n° 10241 | Fiche technique | 24999 caractères | 24999Temps de lecture estimé : 16 mn | 22/03/06 |
Résumé: Les souvenirs d'une jeune demoiselle... | ||||
Critères: fh jeunes volupté humour ecriv_f | ||||
Auteur : Elsa (Jeune fille) Envoi mini-message |
Je suis venue au rendez-vous…
Je suis venue au rendez-vous. J’ai trois quarts d’heure d’avance. Le temps d’être sûre de savoir ce que je fais, le temps de le regretter… Je devrais faire demi-tour. Et si un ancien professeur du lycée, une connaissance de mes parents ou encore leur banquier, que sais-je, me voyaient là, les bras ballants, maquillée comme pour un mariage, à attendre dans une obscurité aussi morbide qu’un enterrement à Ornans… ? Je commence à avoir un peu froid. Des tas de petits frissons m’envahissent et je ressens un poids énorme dans le bas du ventre.
C’est très agréable…
Je reste. Je me moque du banquier. D’ailleurs, que viendrait-il faire à une heure pareille dans un endroit pareil ? Comme moi, certainement. Il ne serait pas fier de me croiser. Il baisserait les yeux et monterait aussi rapidement qu’un furet dans une petite voiture rouge dans laquelle un petit homme tout droit sorti du casting des sosies des Village People l’attendrait. Il paraît en effet que c’est ici le point de rencontre des gays coquins solitaires… Qu’est-ce que je fous là !… Je suis seule, du moins je pense, sur ce rebord de départementale et l’air frais du mois février ressuscite mon corps angoissé. Au loin, j’entends les murmures de la grande ville ; elle s’endort, doucement… Je marche le long de la route, je me retourne : derrière il y a de grands champs cultivés et des abris en bois faiblement éclairés par la lune. Je me dirige vers un gros caillou blanc qui fera parfaitement office de charmant banc taillé dans la pierre polie. Lorsque j’approche, une ombre sursaute. Je fais de même. L’ombre s’éloigne, puis se retourne et m’observe. Deux yeux d’agates brillent dans le noir et semblent me questionner. Je hausse les épaules. Moi-même, lui dis-je, je ne sais pas vraiment pourquoi je suis là… La réponse paraît lui convenir. Les yeux d’agates, espiègles, trottinent jusqu’à moi et se jettent sur mes genoux. Je caresse la fourrure du matou qui me remercie par de chaleureux ronronnements. Je regarde ma montre. Pas encore l’heure… Il m’a dit qu’il serait ponctuel.
« Il », c’est un garçon que j’ai rencontré mardi à une fête chez Élodie. Je ne l’avais jamais vu auparavant. Il ne fait pas partie de la « bande », comme disent les jeunes dont je suis malheureusement membre. J’ai tout de suite été attirée par lui. J’avais de toute façon envie de « nouveauté ». Les autres commencent à m’ennuyer ; c’est toujours les mêmes phrases, les mêmes blagues, les mêmes débats idiots qui reviennent comme une rengaine. Je les connais par cœur. Je retourne toujours aux fêtes car ils sont, quoi qu’il en soit, mes seuls amis. Et je préfère occuper mes soirées avec eux que de rester cloîtrée dans ma chambre miteuse à lire des comics toute la nuit ou à fantasmer sur mon prof de natation.
Lundi matin, Élodie et son adorable petit ami sorti tout droit d’une réunion syndicaliste d’étudiants aux cheveux longs m’ont croisée en ville et m’ont invitée à leur soirée bière, drague et politique. Je me demande pourquoi ils continuent à penser à moi pour leurs fêtes… Non pas que je sois une fille désagréable qui saccage toute bonne ambiance, mais disons que je ne participe que très rarement aux conversations proposées. Par exemple, lorsqu’il s’agit de filles : « Peut-on coucher sans amour ? » Pour les mecs : « Peut-on parler de baise en étant amoureux ? » Et pour les cheveux longs, filles et garçons : « Ne penses-tu pas que la beauté cristalline de la poésie de Rimbaud est la seule à pouvoir nous permettre une évasion loin de ce monde matérialiste et hiérarchisé qui nous aliène ? »
Ce genre de soirée peut aussi évidemment offrir l’occasion d’expérimenter toutes sortes d’alcools et tester gaiement nos résistances physiques face aux mélanges entre certains. Soyons honnêtes, on ne vient bien souvent que pour ça. Histoire de boire en public et ainsi se donner l’excuse de s’amuser. Pour ma part, je ne bois essentiellement que pour deux raisons : pour m’aider à séduire quelqu’un lorsque je n’en ai pas le courage à jeun (une fille soi-disant saoule à tout à fait le droit de se vautrer dans les bras virils d’un jeune homme sans qu’on lui en tienne rigueur… Mon Dieu, comme les filles simulent…) ou pour oublier que je passe une soirée merdique et que mon quotidien est définitivement merdique. - Je précise : il s’agit là bien évidemment de pensées spécifiques de personnes victimes d’un trop grand abus de ce qu’il faut généralement consommer avec modération, et grâce au ciel, je n’ai pas toujours ce genre de réflexions en tête !…
J’ai tout de même une amie à qui je tiens beaucoup et qui heureusement participe de temps en temps à ces pseudos salons philosophiques pré-pubiens. Elle s’appelle Luz et elle est originaire d’Espagne, comme son prénom l’indique. Elle est née à Ronda et vit ici, à Versailles, depuis deux ans pour apprendre le français. Elle ne parle que très rarement de sa famille et je me demande parfois si elle lui manque. Je n’ose pas lui poser de questions car j’aurais trop peur de faire naître chez elle des larmes, chose qui passerait pour totalement surréaliste pour une fille comme Luz. C’est en effet une personne très vive et drôle, et elle ne pense que très rarement à être triste ou à se plaindre de quoi que ce soit sur sa vie. Elle est aussi très « cultivée » sexuellement. Elle me raconte tout, dans les moindres détails, et j’avoue que j’envie souvent ses expériences extra-scolaires…
Pendant trois semaines, je l’ai accompagnée à ses rendez-vous, histoire de voir du monde et de rencontrer de potentiels amants. Au début, j’avais refusé violemment : je trouvais sa proposition obscène (elle l’est d’ailleurs…). Je ne voulais surtout pas admettre mon retard par rapport aux autres filles de mon âge. À dix-neuf ans, la plupart de mes amies étaient déjà dépucelées, moi non. J’en avais très honte, mais je faisais mine de ne pas y penser et évitais au maximum le sujet. Étrangement, ce qui me gênait le plus n’était pas le fait de ne point avoir d’amoureux, comme disent les petites filles romantiques, mais surtout de n’avoir suscité de désir, le plus primaire soit-il, chez aucun homme. Je mourrais d’envie de savoir ce que l’on ressentait sous des caresses et sous le corps lourd et suant d’un amant. J’arrivai finalement à en parler à Luz qui trouva mes envies « passionnantes » (dixit Luz) et étonnantes pour une fille. Elle me dit qu’elle était ravie de savoir que je me questionnais sur le sexe et que je n’attendais pas stupidement qu’un quelconque prince charmant vienne m’en dégoûter un beau jour. Je riais de son cynisme, et lui répondis que je n’étais pas aussi insensible qu’elle et que j’attendais tous les soirs à ma fenêtre le « gentil rossignol de mes amours ». Mais cependant, les volets restaient clos, il était vrai que la question du sexe m’obsédait.
J’avais eu des petits amis… Non, je reprends : je n’avais eu que très peu de petits amis et rien n’avait jamais été sérieux. La relation se résumait à quelques bécotages brefs et rapides avant de rentrer en cours, ponctués, en musique de fond, par les gloussements niais de mes fabuleuses copines. Attention : copines du collège. Car ce ne fut qu’à cette période que, décorée d’acné et d’un énorme sac à dos, je connus mes seuls succès discrets avec les garçons… Allez comprendre. Ce fut aussi l’époque où je découvris la joyeuse expression « sortir avec », que je trouve encore aujourd’hui d’une pudeur charmante.
Puis vint le lycée, lieu de perdition, où je cessais d’être une première de la classe, me mis à sortir avec des tas de gens « cools » dont je ne connaissais et estimais à peine que la moitié, à boire et à fumer. J’ai d’ailleurs arrêté depuis ; c’est tout compte fait immonde. Bref, je passais des années que l’on peut titrer « adolescence », et j’étais réellement en pleine crise. Je pensais passer les plus belles années, heureuses et insouciantes, de ma vie, mais avec le recul, ce furent les pires. Tout ce que je vivais n’était qu’un bonheur forcé, hypocrite, hystérique. Au fond, j’étais seule, et je le savais bien. Durant ces trois années, je n’eus pas un seul copain. Je devins distante avec eux, quoique, le mot exact serait plutôt timide. Je ne voyais pas de quelle manière j’aurais pu plaire, et ce fut un temps où je me mis à fantasmer sur des rencontres et des corps poilus et virils uniquement sur papier, en écrivant le soir, « après une dernière cigarette », mes premiers récits pseudos-érotiques.
Encore aujourd’hui, je possède cette réticence à me mettre en valeur, n’étant toujours qu’à moitié sûre de mon charme. Ce « charme » dont je parle, c’est mon père qui me l’a attribué. Il a émergé un beau soir de ses rêveries pour s’étonner que je n’aie point de Jules. Il a dit : « Dis-moi, ma puce, tu ne nous parles jamais de tes amours… » J’ai répondu que c’était normal, qu’il n’y en avait pas. « Hum, a-t-il ajouté, c’est étonnant, tu es pourtant… charmante. » Je ne sais pas s’il entendait par là « gentille » mais, toute heureuse, j’ai pris la remarque pour un compliment sur ma beauté - chose rare, les compliments, chez mon petit papa. Je ne suis pas une fille totalement moche, et il m’arrive même de me plaire certains soirs devant le miroir (non, pas ces soirs où je faisais des pitreries en pyjama en expérimentant le maquillage de ma mère, les autres). Mais je dois avouer que j’ai une insuffisance de sensualité qui s’explique par mon manque de confiance en moi… À peine ai-je le désir de séduire par le regard ou par d’autres outils féminins tels le sourire, les lèvres ou un certain déhanchement qui, selon Luz, fait fondre les hommes, que je me sens soudain grotesque et en proie à un ridicule profond. Je rougis, perds toute assurance et finis par stagner dans un coin sur ma chaise à attendre que les lumières du bar s’éteignent.
La première fois que j’accompagnai Luz à un rendez-vous, je m’étais habillée de sorte à passer inaperçue. Suite à ses insistances, j’avais accepté de venir avec elle jusqu’au café, de discuter cinq minutes avec son prétendant, puis prétendre avoir une course à faire et m’enfuir le plus vite possible, fière d’avoir humée une ambiance de séduction qui allait forcément se terminer bestialement au lit, connaissant Luz. Cela ne se passa pas du tout ainsi. Ma chère Luz n’avait pas invité un prétendant au café, mais deux. Et je compris vite son petit plan. Le second était soi-disant un copain du premier qui passait là par hasard et qui se réjouit bien vite de ma présence. Luz avait tout de même bien choisi, car il était plutôt séduisant. Elle me dit plus tard qu’elle les avait connus en discothèque et qu’ils ne cherchaient évidemment rien de sérieux, juste à s’amuser avec des filles « ouvertes d’esprit », comme ils se plaisaient à le dire. Bertrand, mon « soupirant », en vint droit au fait. Au bout de quelques plaisanteries, que je n’ai d’ailleurs toujours pas saisies, il posa doucement sa main sur ma cuisse et s’approcha de moi pour me dire que je lui plaisais. J’eus un petit rire niais et lui répondis qu’il était très beau. C’était idiot, plat et pas totalement vrai, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il me dise cela aussi rapidement, et je n’avais sur l’instant aucune répartie potable. Il ne m’en tint rigueur et passa sa main dans mes cheveux. Je tremblais. À côté, Luz batifolait avec Jules (je ne me souviens plus de son prénom, mais celui-ci lui va très bien).
A la suite d’autres rendez-vous, où je flirtais plus ou moins chastement avec de nouveaux « soupirants » (mais guère intéressants), j’eus l’occasion de revoir Bertrand et notre relation devint de plus en plus… rapprochée. Elle commença par un baiser, assez mécanique, dans le café de notre première rencontre et se termina par une bise un soir, après un repas chez Luz.
Entre ces deux saynètes, il y eut un intermède plus ou moins long de caresses, mais nous n’alliâmes jamais jusqu’à l’acte sexuel à proprement parler. Nous nous étions retrouvés nus une fois dans son appartement et il avait réveillé en moi des endroits que je croyais endormis à jamais ou même inexistants. Il aimait embrasser mes seins, qu’il tenait le plus souvent fermement dans ses mains, et il les lécha alors pour mon plus grand plaisir, et se dirigea vers mon nombril sur lequel il déposa un baiser et descendit jusqu’aux hanches. Il enfouit son visage entre mes jambes et je tenais ses cheveux entre mes doigts crispés par le plaisir. Puis il revint contre moi et passa une main experte derrière mon cou. Il m’embrassa. Je fus surtout fascinée, ce soir-là, par son sexe qui se redressait impulsivement sous les passages discrets de mes doigts timides et maladroits. Cette fantaisie dura jusqu’à ce qu’il s’impatiente et que je finisse par lui dire que je ne voulais pas aller plus loin.
Il se rhabilla très vite, ne manifesta aucun reproche à mon égard mais ne me regarda plus pendant un long moment. Il finit par aller dans la salle de bains où, peut-être, il se lava les mains ou se masturba, ou bien les deux. Lorsqu’il revint, je n’étais toujours pas sortie du lit et je restais nue sous les draps frais, perdue dans mes pensées. Je sentis alors son regard sur moi et je lui lançai des yeux remplis d’excuses. Il ne sembla pas les remarquer. Il marchait dans la chambre et paraissait soucieux. Je lui tendis la main et lui proposai de venir s’asseoir près de moi. Ce qu’il fit. Il parla enfin. Il me demanda si j’étais amoureuse de lui et si c’était pour cette raison que je voulais ainsi attendre pour faire l’amour. Décidément ce garçon me surprenait dès qu’il ouvrait la bouche. Non… non, je ne suis pas amoureuse de toi, Bertrand. Je ne l’avais jamais été et ce n’était pas ce que je cherchais dans cette relation. Je n’avais cependant pas le temps de lui répondre ; il avait tout de suite enchaîné en m’expliquant qu’il ne voulait en aucun cas avoir une relation sérieuse avec moi, que j’étais juste une amie avec qui il passait du bon temps et qu’il n’avait pas envie de « se prendre la tête » (expression qu’il ne cessait de ruminer depuis notre rencontre). Je le rassurai, lui promettant de ne pas lui en demander plus. Je me rhabillai et me décidai à partir. Je lui fis un baiser sur la joue et m’excusai une dernière fois. En partant, je me retournai devant le seuil de porte et je lui avouai que si je n’avais pas pu continuer, c’était certainement parce que j’étais encore vierge et que j’avais un peu peur. Il rit de bon cœur, comme si je disais une blague tordante. Son rire disparut petit à petit, devenant de plus en plus gêné. Il comprit que je ne plaisantais pas. Je baissai la tête et lui dis doucement au revoir. Je le revis quelques jours plus tard chez Luz et il resta assez distant avec moi pendant tout le repas. À la fin de la soirée, il me raccompagna jusqu’à ma voiture et me fit un câlin très correct et très réconfortant. C’était un chic type.
Cela fait quelque temps maintenant que je n’ai plus accompagné Luz dans ses rencontres. Elle est un peu déçue. Elle l’est aussi du fait que je n’ai pas donné suite à ma relation avec Bertrand. Je crois savoir maintenant que ce qui me bloquait n’était pas, comme il le pensait, parce que j’étais amoureuse de lui, mais au contraire parce que je ne l’étais pas. Le fait que je sois vierge n’avait finalement rien à voir. J’avais de toutes façons envie de sexe, m’impatientais de connaître, d’en savoir plus. Je n’avais qu’une peur en vérité : regretter que ce soit lui le premier. Je n’ose pas parler de cela à Luz, j’ai peur qu’elle ne comprenne pas et me dise d’un air désinvolte que je suis bien trop fleur bleue. J’ai essayé d’être comme elle pendant ces quelques semaines, et j’en tire de nombreux avantages. Je ne vire désormais plus maladivement au rouge tomate lorsqu’un mâle viril tente d’élaborer une conversation avec moi. Je sais que je peux plaire. Je connais à présent certains de mes atouts et aussi les points sensibles de mon corps (merci Bertrand). Cependant, je sais que je ne pourrais pas continuellement mener la vie sentimentale (car je la soupçonne d’en avoir plus que ce qu’elle prétend) que Luz mène depuis des années… C’est très plaisant, je l’avoue et je continuerais peut-être plus volontiers si je n’avais pas rencontré « il », ou plutôt Christophe, l’adorable garçon de la soirée d’Élodie qui a fait fondre mon cœur. Si Luz m’entendait, oui, elle aurait le droit de dire que je suis fleur bleue en ce moment !
Nous nous sommes tout de suite plu. Comme des aimants, nous nous sommes rapprochés, progressivement, et j’ai mis fin à cette attraction physique en posant mes fesses sur le sofa près de lui. Durant la soirée, nous avons plus ou moins flirté et j’avoue avoir eu recours (quelle honte !…) à la simulation de la fille saoule pour bénéficier d’un câlin contre lui. J’étais aux anges. Plus tard dans la soirée, il m’a proposé de sortir pour discuter dans le jardin. J’ai accepté gaiement. J’ai fait mine de dire que je sortais à quelques personnes (qui s’en moquaient pas mal) pour me donner une contenance.
Je le suivis dehors. Il se tenait debout devant moi depuis la première fois de la soirée et je me rendis compte qu’il était très grand et mince. Il me plaisait beaucoup. Je trouvais son corps parfait ; il semblait être dessiné pour moi. Il dégageait une assurance à la fois virile et touchante et je sentais, alors que je le connaissais à peine, que je lui appartenais déjà. Sur le chemin qui menait à l’entrée de la maison, il se retourna et prit ma main. Il le fit avec douceur et je ne sais comment l’expliquer, mais sa poignée de main exprimait quelque chose de profondément gentil et de tendre.
On s’assit sur la pelouse de la petite villa d’Élodie. Il m’expliqua qu’il était le cousin de la jeune fille et qu’il était venu voir ses parents dans la journée ; l’Élodie radieuse l’avait alors supplié de passer la soirée avec elle et ses amis, lui promettant qu’il passerait un moment « géant » (dixit la demoiselle hôtesse). Il avait finalement accepté, mais commençait à trouver le temps long et les amis « géants » peu loquaces avec lui. Je lui répondis des mots en vrac, que je savais sur le coup absurdes et incompréhensibles et dont je ne me souviens plus du tout aujourd’hui. Mais ce devait être finalement charmant, car il me sourit et me dit qu’il n’espérait pas voir une jeune fille aussi mignonne et drôle dans cette soirée prétentieuse. Je ne vois pas ce que j’ai pu dire de drôle cette nuit-là, mais peut-être que ma gêne dégageait quelque chose de sympathique. Quoi qu’il en soit, l’attirance qu’il avait pour moi et qu’il montrait sans retenue me donna du courage et me fit oublier mes répliques à la Beckett. Puis il me raconta rapidement sa vie, comme on le fait lorsqu’on veut embrasser une personne et qu’on ne sait pas quoi raconter en attendant le moment où l’on se décide.
Il habitait à Paris et donnait des cours d’anglais en tant que remplaçant dans un lycée. Il me dit qu’il avait beaucoup voyagé ces trois dernières années, car ses parents avaient divorcé et sa mère était partie en Cornouailles vivre avec son nouveau mari qui gérait une industrie dans le papier. Il l’avait suivie et vécu six mois là-bas, étudiant à la faculté de Exeter. Cependant, son beau-père et lui ne se supportaient pas et suite à de nombreuses crises, il avait décidé de partir et de laisser les deux tourtereaux barboter dans leur orgie de bonheur en papier. Il s’installa ensuite à Bristol - peut-être en hommage à son beau-papa le « roi du carton » - où il travailla quelques mois, car l’argent qu’il recevait de son père ne lui permettait pas de payer le voyage jusqu’à Édimbourg où il avait postulé pour donner des cours de français dans une école de commerce. Il louait une chambre dans un quartier étudiant près d’un parc immense et passait les plus beaux moments de sa vie. Cependant, les pubs et la pluie, qui selon lui était d’une beauté exquise en Écosse, n’arrivèrent pas à lui supprimer le mal du pays et il revient au bout de deux ans vivre chez son père. Ce dernier avait, lui, le mal de son enfant. Il résidait donc à Paris depuis, et il m’avoua trouver la pluie très jolie ici aussi.
Je me mis à « autobiographier » à mon tour. Je n’avais cependant pas autant d’aventures à conter. Je lui dis, un peu gênée, que je n’avais jamais eu la chance de vivre de telles escapades. Il me répondit que ce n’était pas un tort et qu’il aurait préféré ne pas en vivre certaines. Je lui racontai que j’aimais souvent m’échapper et aller à Paris en bus, juste pour flâner et regarder les grandes façades haussmanniennes et les ponts. Je lui parlai de l’école de dessin et de natation que je suivais cette année et essayai, de manière très confuse, alcoolisée et ponctuée de rires de notre part, d’expliquer le lien existant entre ces deux disciplines. Et puis, je ne sais pourquoi, je lui racontai mon histoire avec Bertrand. Peut-être était-ce parce que je me sentais en confiance et je pouvais enfin raconter ce que je n’avais pu dire à Luz ou peut-être étaient-ce les vapeurs d’alcool qui me faisaient dire n’importe quoi. Quoi qu’il en soit, il resta attentif à mon discours et me dit qu’il n’avait pas eu, lui non plus, de relations sérieuses depuis très longtemps avec une fille (ciel ! Il était donc célibataire…).
Nous continuâmes de parler jusqu’à la fin de la soirée. Et au cours de la conversation, je m’abritai progressivement dans ses bras. Je me sentais bien près de lui, aussi rassurée que dans les bras d’un grand frère et aussi excitée que lorsque qu’on touche du doigt un fantasme tant espéré. Il me caressa longtemps le long du bras et arriva enfin jusqu’à ma main qui l’attendait impatiemment. Par un jeu complexe de frottements tendres, nos pouces se côtoyèrent fort sensuellement pendant un très long moment. Puis, nos doigts, fous de désirs, s’enlacèrent subitement. Je me tournai vers lui et l’embrassai. Il se laissa faire. Il lâcha ma menotte et passa ses bras autour de mon corps. Nous restâmes longtemps ainsi, à savourer ce moment charnel. Il me souffla à l’oreille qu’il avait très envie de moi. Il posa sa main sur ma joue et descendit le long de mon cou, puis sur mon épaule qu’il serra et enfin s’arrêta discrètement sur le côté de mon sein. Je posai ma main sur la sienne et lui dis que je serais d’accord de le revoir. Il me demanda pourquoi pas ce soir et je dus avouer que je vivais toujours chez mes parents et que j’avais confirmé que je rentrerais après la soirée. Je lui expliquais qu’ils étaient du genre à attendre mon retour et que je préférais ne pas les inquiéter. Il me dit en souriant que j’étais une gentille petite fille et je fis mine de bouder et d’être vexée par son ironie pour qu’il me réconforte.
Il me demanda un rendez-vous. Je ne sais alors pourquoi je le lui ai donné sur cette départementale qui ne se trouve pas loin de chez Élodie. Peut-être parce que c’est un endroit joli en été et que j’aimais y aller lorsque j’étais enfant. Ou peut-être parce que c’est aujourd’hui devenu, le soir, un lieu de rendez-vous coquins !… Je l’attends. C’est bientôt l’heure. Deux voitures viennent de passer. Mon cœur tout excité a fait des bonds, mais déçu, il est retourné se nicher dans sa caverne. J’ai hâte qu’il soit là. J’ai hâte de le connaître. Et j’ai hâte qu’il me connaisse. Et j’ai hâte qu’il me caresse… Le chat s’est enfui. Je suis seule à présent à attendre dans la nuit.
Une autre voiture… Elle s’arrête.
Je monte.