n° 10295 | Fiche technique | 87444 caractères | 87444Temps de lecture estimé : 47 mn | 10/04/06 |
Résumé: Cendrine veut le devant de la scène. Pour elle. Et pour ça... | ||||
Critères: fh hplusag exhib intermast pénétratio fdanus aliments mélo | ||||
Auteur : Lise-Elise (retardataire) Envoi mini-message |
Cendrine entre dans le bureau. Des piles de cassettes occupent le sol, les rayonnages sont remplis de boîtiers CD, certains nus, d’autres agrémentés de jaquettes tapageuses fleurant l’amateurisme. Benoît, le casque sur les oreilles, lève la tête. Il appuie sur un bouton, s’exclame:
Il connaît Cendrine depuis un moment. Bonne chanteuse, bosseuse et prête à tout pour réussir, la jeune femme est vite devenue une des choristes de la maison. Assez mignonne avec ça. Trop petite pour les canons en vigueur, une jolie silhouette, tonique sans être trop mince, la peau mate et des cheveux blond vénitien le plus souvent tirés en queue de cheval.
Elle avait deux façons de percer : monter un groupe, tourner, galérer pendant des années avant de sortir un album, tourner encore et arracher le succès à la scène, ou être au bon endroit au bon moment. Elle a choisi la seconde solution.
Elle claque la bise à Benoît avant de lui répondre:
L’homme se rembrunit. Cendrine dernièrement l’a bien gentiment couvert dans une affaire de cul. Il le sait, sa bisexualité lui causera un jour de gros soucis. Peut-être même dans pas longtemps. Cendrine a les dents longues.
Elle fait non de la tête. Il souffle.
Benoît la regarde, sidéré.
En le regardant droit dans les yeux, elle lèche doucement son index. Le même geste, exactement, que dans le clip de Doigt-Chocolat, le tube de Vickie Minel. Mais Benoît n’a qu’une pensée rapide pour la starlette. Ce que Cendrine est en train de mimer l’intéresse bien plus. La jeune femme est une excellente suceuse, il a eu l’occasion de s’en rendre compte. De celles qui font monter l’excitation et savent la maintenir. Il avait dû la supplier de le faire jouir, épuisé par le plaisir qu’elle lui donnait. Un sacré souvenir.
Cendrine dit ça sur un ton charmant. C’est une menace. À l’entendre Benoît sent la sueur qui coule le long de son dos. Elle n’a qu’un coup de fil à passer pour le détruire. Sa femme ne lui pardonnera jamais de la tromper avec des hommes. Cendrine lèche encore une fois son doigt avant de sortir.
Benoît soupire. Une invitation…
Silence. Une des raisons pour lesquelles Marc Hevene est, en moins d’un an, devenu la bête noire des intervieweurs. Une parmi toutes. Le présentateur, un brin crispé, reprend :
Rire gêné du présentateur.
Autre tare de Marc Hevene. Impossible de l’empêcher de glisser, dans une interview, une allusion graveleuse. Le présentateur fait comme s’il n’avait pas entendu.
Encore une. Il a le chic pour porter des jugements à l’emporte-pièce. Surtout sur ce qui fait consensus, d’ailleurs. Ce qui vaut aux rédactions quelques sacs de courrier indignés.
Marc Hevene a un sourire moqueur. Le journaliste s’impatiente :
Le présentateur a soigneusement évité de parler des toiles elles-mêmes. Cendrine, une fois passé les vigiles et le contrôle des invitations, comprend instantanément pourquoi.
Le hall du Ritz est tapissé de culs. Littéralement. Sur très grand format.
Il y en a pour tous les goûts, féminins, masculins, réalistes, habillés, nus, ronds, débordants, secs, creux, oniriques, figuratifs. Cendrine s’amuse de cette collection hétéroclite d’images, sans trop de genre uniforme, à part le sujet et le format. 46 toiles carrées, d’un mètre cinquante de côté, étalant la partie la plus impudique de l’individu dans un des décors les plus luxueux de la capitale. Et au milieu de tout ça, des gens en tenues de soirées, certains admirant sans vergogne les rondeurs offertes à leurs regards, d’autre cherchant en vain un point où fixer leur regard, la plupart parlant affaires et potins.
Cendrine embrasse la foule présente. Marc Hevene n’est pas encore là. Elle attrape prestement une coupe de champagne, et observe. Pas les toiles, les gens. Elle connaît la plupart de vue. Croisés à des soirées de lancement, ou back stage. Rares sont ceux qui pourraient la reconnaître. En général, on ne s’intéresse pas aux choristes. Elle s’amuse des réactions des uns et des autres. Tous, à un moment, sont déstabilisés. Etre ainsi dominé par des fesses est troublant.
Elle repère Vickie Minel. Petite, les cheveux d’un blond très pâle, tirant sur le blanc, la peau diaphane, les attaches fines, cette jeune femme d’allure fragile est l’interprète vedette de Marc Hevene. Sa maîtresse aussi, autant qu’on puisse croire les rumeurs. Elle est statufiée devant l’une des toiles, horrifiée, blême. Dans une de ces ridicules tenues d’écolière, jupe plissée, socquettes blanches - sa tenue de scène - elle ressemble à l’effigie de carton qu’arborent les disquaires en vitrine. Cendrine s’approche pour voir le tableau qui lui cause un choc pareil.
Elle ne comprend pas tout de suite. Deux fesses joufflues et roses, des fesses pour livre d’enfant, surplombent un décor mièvre dans des tons roses et bleus. En regardant plus attentivement, elle comprend qu’il s’agit du pays de Cocagne, palais de pain d’épice et forêt de sucettes. Et voit ce qui a figé la jeune vedette.
Entre les deux globes vernis coule une rivière. La rivière de chocolat du conte. Incrédule, Cendrine reporte son regard sur la chanteuse. Celle-ci n’a pas bougé d’un pouce, et son expression ferait merveille sur l’affiche d’un film d’horreur. Vickie vient de voir le diable, ou pire. Il n’est pas possible qu’elle soit si naïve !
Cendrine n’a pas le temps de s’interroger d’avantage. Un mouvement agite la salle. L’artiste vient de paraître.
Il prend son temps, salue, serre des mains, embrasse des joues et des lèvres. On lui tend un micro, il fait le pitre, jongle avec. Puis devient plus sérieux.
Il commence son discours. Même le plus spirituel des hommes ne peut réussir un discours de vernissage. Il lance des piques de temps à autre, histoire de ne pas trop endormir son auditoire. La choriste est surprise de le découvrir humble. Sincèrement ému de l’honneur qu’on lui accorde.
La jeune femme ne se concentre pourtant pas sur les propos du peintre. Elle a sous les yeux un spectacle oh combien plus captivant.
Vickie n’a d’abord pas vu Marc arriver. Lorsqu’il tapote le micro, elle émerge de son hébétude. Elle pivote très lentement, balaye du regard une bonne partie des toiles. Son visage passe par toutes les expressions du dégoût. Elle arrive enfin sur le créateur, qui plaisante… à propos de fesses, bien entendu.
Il faut encore quelques secondes à Vickie pour réagir vraiment. Le temps qu’elle comprenne de quoi Marc, son Marc, est en train de parler. Alors, seulement, elle se jette sur lui, hurlante :
Le compositeur ne se démonte pas. Il saisit les poignets de Vickie pour l’empêcher de le défigurer, et dit, pas très fort mais suffisamment distinctement :
La jeune chanteuse redouble de violence.
Le peintre alors se penche pour l’embrasser. Pour tous la scène est gênante. Comme si brusquement Vickie avait déchiré le voile qui couvre pudiquement l’intimité de leur couple. La mignonne écolière et le vieux dégueulasse. L’autre version du petit chaperon rouge. Mais c’est le loup qui risque un mauvais coup. Les lèvres du compositeur s’approchent de celle de sa chanteuse hystérique. La jeune femme en cherchant à l’éviter glisse et s’effondre sur le sol, hurlante et sanglotante. Surpris, Marc lui lâche les poignets, et la regarde se tordre, sidéré.
Avant que les membres de la sécurité n’aient le temps de réagir, Cendrine s’élance, saisit un seau à champagne, se débarrasse de la bouteille et vide l’eau glacée sur le visage de la jeune femme. Suffoquée, celle-ci cesse aussitôt de crier. Elle se relève à demi, s’essuie les yeux, tousse, regarde, hébétée, autour d’elle, rabat d’un geste machinal sa jupe sur ses cuisses, et pleure. Doucement. Sans bruit. Cendrine alors se penche vers elle, la prend dans ses bras, l’aide à se lever. L’enlaçant étroitement, elle se dirige vers le fond de la pièce. Une femme lui indique discrètement la direction à suivre.
En quittant le hall, elle entend la voix du compositeur :
Elles s’engouffrent dans l’ascenseur.
Ce jeu l’amuse. Et agace tout les autres.
Cendrine repense à ces mots. Un rush d’émission, coupé au montage, que Benoît avait fait écouter à qui voulait l’entendre. Le présentateur n’avait pas osé demander « et les hommes ? ». Elle croit que non. Marc Hevene a écrit pour trop de chanteurs différents.
Elle caresse, distraitement, les cheveux de Vickie. Comme elle est jeune ! Le sommeil a chassé tout ce qu’il y a de fabriqué dans ses traits. Reposée ainsi, elle semble si fragile. Cueillie par la gloire à 16 ans, avec une bande originale de dessin animé. Elle souriait si bien. Le producteur a voulu la porter plus loin. Pour cela, il fallait un album qui lui permette de changer de public en douceur. On la présenta à Marc Hevene. Une vierge pure au sacrifice, une lolita vicieuse, qui peut le savoir ? Le compositeur avait construit sa gloire avec Amandine, une petite cruche zézayante à qui les couettes allaient à ravir. Alors qu’elle commençait à se lasser de son rôle de poupée, Marc avait opportunément commenté son défaut de prononciation.
Ce fut le premier acte d’une rupture particulièrement médiatisée. Presse, radio, télé accaparèrent une Amandine furieuse et vindicative. Marc n’est qu’un pervers, clamait-elle à qui voulait l’entendre.
Mais tout le monde s’en foutait. Il faisait vendre. Le film dont il signait la musique restait huit semaines au box office. Il relançait la carrière de has-been, propulsait en haut des hits parades de jeunes poulains à peine rodés à la scène. De l’or au bout du stylo. Une célèbre marque de papeterie avait payé très cher pour qu’il déclare utiliser leurs produits.
Sa protégée abandonnée au sommeil, Cendrine réfléchissait. Quand donc avait débuté cette histoire ? Et comment ? Vickie avait chanté Le noyau de cerise, puis Alice aux Alizés.
La première rumeur datait de deux jours avant le lancement du disque, et du nouveau tube, Doigt-Chocolat. On avait crié au coup de pub. Mais force était de constater que le compositeur et l’interprète ne se quittaient plus. Sans pour autant dévoiler l’exacte nature de leur relation. Ce qu’il firent de plus osé, en public, était le jeu de doigt de la chanson. Au sens littéral.
Le second degré de cette scie n’échappait à personne, au point que la ligue de vertu catholique tenta de la faire interdire. À quoi Marc Hevene avait répondu :
Le résultat fut une hausse des ventes de toutes ses productions. Vickie entamait une tournée à guichets fermés. Les producteurs se frottaient les mains. Elle rapporte autant en droits dérivés qu’en vente de disques.
Et elle chante, plusieurs fois par concert, une ode à la fellation et à d’autres plaisirs plus… scatologiques. En toute innocence.
Maintenant qu’elle la voit dormir, Cendrine n’en doute plus. Dix-neuf ans, aucune expérience de la vie. Une naïveté à couper le souffle. Et la jeune femme trouve plutôt ça rassurant.
Vickie aime la pénombre. Ainsi, elle peut imaginer. Pour elle, c’est plus facile. Elle lui a dit, un jour.
Il l’avait regardé sans rien dire, jusqu’à ce qu’elle reprenne, pour rompre le silence.
Il avait, grotesquement, commencé à la mordiller. Elle avait crié, en un jeu de faux effroi. Il l’avait renversée de rire, elle se tenait le ventre, criant :
Il avait grogné.
Elle riait à en perdre le souffle.
Elle est couchée sur le ventre, il fait glisser lentement le drap. Elle sent sa langue se glisser sur son cou, sa nuque. Cette caresse là la rend toute chose. Elle se détend sous ses assauts, s’abandonne. Avec patience il prend possession d’elle, fait courir ses paumes sur son dos. Il est attentif. Vickie est une mécanique délicate, le moindre à-coup la fait s’enrayer. Elle est si petite qu’il peut la caresser des épaules aux cuisses dans le même geste. Il aime voir ses mains larges, épaisses, sur ce corps si frêle. Il aime sentir les muscles vibrer sous ses doigts, se tendre et se détendre au rythme de ses incursions. Il aime quand sa respiration devient lente, sereine. Il aime la voir se cambrer, il aime l’entendre gémir.
Il embrasse doucement chaque petit creux, le long de sa colonne vertébrale. Elle se tortille, il souffle :
Il continue dans le même mouvement. Descend inexorablement, arrive sur les douces rondeurs. Elles sont fraîches, rondes, ces fesses. Des merveilles. Il les croquerait comme des pommes, si c’était possible. Sa langue a pris le relais de ses lèvres, s’engage dans la vallée ouverte. Il sent une tension. S’arrête. Attend. Replonge entre les douces collines. Vickie proteste, cherche à se dégager. Il s’éloigne, l’invite d’un geste à se retourner.
Elle se détend à nouveau. Il l’arrache à elle-même. Il a appris ses gammes, sait conduire son désir par des improvisations savantes. Il sait tirer parti de la peau tendue du ventre, des courbes pâles des seins, du sexe timoré et insatiable. Il sait faire monter son plaisir, faire monter, doucement, la voix, mélodieuse d’abord, puis plus ample, plus grave, comme si elle allait la chercher au tréfonds d’elle-même.
Il regarde cette belle fille se tordre sous ses caresses. Attrape un téton dressé, dur, et apprécie le gémissement qu’il produit ainsi. Entre deux sursauts, elle halète :
Il sait ce que ça veut dire. Il la prend doucement par les hanches, elle se laisse emporter par le mouvement. Elle est allongée sur lui, il ne la pénètre pas encore. Elle sent son vagin palpiter, appeler le bâton de chair, si près, inaccessible. Elle ondule. Marc joue de cette hâte en adoptant une lenteur qu’il lui sait insupportable. Il la regarde. Les ombres lui font un visage de vieille femme. Il guide, millimètre par millimètre, sa verge vers l’entrée avide. Vickie, en un sursaut, s’empale jusqu’à la garde.
Il contrôle le rythme. Il sait où il veut la mener. Ses mains larges sur les fesses douces, il impose la cadence, sans tenir compte des ruades impatientes de sa cavalière. Il sait quand chercher sa bouche. Elle se cambre, et il happe une des petites pointes érigées qui le narguent, lui arrachant un soupir. Il fait jouer sa langue sur la boule dure, et caresse, doucement, comme distraitement, les rondeurs attirantes qu’il a sous les mains. Libérée de son emprise, elle se déchaîne. Il la freine en mordant délicatement la chair tendre. Ses doigts ont prit d’assaut le sillon fessier. Il abandonne le sein meurtri pour à nouveau conduire la cavalcade. Une main sur la taille, l’autre qui se glisse entre les fesses ferme, les doigts qui s’insinuent dans la fente étroite, inondée comme l’est son sexe. Il va-et-vient, mouvement parfaitement symétrique, la pénétration de plus en plus profonde, l’index et le majeur qui approchent, de plus en plus près. Il arrive au but, le volcan étroit, plissé. Joue sans insistance, en légèreté. Vickie gémit, se tortille, il ne sait si c’est un appel. Il s’enhardit, pénètre l’entrée interdite, un peu, si peu. Il sent la jeune femme se tendre, le sexe qui se contracte autour de lui, les fesses qui se resserrent. Il l’entend, distinctement. Il se laisse emporter par la vague.
Elle a dit :
Il ressort du plaisir, elle s’est éloignée. Elle attend qu’il ouvre un œil.
Le visage de Vickie est un masque d’indignation.
Elle ferme les yeux, plissant fort les paupières, quand il fait mine de lécher son doigt. Et glapit.
Comment a-t-elle pu ne pas comprendre ?
Marc Hevene entre sans bruit dans la pièce. Il semble soulagé de voir la chanteuse assoupie. Il s’approche, a un geste de caresse, s’arrête. Fait un sourire piteux vers Cendrine. Saisit un oreiller, s’approche. La choriste soulève délicatement la tête de Vickie, et se dégage. L’oreiller vient remplacer ses genoux sans que la dormeuse ne se réveille. L’homme a encore une esquisse de geste tendre avant de ressortir. Sur un regard, Cendrine le suit.
Il parle comme il le ferait d’une grande malade. La jeune femme répond sur le même ton.
Il semble réellement peiné pour elle, mais avec un certain détachement. Ça ne le concerne pas. Plus ? Il regarde Cendrine.
La jeune femme baisse les yeux et fait la grimace. Elle a emprunté le vêtement. Il est couvert de fond de teint. Sur un tissu aussi fragile, c’est irrattrapable.
Il semble gêné, intimidé. Brusquement il cesse d’être le trublion génial qu’il est en public. Il est un garçon laid qui ne sait pas parler aux filles. Il en bafouille.
Cendrine hoche la tête. À son tour d’être intimidée. Elle n’a pas l’habitude qu’on se souvienne d’elle.
C’est presque trop tard. Presque. Pas encore. Il suffit de reprendre l’avantage. Tout de suite. Avant qu’il ne tourne les talons et ne l’oublie. Elle a son ouverture. Elle la saisit.
Il hoche la tête.
Une simple partie de poker. Lui s’amuse. Elle joue. Elle a dû manipuler pas mal de gens pour arriver à sa place. Marc Hevene, en perdant ses moyens, tout à l’heure, a dévoilé son jeu.
Elle ne répond que par un sourire.
Toujours rien. Elle se contente de le détailler du regard. Elle suit les jambes qu’on devine sèches sous le jean. Effleure l’entrejambe. Toise le léger renflement qui surplombe la ceinture. S’attarde sur les mains. C’est ce qu’elle préfère chez un homme. Celles de Marc sont carrées, calleuses. Aux antipodes de ce qu’on décrit comme des mains d’artiste. Elle remonte. La veste ne lui permet que d’apprécier la carrure. Continue sur le cou, la pomme d’Adam proéminente, les tendons trop apparents. Le menton mou, mal dissimulé par une barbe naissante, faussement négligée. Les oreilles en feuille de chou, aux lobes écarlates. La bouche lippue, sensuelle. Une bouche faite pour dévorer, et pour susurrer des mots interdits. Le nez informe, tordu, séquelle de bagarres mille fois perdues. Lorsqu’elle arrive aux yeux, iris bleu délavé noyé dans des paupières tombantes, elle sait qu’elle a presque gagné.
Elle prononce à la russe, comme lui. Il cligne des yeux, comme sortant d’un mauvais rêve. Il ne comprend pas bien pourquoi cette fille l’intimide. Il est prêt à parler, mais elle pose délicatement un doigt sur ses lèvres. Il s’arrête. Il trouve ça délicieux, cette ébauche de contact. Elle s’approche, si prêt qu’il sent son souffle quand elle chuchote :
Elle s’approche encore. Caresse légèrement les traits de son visage. Se perd dans la barbe, étonnamment douce. Et l’embrasse.
Elle est d’abord très tendre. Puis, posant la main sur la nuque de l’homme, plus incisive. Presque sauvage. Elle sent avec un frisson de plaisir la main de Marc se poser sur ses fesses, remonter sur son dos. Elle ne lâche pas. Elle l’embrasse comme, lui, d’habitude, embrasse les femmes.
Jamais on ne l’a embrassé sans qu’il le sollicite. Jamais on ne l’a embrassé avec cette passion.
Il serre entre ses bras le corps souple de la jeune femme. Il peut sentir la moindre de ses courbes. Il sait, grâce à la finesse de sa robe, qu’elle ne porte rien d’autre. Il ne bande pas.
Il est trop ému pour être terrestre.
Lorsque, doucement, comme à regret, elle se détache de lui, il est tombé sous le charme.
La foule est électrique. Deux concerts ont été annulés déjà. Une extinction de voix, selon la version officielle. Chagrin d’amour, pour tout le monde. Les rumeurs les plus folles circulent. Ce matin, la presse à scandale a relaté le vernissage. Vickie, aussitôt, a décidé de reprendre la tournée. Soupir de soulagement des fans de Tours. Mais si, finalement, elle craquait ?
Jamais il n’y a eu autant de tension avant un concert. On chuchote qu’on a aperçu Marc. « Le salaud, il n’oserait pas ! ». Le public est tout acquis à la chanteuse. C’est elle qu’ils viennent voir, elle qu’ils viennent acclamer.
Le show est réglé comme du papier à musique. On commence en douceur. Vickie en robe rose courte, presque un article de lingerie. Elle reprend la chanson du film. Elle essaie, du moins. Il faut plus de dix minutes avant que les cris des fans ne cessent. Elle se prête au jeu, radieuse, plus souriante que jamais. Salue, resalue. Hurle « Bonsoir, Tours ! ». Fait le tour de la scène, le micro à la main. L’introduction est longue.
Elle suit le plan que Marc et elle ont concocté. Quatre changements de tenues, les chorégraphies, les entre-scène. Mais aujourd’hui elle en rajoute. Elle brode. Elle joue avec le public, plus et mieux qu’elle ne l’a jamais fait. Elle arrive à la fin avec trois quarts d’heure de retard sur la trame de départ. Les premières notes de son tube résonnent.
Marc est dans la cabine de régie lumière. Là, elle ne peut pas le voir. Il l’a trouvée meilleure que jamais. Il a vibré au rythme du concert, reçu les hommages du public qui n’étaient pas pour lui. Il s’est détendu. L’annulation lui a fait peur. Il n’a jamais voulu faire de mal à Vickie.
Les premières notes. La tension remonte. Silence de mort dans la salle. Silence tout court. La basse s’est tue. Noir. Des cris.
La basse, à nouveau. Le silence, encore. Le noir, toujours. Des cris, des hurlements. Des briquets qui se rallument.
Le cœur de Marc bat à tout rompre. Sur la scène obscure, là, tout peut se passer. Petite fille, petite fille, ce n’est rien, chante, chante.
Silence.
Une note.
Silence. Encore. La même note, reprise.
Et la batterie qui y va de son suspens, un petit bruit de cymbale, persistant, qui gonfle, gonfle encore.
Lumière.
Clameur.
Introduction.
Ce n’est pas la tenue d’écolière. Ce n’est pas la même coiffure non plus. Le public, en délire, découvre Vickie femme, moulée dans une robe prune qui superpose les transparences. Vickie qui lève la tête, lève le micro, et chante.
Il n’y a plus d’ambiguïté possible. Plus de doute. Plus rien. Vickie chante avec ses tripes, cette chanson légère devient grave, sensuelle, obscène presque. Marc a devant lui l’interprète qu’il a rêvée pour cette chanson. Il sourit. Il quitte la régie lumière, le cœur léger.
Il entend, de loin, résonnant dans les couloirs, les applaudissements, les rappels, la reprise. Il hoche la tête, approbateur, en entendant le refrain que Vickie a choisi. Ce n’est pas un air de son répertoire. Aujourd’hui, il lui va comme un gant.
Il quitte le parc des expositions en fredonnant, pendant que les cris résonnent :
Cendrine a pris son temps. Pesé le pour et le contre. C’est une joueuse. Elle serait vendeuse ou manucure, si elle ne l’était pas. Elle décroche son téléphone et appelle Benoît.
Il y a de la gourmandise dans son ton. Il plastronne. Il va avoir, de première main, les détails de la soirée ! Il en oublierait presque sa récompense.
Cendrine retouche son maquillage, glisse l’enveloppe dans son sac, et part. Elle a le temps de faire quelques courses avant le rendez-vous.
Pour Benoît, le Bernstein a beaucoup d’avantages. Il est à deux pas de son bureau, ce qui lui permet de ne pas perdre de temps dans les transports. Le cadre est élégant et le barman inventif, ce qui est un atout quand on travaille dans un milieu où une certaine extravagance est un signe de bon goût. Enfin, et ce n’est pas le moindre, le bar dispose de quatre alcôves fermées, ou du moins dissimulées aux regards par des portes battantes. Un moyen de ne pas trop mentir à sa femme. Il y a ses habitudes, et comme il est bon client, il peut généralement s’isoler si nécessaire.
Il s’installe dans un des salons privés. La banquette est confortable. Il s’étire. Il a commandé un Martini, précisé qu’il attendait une jeune femme. Il joue avec le cure-dent en l’attendant. Il ne perdra pas son temps : une pipe par cette artiste qu’est Cendrine et un résumé de première main du scandale. Il soupire d’aise. Un petit plus, peut-être. Elle a parlé d’un autre service…
Elle débarque, jean et sweat-shirt. Benoît approuve. La jeune femme arrive à donner à cette tenue banale une touche de classe, sans ostentation. Il appelle le serveur pour qu’elle commande.
Le sourire éblouissant qu’elle a en prononçant ce dernier mot fait frissonner Benoît. Il tempère son impatience. Cendrine est une fille de parole, et attendre un peu ne fera que rendre le moment plus jouissif. Ils échangent des propos sans importance. Le verre de la jeune femme arrive, la porte se referme en brassant l’air, et Benoît pose ses coudes sur la table.
La choriste boit à la paille avec une certaine ostentation. Benoît change de position, en espérant juguler la sensation d’inconfort que lui procure son excitation. Se débraguetter serait grossier, il n’ose pas.
Cendrine proteste, par jeu. Ce n’était pas dans le contrat de départ. Puis raconte. Sans les détails. Omet de mentionner son propre rôle. Benoît insiste, elle ne dit rien de plus. Au final la seule chose qu’il ne savait pas déjà, c’est la tenue que portait Vickie. Maigre chasse. Il soupire.
Cendrine hoche la tête. Sort l’enveloppe de son sac. Elle a eu une grand-mère, très à cheval sur les bons usages, qui lui a appris qu’une lettre se confie ouverte. Benoît, certainement, n’a pas eu cette chance. Il ne sait pas qu’il est censé la fermer sans en regarder le contenu. C’est donc sans la moindre hésitation qu’il extrait les feuillets, les déplie et les parcours rapidement. Il pousse un cri de surprise.
Il s’en étrangle presque.
Elle lui prend les feuilles des mains, les replie, les glisse dans l’enveloppe. Lèche soigneusement la bande gommée, et clôt le pli. Puis le rend à Benoît.
La jeune femme acquiesce.
Elle termine son jus d’ananas, ramasse son sac, se lève. Ce n’est que lorsqu’elle passe la porte que Benoît se rend compte qu’il s’est fait avoir.
Il tourne l’enveloppe dans ses mains.
Il paye, sort. Avant de rentrer chez lui, il repasse par la maison de disques. Qu’elle se débrouille, après tout. C’est son problème.
Elle ne l’emportera pas en paradis, ce coup là…
Vickie est à demi étendue sur le sofa crème. Le journaliste, en entrant, a du mal à cacher sa surprise. La jeune femme est blanche comme un linge, sa pâleur rehaussée par le khôl obscurcissant ses yeux comme des cernes monstrueux. Elle porte une robe bleu nuit qui dénude ses épaules et s’évase sur ses hanches. Une robe qu’on s’attendrait à voir sur la femme d’un ambassadeur invitée à un cocktail, mais qui lui va bien.
Elle ne semble pas moins jeune ainsi vêtue. Elle révèle un autre aspect de la jeunesse : la fascination pour le morbide. Ses lèvres sont à peine colorées.
L’homme s’installe sur le fauteuil préparé pour lui. Il est le quatrième de l’après-midi, il le sait. Il relit nerveusement ses questions. Elles semblent inadaptées à cette personnalité là. Vickie l’invite à commencer avec un joli sourire.
Les premiers échanges sont faciles. La tournée, le succès, ce qu’elle pense de ses chansons, ses projets. Combien de fois a-t-elle répondu à ces mêmes questions ? Elle le fait pourtant, une fois de plus, de bonne grâce. Le journaliste mordille son stylo. Vickie sait très bien ce qui va suivre. Elle pourrait répondre avant qu’il n’ouvre la bouche, mais elle ne le fait pas. Ce n’est pas ainsi que ce jeu là se joue.
L’homme relit vite fait ses notes. Il n’avait pas escompté cette réponse. En bon professionnel, il enchaîne :
Son ton dément ses paroles, mais l’interview est pour un journal écrit, et rien ne transpirera de plus. C’est de toute façon dans les habitudes. Tout les lecteurs qui le souhaiteront liront entre les lignes : « il m’a brisé le cœur mais je refuse de le débiner en public ».
Le journaliste croise les doigts en douce. Il joue sa carrière sur la question suivante. Il ignore que deux, avant lui, ont passé outre les consignes de prudence. Elle est prête. Si elle ne l’avait pas été, elle aurait refusé ces interviews.
La règle du jeu voudrait que Vickie attendent qu’il insiste. Elle ne peut pas. Elle sent, déjà, que le masque se fendille. Il va partir dans quelques minutes. Elle ne veut pas entendre ses questions inquisitrices et polies. Elle continue, et son interlocuteur se détend.
Elle sourit bravement. C’est faux, complètement faux. Elle n’avait jamais vu le tableau avant. Elle avait appris tout à la même seconde : le troisième sens de la chanson, l’impudeur avec laquelle Marc avait exposé une pratique qu’elle trouvait choquante, la façon dont il la livrait ainsi, doublement, en pâture, puisque devant ces vieux messieurs gras elle devait interpréter ces turpitudes. Et la rupture qui s’annonçait, brutale. Marc s’était éloigné d’elle. Il l’avait écartée de l’exposition, comme on envoie les enfants jouer. Elle l’encombrait, elle et sa pudeur. Le tableau pour lequel elle avait posé n’était pas au mur.
Et pire que tout, son indifférence. Il ne l’avait pas cherchée. Il ne l’avait pas vue. Il n’était pas accouru pour prendre de ses nouvelles, il l’avait laissée pleurer seule. Il la laisse pleurer seule.
Seule dans une foule qui ne voit qu’elle.
Dans un brouillard, la voix du journaliste.
Son sourire non plus, pas moyen de le mettre dans les pages. L’homme reprend ses notes, son magnétophone, remercie, demande un autographe pour sa fille, se dirige, enfin, vers la porte.
Une fois la clenche engagée, Vickie compte, lentement, jusqu’à dix.
Le cri est si sauvage que personne, dans l’hôtel feutré où elle donne ses interviews, n’ose croire qu’il émane d’un être humain.
Il tourne en rond dans la pièce. Blanc, quelle connerie. Comme si on pouvait vivre dans un salon blanc. Elle a dit quinze heures. Il n’espère qu’une chose, c’est qu’elle est du genre à être en avance. Il boirait bien un truc. Ça l’occuperait. Mais elle le sentira si elle l’embrasse. Non.
Il replace les coussins sur le canapé. Blanc. Quelle bêtise ! Il ne vit pas dans cette partie de l’appartement. C’est pour la galerie. S’il pouvait l’entraîner dans l’atelier, rien qu’un peu. Avec elle…
Il secoue la tête. Une chanteuse de plus. Ce qu’elle veut, c’est des textes. Sa signature, même, suffirait. Non. Sinon, elle ne viendrait pas, là. Il ne comprend pas. Il lui a donné trois partitions, elle les lui renvoie. C’est juste pas possible. Le frigo, dans le bar… Il y a des chanteuses qui serait prêtes à tout pour trois notes de lui…
Non. Pas maintenant.
Il s’approche de la fenêtre. La lumière, c’est ce qu’il aime dans l’appartement. Mais ce blanc ! Prête à tout, elle l’est. Il ne comprend pas pourquoi. Elle était si chaude, dans ses mains. Et ce baiser. Elle ne le veut pas, lui.
Elle veut… Quoi ?
Elle se lève, passe une main dans ses cheveux. Il n’est pas là. Elle regarde le réveil. Elle a dormi trois heures. La place à côté d’elle est froide. Il est parti il y a un bout de temps. Elle fouille dans le placard, lui pique une chemise. Il fait chaud dans cet appartement. Elle n’a besoin de rien de plus.
Elle a soif. Elle va à la salle de bain, boit à longs traits au robinet. Sourit. Le sol est encore trempé. Il l’a surprise alors qu’elle se lavait.
Elle avait goûté sa peau, déclaré qu’il pouvait attendre. Ils s’étaient livrés à une bataille pour le pommeau de douche.
Il l’avait savonnée, puis, dévissant la douchette, il l’avait rincée avec le filet d’eau tiède. Ça avait duré un temps infini, il accompagnait cette caresse étrange d’une litanie à mi-voix, tes seins que j’ai mordus, pincés, couverts de sperme, de salive, tu vois, je les lave. Ton ventre que j’ai caressé, embrassé, ton dos que j’ai griffé, massé, tes cheveux que j’ai emmêlés…
Lorsqu’il était arrivé à son sexe elle était pantelante de désir, elle qui se croyait fatiguée, repue, se découvrait insatiable, autant que lui, lui qui n’abrégeait pas son attente, qui l’avivait, même, en effleurant d’un doigt la vulve trop humide.
Elle ramasse les serviettes éparses, trouve une serpillière, éponge le plus gros. Qu’il y ait une femme de ménage ne change rien. Elle descend. Le salon est vide. Ce n’est pas surprenant Personne non plus dans la cuisine. Elle ouvre le frigidaire, sort de quoi se faire un sandwich. Croque une tomate cerise. La pulpe éclate dans sa bouche, comme…
Il a dit :
Elle a rit. Ça fait longtemps qu’il n’y a plus de cerises dans le cerisier. L’expression en elle-même était si désuète ! Pour la faire taire, il lui a posé une de ces petites billes rouges, froides, sur la langue. Il a caressé les seins avec une deuxième, pendant qu’elle trempait les doigts dans la béarnaise. Elle ne se souvient plus de la dernière fois où elle a vu ses tétons au repos. Il en a choisi une, petite, qu’il a glissé dans son nombril. Elle en a tellement rit que la tomate est tombée. Il en a pris une autre, la sensation glacée sur son sexe brûlant, saisissante, apaisante. Il est venu cueillir le fruit, avec difficulté, du bout de la langue. L’alternance du chaud et du froid la faisait frissonner, elle ne riait plus. Il l’avait porté ensuite sur le canapé blanc, elle avait protesté :
Il parlait de façon saccadée, au rythme de ses coups de reins, elle ne disait plus rien, ne protestait plus, elle le voulait trop, encore.
Elle repart, son sandwich à la main. Pousse lentement la porte de l’atelier. Personne. Elle l’aurait parié, pourtant. Elle n’a pas visité tout l’appartement, cherche un peu au hasard. Ouvre un placard, un petit salon, chaleureux celui-là, une autre salle de bain. Se demande s’il n’est pas remonté. Voit un rai de lumière sous une porte, pousse.
Elle ne le voit pas, d’abord. Le piano écrase la pièce, attire son regard. Elle s’approche. S’assied sur le tabouret, effleure les touches. Joue trois mesures d’une berceuse slave. Lève la tête, voit quelques feuillets posés sur le pupitre. Reconnaît l’écriture. Frappe les notes, laborieusement, déchiffrant les paroles en même temps que la musique. Recommence. Sursaute.
Elle lève la tête. Il la regarde, l’air anxieux. Elle ne s’y fait pas. Pendant trois jours, il l’a fait plier sous ses caresses, il l’a prise sans retenue, sans pudeur. Et il a pour elle des yeux de petit garçon.
Elle lui laisse la place. Se met derrière lui, pose ses mains sur ses épaules.
Ce qu’il joue n’est pas sur la partition. Mais Cendrine n’a aucun mal à suivre. Elle prend le tempo, lit dans les phrases autant que dans la tension de Joachim le moment de chanter. Elle prend les notes sans a priori, sans interpréter. Elle mémorise. Tourne la page, puis, se rendant compte que le compositeur n’en a pas besoin, la garde en main. Elle termine. Il enchaîne sur la suivante, inventant une transition.
Il a, en trois heures, composé huit chansons. Toutes sont exactement dans la bonne tessiture. Un peu de tout. De la chanson à double sens, une fantaisie allitérative, et deux plus profondes. Et un truc bizarre sur trois notes et quatre mots. Ils les testent, les passent en boucle. Cendrine prend des libertés. De l’ampleur. Elle joue avec les sens, les sons. S’arrête.
Elle s’est fait câline, d’un coup. Elle a envie de le prendre dans ses bras. Mais le jeu qu’ils jouent les passionne trop. Toute la nuit, ils vont décortiquer les textes, les notes. Il griffonne, vite fait, une chanson de plus.
Sido dort,
héla Missy
Missy l’adorée
Facile à mirer
L’ami Rémi
Dit, et zut
Sido dort, et
Bée, molle…
Le présentateur ne cesse de tripoter ses fiches. Son sourcil droit tressaute, au grand dam de la maquilleuse qui multiplie les retouches. En face de lui, un Marc Hevene non moins nerveux fait tourner lentement une bouteille de Perrier entre ses mains. C’est un whisky dont il aurait besoin, un double, même. Il est des moments où il voudrait être moine. L’enregistrement doit durer cinq heures, pour une émission qui en fera trois, coupures comprises.
La production a été prudente. Elles pourraient, presque, ne pas se croiser. Si elles le veulent. Ce n’est pas sûr. Qui sait ce que des femmes, amoureuses, blessées, ou jalouses, peuvent ensemble. Il a même été question d’annuler. Ce type d’émission se programme des mois à l’avance.
Le boys’band ouvre le bal. La scripte, derrière le présentateur, fait des grimaces pour dérider Marc. Peine perdue. Avoir composé cette daube sautillante le consterne. Dans son studio, c’était au moins audible. Il se concentre sur Cendrine pour ne pas entendre. Il ne l’a jamais laissée seule dans sa loge. Il a beau savoir qu’elle est une grande fille, il s’inquiète. S’il était honnête, il s’avouerait que ce n’est pas pour elle.
Dieu merci, les adolescents à peine pubère qui viennent de massacrer son texte ne seront pas interviewés. Ils se contenteront de signer des autographes pour leurs fans en délire.
Le présentateur a un geste de recul, vite maîtrisé. Il enchaîne, enjoué :
Ce qui arrive, c’est Amandine. Elle a grossi, elle a mauvaise mine malgré le maquillage, et son stress augmente son zézaiement au point de rendre incompréhensibles les quelques mots qu’elle lance en introduction. Elle chante en play-back, et s’emmêle dans sa chorégraphie. Le monteur devra faire des prouesses pour sauver ce passage.
Malheureusement pour tout le monde, Amandine est en promo. Son nouvel album, les amours blessées, pourrait être émouvant défendu par une autre. Le public ne s’y trompe pas, c’est un bide. Marc en rajoute. Il la complimente pour son teint resplendissant, son admirable sens du rythme, ses nouvelles chansons qu’il n’a pas écoutées, malheureusement, mais qui ne peuvent être que formidables. Justement la chanteuse se relève, et enchaîne sur son single, après que l’animateur ait vendu sa soupe.
Amandine, sur scène, susurre Je suis si triste en écorchant les consonnes, sans lâcher Marc du regard. Le compositeur tente de résister au fou-rire qui le gagne, se cache dans ses mains, dans son mouchoir. Il n’en doute pas, la production en fera un moment un moment d’anthologie. Le dernier accord meurt, la jeune femme salue sous les ovations. Le présentateur reprend :
Il a l’air si sérieux, avec ses yeux de bon chien, que le compositeur s’esclaffe pour de bon. Il bafouille :
Il boit une rasade d’eau pétillante pour endiguer les symptômes, s’étrangle, tousse, devant un Marc Hevene qui maintenant pleure, de rire. Il n’y a rien à faire qu’attendre.
Quand ils reprennent leur sérieux, le réalisateur capte la larme qui roule sur la joue de l’invité. Tout est prêt pour la belle histoire.
On enchaîne, les succès cinématographiques – miraculeux, commente Marc - le crooner, interprète de Paris-sous-Myse, et Vickie.
Vickie en robe printanière, qui chante Le noyau de cerise sans en rajouter. Vickie qui s’assied, répète ce qu’elle a toujours dit, les yeux dans les yeux de Marc, Vickie qui flirte gentiment avec le présentateur, avec la caméra. Vickie qui n’a pas, vraiment pas, besoin de lui.
Il s’étonne du silence. Marc est comme prostré, entré en lui-même.
Il reste figé face caméra, sourire commercial vissé aux lèvres. Puis se dégonfle, brusquement.
Hors antenne il est nettement moins familier. Presque servile. Le compositeur secoue la tête, se lève.
Joachim traverse le plateau, dans un état second. Croise Cendrine.
C’est la dernière personne qu’il a envie de voir, mais il fait bonne figure. Il arrive à rire.
Son doigt court, caresse l’oreille de la jeune femme, descend lentement sur la joue, le menton, le cou, pour s’arrêter in extremis au bord du décolleté sage que porte la chanteuse. Elle l’embrasse fougueusement, s’exclame :
L’homme la suit du regard, conscient qu’il devrait, à ce moment, l’aider à lutter contre le trac. Mais quoi qu’il fasse, il ne peut pas penser à elle. Il a gardé, comme s’il était encore devant, l’image de son interprète. Différente. Radicalement différente. Et il en est bouleversé.
Il entre dans sa loge, résiste à l’appel de la flasque qui dort dans sa veste, s’empare d’un crayon et griffonne, fiévreusement.
Une vingtaine de minutes plus tard, il est sur le plateau, détendu, joueur, revenu à son personnage.
Ils échangent des banalités sur Cendrine. Le présentateur, prudent, veille à lui couper la parole le plus souvent possible. La jeune femme fait son entrée. Elle chante Misiladoré, son premier single. Simple, un peu coquin, avec une astuce rudimentaire, le titre leur a semblé idéal pour le lancement. Il y a longtemps que, pour les producteurs, les décisions de Marc Hevene ne se discutent pas. Sa tenue de scène ressemble à celle que Cendrine porte tous les jours : jean taille basse, petit pull à col en V un peu trop court, qui laisse voir un petit bout de chair quand elle se déhanche. Elle a ajouté un collier de pacotille, assez voyant. Pas de quoi révolutionner la chanson. C’est ainsi qu’ils ont vu les choses.
Une fois le dernier accord éteint, la chanteuse aurait dû descendre les marches pour les rejoindre. Elle ne le fait pas. Au contraire, elle leur tourne le dos. En attente. Le présentateur se crispe. Ce n’est pas sur son conducteur. Marc ne s’inquiète pas. Il sait que Cendrine est encore en représentation. Il attend de savoir quel est le programme.
L’orchestre maintient une ambiance sonore légère. Les tribunes bruissent de conversations à mi-voix, puis d’appels, de sifflets. La chanteuse, lentement, lève les bras et commence à taper dans ses mains. Aussitôt suivie par le public. Les portes s’ouvrent au fond de la scène, les machines crachent de la fumée, et Vickie Minel apparaît, auréolée de brume.
L’animateur se tord les mains. Il ne sait pas ce qui se passe. Il sait juste que l’orchestre, et sans doute le producteur, ont été prévenus. Pas lui. Il lorgne Marc, qui contemple les deux filles avec une expression de surprise. C’est à ne rien y comprendre.
Les deux femmes s’embrassent, chuchotent, minaudent. S’amusent. L’orchestre joue les premières notes de La marelle. Vickie s’écrie :
La moue boudeuse a toujours été un de ses grands atouts.
Elle secoue la tête. Murmure à l’oreille de Cendrine. Qui lui répond, toujours à l’oreille. Le présentateur, sur son canapé rouge, s’impatiente.
Cendrine se tourne vers lui avec lenteur, et, penchant légèrement la tête, fait non, du doigt. Marc soupire. La charge érotique qu’elle met dans ce geste simple le fait frissonner.
Comme si c’était un signal, Vickie chantonne, tenant son micro comme un cornet de glace.
Cendrine reprend, à la tierce. Elles improvisent, ainsi, pendant quelques courtes minutes, et terminent, ensemble, sur ce que tout le monde prévoit maintenant :
Coup de tonnerre. Un grand noir apparaît dans le nuage de brume. L’animateur reconnaît l’un des danseurs de l’émission. Pantalon sombre, torse nu, il porte, comme un calice, un pot de pâte à tartiner. Le public éclate de rire, applaudit, hurle.
Les deux filles trempent un doigt dans le chocolat, le lèchent, avec le geste d’une sensualité violente qui a fait le succès de Vickie. En phase, parfaitement. Puis elles se servent de leurs mains pour tracer, au rythme de la chanson, des arabesques de crème sur le corps du danseur. Cendrine nettoie son micro devenu trop glissant avec des mouvements de langue obscènes. Vickie lance :
Elle n’attend pas l’assentiment de l’homme-tartine pour attaquer. Celui-ci, pour ne pas être en reste, termine en offrant à chacune des filles un de ses doigts comme sucette. Les deux interprètes, barbouillées, rieuses, rejoignent le divan, enlacent Marc, l’embrassent, le couvrent de chocolat à son tour. Le présentateur, gêné, sidéré, ne sait plus s’il doit rire ou s’offusquer. Il se contient en pensant que tout peut être coupé au montage. Marc a entrepris de débarrasser Cendrine de son maquillage en l’embrassant de manière explicite. Vickie, excitée comme une gamine, crie :
Moment de flottement. Ralenti. Cendrine, lentement, se dégage. Marc se redresse. Il ne rit plus. Vickie seule sourit encore. Cendrine se lève. Elle vient se placer de l’autre côté de la jeune femme. Avec un sourire hilare, elle pose ses lèvres sur la joue parfumée de Vickie, en attirant la tête de Marc dans un mouvement symétrique au sien.
La photo fera la couverture de 24 magazines dans le monde. L’émission, elle, sera, comme toujours, d’une sagesse exemplaire.
Il n’en reste qu’une. Ils travaillent Litanie depuis le premier jour. Cendrine a tout fait pour ne pas l’enregistrer. Quatre mots, trois notes. Si elle comprend l’intention, elle ne voit pas comment on peut la faire passer sur la bande. Il la lui a fait répéter sans relâche.
Il a touché un point sensible. La répartie est cinglante.
Cendrine amorce un demi-tour. Marc ne lui en laisse pas le temps. Il l’attrape par le bras et la plaque contre le mur. Comme elle se débat, il accentue sa pression malgré ses protestations.
Elle respire fort. Il s’est, petit à petit, appuyée sur elle. Jamais elle ne l’a connu dominant. Distant, oui. Fuyant, même. Mais jamais, à aucun moment, il n’a mené le jeu. Et là, elle est prise entre lui et le mur, elle sent la boucle de son pantalon s’imprimer sur son ventre. Elle comprend qu’elle a perdu. Il le sait aussi. Il la lâche, effleure sa poitrine, goguenard.
Elle ne sait si elle veut le gifler ou le forcer à la prendre. Elle n’a pas le temps de choisir, l’ingénieur du son s’impatiente.
Ce prénom, Marc, c’est une insulte. Son excitation et complètement retombée, elle tourne cette rythmique absurde depuis quarante minutes sous le regard lassé des techniciens.
Elle en sanglote presque. Ils travaillent sans relâche depuis trois mois, avec de rares pauses conditionnées par des apparitions en public de l’un ou de l’autre. Marc ne répond pas. Elle est prête. À la limite. Il ouvre la porte, bravant l’ampoule rouge qui interdit l’entrée. La prend dans ses bras. Fait un signe vers la cabine. Le répète, plusieurs fois, avant d’être compris. Cendrine, contre lui, se repaît de son odeur. Elle réagit à peine quand la lumière s’éteint. Ils sont dans la pénombre, à peine éclairés par les boîtiers de secours.
Il la caresse avec des mouvements amples, apaisant. Il sent la respiration de Cendrine devenir plus régulière, puis s’accélérer à nouveau. Il précise ses caresses, sans les appuyer. La façon dont la jeune femme tend ses fesses est plus qu’explicite. Il lui chuchote à l’oreille :
Elle fait un geste de dénégation. Elle sait ce qu’il est en train de faire. Elle a compris très vite ce qu’était cette ritournelle. Elle ne veut pas. Elle n’en a pas le courage.
Il cherche, à travers le pull, à attraper ses tétons. Y arrive sans peine, tant ils sont tendus. Elle gémit.
Il a empaumé le sein droit de Cendrine, posée son autre main sur le jean, et le frottement du tissu provoque un spasme chez la jeune femme.
Il accentue légèrement sa pression, puis lâche la chanteuse et recule de deux pas.
Son chapelet d’injure est devenu presque enjoué. Elle attrape Joachim par le menton, l’embrasse à pleine bouche, sans retenue, sans nuance. Déboucle la ceinture de son jean, ouvre les boutons. S’enroule dans les bras de l’homme, guide ses mains.
Les répétitions intensives portent leur fruit. Malgré les hommes derrière la vitre, malgré la maladresse des mouvements, malgré l’étroitesse du pantalon, malgré la main qui lutine ses seins, malgré les doigts qui vibrent, tournent sur le clitoris, malgré le pouce qui s’empare de son vagin, malgré le plaisir qui monte, s’empare d’elle, la possède, malgré l’orgasme qui la laisse essoufflée, pantelante, entre les bras de Marc, elle ne perd pas la mélodie. Pas une fois. Sa voix, parfois un souffle, parfois rauque, égrène les mots sans fausses notes.
Ils se rajustent, quittent la salle, un peu sonné. Les techniciens les rejoignent dans la salle de pause. Aucun ne fait de commentaire. S’ils sont gênés, ça ne se voit pas. Ils reviennent au studio. Ecoutent la bande. Cendrine, mentalement, compte.
Ils ont enregistré exactement cent vingt huit mesures. Pas une de plus, pas une de moins. La jeune femme regarde les hommes, les uns après les autres. Ils sont bouleversés. Pas excités, pas moqueurs.
En quittant le studio, Joachim glisse :
Cendrine, longtemps, ne répond rien. Ils marchent un moment dans la rue, en silence. Puis, secouant la tête, elle remarque, navrée :
Elle sait maintenant qu’elle aurait dû choisir la gifle. Il est juste un peu trop tard.
Cendrine joue distraitement les notes écrites sur la partition. Ce n’est pas sa tessiture. Marc lève la tête.
L’atmosphère, d’un coup, a changé. Un regard. Rien encore dans les paroles. Rien même dans le son de la voix.
Sous l’ironie, Cendrine sent une menace.
Il ne répond pas. S’il parle, s’il bouge, il sait qu’il ne se contrôlera pas. Alors, il se tait, domptant la fureur qui déforme ses traits. Il sait que c’est irrationnel. Il lui arrive, souvent, de laisser ses notes n’importe où. Même celle qu’il devrait cacher.
Cendrine ferme le cahier, se lève. L’orage n’a pas éclaté.
Plus tard, au milieu de la nuit ou au petit matin, la jeune femme demandera, profitant du calme tendre d’après l’étreinte :
C’est elle qui l’affirme. Il ne répond pas.
Le tailleur blanc de la journaliste met merveilleusement sont teint mat en valeur. Marc s’étire, s’affale un peu dans le fauteuil, avant de répondre.
Une ombre traverse le joli visage. Elle reprend, sur un ton égal :
La journaliste a un sourire pincé. Elle n’a pas l’intention de parler d’argent. Ça choque les lecteurs.
Elle pensait l’amener à riposter, à répondre aux attaques violentes que la chanteuse zézayante avait lancées contre lui. Mais rien. Elle hésite, ne sais plus comment reprendre.
Elle se jette à l’eau :
Il s’amuse. L’intervieweuse rougit de façon charmante. Il décide d’enfoncer le clou.
Il la regarde se débattre, coincée entre l’envie de faire un bon papier et sa pudeur. Le spectacle est tout à fait réjouissant.
Il éclate de rire.
Elle se mord les lèvres, se reprochant son manque de témérité.
Pas moyen de raccrocher là dessus. Elle maugrée légèrement, puis fait contre mauvaise fortune bon cœur.
Il la regarde avec pitié, maintenant. Que cette jolie femme s’abaisse à fouiller les ordures pour en sortir des histoires sordides le consterne.
Il se reprend, comme surpris lui-même de sa tirade. Puis continue, plus modéré.
Il l’accueille. Il ne voit qu’elle. Elle se jette dans ses bras, l’embrasse, se pelotonne contre lui. Ils sont beaux, ainsi, emmitouflés dans leurs écharpes, serré l’un contre l’autre pour se tenir chaud. Ils se cherchent sans pudeur.
Ils ont oublié le reste du monde.
Joachim soupire. Il regarde Cendrine. Elle a raison, et il le sait. Il ne sait plus écrire pour elle. Il ne sait plus que la baiser, la baiser encore. À en avoir mal.
Il y prend à peine plaisir.
Il soupire.
Il prend ce prénom comme une gifle. Elle est là, sur le tabouret de piano, arrogante. Elle attend son salaire. Elle s’est laissée prendre, par tous les trous. Elle lui a donné sa tendresse. Elle a posé, aussi. Il n’a jamais rien peint de plus impudique.
Passer à la caisse…
Il la toise. Elle a rejeté ses épaules en arrière, dans un geste qui est autant un défi qu’un appel. Elle est facile, il a eu le temps de l’apprendre.
Il s’approche d’elle, jusqu’à poser son front sur le sien. Il la retient quand elle s’écarte.
Il secoue la tête, soupire. Lui caresse la joue, lentement. Sors.
En entendant la porte claquer, elle éclate en sanglots nerveux. Elle n’est plus là quand il revient.
Les séances d’enregistrement sont houleuses. Parfois, la tension sexuelle s’installe, tangible, qui fait transpirer les techniciens et transforme Marc en un tigre en cage.
D’autres jours l’ambiance est glaciale. Il arrive même qu’ils n’enregistrent pas. Marc jette un regard sur Cendrine, renvoie tout le monde. Leurs éclats de voix gênent les studios voisins, malgré l’insonorisation.
Mais ils continuent. Et c’est bon, très bon, même. Le premier single fait un tabac monstre. Cendrine est invitée à plusieurs émissions, ce qui permet à l’équipe de souffler.
La rumeur dit que Marc est de nouveau avec Vickie. La rumeur dit que Cendrine cherche un appartement. La rumeur dit…
Ils enregistrent J’ouvre les bras. Ça prend des semaines.
Elle penche la tête. Il la déteste de ne pas comprendre. Il la déteste de lui faire dire ces mots :
Il quitte le studio. Il est trop retourné pour continuer. Il ne l’entend pas appeler.
Il aurait aimé cette intonation.
Cendrine entre, pose son sac. Eclairé par le triste soleil de novembre, le salon blanc est sinistre. Elle regrette déjà d’être venue.
Elle inspire profondément, puis part à la recherche de Joachim. Commence par le studio, l’atelier. Il n’est pas au rez-de-chaussée.
Elle monte. La moquette épaisse étouffe le bruit de ses pas. Le silence est surnaturel. Toute la chaleur semble avoir disparu.
La porte de la chambre est entrouverte. Elle avance, pose la main sur la poignée. Suspend son geste. Suspend son souffle. Elle suffoque, elle étouffe. Sans se soucier qu’on la voie, fait demi-tour, cours dans l’escalier, manque de tomber, se rattrape en se tordant la cheville, sentant à peine la douleur. Elle s’effondre sur le canapé.
Il faudrait effacer la bande. Revenir en arrière. Ne pas savoir.
Ne plus voir.
Vickie à quatre pattes sur le lit bas. Les draps bleus froissés, saccagés. Les mains de Joachim, grossières sur la taille si fine. Le visage renversé de Vickie, sa bouche ouverte sur un cri muet. Sa peau si blanche et les mains brunes, épaisses. Ses seins ronds, pâles, les tétons à peine plus foncés oscillant sous la poussée de…
Les ongles laqués qui s’enfoncent dans les coussins. Les cheveux blonds, presque blancs, battant la mesure. L’odeur de bête fauve qui vient la frapper, comme si le reste ne suffisait pas.
Cendrine reste prostrée sur les coussins. Elle voudrait partir, reprendre son sac et s’enfuir. Elle ne peut pas. Ravagée, stupide, elle trace, sans s’en rendre compte, les contours d’une tache passée sur l’étoffe blanche. Les digues se rompent quand elle comprend qu’elle caresse la trace qu’elle a elle-même, qu’ils ont, ensemble, imprimée sur la toile virginale. La douleur irradie, pulsatile, plus violente de seconde en seconde.
Vickie a pris le temps de passer un peignoir. Ainsi vêtue, elle fait plus poupée que jamais. Elle avance prudemment. Cendrine est recroquevillée sur elle-même, les mouvements irréguliers de ses épaules trahissant ses sanglots. Vickie, avec précaution, s’assied à côté d’elle. Lui caresse le dos, la tête. Se rapproche. L’enlace. Cendrine s’abandonne dans les bras de sa rivale, respire sur elle le parfum de son amant. La soie rose se couvre de larmes. Vickie chantonne, murmure des paroles apaisantes, essuie des larmes, embrasse légèrement le visage rougit. Cendrine hoquète :
Elle sanglote de plus belle. Vickie chuchote des mots sans suite, sans sens. Lisse les cheveux de Cendrine, avec des gestes apaisants. La jeune femme esquisse un triste sourire en pensant que la boucle est bouclée.
Marc les trouve ainsi. Il reste longtemps dans l’encadrement de la porte, sans approcher. Il entend, parfois, un murmure, un reniflement. Il les distingue à peine, la tête blonde de Vickie penché sur le corps de Cendrine. Il ne sait pour laquelle est l’émotion qui le transperce.
Il s’éloigne.
Marc les regarde, amusé. C’est Vickie qui a ourdi le complot. Il s’est laissé faire. La petite avait raison : cette chanson n’était ni pour l’une ni pour l’autre.
Elles sont toutes deux devant le micro. Elles ont insisté, malgré les protestations de l’ingénieur du son, pour enregistrer ensemble. Elles savent qu’elles vont devoir multiplier les prises, pour éliminer les sons parasites. Elles s’en fichent.
Cendrine commence. Elles se sont attribué les rôles, faisant fi de son avis. Il les a vues, toutes deux au piano, serrées l’une contre l’autre, avec un sentiment d’exclusion insupportable.
Il a quitté la pièce.
Les techniciens rigolent, profitant de la protection de la cabine pour multiplier les allusions graveleuses. Ils sont les premiers témoins de l’histoire. Il est assez miraculeux que jamais un seul n’ait vendu ses confidences. Ils peuvent raconter l’histoire mieux que chacun des protagonistes.
Marc ne les écoute pas. Il a les yeux rivés sur ses interprètes.
L’une ressemble tant à une adolescente. Il l’a crue fragile, manipulée. L’a découvert forte, déterminée, immorale. Si semblable et si différente de l’autre.
Il a pensé, un moment, que l’amour était un sentiment simple. Il a cru ne pas aimer Vickie, il a cru aimer Cendrine. Il ne sait plus, maintenant, comment appeler ce qui les relie.
Elles chantent.
Les poèmes de Karl http://arevebebe.free.fr/bb/viewtopic.php?t=1269, et d’Amanite http://arevebebe.free.fr/bb/viewtopic.php?t=1569 et http://arevebebe.free.fr/bb/viewtopic.php?t=1777 m’ont accompagnée tout au long de l’écriture de ce texte.
Influence et références : le film Backstage, d’Emmanuelle Bercot, musique de Laurent Marimbert, les clips de Britney Spears, Charlie et la chocolaterie (version Tim Burton), le règlement du concours 115, le personnage public de Gainsbourg et ses chansons, les chansons interprétées par Lio, des textes d’Olaf, Sofie, Padoum, Crinoline et Nono sur le forum, pour les titres de chansons, l’émission Vivement dimanche.