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n° 10032Fiche technique18370 caractères18370
Temps de lecture estimé : 12 mn
06/01/06
Résumé:  Boy meet girl
Critères:  fh jeunes couple amour journal humour
Auteur : Agerespectab  (Vieux schnock)            Envoi mini-message
Justine et moi

"Aujourd’hui, j’ai retrouvé par hasard ce carnet où j’avais consigné mes impressions de gosse de dix ans, au Bic bleu, écriture enfantine appliquée et maladroite. En fait, ce n’est pas "par hasard", c’est Justine le hasard, c’est elle qui avait conservé ce souvenir de notre enfance.

Je me suis donc relu : pour un peu, j’en rougirais ! Quel morpion je faisais ! Et non content d’avoir toutes ces idées, je les ai couchées sur le papier !

Si seulement j’avais couché autant de filles sur la paille ou le foin…"



Sinplifions l’ortografe !


Cette année, on a une maîtresse, en CM2, une femme magnifique, aussi belle que ma maman, enfin presque.

Comme Maman, on ne peut pas la prendre en faute : elle parle toujours bien, jamais un gros mot, jamais elle ne s’énerve, ou c’est pas souvent.

L’autre jour elle avait un collant filé derrière, nous on rigolait parce qu’on était sûrs qu’elle le savait pas. Mon copain m’a dit "attends, je vais lui dire, tu vas voir la tronche, ma mère elle dit : Merde ! c’est pas vrai ! encore un !"

Et bien Maîtresse a dit "Zut ! C’est pas vrai ! Encore un !" et nous deux on était refait.


Elle est chouette ! D’ailleurs c’est peut être aussi parce que l’on ne parvient pas à la prendre en défaut qu’on la trouve aussi chouette. Elle a un sourire, vous pouvez pas imaginer.

Quand le Directeur vient nous voir, enfin vient LA voir, il lui parle tout bas, on comprend rien, pourtant on fait jamais autant de silence, mais rien à faire, c’est-y ce papier qu’il a à la main qui est en question ou bien espère-t-il un rencard, ce vieux con, qu’a pourtant la classe de CP en charge, mais bon la stagiaire peut se débrouiller, alors y vient faire du gringue à notre maîtresse.

Parce qu’on est pas des nazes, tombés de la dernière averse, comme dirait mon père ; la drague, on sait faire aussi.

Par exemple au Tabac-journaux, vers midi moins le quart, si c’est la mère qui tient la caisse, on sait faire du plat à sa fille, qu’est con comme une cocotte minute sans soupape, et qui nous largue les Carambar et les photos de foot sans vérifier si on les paye ! Véridique !

Alors Monsieur Poultry, faudrait vous lever plus tôt pour nous faire croire que vous bossez, quand vous venez voir Angélique.


C’est son petit nom, mais on n’a pas le droit de l’appeler comme ça, nous, on l’appelle Maîtresse.

Moi, le soir dans mon lit, je rêve que je l’appellerai Angélique, un de ces jours, et qu’elle me dira "oui Jonathan ?" avec son sourire.


Paraît-t-y qu’elle aurait un coquin.

En tout cas, c’est ma maman qui l’a dit à sa copine, la mère de Matthieu (putain que c’est dur à écrire ce nom) et donc Matieu (sinplifions !) me l’a raconté, et Justine nous a dit qu’un coquin c’est un fiancé qui va trop loin.



Elle s’est tirée l’air entendu, pleine de mépris.

Nous on était morts de rire. On s’y perd dans ces propos de nanas, elles disent n’importe quoi.


De fait, y a un grand qu’est au Collège, qui vient des fois chercher Emeline, sa petite sœur, qui dit qu’il les a vus.

Qu’il a vu qui, quoi, ce con ? Les grands aussi y disent un peu n’importe quoi.

Ben si, il aurait vu la Maîtresse et un mec, il les aurait suivis jusqu’après le petit bois ; et qu’ils se seraient engagés dans le roncier, par le petit passage, et qu’ensuite ils se seraient couchés par terre, et que le mec l’aurait embrassée, et pelotée.


Moi ça me fait rigoler, ces conneries, parce que le grand il a rien pu voir, parce que le coin je le connais, et que pour y voir quelque chose il aurait fallu qu’il se foute la gueule dans les ronces ! Alors c’est clair, il a tout inventé ce connard.

Et puis ma maîtresse, elle est si belle, elle a pas besoin d’un mec qui vienne la peloter !

N’importe quoi !


L’autre jour, elle était devant la glace, elle se recoiffait, elle brossait ses longs cheveux sombres, foncés mais pas noirs.

Je la pistais parce qu’elle avait pas fermé complètement la porte des toilettes, et puis après ? Je faisais pas de mal, elle se coiffait, juste !…

Elle a passé sa brosse je ne sais combien de fois, et quand elle a estimé que ça suffisait comme ça, elle a attrapé tout le paquet, et l’a tordu deux fois au-dessus de sa nuque, puis elle y a planté un truc dedans et ça tenait impeccable.

Ça me troue le cul comment qu’elle a fait ça, j’ai essayé mais j’ai pas assez long de cheveux, j’ai voulu voir avec Clotilde mais y a rien eu à faire ; toutes façons c’est une conne, celle-là.


J’ai essayé de savoir quoi avec maman ; je lui ai dit "c’est vrai que la maîtresse elle a un coquin ?"

Maman s’est marrée, elle m’a dit "comment tu sais ça, toi ?"

J’ai rien répondu parce que j’ai compris qu’elle me dirait rien de plus, même si elle savait quelque chose.


Mais mon grand frère avait entendu.

Alors y m’a dit à l’oreille "tu veux que je te raconte ce qu’elle fait avec son coquin ?"

Je lui ai répondu "qu’est-ce que t’en sais ?" et y m’a dit "je le sais c’est tout" et j’ai laissé tomber parce que sinon y me tape.

Alors je lui ai dit "j’ai pas besoin que tu me dise, je le sais", "menteur qu’il m’a répondu" mais je m’étais barré.


J’en ai parlé à Matieu, il en savait rien de plus que moi, j’ai même dans l’idée que je lui en ai appris. J’en ai pas parlé à Justine, elle nous a assez démontré que tout ce qu’elle sait, c’est se gargariser avec des grands mots dont elle sait pas trop ce que ça veut dire.


Les grandes vacances sont arrivées.

La dernière semaine, début Juillet, y avait pratiquement plus personne à l’école. Le peu qu’on était, on pouvait jouer toute la journée pendant que les maîtres s’occupaient à tenter d’améliorer les traînards pour l’entrée en sixième, ou faisaient cercle entre eux pour bavarder. Il faisait chaud.

Une fois, dans la cour, ma maîtresse était à l’écart, sur une chaise, elle lisait. Tout le monde allongé sur l’herbe, y avait que trois, quatre malades qui courraient après une balle en gueulant.

Je me suis approché, petit à petit, mine de rien, et quand je me suis trouvé contre, elle n’a pas bougé, poursuivant sa lecture ; je me suis laissé tomber sur les genoux, mon menton sur sa cuisse, face à son livre, comme si je voulais lire aussi, et sa main est venue sur mes cheveux, qu’elle a caressés lentement, et cette année là j’ai rien connu de meilleur, même pas quand maman me garde le jus de fraises.

Je lui ai raconté, à ma maman.

Elle m’a dit "tu as bien de la chance, mais je crois que tu inventes un peu, là."

Alors ça ! J’ai sursauté et je lui ai répondu "comment ça j’invente, t’y était pas, comment tu peux savoir ?"

Elle m’a dit "les Maîtresses ont pas le droit de caresser, même juste les cheveux" et bien ça m’a fait très plaisir, ce que maman m’a dit là, parce que si Maîtresse avait pas le droit, alors c’est Angélique qui l’a fait.





Me voilà aujourd’hui, à vingt et un ans, en troisième année de fac de sciences et, de ceux de l’école primaire, il ne reste que Justine.

C’est une sacrée belle plante, maintenant, mais elle a conservé son penchant pour les grands mots et les phrases creuses.

On travaille souvent ensemble, et, dans les devoirs de physique, je suis obligé de sabrer ses discours interminables qui peuvent indisposer les correcteurs. Je désespère d’obtenir d’elle un peu de concision, ni même de parvenir jamais à ce qu’elle en voie l’utilité : elle est très satisfaite de son style littéraire, elle adore rouler ses phrases ampoulées au fond de la gorge.

Elle n’est pourtant pas mauvaise élève, simplement, elle fait de la "physique poétique". En maths, certains algorithmes la font rêver.

Au début, mes parents m’avaient incité à me loger à la cité U, tandis que Justine disposait d’un studio en ville.

Maintenant j’ai moi aussi mon studio, au calme, et nous sommes tantôt chez l’un tantôt chez l’autre. Sommes-nous amants ? Pas tout à fait.

Elle est tendre avec moi, mais c’est un peu machinal. Elle m’autorise des caresses que les autres ne peuvent pas se permettre, elle est comme une sœur incestueuse, qui mettrait des bornes précises, que j’ai bien été obligé d’accepter.

Mais si l’envie lui prend de se faire une toile avec un Xavier, ou d’aller en boîte avec un Edouard, elle n’attend pas mon avis. Ça me désarçonne, bien souvent. Elle a quelquefois des coups d’œil qui pourraient être interrogatifs, mais je n’en suis pas sûr, et je ne veux pas courir le risque du ridicule.

Quand elle est en veine de tendresse avec moi, elle sait y faire pour obtenir ce qu’elle veut, rien de moins, rien de plus.

Cela aussi est déstabilisant : toujours ces bornes à notre plaisir, comme qui dirait visiter l’appartement témoin, pouvoir même y passer la nuit, mais pas plus.

Elle a envie, de temps à autre, de s’envoler au septième ciel, et puisque je suis là, inutile de se palucher, "Jojo, caresse-moi, fais-moi jouir" et je suis ensuite récompensé avec une excellente pipe.

Nous pouvons ainsi rester toute la nuit, nus l’un contre l’autre. J’ai le droit de me repaître de la douceur de sa peau, de ses parfums, de caresser ses seins interminablement… mais elle est toujours vierge ! à vingt et un ans !

Je peux lui astiquer le bonbon, la lécher avec application, ce qui ne manque pas de la mettre en transes, de lui faire moduler un joli chant, de faire bouger ses hanches de gauche à droite, de haut en bas, de m’écraser le nez quelquefois. Quand elle a explosé, puis retrouvé son souffle, elle est très maternelle, elle me regarde avec tendresse, en souriant, et je me surprends à penser que c’est le paradis…

Mais il manque quelque chose ! Quoi donc ? Vous pensez que c’est en fait parce qu’elle refuse d’être pénétrée ? Non, faux ; permettez-moi de vous dire qu’on se connaît depuis l’âge de six ans, qu’elle ne peut rien me dissimuler de ses pensées ; sauf celle-là : que veut-elle exactement de moi ?

C’est la grande question, que j’entrevois au loin, que je maintiens bien loin, dont je me rends bien compte que je n’ai pas envie d’y répondre. Alors nous continuons à bricoler, à faire de l’amour buissonnier, de l’amour à moitié, qui ne dit pas son nom.

C’est pareil avec maman.

Maman prévient tous mes désirs, je n’ai même pas besoin de demander ; je me laisse porter par son amour infini, je me laisse aimer.


Enfin, j’ai longtemps cru que c’était pareil avec Justine.


Mais Justine, on dirait qu’elle ne veut pas être aimée. Au fait, est-ce que je l’aime ? Ben oui, bien sûr, c’est évident. Enfin je crois. Bon, qu’est-ce qu’il pourrait exister de plus fort, comme sentiment ?

Justement j’en sais rien, j’ai pratiquement jamais connu d’autre fille.

Oh !… J’ai bien flirtaillé à droite à gauche, baisouillé aussi, mais rien n’a tenu le coup longtemps.

Il y en avait qui me plaisaient bougrement, sous tel ou tel aspect, des qui avaient une classe folle, qui me flattaient de les avoir à mes côtés, belles comme des oiseaux de paradis, élégantes, souples et sinueuses…

Des qui faisaient super bien l’amour…

Des qui étaient marrantes, avec lesquelles la vie aurait pu se passer à rigoler sans arrêt, même en baisant – ce qui, dit en passant, constitue pour moi le summum…

Des intelligentes qui me foutaient la pile aux échecs, qui connaissaient par cœur des poèmes médiévaux, un rondeau de Charles d’Orléans, "Le temps a quitté son manteau – De vent de froidure et de pluie"… des trucs pas croyables, sans parler de la filmographie complète d’Eisenstein, de Murnau, et aussi celle de Carl Dreyer !

Mais une fois seul, enfin de retour pas loin de Justine, force m’était de constater que leur souvenir s’estompait en quelques jours.

La vie continuait, sereine, avec Justine sereine. Et je cherchais, mollement, quelque chose de plus palpitant ; en tous cas, l’idée d’être prisonnier d’un engagement me paraissait insupportable.


C’est pourquoi ce soir-là je suis tombé des nues.

Justine m’avait invité à dîner chez elle ; rien que de très banal. D’emblée je constatai qu’elle avait soigné le menu, et je me dis connement "elle fait des progrès" lorsque, tout à coup, elle me fixa, les yeux dans les yeux :



Ce disant, son ton était monté, monté, jusqu’à finir sur une note hystérique et puis elle avait éclaté en sanglots, cachant son visage dans ses mains.

Complètement décontenancé, je me suis levé, j’ai fait le tour de la table, prêt à la consoler, mais à peine étais-je contre son dos, secoué de pleurs, à peine avais-je posé mes mains sur ses épaules que j’ai pris un coup de coude monstrueux dans les côtes, qui m’a fait beugler.

Rage et incompréhension mêlées, j’ai foutu le camp.


Ma colère s’est un peu apaisée sur le chemin mais je ne peux pas dire que j’étais redevenu serein en entrant chez moi.

Je n’ai réussi à m’endormir que tardivement.

Le lendemain se passa, puis le surlendemain et encore un jour de plus avant que le téléphone ne se manifeste :



Quand elle m’a ouvert, elle s’est jetée contre moi, elle avait les yeux rouges, elle murmurait je ne sais quoi, en tout cas je ne voulais pas entendre des excuses parce que j’avais le sentiment très net que tous les torts étaient bien de mon côté. On dit que les femmes s’y entendent pour nous culpabiliser, et c’est très vrai, sauf que le plus souvent c’est rien d’autre qu’une revanche.

Alors je lui ai dit :



Et on a bien baisé. Et rebaisé. Et encore et encore. Elle s’est lâchée, ma Justine. Ça m’a semblé comme si elle s’était retenue trop longtemps.

D’abord je lui ai poinçonné la rustine, elle a un peu grimacé, on a attendu que ça se calme, en fait on n’a repris les opérations que le lendemain, jusqu’au troisième jour, mais sans sortir ni changer les draps, avec des conserves et des biscottes.

J’ai pu lui glisser à nouveau mon dard dans la chatoune sans qu’elle ne s’en plaigne, elle a même trouvé ça super, de plus en plus jouissif, franchement sublime :



Et la vie a continué, mais plus tout à fait comme avant, il fallait malgré tout suivre les cours, travailler, mais aussi baiser et rebaiser.

Comment avons-nous eu notre licence, tous les deux ?…

Justine avec mention !!! Elle a dû tomber sur un correcteur "physicien-poète". Je vous le dis en confidence, ne le lui répétez pas, ses colères sont violentes et nous n’avons pas beaucoup de vaisselle.


Un samedi soir, non plutôt dimanche matin, elle m’a dit: