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Temps de lecture estimé : 25 mn
30/03/06
Résumé:  Une jeune femme, une plage, l'océan et chabada-bada...
Critères:  fh ff douche amour volupté fsoumise fsodo sm init
Auteur : Jeff            Envoi mini-message
Les petits bonheurs d'Estelle....

Estelle avance à petits pas comptés le long du port. Elle aime à en respirer les odeurs fortes de varech, d’iode, de poisson où se mêlent les relents de gas-oil. Elle aime aussi entendre le clapotis de l’eau qui frappe le long du quai au passage d’un bateau qui s’éloigne vers la passe pour gagner la haute mer. Ça la rassure d’entendre au-dessus d’elle le cri des mouettes qui piaillent et se chipotent quelques miettes. Ici, chez elle, elle se ressource, loin de l’agitation et du bruit incongru de la vie trépidante. Et puis elle en a tant besoin de ce calme, de ces odeurs, de ces cris d’oiseaux.


Estelle remonte le col de son grand imperméable, le serre autour de son cou et le tient d’une main ferme. Nez au vent, elle aspire à pleins poumons l’air vif et passe un petit coup de langue sur ses lèvres, humides des embruns qui giflent son visage et déposent sur sa peau de minuscules grains de sel. Encore un pas et elle sera face au large, de l’autre côté du môle. Bien que la saison ne s’y prête pas, elle aimerait aller se baigner, sentir son corps se faire éclabousser par l’écume des gros rouleaux qui frappent la grève. Elle voudrait sentir le picotement de l’eau de mer sur sa peau nue, sentir le souffle du vent lui hérisser la peau de mille aiguilles et elle frissonnerait de plaisir autant que de froid.


Ses pas s’inscrivent en creux sur la plage humide. Elle marche au ras des flots qui viennent mourir à ses pieds et qui effacent l’empreinte de son pied gauche, ne laissant qu’étrangement celle du pied droit, ce qui pourrait faire dire à qui la suivrait : « Tiens, un unijambiste ! ». Par acquit de conscience, Estelle se retourne. Personne ne la suit. Qui d’autre serait assez fou, en cette bruineuse journée d’hiver, pour aller se promener le long de la plage ? Elle est seule. Elle est seule mais, au loin, au-dessus du vacarme de la mer, elle entend le ronron de la ville qui accompagne sa promenade matinale et lui rappelle que la vie est là, à deux pas d’elle. À cette simple rumeur et aux bruits de la nature sauvage qui l’entoure, Estelle sourit. Elle sourit à la vie. Une vie dont elle n’avait pas mesuré l’importance, jusqu’il y à peu de temps…



***



Elle marchait aussi sur du sable et ses pas étaient effacés par une de ces brusques tempêtes qui viennent soulever des tourbillons piquants pour les yeux. Pour se protéger, elle avait resserré autour de sa figure le foulard qui la protégeait. Elle avait même dû fermer les yeux pour évacuer des dizaines de grains d’un sable très fin qui l’irritaient. Dans les mugissements des coups de vents, avec l’intensité du trafic automobile qui la frôlait et le vrombissement des lourds camions, elle n’avait pas entendu le coup de frein ni les portières s’ouvrir. Elle s’était retrouvée cernée par trois costauds, la tête enturbannée, de grosses lunettes noires cachant leurs yeux. Sans brusquerie mais sans ménagement ils l’avaient poussée vers un lourd véhicule tout-terrain qui les attendait, portières ouvertes, moteur au ralenti. Elle avait bien tenté de résister, de freiner l’inéluctable, mais dans son dos, dans ses reins, elle avait senti une pointe acérée accentuer sa pression à travers ses vêtements.

Elle se rappelle encore avoir cambré ses reins, les avoir creusés. En prenant place sur la banquette arrière, coincée entre les escogriffes qui l’encadraient de près, ses jambes s’étaient soudain mises à trembler.

Et puis une grosse main lui avait empoigné la nuque et lui avait fait abaisser la tête jusque sur ses genoux. Le geste avait été tellement brutal et soudain qu’elle en avait perdu une partie de son foulard, et ses longs cheveux bruns en avaient profité pour se dénouer et dessiner un écran autour de sa figure. La pression sur sa nuque ne s’était pas relâchée un seul instant. Elle avait même eu l’impression que cette main puissante aurait pu la broyer, comme ça, d’une simple pression des doigts. Durant le court trajet, elle avait été transbahutée de droite à gauche, en fonction des virages pris à toute allure, et terriblement secouée par les nids de poule. Mais, coincée comme elle était, elle n’avait presque pas pu bouger. Elle avait attendu la suite avec angoisse. Seul le vrombissement du moteur, malmené par le chauffeur, tenait lieu de conversation.


Soudain, il y avait eu le noir. Celui d’un garage ou d’une remise, elle ne savait toujours pas. Elle avait encore été forcée de rester pliée en deux. Elle avait eu du mal à s’extraire et à descendre du haut véhicule. En trébuchant, dans cette position plutôt inconfortable pour se déplacer, elle avait été introduite dans une pièce où on l’avait forcée à s’allonger sur une natte, figure tournée contre le sol. Peu après le claquement de la porte, elle avait enfin jeté un coup d’œil autour d’elle. La pièce était minuscule. Des murs chaulés, une lucarne avec une sorte de verre dépoli, une natte qui lui servait de couche, un plateau posé sur une sorte de trépied, et dessus une bouteille d’eau minérale et des loukoums. Rien d’autre. Autour d’elle, le silence.


Estelle n’avait pas eu peur. Elle était habituée au danger, préparée à affronter des situations dramatiques. Reporter de guerre pour différents médias européens, elle savait qu’en acceptant de venir à Mossoul, alors en pleine déconfiture et où les bandes rivales s’affrontaient au quotidien tout en se coalisant contre « l’envahisseur américain », elle risquait gros. Mais le chant des sirènes du scoop journalistique avait été plus fort que la raison. Plus fort que sa sécurité.



Quelques jours auparavant, elle avait reçu un message sibyllin par Internet. Il l’invitait à se rendre à Mossoul pour y rencontrer l’un des principaux responsables des factions religieuses qui menaient alors une guerre sans merci contre les forces occidentales et les autres partis religieux. Celui qui avait rédigé le message devait bien la connaître, car il était rédigé en farsi, langue maternelle d’Estelle.

Et oui, Estelle, bien que Française de naissance, née de père malouin, était Iranienne par sa mère. Douée pour les langues, elle parlait aussi bien l’iranien, l’arabe, l’anglais et même le breton puisqu’elle avait fréquenté durant toute sa scolarité une école traditionnelle bretonne à Saint-Malo avant d’intégrer le Centre de Formation des Journalistes - le CFJ - de Paris. Estelle n’était pas douée que pour les langues. Elle est aussi une très « belle plante », fierté paternelle qui retrouve à travers ses traits ceux de son épouse aimée. Grande, fine, racée, magnifiquement proportionnée, Estelle a la peau mate, le nez droit, les lèvres fines mais bien ourlées. Le menton volontaire allonge légèrement son visage et lui donne un air déterminé qui, malheureusement, comme l’estime sa mère, avait bien dû faire fuir quelques prétendants et en faire baver plus d’un. Mais ce dont son père est le plus fier, ce sont ses yeux. Estelle, la brune, a ses yeux et son regard : bleu pervenche clair et, certains jours ou en fonction de son humeur, ils peuvent virer au gris métallique, comme la mer qui gonfle avant la tempête. Avec son haut front, souvent caché par une frange brune aux reflets auburn, Estelle fait fantasmer de nombreux hommes autour d’elle. Et personne ne lui connaît de vie amoureuse, car elle reste secrète sur ses amours.



À peine la porte refermée, Estelle s’était levée d’un bond. En s’étirant, elle avait ôté son imperméable et sorti de son sac - que ses ravisseurs n’avaient même pas daigné remarquer - son stylo, son carnet et son petit magnétophone. Puis elle avait retiré ses chaussures, comme le veut la coutume dans les pays arabes. Ensuite, passant avec élégance la main dans ses cheveux, elle les avait ébouriffés pour les épousseter des grains de sable qui s’y étaient entremêlés avant de rajuster son foulard dessus, à la façon d’un tchador. Puis, après s’être servi une gorgée d’eau, elle s’était installée, assise en tailleur, dos contre le mur, faisant saillir sa poitrine. Elle avait fermé les yeux pour faire le vide en elle, calmer ses nerfs et sa tension, reprendre le contrôle de soi.

Cela faisait un bon moment qu’elle oscillait entre le sommeil et le réflexe de garder son esprit en éveil lorsque la porte s’ouvrit. Une jeune femme, revêtue d’un tchandri bleu qui la couvrait des pieds à la tête, était entrée en portant un plateau. Sans un mot, elle avait déposé le plateau à côté d’Estelle et était ressortie. Sans bouger, Estelle avait inventorié le frugal repas qu’on venait de lui apporter : un peu de couscous, quelques légumes, une salade, des fruits. Elle n’avait pas faim, mais par acquit de conscience et aussi pour ne vexer personne, elle avait juste picoré quelques dattes, croqué une figue, chipoté une feuille de salade. Elle avait surtout attendu avec impatience la suite des évènements. Et, plus que tout, elle espérait ne pas s’être trompée sur les intentions de ses ravisseurs du moment. Elle espérait qu’ils soient bien ceux qui l’avaient invitée à rejoindre Mossoul et que cette rencontre était une invitation et non un piège pour l’enlever.


C’est qu’Estelle avait poussé son professionnalisme jusqu’à obéir à l’injonction de l’invitation. On l’avait priée de garder cette rencontre totalement secrète et elle n’avait indiqué à personne ses intentions, pas plus qu’elle n’avait pris de guide pour l’accompagner. Elle était seule, totalement dépendante de la bonne foi de ces hommes qui, pour l’instant, la détenaient prisonnière. Mais, très vite, Estelle était revenue sur ce terme de « prisonnière », car la porte de la pièce où elle se trouvait n’était pas fermée. Elle l’avait expérimentée car elle avait besoin d’aller aux toilettes. Elle avait poussé la porte et s’était retrouvée dans une grande pièce enfumée. Dans un coin se tenaient plusieurs femmes, accroupies, toutes couvertes du traditionnel tchandri, pourtant généralement réservé aux sorties extérieures. À son entrée, les murmures s’étaient tus. Les visages dissimulés par le voile s’étaient tournés vers elle et une voix étouffée par le tissu lui avait demandé ce qu’elle voulait. Après une hésitation, Estelle avait demandé où elle pouvait aller aux toilettes. Une ombre bleue s’était levée et l’avait conduite un peu plus loin. En revenant, elle s’était approchée du groupe de femmes et avait demandé si elle pouvait rester avec elles un moment. Personne n’avait dit non. Estelle s’était accroupie à la manière locale, avait remercié pour le verre de thé brûlant qu’on lui tendait et elle s’était mêlée à la conversation. Ou plutôt, elle avait répondu à plusieurs questions sur sa vie en Europe.

Mais la conversation avait été de courte durée. Un homme vêtu d’un treillis, un foulard serré autour de la figure, était entré et lui avait donné l’ordre de le suivre. Avec un sourire, Estelle avait abandonné ses compagnes d’un moment pour accéder à une pièce basse de plafond, toute blanche, garnies d’épais tapis. Un cercle d’hommes était en train de s’installer. Par décence et parce qu’elle était une femme, Estelle s’était assise légèrement en retrait du cercle des hommes. Puis une porte s’était ouverte et immédiatement le brouhaha des conversations s’était tu. Un homme en uniforme couleur sable était entré dans la pièce. La chéchia autour de la figure, lunettes Ray-Ban sur le nez, il avait traversé la salle, contourné le cercle et s’était approché d’elle. À deux pas d’Estelle, il s’était incliné et dans un français parfait lui avait souhaité la bienvenue dans cette modeste retraite. Il s’était excusé pour la brutalité de l’enlèvement et la façon cavalière dont ses hommes s’étaient conduits, des rustres, selon lui, mais dévoués à La Cause.


Estelle était restée un instant interloquée car le personnage l’intriguait profondément. À sa connaissance, rares étaient les combattants arabes qui parlaient aussi bien le français que lui. Et cette voix, bien qu’étouffée par la chéchia, avait des intonations qui lui étaient familières. Oui, mais lesquelles ? Et, durant tout le temps où elle lui avait posé des questions sur sa cause, son organisation, ses objectifs, ses moyens, Estelle, bien qu’attentive aux réponses, avait cherché à percer le mystère du personnage qui restait énigmatiquement camouflé derrière son turban. Pourtant elle était certaine de l’avoir déjà rencontré. Mais où ?

Soudain, de la même façon qu’il était entré, il s’était levé, avait congédié tout le monde et s’était éclipsé, après avoir salué Estelle en la remerciant de s’être déplacée jusqu’à lui. Estelle, un peu ébaubie par la brusque sortie de son hôte, avait été raccompagnée dans le « quartier des femmes ». À son entrée, les tchandri avaient étaient retirés. Elles étaient assises autour d’un plat commun d’où elles puisaient du bout des doigts du riz qu’elles malaxaient en boulettes serrées avant de les porter à la bouche d’un geste rapide. Estelle avait été invitée à venir partager le frugal repas.


À la fin de ce rapide repas, après les ablutions destinées à se nettoyer ses mains, une jeune fille, le regard noir et l’œil surchargé de khôl, l’avait invitée à la suivre. Estelle avait hésité un instant puis, encouragée par les autres femmes du groupe, elle s’était levée pour se retrouver dans une pièce toute carrelée de blanc, une sorte d’étuve. La jeune fille s’était approchée d’Estelle et sans une parole avait commencé à la dévêtir. Estelle s’était laissée faire. Comme elle allait se laisser savonner !


Il faisait chaud dans cette pièce. Une chaleur étouffante et surchargée d’humidité. Un baquet d’eau fumante à côté d’elle, la jeune Arabe avait empoigné une savonnette vert olive et avait tranquillement savonné tout le corps d’Estelle. Ses doigts habiles n’avaient oublié aucun des coins, ni des recoins, ni des petits replis de son corps. Elle avait, avec délicatesse et légèreté, passé la savonnette sur ses seins, insistant tendrement sur la pointe et s’y attardant même avec, dans le regard, une certaine volupté.

Estelle, surprise par cette toilette et la tournure qu’elle semblait prendre, obéissait aux gestes de sa jeune laveuse. Elle avait été troublée par le contact soyeux du savon qui glissait sur sa peau et par la finesse de la main qui s’attardait sur les parties intimes de son corps. Un trouble avait commencé à monter dans sa poitrine qui, libérée de son soutien-gorge, s’était alourdie et dont les mamelons se tendaient en faisant pointer les tétons.

Son ventre plat s’était creusé sous l’effet du savonnage et, quand la main chargée de mousse avait glissé sur le friselis léger de son pubis pour attaquer son intimité, Estelle avait dû se mordre la lèvre pour étouffer un gémissement de plaisir.

Les doigts indiscrets avaient glissé tout le long de l’ouverture de son sexe, envahissant le moindre pli, allant jusqu’à débusquer son clitoris pour glisser dessus. Sous l’attaque franche et brutale, Estelle avait émis un léger sifflement et fermé les yeux, soudain troublée de ce plaisir inattendu qui venait après de longues heures de stress. La main, toujours indiscrète, avait entamé une série de petits cercles concentriques sur son bouton sensible, le forçant à se dresser, à se développer pour le faire sortir hors de son étui naturel.

Estelle, debout, les pieds glissants dans l’eau savonneuse qui s’étalait en une large mare autour d’elle, faisait de nombreux efforts pour se tenir droite. Mais la caresse envahissante était devenue plus impérieuse, plus forte, et le doigt qui roulait son petit bouton avait lancé de longues ondes électriques dans tout son ventre, humidifiant largement son sexe qui sous la pression s’était ouvert et laissait s’écouler son plaisir. Estelle avait longuement gémi, émettant une longue plainte à mi-voix. Elle avait empoigné ses seins par en dessous et en roulait les pointes durcies entre ses doigts rendus fébriles par le plaisir qui l’envahissait toute entière.


Toujours debout, chancelante, titubante, Estelle sentait les spasmes de bonheur qui commençaient à décroître dans son ventre. Mais la main avait continué à la masturber, avec douceur et attention. Des doigts fins recueillaient ses suintements intimes et ouvraient ses lèvres. Estelle, les yeux fermés, avait dû mordre sa lèvre pour ne pas crier de plaisir et, instinctivement, elle avait ouvert ses longues jambes par un mouvement gracile, abaissant ainsi légèrement son bassin pour favoriser l’introduction des doigts dans son sexe. Maintenant que le plaisir avait réveillé son corps, elle en voulait plus encore… Elle en voulait d’autant plus que c’était là sa première expérience homosexuelle. Jamais elle n’avait été touchée ainsi par une femme. Jamais une main féminine ne s’était aventurée dans son sexe. Elle trouvait cette situation troublante, étrange et très érotique. En même temps, ce plaisir l’avait libérée de toutes les tensions accumulées ces dernières heures.

Et les doigts, à l’invitation d’Estelle, s’étaient emparés de ses lèvres intimes, pour les frotter, les effleurer, les caresser. Mais les doigts étaient restés étrangement à l’extérieur de son sexe, sans le pénétrer, sans entamer le moindre mouvement de va-et-vient. Pourtant Estelle avait envie que la main démarre un lent et profond mouvement de piston, remplaçant ainsi un membre masculin, rigide et excité. La jeune femme arabe fixait toujours Estelle droit dans les yeux. Muette, elle avait continué à l’exciter de ses doigts habiles. Des doigts de plus en plus inquisiteurs qui avaient abandonné son entrée intime pour aller savonner son petit trou.


Dès les premiers attouchements sur son anus, Estelle avait émis un petit cri de surprise et de plaisir. Le doigt, pointé en avant, avait rapidement fait le tour de son anneau, hésitant encore à aller plus loin, plus profondément. Puis, après une série d’allers et retours, de petits cercles autours de l’anneau culier, la jeune femme avait vrillé rapidement tout son index, entamant immédiatement une série de va-et-vient qui avaient laissé Estelle la tête lourde et le souffle court. Le plaisir qu’elle venait de se voir offrir avait été d’une rare violence. Et, à l’introduction du doigt explorateur, Estelle avait pincé encore plus fort le bout de ses seins, jusqu’à s’en faire mal, et elle avait feulé de plaisir, le ventre dur et les cuisses tétanisées par la jouissance.

La jeune femme ôta son doigt aussi brusquement qu’elle l’avait introduit, laissant Estelle groggy et insatisfaite de ce plaisir inachevé. Alors qu’elle cherchait encore à reprendre ses esprits, la jeune femme, munie d’un broc d’eau chaude, l’avait abondamment rincée avant de la frotter au moyen d’une douce serviette, chaude elle aussi.


Estelle était à peine remise de son plaisir, la peau adoucie par l’énergique massage de la jeune femme, que celle-ci avait disparu, comme absorbée par la brume qui envahissait la pièce. Estelle n’avait pas eu le temps de remettre ses vêtements qu’une forme se dessinait devant elle. Elle avait poussé un petit cri de surprise, cherchant à cacher sa nudité par pudeur et par instinct. L’homme qu’elle avait interrogé tout à l’heure était là, devant elle, toujours vêtu de son battle-dress, la tête enrubannée de sa chéchia et les yeux cachés par ses Ray-Ban qui lui mangeaient la moitié du visage.


Estelle n’avait pas protesté. Elle avait attendu. Après quelques longs instants de ce curieux face à face, l’homme avait ramassé une grande serviette et la lui avait tendue. Elle s’en était emparée avec vivacité et l’avait nouée au-dessus de ses seins, cachant son corps nu au regard de cet inconnu. Mais était-ce véritablement un inconnu ? Estelle n’arrivait toujours pas à se souvenir de sa voix, ni à mettre un visage sur cette voix.



Estelle avait encaissé la question sans broncher, obnubilée par sa propre interrogation. Puisqu’il l’avait tutoyée, elle devait le connaître. Mais d’où ? Et qui pouvait-il bien être ?



Estelle avait murmuré sa réponse en tentant de se souvenir du visage de ce camarade qui n’avait jamais attiré son attention à cette époque. Puis, soudain, dans le calme de l’étuve, les souvenirs étaient remontés intacts à sa mémoire… Bien sûr, Jack ! Un grand nigaud qui se prenait pour un génie du journalisme, mais surtout un irrésistible tombeur qui était plus enclin à draguer les filles et sortir en boîtes de nuit qu’à travailler… Mais non, ce ne pouvait pas être lui…



Pour sûr qu’il avait changé. Et pas qu’un peu. Comme tout un chacun, il avait pris de l’âge et était devenu presque séduisant. Certes, pensait-elle, il était toujours aussi imbu de sa personne, mais il avait pris des épaules, du muscle et avait perdu cette mauvaise graisse qui l’enveloppait autrefois. Il avait expliqué à Estelle qu’il avait rencontré Dieu, enfin Allah, au cours d’un reportage en Afghanistan et qu’il était resté dans les rangs des combattants. Il s’y était aguerri, avait perdu du poids, avait pris des muscles et du galon et aujourd’hui il dirigeait un groupe d’une centaine d’hommes, tous combattants pour La Cause.


Tout en parlant, Jack avait entraîné Estelle vers une nouvelle pièce, meublée des éternels épais tapis. Ils s’étaient assis à même le sol, l’un en face de l’autre. En quelques phrases lapidaires, Jack lui avait raconté son engagement, sa Foi. Oui, il était loin le temps de l’étudiant parisien, adepte des trémoussements sur les pistes des boîtes de nuit branchées de la capitale et des beuveries jusqu’à plus soif. Il était loin le temps où il dépensait sans compter la fortune de papa. Maintenant il était un de ces combattants redoutables dont la tête avait été mise à prix par les autorités américaines.


Jack ! Estelle n’en revenait pas. Il était méconnaissable, transformé. Elle se souvenait que, lorsqu’ils étaient étudiants, il avait tenté sans succès de l’emballer. Non pas parce qu’elle était farouche, mais elle était déjà suffisamment indépendante pour choisir elle-même les cavaliers qu’elle souhaitait voir pendus à son bras. Et Jack n’avait jamais eu le privilège de lui plaire ni de l’accompagner, ne serait-ce qu’une seule soirée.

Mais quelque chose avait échappé à Estelle qui faisait qu’elle n’arrivait pas à comprendre pourquoi ce garçon pouvait s’être engagé dans une telle aventure. Et c’était lui qui lui avait donné la clef de tout ce mystère : son père était d’origine arabe, sa mère française. Tout le contraire d’Estelle. Et il avait espéré que ce point commun pourrait les rapprocher.


Estelle n’avait pas bien compris. Alors il lui avait aussi confié un premier secret.

Jack l’avait invitée, expressément elle, parce qu’il avait pensé qu’elle, moitié arabe, moitié occidentale, pourrait mieux le comprendre. Il lui avait alors avoué avoir toujours eu le béguin pour elle. Et ce, depuis le premier jour ou il l’avait vue. Oui, il avait souffert qu’elle le rejette, le méprise et ne lui accorde aucune attention. Oui, il avait toujours regretté n’avoir jamais pu faire partie de son équipe dans les groupes de travail qu’ils formaient alors au CFJ, ce qui lui aurait permis de mieux la côtoyer. Oui, il lui avait avoué que, depuis qu’elle avait entamé sa carrière professionnelle, jamais il n’avait manqué le moindre de ses articles, de ses reportages et qu’il admirait son travail et son courage.

Estelle l’avait écouté, bouche bée. Elle n’arrivait toujours pas à imaginer que l’homme qui était devant elle, qui avait enfin ôté sa chéchia et ses lunettes pour lui présenter au grand jour son vrai visage, était le Jack qu’elle avait connu à Paris. Il avait une barbe brune et drue. Ses yeux noirs étaient enfoncés profondément dans leurs orbites. Son visage était devenu sec, ascétique, bruni par le soleil. Il avait le crâne rasé de près. Son nez fin et droit semblait une immense proéminence qui lui donnait un visage encore plus austère.

D’une certaine façon, Estelle avait été émue de ces aveux, doux à ses oreilles en ces lieux insolites, au milieu d’un pays en guerre.


***


Estelle, qui continue à marcher le long de la plage bretonne, repense, non sans frissonner, à cette rencontre et à cette conversation avec Jack.

Et, tandis qu’elle joue à saute-mouton avec les avancées de la mer, un froid intense remonte dans sa colonne vertébrale qui n’a rien à voir avec l’hiver qui l’entoure. C’est que Jack lui avait surtout livré un second secret, encore plus lourd.


***


Jack avait observé une longue pause sans cesser d’épier le moindre battement de cils d’Estelle. Il semblait hypnotisé par le regard bleu pervenche qui venait de virer au gris. Estelle était en proie à un combat intérieur. D’un côté, elle avait dans son esprit l’image du camarade collant et un peu niais qui tentait d’arriver à ses fins et qu’elle avait dû repousser, au risque de le blesser. En même temps, elle avait devant elle un homme qui avait plus l’allure d’un baroudeur et qui, par le mystère dont il avait entouré sa vie et par sa transformation radicale, l’attirait sans qu’elle puisse comprendre pourquoi. Pourtant, elle n’avait jamais été le genre de fille qui se jette à la tête des garçons sous le simple prétexte qu’ils sont irrésistibles ou bien balancés. Elle avait besoin de plus. Elle avait toujours eu besoin de plus. Mais… plus quoi ? se demandait-elle. Et là, dans cette pièce presque nue, elle était incapable d’apporter une réponse immédiate, franche et honnête. Alors, elle s’était juste contentée de se laisser porter par les évènements, ce qui était très rare chez elle.

Et Jack s’était rapproché d’elle et, d’un ton encore plus confidentiel, il lui avait confié plus qu’un lourd secret.


Les têtes pensantes du mouvement auquel il appartenait, mais sur qui il gardait un énigmatique silence, avaient décidé de dissoudre son groupe et d’en affecter les effectifs à d’autres groupuscules, éparpillés à travers l’Irak. C’est que les arrestations et autres descentes de police apportaient de rudes coups à leur organisation. Mais lui avait été choisi pour accomplir une toute autre mission.

Le ton grave avec lequel il avait prononcé les dernières paroles avaient étonné Estelle qui, à demi-mot, avait compris de quoi il s’agissait, sans que pour autant Jack en ait dit plus. Et son corps avait soudain été pris d’une sorte de tressaillement incontrôlable.

Pourquoi s’était-elle mise à trembler, s’interroge-t-elle encore ?


Elle ne s’était jamais sentie attirée par Jack, en tout cas pas par celui qu’elle avait connu étudiant à Paris. Pas plus qu’elle n’était d’accord avec la politique du pire qui se pratiquait dans cette région du monde, ou ailleurs. Mais, en tant que journaliste, elle savait qu’elle n’était pas là pour apporter un jugement mais uniquement pour rapporter des informations. Et cet aspect professionnel avait pris le pas sur tous les sentiments, y compris l’horreur qu’était en train de lui décrire Jack, à demi-mot, ses yeux brillant d’une lumière encore inconnue dans le regard. Et c’est certainement cette évidence qui venait de se faire jour en elle, qui l’avait fait tressaillir. En face d’elle, en toute conscience, se tenait celui qui allait bientôt donner sa vie pour La Cause.


Oui, elle avait parfaitement saisi ce que voulait dire Jack. Et comme si soudain il se sentait pressé par la vie, il s’était mis à parler, avec exaltation, de son combat, de La Cause, de sa Foi et du sacrifice suprême auquel il se destinait. Et, dans un dernier élan, il lui avait avoué qu’il avait très envie de faire l’amour avec elle et que c’était aussi pour cela qu’il lui avait lancé cette invitation.


Estelle était restée figée, les yeux écarquillés d’incrédulité devant cette demande. Intérieurement, les notions de bien et de mal, de vie, de mort, les images et les mots s’étaient bousculés, enchevêtrés, jusqu’à lui embrouiller l’esprit et faire perler de lourdes larmes au coin de ses yeux. Et ses larmes, Jack, avec délicatesse, était venu les essuyer d’un rapide revers de doigts, faisant reculer Estelle. Mais elle avait été incapable de s’exprimer, une boule était venue obstruer sa gorge, nouer ses cordes vocales. Lui avait pris ses larmes comme un signe d’acceptation. Et, comme elles avaient continué à couler, il s’était approché et du bout de la langue il était allé les cueillir, une à une, avec ferveur et tendresse.


Sans savoir comment, ils s’étaient retrouvés enlacés, roulant sur l’un des épais tapis, s’embrassant à pleine bouche. Estelle avait la tête qui lui tournait et ne savait plus que faire, que dire. Elle n’avait pas envie de faire l’amour, de se donner à ce garçon, et pourtant, intérieurement, elle était dévorée d’un feu intérieur qui lui mettait le ventre en émoi. Émoi d’autant plus fort que les caresses de la jeune Arabe, dans l’étuve, avaient éveillé ses instincts de femme et qu’ils n’avaient pas été assouvis. En même temps, elle ne se sentait pas de force à refuser son corps à cet ancien camarade, devenu un homme, et qui allait sacrifier sa vie pour sa cause, même si elle ne partageait pas son idéal et qu’elle n’était pas d’accord sur cette façon de faire.


Mais déjà les mains de Jack s’étaient emparées de son corps alangui. Il s’était empressé d’empaumer ses seins, de jouer tendrement avec leurs bouts, les excitant et les faisant pointer et durcir. Puis sa bouche avait remplacé ses doigts qui, eux, étaient descendus vers son ventre et entre ses jambes. Estelle s’était laissé caresser, ouvrant largement ses jambes pour libérer le passage à la main qui commençait à relancer son plaisir, insatisfait par les caresses saphiques. Ses doigts étaient explorateurs, impatients. Il avait rapidement trouvé tous ses points sensibles et il avait longuement exacerbé son clitoris déjà érigé. Leurs bouches ne se quittaient plus. Ils roulaient l’un sur l’autre. Avec quelques gestes rapides et malhabiles, Estelle avait réussi à le déshabiller. Il était tout en muscles et avait perdu toutes traces de graisse. Elle avait senti buter contre ses cuisses son sexe nerveux, raide et agité de soubresauts. Sa main l’avait enveloppé, puis elle avait commencé un tendre mouvement de va-et-vient qui l’avait fait grogner de plaisir.


***


En évoquant cette scène, Estelle, qui continue d’avancer à travers les embruns océaniques, sent de longs picotements dans son ventre, et son sexe s’humidifie. Pourtant, en repensant à cette étreinte, elle ressent une forme de nausée, d’écœurement qui lui monte le long de la gorge. Pas pour avoir fait l’amour avec Jack, mais parce que, soudain, elle avait ressenti une pulsion, une attirance terrible pour ce garçon qu’elle voulait tout en elle. Elle se souvient de cet irrésistible besoin qu’elle avait alors éprouvé.


***


Jack avait usé de ses doigts, de sa langue pour la faire jouir. Elle ahanait et criait son plaisir. Elle n’en pouvait plus et réclamait qu’il la pénètre, partout. Et il lui avait obéi. Il l’avait chevauchée, lui écartant largement les cuisses, et il l’avait pénétrée avec une lenteur et une force que jamais Estelle ne pourra oublier. Il avait lui avait donné du plaisir comme jamais aucun de ses amants n’avait pu lui en procurer. Il avait un art consommé de la montée du plaisir. Dans la chair de son sexe, rendu étroit par de longues séries de jouissances, elle avait eu l’impression de recevoir un homme pour la première fois. Et à chaque nouveau palier vers la jouissance, elle avait l’impression que cette fois allait être celle de l’extase, mais non, le bougre ralentissait pour mieux recommencer… Estelle avait cru devenir folle. Folle de plaisir. Folle de désir. Folle de jouissance. Et, sans bouger de position, il l’avait sodomisée sans coup férir. Pourtant, Estelle avait toujours refusé à tous ses amants l’entrée de son petit trou, mais là, elle avait été dans l’incapacité de réagir. Pire, elle avait écarté ses fesses pour qu’il la prenne encore mieux tant elle avait eu envie de lui. Et quand, enfin, il avait explosé en elle, elle avait cru défaillir de plaisir, de bonheur, de jouissance. Elle était à la limite de l’évanouissement.


***


Estelle marque un long moment d’arrêt, les deux pieds au ras de l’eau, la figure tournée vers le grand large. Ses cheveux battus par le vent viennent cingler sa figure rouge de froid et piquante d’embruns. Deux larmes glacées s’écoulent le long de ses joues.

« Arrête de penser à lui ! » se morigène-t-elle à voix haute. Mais c’est si difficile. Son ventre lui fait mal de désir. Ses seins se sont durcis à l’évocation de cette étreinte. Elle enfonce profondément ses mains dans son imperméable, renifle un grand coup, ouvre la bouche pour aspirer une grande goulée d’air. Elle a tellement besoin de sentir vivante, de se sentir vivre.


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Au matin, quand elle avait ouvert un œil, elle avait découvert qu’elle était seule dans la chambre. Une âme charitable l’avait recouverte d’une lourde couverture de laine. Jack n’était plus là. L’une des femmes qu’elle avait vues la veille lui avait expliqué qu’elle devait rester là, enfermée dans cette maison durant quelques jours et qu’ensuite elle repartirait, libre.

L’attente avait duré six jours. Six jours à tourner en rond. Seule ou quelquefois en compagnie d’une femme, mais jamais la même. Au début, Estelle, avec une conscience toute professionnelle, avait passé de longs moments à rédiger son article. Mais une fois sa tâche accomplie, elle s’était morfondue.

Puis, le sixième jour, Jack était revenu. Il était entré dans la pièce, s’excusant de son retard et surtout de l’avoir retenue prisonnière. Il lui avait expliqué qu’il y allait de sa sécurité. Et, avant qu’elle ne dise quoi que ce soit, il s’était approché d’elle et lui avait pris tendrement les lèvres. Mais quand Estelle s’était collée à son buste, elle avait senti contre sa poitrine une sorte de carapace dure. Et il s’était immédiatement décollé d’elle pour ne plus lui offrir cette sensation qui venait de lui glacer le sang. Elle en était certaine, son torse était bardé de dynamite…


Elle n’avait eu de cesse de l’observer dans ses moindres faits et gestes. Il était calme. D’un calme contrôlé. Ses gestes, ses paroles étaient posés. Il se déplaçait à l’économie et ne gesticulait pas à tort et à travers. Avec des gestes sûrs, il avait brûlé des liasses de feuilles dans une vasque en cuivre, puis il avait consciencieusement écrasé les cendres avant de les confier à l’un des hommes revenus avec lui. Tranquillement, il avait invité Estelle à l’accompagner, lui ouvrant la portière d’un lourd véhicule tout-terrain. Puis il avait pris le volant et ils avaient roulé toute la nuit, sans encombre, jusqu’au petit matin. Durant le trajet, rares avaient été les paroles échangées. Il restait concentré sur sa route, roulait doucement, évitant les chaos et les nids de poule.


Alors que la lueur de l’aurore pointait au-dessus d’un paysage désertique et aride, et que déjà au loin se profilaient les premiers faubourgs de Bagdad, Jack avait stoppé le lourd véhicule. Il avait laissé le moteur tourner et était venu ouvrir la portière à Estelle.



Estelle avait la gorge nouée. Elle savait ce qu’il allait accomplir. Elle ne savait pas quand ni où cela devait se passer. Mais elle était certaine de l’inéluctable. Et elle ne pouvait rien faire. Elle avait juste pris sur elle pour ne pas crier, ne pas ameuter les gardes américains. Tranquillement, il était remonté dans le véhicule et elle l’avait regardé cahoter légèrement sur le bas-côté de la piste puis disparaître dans un nuage de poussière. Alors, elle s’était décidée à traverser la route et à rejoindre le poste de garde américain que Jack lui avait renseigné.


Elle avait fait sensation en débarquant ainsi, au petit matin, devant une jeune sentinelle qui se frottait les yeux devant cette apparition. Avait-il rêvé ? Non, c’était bien une belle fille qui se présentait à lui et demandait à pénétrer dans le camp. Toute la hiérarchie du camp avait été immédiatement alertée. Elle avait dû répondre à des dizaines de questions, souvent les mêmes, et elle était restée sciemment laconique sur ses soi-disant ravisseurs. Ils avaient été désorientés, car aucun journaliste n’avait été alors déclaré « retenu en otage », encore moins une femme. En fin de matinée, alors qu’elle entrait dans un nouveau bureau, toujours sous l’escorte de la sentinelle du matin, la radio avait annoncé en crachotant l’explosion d’un véhicule à la sortie de la prière du Vendredi. C’était la grande mosquée du centre ville. Les morts se comptaient par dizaines et les blessés par centaines. Et la radio réclamait des renforts, des poches de sangs et des pansements compressifs, des ambulances…


Alors, face à l’urgence de la situation, n’arrivant pas à arracher le moindre renseignement à ce curieux otage, journaliste de surcroît et Française par-dessus le marché, les responsables américains l’avaient chargée dans un véhicule blindé et l’avaient dirigée, sous bonne escorte et en maugréant, vers l’aéroport pour l’embarquer pour le Koweït d’où elle pourrait prendre un vol vers la France, puisqu’elle refusait qu’on avertisse l’ambassade de France.


Estelle était en France depuis trois jours. L’explosion de la Grande Mosquée de Bagdad avait secoué le monde musulman et choqué tous les autres croyants et incroyants. Alors que tout un chacun s’interrogeait sur les conséquences mais aussi les raisons qui pouvaient inciter à jouer les kamikazes, Estelle était en possession de révélations plus étonnantes les unes que les autres. Mais elle n’était pas certaine que ses confrères soient prêts à publier son reportage, ni qu’ils soient disposés à la croire, tant son aventure semblait inouïe.



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Voilà pourquoi elle avait tenu à venir au bord de l’océan, respirer l’air du large, reprendre son souffle, réfléchir. Alors, depuis trois jours, elle arpentait le bord du rivage, rasant les flots. Elle en profitait pour clarifier ses idées, remettre de l’ordre dans ses pensées. Elle devait retrouver un peu de sérénité, retrouver ses certitudes. Elle savait qu’elle ne pourrait plus être la même. Non, elle ne pouvait plus être comme avant. Ce qu’elle venait de vivre était une chose tellement extraordinaire qu’elle en était restait ébranlée jusqu’au plus profond de son être. Seule, solitaire, elle cherchait en elle cette once de vérité attachée à ses racines sans arriver à trouver de réponse. Le soir venu, elle avait beau lire et relire des dizaines de sourates dans le Coran, elle n’arrivait toujours pas à expliquer ni à comprendre et encore moins à pardonner le geste de Jack. C’était plus fort qu’elle. La vie devait être au-delà de ces écrits et de leurs interprétations.

La vie, pour Estelle, se rattachait de plus en plus à ces petits bonheurs qui nous entourent et qu’on ne remarque même plus… Une mouette, le bruit du vent, un embrun sur la joue qui y colle les grains de sable, le sourire d’un enfant, la main tremblante d’un vieillard sur sa canne… ces scènes dont elle s’emplissait les yeux, sur le front de mer, au cours de ses promenades solitaires et pensives.

Au-dessus d’elle, un incessant ballet de mouettes piailleuses et crieuses ne cesse de dessiner de longues figures géométriques. Estelle, le nez levé au ciel, les observe. Elles sont libres, se laissant porter par les courants, et rares sont celles qui luttent à contre-courant, préférant faire des détours de plusieurs dizaines de mètres plutôt que de se fatiguer à battre des ailes. Elle contemple les oiseaux tourbillonnant au-dessus des flots gris aux crêtes blanches et écumeuses, balayées par le vent de noroît. En regardant les grands oiseaux dans le ciel gris, elle se souvient soudain que, lorsqu’elle était petite, son grand-père lui avait dit que chaque oiseau de mer était porteur de l’âme d’un marin ayant péri en mer. Et une nouvelle larme glacée coule le long de son visage lisse. Dans un geste enfantin, elle la recueille sur le bout du doigt et, comme quand elle était enfant, elle la jette en direction des mouettes qui soudain s’éloignent en piaillant et disparaissent de sa vue.


Alors, comme soulagée par cette forme d’adieu à Jack et à son cortège d’horreurs, Estelle revient lentement sur ses pas, rentre la tête dans les épaules, les cheveux ébouriffés par les bourrasques de vent. En rentrant, c’est décidé, elle livrera sa vérité pour être en paix avec elle-même.