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Temps de lecture estimé : 19 mn
18/12/05
Résumé:  Premier amour
Critères:  h jeunes cousins vacances hotel amour revede init
Auteur : OlivierK            Envoi mini-message

Concours : Concours "Stupéfiants secrets"
La Lettre

Nous avons le même âge, cher ami. Ceux qui ne nous connaissent guère le disent parfois respectable… Vous savez donc ce qu’il en était, quand nous étions adolescents, et même quand nous avions dépassé l’adolescence. Faute de téléphone portable, et les téléphones ordinaires étant eux-mêmes fort rares, que faire d’autre qu’écrire, quand on était amoureux ? Amoureux, je l’étais. Follement, me semblait-il. Mais avec ce que l’on nommait "pureté". Les frères des écoles chrétiennes étaient passés par là, et j’avais été scout. J’étais amoureux d’une mienne cousine, fort lointaine par la parenté, mais combien proche par le sentiment !


Je la connaissais depuis notre petite enfance. Ses cheveux tirés en arrière en queue de cheval dégageaient un front têtu. Elle avait des yeux noisette, des bras et des jambes robustes. Elle courrait presque aussi vite que moi dans les ruelles de notre vieille ville. Ne me traitez pas de fat si je vous affirme qu’elle me regardait avec admiration. Nous étions des enfants, mais j’avais deux ans de plus qu’elle.


Le vert paradis ! Elle avait quinze ans quand je lui pris furtivement la main, une nuit, pendant la messe. C’était le soir de Noël, vous l’avez compris. Combien de temps avons-nous attendu, ensuite, avant de nous embrasser ? Des années, des siècles…


Mon père ayant été muté, les premiers temps je ne retrouvais Monique que certains dimanches, encore et toujours à la messe, qui était célébrée en latin, en ce temps-là. "Introïbo ad altare dei" clamait l’officiant. L’enfant de cœur répliquait, trop vite et bafouillant un peu : "Ad deum qui laetificat juventumem meam". À la fin, le prêtre apostrophait un ange, ou plutôt un archange : "Prince de la milice céleste…" J’ai longtemps trouvé cela poétique en diable.


Nous quittions les lieux saints juste à la fin de cette diatribe et nous allions nous promener dans le jardin public, de onze heures à midi. Mes parents, en effet, venaient rendre visite à leurs parents environ un dimanche sur deux, et je faisais naturellement partie du voyage. Après le repas familial et l’ennui de l’inutile après-midi, il fallait repartir, le cœur gros "de rancune et de désirs amers" comme dit notre cher Baudelaire.


Plus tard, la faculté de droit me mit enfin en contact avec de nombreuses filles de mon age. Mon père prétendait qu’en première année, nombre d’entre elles se contentaient de chercher un mari, et qu’il me fallait prendre garde. Avertissement inutile : J’étais amoureux ailleurs, je ne regardais personne.


Vous vous rappelez qu’il était puni par la loi, en ce temps-là, de faire de la propagande pour la contraception. On s’intéressait plus à l’Immaculée Conception ! L’Église ne s’opposait cependant pas à la méthode Ogino. Les magazines annonçaient de temps en temps, à grand renfort de titres en gros caractères, que la femme n’était féconde que quelques jours par mois. Il suffisait de s’abstenir au bon moment. Enfin, un peu plus, avant et après, parce que le cycle pouvait n’être pas totalement invariable. Existait aussi la méthode dite des températures… Faire l’amour dans ces conditions aurait relevé de l’exploit, du moins pour moi. Certes, il y avait les préservatifs, qu’il aurait fallu quémander, la honte au front, à des pharmaciens durs d’oreilles. Je n’en avais d’ailleurs nul besoin, puisque nous restions chastes, Monique et moi.


Cependant, nos promenades finies, j’avais mal d’avoir trop bandé. Au XIX ème siècle, on appelait ce symptôme "le mal des fiancés". Je vivais avec un siècle de retard, mais je n’étais pas le seul, n’est-ce pas ? Rappelez-vous qu’avant 1968, les garçons n’avaient pas le droit d’aller dans les étages réservés aux filles, dans les résidences universitaires.


Il m’est quand même arrivé, contre le mur d’un cimetière, de glisser mes mains sous le soutien-gorge de Monique. Elle avait de petits seins qui frémissaient sous mes paumes, tels des oisillons apeurés.


J’avais assisté de loin à leur éclosion, longtemps avant. Un jour, en effet, sa mère avait dit à ma grand-mère que Monique voulait ne porter que des chandails bien ajustés. "Qui moulent plus" avait-elle ajouté, avec un sourire un peu canaille. J’en avais été choqué. Je venais de lire Paul et Virginie, j’étais d’une pudeur de rosière.


Il ne faisait aucun doute que nous devions nous marier, quand j’aurais fini mes études et rempli mes obligations militaires, qui menaçaient d’être longues en raison de la guerre d’Algérie.


Les années passant, je continuais à ne rencontrer ma bien-aimée que certains dimanches, au cours desquels il ne se passait toujours rien, ou presque. Le changement le plus notable provenait du fait que nous nous retrouvions dans un bistrot et non plus dans une église. Monique venait de rentrer dans une école d’infirmières.


Elle ne s’opposait nullement à mes initiatives, pourtant. Simplement, je n’osais pas. Il me fallait la respecter, j’étais conditionné pour cela. La main qui avait si peu caressé une partie de son corps de vierge me soulageait ensuite, la nuit, dans mon lit. Je m’en suis confessé quelque temps, puis j’ai cessé. De me confesser.


Pendant les vacances, cependant, il nous était loisible de nous voir plus souvent. Je me rappelle qu’un jour nous avons cueilli des noisettes. Je portais un short, plutôt large, et un vieux slip sans élastique au niveau des cuisses. Autant dire que mes attributs virils jouissaient d’une liberté totale. Grimpé dans le noisetier, j’abaissai mon regard sur Monique, pour lui demander de me tendre les mains, dans lesquelles je souhaitais déposer ma provende. Monique, elle, regardait l’intérieur de mon short et semblait intéressée. Je suis resté comme un dadais. J’ai commencé à bander, je suis descendu de mon arbre. Elle m’a semblée déçue mais j’ai pensé que je ne pouvais que me tromper : Une pure jeune fille ne pouvait pas avoir de mauvaises pensées.


Tout au long de l’année, nous nous écrivions, une fois par semaine, le mercredi après-midi. Nous avions commencé quand elle était encore au Lycée, en troisième. Le jeudi elle recevait ma lettre. Et moi, je recevais la sienne. Cela a duré des années.


Il s’agissait, naturellement, même plus tard, de lettres très pudiques. Je lui parlais de mes lectures, de mon engagement dans le syndicalisme étudiant. Elle me parlait de ses amies, de ses professeurs, me demandait conseil : Que fallait-il qu’elle lise ? Quels films devait-elle voir ? Elle s’amusait parfois à me raconter que des garçons, généralement des frères de ses amies, lui faisaient la cour, comme elle disait. Le verbe "draguer" n’était alors pas à la mode. "Ils m’ont dit qu’ils me trouvaient jolie. Un tel a même essayé de m’embrasser…"


Elle fut invitée à un mariage, en qualité de fille d’honneur. Le garçon d’honneur se consacra uniquement à elle, avec une brève interruption, toutefois, quand il se glissa sous la table pour enlever la jarretière de la mariée, qui jouait les effarouchées, les deux mains enserrant ses cuisses pour protéger son nid d’amour. "Plus tard, les hommes ont chanté des grivoiseries. Le garçon d’honneur ne voulait danser qu’avec moi. Il a fallu que je finisse par lui dire que je t’aimais, et que je voulais être absolument fidèle…"


Il était en effet tout à fait évident qu’elle rejetait les avances qui lui étaient faites, et dont je souriais. Un jour, à la piscine municipale, deux ou trois garçons ont tenté de défaire le haut de son maillot de bain. Elle ne précisait pas qu’elle s’y était opposée avec la dernière énergie, mais cela allait de soi. Une autre fois, alors qu’elle descendait à la cave, deux garçons, assis sur les marches d’escalier, lui ont barré le passage. Elle était gênée car elle était en jupe, et il lui avait fallu enjamber les deux hurluberlus.


Vous avez publié dans le bulletin de notre petite société littéraire, voici quelques années, un article plein d’humour sur les incubes et les succubes, beaucoup moins actifs depuis que les mœurs sont devenues plus libres. Tout en respectant, et avec une telle obstination, celle que je considérais comme ma fiancée, il m’arrivait, la nuit, de penser par exemple à ce qui aurait pu se passer dans les escaliers de sa cave. Monique en jupe de laine, une cheville soudain emprisonnée par la main de l’un des garçons. L’autre cheville alors également immobilisée. Une main qui se glisse sous la jupe. Deux peut-être. J’imaginais alors le corps profané de la belle captive. Mais était-ce encore Monique, la victime de ces attouchements, ou un démon femelle ? Et n’étais-je pas un des deux garçons, ou un démon mâle ? Ma pauvre jouissance solitaire me laissait ensuite bien insatisfait. Oui, la jeune fille tant respectée, la vierge sage des Saintes Ècritures, je l’imaginais en proie aux attouchements lubriques des gamins de son quartier. L’enfer est en nous, nous ne le savons que trop.


Elle m’écrivit aussi qu’elle était allée, un matin, après une averse, à la recherche d’escargots, avec ses voisins et voisines. La pluie revenant, ils s’étaient tous abrités dans une grotte. Les garçons s’étaient amusés à faire courir les escargots sur leurs mollets et leurs cuisses. Ils étaient en shorts, certains même en maillots de bain, car il était question de se baigner, ensuite. Elle terminait sa lettre en disant que tout le monde avait bien rigolé. Elle avait la gentillesse d’ajouter, cependant, qu’elle avait regretté mon absence.


Les escargots auraient-ils également arpenté ses propres cuisses, si j’avais fait partie du groupe ? N’auraient-ils pas escaladé ses seins ? J’avais honte de ces pensées. Au moins aurait-il fallu que nous fussions seuls. Ou que les autres se contentassent de regarder, de loin.


Elle avait fini sa première année à l’école d’infirmières quand elle fut invitée par ma grand-mère à venir passer quelques jours avec nous. Quel bonheur ineffable fut le mien ! Nous avons ramassé des champignons. Nos mains se joignaient furtivement dans le panier qui se remplissait de lactaires et de mousserons. Nous allions à la pêche, aussi, dans un tout petit ruisseau qui abritait un grand nombre de vairons. Ma grand-mère ne voulait toucher ni aux asticots ni aux poissons qui frétillaient au bout de sa ligne. Monique non plus. Je passais mon temps à accrocher les asticots et à décrocher les poissons. Le corsage de Monique me laissait entrevoir, quand elle se penchait sur le seau dans lequel je jetais les captures, la partie supérieure de son soutien-gorge blanc. Je dissimulais tant bien que mal l’érection qui gonflait mon short. Le regard de Monique quittait parfois le seau des poissons pour mon visage un peu rouge, non sans une petite halte à mi-parcours. Elle avait alors un petit sourire dans lequel je décelais de divines promesses, que j’engrangeais pour plus tard.


Nous avons à quelques reprises failli brûler les étapes, pourtant. Monique couchait dans une chambre qui, naturellement, ne communiquait pas avec la mienne. Il y avait un couloir à traverser, et il fallait passer devant la chambre de ma grand-mère, qui laissait toujours sa porte entrouverte, et qui avait le sommeil léger. Un soir, pourtant, elle descendit au rez-de-chaussée, car une voisine frappait à la porte. J’étais déjà en pyjama. Monique vint dans ma chambre, en pyjama également. Elle voulait m’emprunter un livre. Nous nous sommes regardés en silence, j’ai ouvert les bras, elle s’est jetée contre moi. La veste de son pyjama s’est ouverte sous mes doigts fébriles. Ses bourgeons gonflèrent sous mes lèvres. Alors commença l’exploration novice de sa toison, l’approche timide et délicate de cette vallée des merveilles. Mon lit était tout près. Nous allions nous y laisser tomber quand nous avons entendu ma grand-mère gravir les escaliers. C’était raté. Mais quel souvenir !


Un autre jour, alors que j’étais dans ma chambre et que ma grand-mère faisait la cuisine, Monique qui l’avait aidée, sans doute en épluchant quelques légumes, la quitta pour me rejoindre. Ma fenêtre était ouverte. La voix de ma grand-mère nous parvint. Elle était sur le trottoir, une voisine était venue la chercher. Monique se pencha, sa poitrine reposant sur le rebord de la fenêtre. La maison de ma grand-mère était une vieille maison, aux murs très épais. La position de Monique mettait en valeur ses fesses, que recouvrait une très légère robe de coton. L’emprunte de son slip était visible. J’ai collé mon bas-ventre aux fesses de Monique, tout en restant debout pour n’être pas visible de la rue. Monique a un tout petit peu remué, et mon membre a trouvé sa place, agréablement calé qu’il était entre les deux globes.


Combien de fois j’ai imaginé par la suite la robe soulevée, le slip abaissé, ma braguette ouverte, et mon membre ayant enfin le loisir de pénétrer l’antre de l’ineffable. ! Rêveries ! Irritantes et vaines rêveries !


Un dimanche d’hiver, je me suis enhardi à glisser les mains sous son manteau, puis sous son pantalon, et même sous le slip. Nous étions dans une ruelle déserte. Ses fesses étaient fermes. Mes mains sont restées côté pile, sans oser se faufiler du côté face, bien collé contre mon membre de bois. Car je la désirais, follement, et depuis longtemps. Mais il fallait attendre le mariage. Non qu’elle me l’ait demandé ; c’était tout simplement évident, voilà tout.


La première fois que je l’avais désirée remontait à la nuit des temps. Ce fut en la regardant, vêtue d’une robe de mariée, le jour de sa communion solennelle. En grande hâte, je m’en étais confessé. "Mon père, j’ai eu des pensées impures". Il en aurait fallu bien plus pour offusquer le bon prêtre. Combien de fois, mon enfant ? Seul, ou avec d’autres ? Il avait ses critères, et distribuait des pénitences que je jugeais ridiculement bénignes. On pouvait pourtant pécher par pensée, par parole, par action ou par omission. Vaste programme ! Territoires interdits, péchés mortels ! Nous savons aujourd’hui que la vie avait un charme supplémentaire, dès lors qu’elle nous offrait tant d’interdits à transgresser. Mais moi, j’étais en ce temps-là d’une pruderie des plus farouches.


D’autres filles me semblaient pourtant jolies, parfois. Mais je me trouvais passablement ignoble d’envisager l’ombre de l’hypothèse de trahir mon premier et à jamais unique amour. Cependant, la nature a ses exigences. J’aurais bien aimé goûter au fruit défendu, avant qu’il devienne devoir conjugal, avec le risque d’être banalisé, inodore, incolore et sans saveur.


Vous avez remarqué au passage que je fais fi du "ne" explétif, que notre confrère l’excellent bourgmestre, futur membre de l’académie royale de Belgique, juge non seulement disgracieux mais d’une rare stupidité. Nous finirons par en convaincre les autres…


Allions-nous enfin sauter le pas ? Il nous prit fantaisie d’aller un jour, ensemble, à la pêche aux écrevisses. Il en restait dans certaines vallées profondes. On dispose des petits filets circulaires dans des endroits choisis, un morceau de viande de mouton attire les crustacés, on soulève le filet à l’aide d’un bâton fourchu, et l’on n’a plus qu’à mettre les écrevisses dans une bourriche, ou dans un seau. Nous étions délicieusement seuls. Cent six bestioles furent capturées. J’étais en slip de bain, les jambes souvent dans l’eau. Monique avait retroussé sa robe. Ses cuisses étaient belles.


Assis à côté de notre bourriche, qu’il me plaisait de nommer bourrique, et qui bruissait de l’angoisse des prisonnières, pinces ouvertes, queues tambourinant l’osier, nous nous sommes embrassés. Ses seins prirent l’air. Je les taquinai des lèvres et de la langue. Une main s’avança vers mon slip, tâtonna même un peu à l’intérieur. Je prétendis faire de même, mais la place était prise par un cylindre de coton. Nous avons repris nos bicyclettes. Je repartais le lendemain, et elle retournait avec ses camarades les élèves infirmières.


Que des filles. Du moins je le supposais. Au demeurant, je n’aurais pas été jaloux, ou si peu. J’avais confiance. Je ne regardais pas ailleurs, elle non plus, c’était l’évidence même.


De plus, il était indubitable, si j’ose dire, que Monique allait être mienne à la première occasion. Je pouvais donc attendre un peu, et me contenter de reprendre nos échanges épistolaires.


Nos lettres étaient tendres. Nous nous embrassions à la fin, comme il se devait. Elle m’écrivit un jour qu’elle avait reçu d’un garçon que je ne connaissais pas un billet bien dégoûtant, signée : Ton petit Alfred chéri. Elle en riait. Je lui répondis que cet Alfred écrivait comme un cochon, et qu’il aurait du dire : Ton petit Alfred qui t’aime, ou, à la rigueur, qui te chérit.


Je recopiais les passages les plus beaux de mes épîtres, ne doutant pas qu’ils mériteraient un jour l’admiration des foules. Rassurez-vous, j’ai tout jeté depuis.


Elle était moins lyrique. Mais, faisant preuve d’une touchante bonne volonté, sollicitait mes conseils. Je lui suggérai d’abandonner Delly pour de la littérature d’un niveau plus élevé. Il m’avait été donné d’observer qu’elle semblait assez rétive face à la poésie, qui la barbait, avouait-elle. Qu’à cela ne tienne. Certains poètes ont aussi écrit en prose. Il était difficile de réhabiliter Baudelaire, dont la prose était par trop poétique, il le disait lui-même. Mais il avait traduit Edgar Poe. Elle n’y trouva que peu d’agrément. Flaubert l’ennuyait. Maurois, Mauriac, Aragon, Jules Romains… Simone de Beauvoir, qui venait d’avoir le prix Goncourt ? Elle ne disait rien mais je comprenais qu’elle n’était pas emballée. Jean-Paul Sartre ? On venait d’éditer Le Mur en livre de poche. Bof ! André Gide ? Bof ! Je me suis hasardé à proposer Proust. Voilà qui était mieux, elle y retrouvait un peu son Delly. Avait-elle tout à fait tort, au demeurant ?


De guerre lasse, je lui écrivis que même les auteurs étudiés au lycée pouvaient être intéressants. Mais j’obtins en réponse un silence poli.


Mes lettres ne se bornaient pas à ces cuistreries. Je chantais ses lèvres vermeilles, ses seins d’albâtre, ses cuisses fuselées. J’exagère à peine. Je ne parlais pas du bas-ventre, j’étais pudique, vous dis-je ! Elle me racontait sa petite vie d’élève infirmière et m’incitait à m’inscrire à la préparation militaire supérieure, pour gagner de l’argent pendant mon service militaire.


Les vacances de Pâques approchaient quand un de mes camarades, à l’issue d’une partie de tarots, alors que nous finissions une bouteille de Vieille Cure, sortit de sa poche, en riant sous cape, un papier.



Je ne connaissais pas la lettre, mais je reconnaissais le papier, et l’écriture.



Le risque d’erreur était infime. Cela avait été écrit par Monique.


La lettre en question, vous la connaissez sans doute. Elle a été maintes fois publiée. Je l’ai retrouvée récemment au détour d’un forum, sur un site d’histoires pas seulement érotiques. J’ai fait un copier-coller. Elle est dans mon portefeuille. La voici.



Je suis très émue de vous dire que j’ai

bien compris l’autre soir que vous aviez

toujours une envie folle de me faire

danser. Je garde le souvenir de votre

baiser et je voudrais bien que ce soit

là une preuve que je puisse être aimée

par vous. Je suis prête à vous montrer mon

affection toute désintéressée et sans cal-

cul, et si vous voulez me voir aussi

vous dévoiler sans artifice mon âme

toute nue, venez me faire une visite.

Nous causerons en amis, franchement.

Je vous prouverai que je suis la femme

sincère, capable de vous offrir l’affection

la plus profonde comme la plus étroite

en amitié, en un mot la meilleure preuve

dont vous puissiez rêver, puisque votre

âme est libre. Pensez que la solitude où j’ha-

bite est bien longue, bien dure et souvent

difficile. Ainsi en y songeant j’ai l’âme

grosse. Accourrez donc vite et venez me la

faire oublier par l’amour où je veux me

mettre.



C’était écrit gros, chaque ligne allait jusqu’au bord de la feuille. Je rendis le papier à mon camarade, en disant que la brave dame ne s’était pas foulée ce jour-là, que c’était bien fade et que cela ne donnait pas envie de lire quoi que ce soit de cette bonne femme. Le pauvre Alfred méritait mieux, ai-je conclu.


La lettre circulait. Les uns affichaient une moue dubitative et m’approuvaient manifestement. Je me demandais quelle mouche avait piqué Monique. Si elle voulait suivre mes conseils, se frotter aux bons auteurs, que n’avait-elle recopié quelque texte un peu plus poétique ! Les autres me regardaient avec une ironie légèrement teintée de pitié. L’un d’entre eux confia enfin aux béotiens que nous étions, qui ne comprenions décidément rien à rien, qu’il fallait sauter une ligne sur deux.


Je repris la lettre. J’étais atterré. Monique, ma pure et chaste fiancée, avait recopié cette infamie !


Il y avait une petite chance pour que ce ne fut pas elle, certes. J’avais pu me tromper. Quand même, cette façon de former certaines lettres, ces points qui étaient de petits cercles, mille détails me confirmaient que ce document était de sa main.


Je demandai à mon ami d’où venait ce papier. Il me répondit que c’était sa sœur qui le lui avait donné. Sa sœur était une copine de Monique, vous l’avez deviné. Il voulut bien me le prêter. J’en fis une photocopie. Je comparai soigneusement avec les lettres que m’avait adressées Monique. Le doute n’était malheureusement pas permis.


Aurait-elle recopié ce texte sans être au courant de l’astuce ? C’était bien peu probable. Était-elle une dévergondée ? Certes, elle ne faisait pas preuve d’une excessive pruderie, et n’avait jamais fait obstacle à mes initiatives. Elle était flattée que des garçons s’intéressassent à elle. Les plaisanteries graveleuses qu’elle avait entendues le soir du mariage ne l’avaient aucunement choquée. Et pour avoir dit au godelureau qu’elle voulait me rester fidèle, il avait bien fallu qu’avant il eût estimé qu’il pouvait tenter sa chance. Peut-être même y avait-il eu commencement d’exécution. Et pourquoi avait-elle précisé quelle voulait m’être absolument fidèle ? Cet "absolument" avait lieu d’inquiéter. Et m’avait-elle tout dit ? Et cette course des escargots ? Et cette descente à la cave ? Et cette école d’infirmière, qui la mettait en relations avec des médecins, des malades qui n’étaient pas tous grabataires ? Et quand bien même ils l’eussent été, en étaient-ils pour autant tous impuissants ? Jusqu’à cette lettre de son "Alfred chéri" ! Parbleu ! S’il avait reçu auparavant l’épître de George !


La jalousie me vrillait le cœur. Puis je me trouvai bien stupide. La tête haute, je poussai la porte d’une pharmacie. "Mademoiselle, je voudrais une boîte de préservatifs". Elle me demanda de combien. Elle parlait du nombre, non de la taille. Je me doutais bien, tout en le regrettant, que l’officine ne disposait pas de cabine d’essayage. Avec cette belle enfant…


Elle m’avait regardé de haut en bas. De bas en haut. Avait fixé mon nez. On dit qu’il y a un rapport.



Mais je crus déceler comme un regret dans le ton de sa voix, et comme une promesse dans l’intensité de son regard.


Cependant, il ne suffisait pas de faire le fanfaron. De quelle manière aborder Monique, que je devais retrouver quelques jours plus tard ? Avec une très ferme détermination, certes. Mais, si j’avais beaucoup lu, je manquais de pratique.


Une femme faisait le trottoir, alors que je regagnais ma chambrette, domino mino, domino minette. Je la suivis. Elle me fit comprendre qu’il me fallait payer d’avance. Nous gravîmes des escaliers branlants. Une clé pénétra dans la fente d’une serrure. Devant la dame accroupie sur son bidet, j’ai pensé à la chanson de Brassens, "la première fille qu’on a pris dans ses bras, qu’elle soit pucelle ou qu’elle soit putain…" Je dis à celle-ci que je venais de changer d’avis, et que je partais sans consommer. Elle répondit que j’étais bien con et, à mi voix, qu’elle trouvait cela très dommage.


Je n’étais donc toujours pas déniaisé, comme disent nos bons auteurs, alors que j’attendais Monique à la sortie de son hôpital. Elle vint, me vit, me sourit. Je venais de louer une voiture. J’avais averti ma grand-mère qu’elle ne devait pas m’attendre avant le lendemain, et encore…


C’était un samedi. Il était midi. Monique souhaitait passer chez elle, prévenir sa mère, prendre quelques affaires de rechange, faire un brin de toilette, que sais-je ! Il n’en fut pas question.


Elle portait une jupe beige et un chandail marron. Elle ne m’a pas demandé où je l’emmenais. J’aurais été incapable de répondre, je ne le savais pas. Et j’étais moins sûr de moi. Si je m’étais trompé ? Bah ! Après tout… Il n’était pas question de lui parler de cette fameuse lettre, naturellement. Les mains sur le volant, je tentai quand même quelques travaux d’approche, évoquai À quoi rêvent les jeunes filles, Il ne faut jurer de rien, On ne badine pas avec l’amour… Je citai quelques vers de cette Nuit d’octobre, mis en musique depuis par Gainsbourg. J’ajoutai qu’un petit ouvrage très licencieux, Gamiani ou deux nuits d’excès avait été écrit, disait-on, par Alfred et George.


Elle ne répondait rien, mais, calmement, maintenait sur ma cuisse une main de propriétaire. Je renonçai à savoir. Talleyrand a prétendu qu’on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment. C’était aussi mon avis, et je le pense encore.


Un petit hôtel de campagne. Une chambre payée d’avance car nous n’avions pas de bagages. Nos vêtements en grande hâte éparpillés sur le sol. Le corps de Monique enfin entièrement sous mes lèvres et mes mains. D’abord une révision rapide de ce que je connaissais : les yeux, les lèvres, le cou, les seins. Et la découverte de son triangle rose et noir, au sommet des cuisses ouvertes. Elle avait les mains contre mes tempes, et guidait ainsi mon visage. Ma langue trouva vite ce qu’il fallait lécher, mes lèvres ce qu’il convenait d’aspirer.


Ensuite elle fit de même, caressa doucement, griffa un peu, parcourût de la langue, prit dans sa bouche. Puis repoussa. Du regard montra la boîte de préservatifs. Sourit en constatant qu’elle était neuve. Me regarda faire et me dit : "Viens. Prends-moi." Je crus entendre également, mais à voix très basse : "Enfin !".


Plus tard, alanguie, sa tête si charmante au creux de mon épaule, elle se taisait. Sa main jouait négligemment avec mes génitoires. Je taquinais les pointes de ses seins. Il n’y avait pas de tache de sang sur le drap. Cela ne prouvait pas grand chose, mais enfin je n’étais peut-être pas le premier.


Avait-elle eu, avec d’autres, ces soupirs, ces gémissements, ces contractions, ce mouvement des hanches, ces mots d’amour balbutiés ? Après tout, à quoi bon le savoir ? Il suffisait d’effacer tout cela en la clouant derechef sur ce lit de fortune.


En fin d’après-midi, elle me dit qu’elle avait faim. Nous n’avions pas déjeuné, en effet. Nous descendîmes. Le patron sommeillait, gros et sale. Une soubrette noiraude et maigre nous servit une omelette au lard. Le gargotier regardait Monique avec convoitise. La servante ne lui suffisait donc pas ? Monique souriait, satisfaite de se savoir désirée.


Allait-elle penser à prévenir sa mère, qui n’avait pas le téléphone mais à qui tout message pouvait être communiqué par sa voisine l’épicière ? Passerions-nous ensemble toute la nuit ? Allait-elle me demander de la ramener au bercail ?


Elle ne pensa pas à sa mère, mais ne fit pas mine de vouloir repartir. Amour trop vif, dont j’étais le bénéficiaire, ou habitude de découcher ? Il valait mieux, une fois encore, ne pas le savoir.


Notre nuit fut bonne. Peu de sommeil, mais si doux ! Je me suis juré, au petit matin, de ne plus jamais dormir seul, dans la mesure du possible.


Cette promesse que je m’étais faite, je l’ai tenue. D’abord avec Monique. Mais son corps n’avait pour moi plus de mystère.


Les photocopieuses en ce temps-là n’étaient pas très performantes. Le liquide de celle que j’avais utilisée était peut-être de médiocre qualité. Toujours est-il que la photocopie de la fameuse lettre est devenue pâle, puis totalement blanche. Dans le même temps, Monique s’effaçait peu à peu de ma vie. J’ai cherché ailleurs, et j’ai maintes fois trouvé, car tout nouvel amour est une page blanche.