Et comment devrait-elle se comporter avec ma mère, sorte de « rivale » ?

Et moi ? Comment n’aurais-je pas eu de doute quant à sa fidélité ou à celle de mon père ? Oseraient-ils continuer à se fréquenter, à faire l’amour ? Comment affronter le regard de mon père, même une fois mariés ? Un regard où je pourrais lire cette petite lumière coquine, chaque fois que je le verrais et qu’il me trouverait les traits tirés ? Je pourrais y lire une forme de connivence, inacceptable à la longue…


Et plus je tournais dans ma petite cervelle toutes ces données, plus la situation me semblait inextricable. Pourtant, un fait était certain : j’aimais Jade, et la perspective de la perdre, de ne plus jamais la voir, de faire une croix sur notre aventure me rendait fou de douleur. Dans ces moments-là, loin d’elle, loin de Paris et de mon père, je le haïssais !

Débat cornélien s’il en fût !


C’est dans cet état d’esprit que je débarquai à Phnom Penh, terme de mon voyage forcé, à la fois heureux de savoir que c’était là ma dernière étape avant de rentrer, et inquiet à la perspective de ce retour et de cette situation que j’allais devoir affronter réellement.


À peine débarqué à Phnom-Penh, j’expédiai rapidement mes premiers rendez-vous pour profiter de la fin d’après-midi chaude et harassante et rendre visite à la mère de Jade afin de lui remettre la lettre qui m’avait été confiée.


J’étais assis sur un vieux siège démantibulé, dans un rickshaw tiré par un vélo poussif dont la chaîne grinçait, et qui se frayait un passage à travers une foule grouillante prenant la chaussée pour un trottoir ; il nous fallut traverser à peu près toute la ville et nous enfoncer dans les ruelles sombres, au milieu de taudis et d’enfants dépenaillés à la figure d’ange, qui me suivaient d’un regard inquisiteur. Le rickshaw s’immobilisa enfin dans un grand grincement de freins, juste devant une maison à un étage, peinte en blanc, aux portes basses et aux volets rouge cramoisi.


J’arrivais à l’heure où les enfants rentraient de l’école par petits groupes volubiles, et dont les ensembles blanc et bleu marine contrastaient avec le fatras et les tas d’immondices.

Évitant de m’enfoncer dans le bourbier de la voirie, je sautai sur le seuil de la maison. En me pliant en deux, j’entrai dans la masure et traversai une sorte de corridor sombre pour déboucher au milieu d’un patio où poules et coqs s’ébattaient en toute liberté.


Assise dans une nacelle de bambou, une vieille femme fumait une longue pipe. Elle avait mis sa main en visière à mon approche pour mieux me distinguer et, le tuyau coincé dans sa lippe sans dents, elle ameuta la maisonnée. Sur le pas d’une autre porte se tenait une jeune et jolie Cambodgienne, copie conforme de Jade, mains jointes, buste incliné ; elle me souhaita la bienvenue dans un anglais approximatif et m’invita à entrer dans la pièce.

Me pliant aux coutumes locales, j’ôtai mes chaussures et la suivis.


Nous ne pouvions communiquer qu’au moyen d’un anglais approximatif, mêlé à quelques mots de français. Oui, c’était la petite sœur de Jade. Elle était heureuse de faire ma connaissance et battit des mains en dansant sur place quand je sortis l’enveloppe de ma poche pour lui demander de la remettre à sa mère. Rapidement, elle disparut, me laissant seul quelques instants dans la pièce qui devait servir à toute la famille pour vivre.


Au mur pendaient diverses hardes et des bannières couvertes d’idéogrammes. Dans un coin, un petit autel tout doré, surmonté d’un Bouddha, était dédié aux ancêtres et à la famille. Devant la statue se consumaient des bâtons d’encens et des bougies. Quelques photos sépia ou en noir et blanc illustraient ces fameux ancêtres. Je m’approchai pour mieux regarder une photo qui représentait certainement Jade bébé ; derrière celle-ci se trouvait la photo d’un couple.


Avec délicatesse je m’emparai de la photo. Elle représentait une jeune Cambodgienne au bras d’un Blanc, un grand type en tenue camouflée de parachutiste, le béret crânement posé de travers sur la tête. En regardant mieux les traits de cet homme, je ne pouvais que reconnaître, sans me tromper, oncle Jacques !


La surprise ne me permit même pas d’entendre la sœur de Jade entrer dans la pièce, accompagnée de sa mère qui s’approchait de moi à pas menus.

Sans prendre la peine de saluer, en vrai mufle, je lui tendis la photo sous le nez en l’interrogeant :



Elle récupéra prestement la photo, fit sortir sa fille de la pièce, et m’invita à m’asseoir sur une natte. Son français semblait meilleur que l’anglais de sa fille, et c’est dans cette langue qu’elle me raconta une histoire que mes oreilles n’étaient pas prêtes à entendre ni à croire.


Cet homme, sur la photo, c’était le seul souvenir qui lui restait et qu’elle avait pu sauver de la folie meurtrière des Khmers Rouges.

Il était Français et avait travaillé à l’ambassade pour tenter de sauver le Roi. Oui, ils s’étaient aimés, et de cet amour était née une enfant, Jade, qui ne connaissait pas son père. Non, il ne savait même pas qu’il avait une fille, ni qu’elle, sa mère, avait failli trépasser dans les camps de rééducation parce qu’elle était fille-mère d’une Eurasienne.

Heureusement, elle avait eu la vie sauve grâce à des relations et parce qu’elle n’était pas Cambodgienne mais Thaïlandaise. Sans être autorisée à quitter le pays, elle avait pu mener une vie miséreuse mais honorable.


Quand Jade eut atteint l’âge de cinq ans, elle avait réussi à la faire évader, lui trouvant refuge chez des cousins à Paris. Depuis, elle n’avait jamais revu sa fille chérie. De temps en temps elle recevait un courrier transmis de la main à la main, comme celui que je lui amenais aujourd’hui. Jamais elle ne donnait de nouvelles à sa fille.

Bien sûr, elle savait, elle, le nom du père ; il était d’ailleurs noté sur un paquet de lettres qu’elle donnerait plus tard à Jade ; jamais elle n’avait essayé d’entrer en contact avec lui, car ainsi allait la vie, pour elle.


Sur ma demande, elle partit à pas menus chercher ces lettres, me laissant seul à ruminer. Cet homme dont tout, la description, le travail, le moment du séjour, correspondait exactement avec mon oncle… cet homme serait-il vraiment mon oncle ? Et Jade… ma cousine ?

Abasourdi… J’étais soudain abasourdi par cette nouvelle et ses sombres perspectives.

Voilà qu’après avoir fortuitement découvert que Jade était la maîtresse de mon père, je me rendais compte que Jade pouvait aussi être ma cousine…


Et puis, soudain, la Vérité criante et hurlante m’a soudain sauté à la gorge… Si Jade était ma cousine, elle était aussi… la nièce de mon père… et ce saligaud avait donc couché avec… sa nièce !


Une effroyable chair de poule d’horreur me faisait dresser les cheveux sur ma tête, tant j’étais interloqué et abruti par cette énormité…

Comment cela serait-il possible ? Serais-je tombé amoureux de ma cousine ? En plus, j’avais couché avec elle ! Et mon père… avec sa nièce ! Et l’oncle Jacques qui n’était même pas au courant de l’existence d’une fille qui vivait à Paris… et qui était la maîtresse de son frère et de son neveu ! Comment lui dire ? Comment lui faire comprendre, lui expliquer…


Tout se bousculait dans ma pauvre tête…

Sous le coup de cette découverte, je tentai de remuer la tête pour en chasser les idées cauchemardesques qui m’assaillaient tandis que de longues larmes salées m’empêchaient de distinguer, debout devant moi, la mère de Jade ; elle sortait d’une pochette un paquet d’enveloppes, déliant avec un soin extrême les faveurs en velours rouge qui les tenaient serrées.

Elle me tendit le paquet de vieilles enveloppes au papier extrafin, des enveloppes « par avion », estampillées à Paris.


L’écriture, fine et serrée, correspondait à celle que je connaissais, celle de mon oncle, je n’avais aucun doute quant à son écriture. Pensez donc, j’avais tant et tant de fois guetté ses lettres quand j’étais adolescent, pour être le premier à récupérer les timbres, qu’aujourd’hui encore je pouvais distinguer son écriture entre mille autres.


Alors, je n’ai même pas pris la peine d’ouvrir les enveloppes pour lire sa prose. Il m’a seulement suffi de lire le nom de l’expéditeur.

Oui, c’était bien lui.

Malgré le temps, vingt-quatre ans, l’encre avait peu pâli et l’on distinguait encore très bien le nom et le prénom tracés d’une main ferme en lettres capitales.


Les doigts tremblants, les yeux piquants de larmes, je ne pouvais plus ni bouger ni respirer. J’étais tétanisé.

Mon trouble inquiéta la mère de Jade. Elle ne comprenait pas ce qui me chagrinait dans ces lettres. Au contraire, elle était calme, sereine et avenante. Pour me réconforter, elle me proposa un verre d’un alcool fort.

Après avoir avalé presque la moitié de la bouteille - il me fallait bien ça pour digérer cette nouvelle - je quittai rapidement la petite maison, sans mot dire.

Aurait-elle seulement pu comprendre ? Et puis, quel choc pour cette pauvre femme !

Alors je me suis contenté de la remercier pour son accueil et, comme un voleur, je me suis éclipsé dans la nuit tombante, à la recherche d’un rickshaw pour me ramener à l’hôtel.


Une fois à l’abri de ma chambre, le téléphone décroché, la porte fermée à clef, je me suis laissé tombé en travers du lit et, la tête lourde de l’alcool de riz, j’ai pleuré, pleuré toute la nuit, à gros sanglots, serrant très fort l’oreiller dans mes bras. J’ai pleuré de dépit, de rage, j’ai pleuré de colère. J’en voulais à la terre entière et à ma famille en particulier. J’en voulais au destin. J’en voulais à la vie !

Quelle saloperie, la vie, quand elle vous manigance un coup pareil ! Elle n’avait pas le droit, la vie, de me faire ça ! Non, ce n’était pas juste, elle n’était pas juste avec moi, la vie.


Le matin venu, la tête lourde, agité encore par toutes les pensées de la nuit et toujours sous le coup de l’émotion de ma stupéfiante découverte, j’annulai tous mes rendez-vous et trouvai une place pour rentrer le plus vite possible à Paris. Il fallait que je voie Jade ou mon père ou mon oncle. Il fallait que je voie quelqu’un, que je parle, que je m’épanche, ou alors j’allais devenir fou.


À Paris, je n’ai pas vu Jade.

J’ai vu mon père, mais je n’ai pas pu lui expliquer quoi que ce soit. D’abord parce qu’il m’a annoncé que son aventure avec Jade était terminée. Elle n’avait pas pu supporter de partager le père et le fils, ni voulu faire de choix et avait demandé sa mutation dans un autre service de l’UNESCO.

Voilà, elle était partie ! Il n’en savait pas plus et n’avait pas cherché à le savoir.

Mon père semblait suffisamment abattu et repentant pour ne pas avoir à subir une avanie supplémentaire. Alors je lui ai volontairement caché la filiation qui existait entre son frère et Jade.


Je n’ai pas eu le courage non plus d’affronter la réalité lors d’un nouveau tête-à-tête avec oncle Jacques. J’avais peur que l’annonce tardive de sa paternité lui soit fatale. Malgré sa vigueur et la solidité apparente de sa santé, son cœur était de plus en plus fragile.

Bien sûr, quand nous nous sommes vus, quand nous avons dîné ensemble pour fêter mon retour, il a tenté, avec l’obstination d’un vieillard têtu, d’orienter la conversation vers les merveilleuses Cambodgiennes… et Jade en particulier. J’ai dû faire un très gros effort sur moi-même pour éluder ses questions, mentir et finir par lui avouer seulement qu’avec Jade, c’était de l’histoire ancienne, passée, oubliée.

Certes, le brave homme a compati à mon chagrin, m’expliquant avec son esprit macho qu’à mon âge, une de perdue, dix de retrouvées… Mais moi, il me fallait surtout lutter pied à pied pour tenir ma langue, cacher le secret dont j’étais dorénavant le seul détenteur, et faire taire cette petite voix intérieure qui me rappelait aussi que, si j’avais perdu Jade c’était à cause de lui, l’oncle Jacques que j’admirais tant, et aussi à cause de mon père. Et cette petite voix me disait « Vas-y, venge-toi, dis-leur la vérité ! Mets-les en face de leurs responsabilités ! »


Eh bien, non. Je n’ai pas écouté la petite voix. Je l’ai étouffée, enfermée au fond de moi. Oui, j’ai tenu ma langue, et maintenant j’en tire une certaine fierté. Non, je n’ai pas parlé de cette paternité, ni avec mon père ni avec oncle Jacques. Peut-être qu’ils ne m’auraient pas cru, pensant l’un et l’autre que j’avais inventé cette sombre histoire de famille par simple esprit de vengeance.


Pourtant, je suis toujours amoureux de Jade.

Un amour que je sais impossible. Alors, c’est vrai, chaque fois que je vois maintenant une jolie paire de fesses ou un casque de cheveux noir corbeau cachant en partie un mignon minois asiatique, mon cœur s’arrête un instant de battre et mes pensées s’envolent vers Jade, l’inaccessible…