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Temps de lecture estimé : 14 mn
08/02/06
Résumé:  Premier boulot : croque-mort.
Critères:  fh jeunes inconnu pénétratio init humour
Auteur : OlivierK            Envoi mini-message
Mise en boîte

Regrets éternels. À notre voisin. Ton mari inconsolable. À notre papy. Mes larmes ne tariront jamais. Les anciens d’AFN à leur camarade. Ce n’est qu’un au revoir.


Voilà de quoi devenir sinon immortel, du moins gravé dans le marbre. Courtes oraisons funèbres, un débouché auquel je n’avais pas pensé.


L’homme aux béquilles m’avait reçu avec un sourire triste.



Il a pris un téléphone, mais personne ne décrochait à l’autre bout. Cinq longues minutes plus tard, il a dit qu’il avait en face de lui un jeune homme qui cherchait du boulot. Puis il m’a déclaré que je n’avais qu’à patienter. Les éditeurs m’y ont habitué.


- C’est pour des copines que vous avez écrit ces poèmes ? Soyons francs, le public s’en moque, de vos joies et peines d’amour. Ah ! Si vous étiez une chatte anglaise… Revenez avec autre chose… Votre roman ? Essayez plutôt le polar, un peu plus brut de décoffrage, ça vous prendra moins de temps et ce sera plus facile à lire. Ou le cul. Vous ne ferez pas plus mal qu’un autre. Ou nègre, tiens ! Avec tous ces politiques qui veulent que leur nom figure sur une couverture ! Ou les sportifs. On n’a même pas besoin de les écouter, une virée dans les archives de L’ÉQUIPE pour les dates, et on invente le reste.


Il devait tenir le même discours à nombre de plumitifs avides de gloire. J’en ai pris mon parti. Je prépare, à mon rythme, un concours administratif. Du diable si je ne suis pas contrôleur de quelque chose, un jour. Ou Agent de constatation et d’assiette des Impôts, comme dit la brochure. On doit pouvoir bouffer, avec un tel job. Et tâter, qui plus est.


En attendant, pour mon père je suis un raté. Avec les sublimes poèmes que j’écris pour les filles ? Bon, honnêtement, ce qu’on a dans le ciboulot, elles s’en foutent, les frangines ! Elles sont plus intéressées par le contenu de notre slip. Tiens, je m’y fais, au style brut de décoffrage ! Foin des élégies qui font rigoler, style pompeux limite pompier. Halte au lyrisme ! Quelques histoires érotiques gratos pour Revebebe, torchées en vitesse, histoire de ne pas trop perdre la main et de faire s’activer celle des lecteurs. Pas trop sûr, cette fois. D’aucuns vont estimer qu’il ne faut pas plaisanter avec ça. Eh bien, à la grâce de Dieu !


À la fin d’une fête triste, comme toutes les fêtes, Audrey, une bonne copine, me dit qu’on trouve pour l’instant du boulot chez son oncle, qui est le patron de la plus grosse affaire de Pompes Funèbres de la ville. À l’idée d’être obséquieux devant la Camarde, je rigole un bon coup, j’en tire un avec la brune Audrey et voilà pourquoi j’attends aujourd’hui, en face de l’infirme.



Le téléphone avait tinté, il avait écouté et répondu :



Mademoiselle Sylvie est debout, elle vient d’ouvrir sa porte. Son visage ne m’est pas inconnu. Elle porte une minijupe rouge et un corsage rose, avec rien dessous, sauf les nichons bien sûr, qui pointent sous la soie.



Pas une fille rencontrée en boîte, cette Sylvie. Ni à la fac. C’est plus ancien… J’y suis ! Au bahut, en terminale. Elle a échoué au bac, je l’ai perdue de vue. On n’a jamais couché ensemble, mais ça pourrait se faire, maintenant, si ça se trouve. Elle prend mon CV, le lit en vitesse.



Elle regarde et ne pipe mot. Et soudain passe sur ses lèvres une langue graveleuse et me dit de la suivre à coté. C’est une pièce sans fenêtre. Trois cercueils béants gisent sur le plancher, leurs couvercles verticaux contre le mur. Moi aussi, je suis vertical parce que Sylvie est dans mes bras, avec ses seins durs sous mes mains, et aussi son cul et le reste, sous la minijupe. Pas trouvé de slip. Pas beaucoup de toison. Qu’il est farouche, notre baiser ! Le méga patin ! Sa main nerveuse sous mon boxer.



En chêne massif, le plus grand, avec capiton saumon, petit oreiller assorti. Elle rigole ou pas ? Mais non, elle enlève son corsage et se tripote les nichons.



J’hésite, et c’est alors que ça commence à ne plus valoir la peine de continuer. À l’idée de la baiser dans la boîte, mon mandrin s’est rabougri.



Nous retournons dans les vestiaires. Elle fouille dans une armoire, me lance un pantalon que j’attrape au vol. Trop petit. Un autre. Ça va mieux.



Elle se fout de moi. Je lui revaudrai ça un jour. En attendant, je chevauche ma moto et en route. Je suis l’auxiliaire de la Faucheuse, place, mortels, ôtez-vous de mon chemin ! Un fourgon parme et noir est garé rue Pasteur, avec un collègue qui glande au volant.



J’obtempère. Dans le salon du second, des gens à la mine sévère me montrent du menton une porte fermée. Je pénètre. Je vois trois hommes dont un mort, que les vivants sont en train d’installer sur un drap blanc. Le défunt est en costume gris, le visage serein. Je chuchote aux vivants que je suis nouveau dans la boîte. L’un d’eux me répond à voix haute de brancher le frigo, en me montrant du pied une prise de courant, sous le corps. Je comprends qu’on a disposé sous le bonhomme un appareil générant du froid, pour combattre les effets de la décomposition. Je n’ai pas lu Cioran mais je n’ignore pas que les morts sentent facilement mauvais, au bout d’un certain temps.


Le collègue à lunettes fait les poches du de cujus.



Il y a quelques billets dans le portefeuille. Je n’ai droit qu’à une part symbolique. Il y a aussi de la monnaie dans les poches de la veste. Le collègue tire sur le menton du gisant, glisse une pièce d’un centime d’euro dans sa bouche en me disant que c’est pour Caron et met le reste dans sa propre poche.



Et il m’ordonne de faire entrer le public. J’ouvre la porte. La vieille doit être la veuve. Le dadais m’a tout l’air d’être le fils, la blonde gironde, la fille ou la bru. Elle a du chien mais une seule tête. Je la suivrais bien, si je pouvais, après la mise au tombeau du vieux.

Onctueux, le collègue qui n’avait pas encore ouvert la bouche leur dit que nous allons nous retirer, et revenir une heure avant les obsèques, le surlendemain. Entre temps, le cercueil aura été livré.



Nous allons vers la boutique, mais ils s’arrêtent avant. Le patron me demande ce que je bois. Pour les autres, il sait. Je dis :



On remet ça. Comme je suis nouveau dans la boîte, je paye. Nous mangeons ensuite dans un troquet. Sylvie ne vient pas. Je n’ose pas m’enquérir. Les copains parlent surtout entre eux. L’intello me dit cependant qu’il est possible de se faire du black par des déménagements, çà et là. Il m’indiquera les combines si je veux.

Café, calva, et en route pour chez feu Martineau. Le cercueil attend, superbe, avec son capiton saumon et son petit oreiller. Je le reconnais. J’aurais bien dû l’essayer. Si c’était à refaire… On s’habitue très bien à l’intimité de Thanatos. Pourvu que Sylvie ne soit pas trop vexée.

Huis clos pour commencer car le maître de cérémonie, un grand sec du nom d’Albert, dont j’ai fait la connaissance dans le fourgon, invite l’assistance à se retirer de manière à nous permettre… Il soupire quand nous sommes enfin seuls.



Tintin prend les pieds, l’intello et moi les épaules. Le dernier, dont j’ignore encore le nom, tient délicatement la tête entre ses paumes. On dispose le tout sur le satin. Ça rentre tout juste. L’intello me dit qu’il arrive que la boîte soit parfois un peu trop courte. Rarement mais…



Le menton du notable est de marbre glacé.



Ils veulent. Quelques-uns reniflent. La veuve pleurniche. Un vieux bonhomme hoche la tête, ce que c’est que de nous, quand même ! Une gamine semble triste. Elle peut avoir onze ou douze ans, pas plus. Souvent, les enfants sont les seuls à avoir vraiment de la peine, aux enterrements. On pose le couvercle. On le visse. Six vis pas chères, pare au bel homme ! Six vices cachés, pars avec eux !


Devant l’église, il y a déjà un fourgon, plein de fleurs. Au son du requiem de Mozart, décidément très à la mode, précédés par le chef, nous portons lentement la dépouille mortelle jusqu’aux tréteaux qui l’attendent, devant le choeur. C’est là qu’elle va provisoirement gésir.


Dehors, Tintin dit que nous avons une bonne heure devant nous. Le chef est resté dans la nef. Les collègues du second fourgon ont trimballé quelques couronnes de fleurs, disposées joliment sur la boîte et autour. Maintenant nous sommes six à nous diriger je ne sais où, mais que faire d’autre que suivre le mouvement ?


C’est un bistrot, j’aurais dû m’en douter. Des notables bien sapés devisent agréablement. Tintin se laisse tomber sur une banquette et me dit qu’ils rejoindront le convoi à la sortie de l’église, ou seulement au cimetière, et qu’ils sont sûrement en train d’affirmer que le mort était un bon vivant.



Madeleine est une plantureuse rouquine, à la quarantaine épanouie. Jolie femme, certes, mais sa fille, alors ! Un ange évadé du plus beau tableau de Botticelli ! Blonde ! Lumineuse !



Il regarde les autres, interrogatif. Ils approuvent. Chacun sort de sa poche un billet de vingt euros et le lui donne. Il me tend le tout ensuite et me dit de le remettre à Madeleine, pour qu’elle soit à moi pendant une demi-heure.



Après tout, puisque c’est la tradition. Et puis, connaître la mère pourrait me permettre de rencontrer la fille, ultérieurement. Je remercie et me dirige vers Madeleine, les billets à la main.



L’angélique Karine vient à ma rencontre. Mon Dieu, les yeux bleus qu’elle a ! Elle me prend par la main et m’entraîne vers un escalier. Un pantalon de légère toile beige moule agréablement ses divines fesses. Sa chambre est petite et bien rangée.



Ah ! Mais, j’espérais mieux ! Je m’étais fait des idées, déjà !

Je m’y croyais ! Il faut absolument que je tente ma chance.



Serait-ce une avance ? Non, elle se plonge dans ses notes et ne me regarde plus. Elle ne va pas s’offusquer si j’enlève ma veste et ma cravate, et déboutonne mon col. Elle m’a dit que je pouvais lire. Voyons ce qu’il y a sur ses étagères. Notre-dame de Paris. Contrefaire Quasimodo, s’approcher d’elle en boitant très bas, et lui mugir : Belle, belle ? Elle rirait peut-être, mais il n’est pas certain qu’elle irait plus loin. Le Bossu. Glisser son oreiller sous ma chemise et supplier, en mettant sa main sur ma braguette : Touchez ma bosse, votre seigneurie ! Un peu direct. Elle aurait pourtant de quoi toucher. Une trique d’enfer. Je n’ai jamais eu autant envie d’une fille que maintenant. Être dans sa chambre, la voir penchée sur sa petite table, la nuque auréolée d’or, observer les bretelles de son soutien-gorge sous la soie du corsage, mourir d’envie d’en voir plus, de ce corps trop sage, de le serrer dans mes bras, de tituber avec lui jusqu’à ce lit que recouvre une percale blanche…


Belle du seigneur ! Voilà qui est mieux. Je prends mais j’y vais de mémoire.



Elle rit, cependant, et vient s’asseoir sur le lit.



Je me redresse, lui tend le bouquin et, à genoux dans son dos, regarde par dessus son épaule. Comme elle sent bon ! Que ses deux petites pommes sont appétissantes, dans leur écrin de dentelle ! Mes lèvres errent sur sa nuque, son cou. Si elle tourne la tête vers moi, le bonheur va me submerger. Mon coeur s’affole.


Elle sourit, referme le livre qu’elle a feuilleté sans trop de conviction.



Mais elle a tourné son visage vers moi et voici que nos lèvres viennent de se rencontrer. Gardiens d’ivoire du palais, écartez-vous, nos langues vont s’épouser dans ce délicieux sarcophage ! Un superbe tumulus abrite depuis deux mille ans le corps d’une princesse gauloise, les seins de Karine sont plus beaux que ce tumulus. Les herbes folles des cimetières délaissés ne sont pas plus blondes que sa toison qu’écarte doucement mon doigt. Son clitoris est le vigile du tombeau brûlant dans lequel va s’enfoncer ma verge, rigide stèle. Aussi convient-il de l’honorer de la langue afin qu’il facilite le passage, car je suis l’archange au glaive de feu qui de ce paradis cogne à la porte. Alyscamps ! Voie Royale ! Vallée des rois ! Douce et profonde catacombe, il est si bon d’aller et venir en toi !


Raidie entre mes bras, Karine hulule son plaisir, accompagnant ainsi sa petite mort d’une mélopée de pleureuse orientale. Parque échevelée gisant sur son blanc linceul, elle a tout juste la force de me dire que je peux revenir quand je veux, mais que je dois revenir, et qu’elle saura de toute façon facilement me retrouver.


Mais il est temps pour moi de revêtir mon costume noir. Un ange passe quand je rejoins les collègues. Ils en sont au moins à leur quatrième bière. Je leur dis de reprendre leur blé, tout en leur conseillant d’en garder un peu pour la Faucheuse.


Madame la Mort, toi dont on dit que pas plus que le soleil on ne peut te regarder en face, je te défie, le coeur gonflé d’allégresse, parce que Karine, ce soir, entre mes bras s’endormira.