n° 10381 | Fiche technique | 12075 caractères | 12075 2105 Temps de lecture estimé : 9 mn |
02/05/06 |
Résumé: Mais à quoi pensez-vous donc ? Une fée, c'est asexué... | ||||
Critères: #fantastique #merveilleux #conte ffh revede | ||||
Auteur : Nicolas Envoi mini-message |
Une nuit à Fontfreide
Dans cette vieille maison de famille, qui n’est plus visitée que rarement par l’un ou l’autre membre de la fratrie, perdue au bout d’un chemin de terre ne menant nulle part ailleurs, je suis venu chercher la paix de l’âme et le repos du corps, après avoir perdu en quelques semaines une compagne de route et mon travail.
Au rez-de-chaussée, dans la grande salle commune qui fait à la fois office de cuisine, de salle à manger et de salon, la vieille comtoise égrène son éternel chapelet de tic-tac, ponctué toutes les demi-heures d’un coup de gong sonore et chaque heure du double décompte du temps passé.
Une heure du matin, ne sachant plus que faire en cette nuit d’insomnie pour essayer de trouver le sommeil, je me suis réfugié dans mon lit, lumières éteintes à attendre le petit matin. J’ai essayé la TV : la pêche à la mouche sur les cours d’eau de seconde catégorie de la haute Ardèche ne fut pas assez soporifique. J’ai tenté la tisane tilleul-verveine avec une dose de « gas-oil » (verveine liqueur verte) à endormir un éléphant, rien, pas de résultat. Etape suivante : la lecture des cinq premières pages du dernier opus de BHL, sans le résultat escompté et pourtant Dieu sait si c’est assommant, ensuite une double dose de Stillnox qui d’habitude me procure six heures d’un bon sommeil réparateur : rien à faire non plus. Il ne me restait plus rien d’autre à tenter. Et puis à quoi bon ?
Il fait un noir tout relatif dans la chambre. Une fois les yeux habitués à l’obscurité, la pièce s’éclaire et se peuple d’objets et de personnages que l’on ne remarque jamais dans la journée.
Je ne savais pas que les coussins de la petite bergère dans le coin près de la fenêtre, qui somnolent et se font discrets tout au long de la journée, sont en réalité deux gros chats qui profitent de la nuit pour dormir plus profondément encore, roulés en boule sur eux-même et sans bouger.
Chose plus étrange, le bonheur du jour, meuble haut de taille mais étroit d’épaules se transforme la nuit en un garde suisse à peine sorti de l’ombre, près de la porte, et qui vous ôte toute envie de tenter de vous enfuir. Mais pour aller où, en pleine nuit, pauvre sot, je te le demande ?
Qui savait que, derrière les lourds doubles rideaux de brocard que personne ne ferme plus depuis longtemps, jamais dérangées, auréolées de poussière et nimbées d’un rayon de lune se cachent deux fées à l’éternelle jeunesse et à l’impressionnante beauté ? Je mis quelques minutes avant de m’apercevoir de leur présence.
C’est vrai, comment faire la différence entre un rideau qui bouge, à peine bousculé par un tout petit courant d’air s’infiltrant entre les deux battants de la fenêtre et le délicat mouvement d’une fée changeant de place pour mieux voir l’intrus que je suis. Mais c’était une fée, j’en suis sûr. Je me suis fait tout petit, comme pour me faire oublier, les couvertures et l’édredon remontés jusque sous le nez, les mains croisées sur le ventre, la tête enfoncée dans l’oreiller. Il ne faut surtout pas bouger et à peine respirer. Les fées c’est comme le bonheur, ça se mérite et ça demande des efforts. Une fée, contrairement à ce qu’on croit et à ce que colportent les légendes, ce n’est pas un individu doté de pouvoirs magiques et qui peut résoudre tous les problèmes du monde d’un simple coup de baguette magique. Une fée, c’est un être sensible, timide, qui a encore plus peur que vous dans le noir, qui n’aime pas l’inconnu ni les inconnus et qui n’a jamais fait de miracle. Une fée, c’est quelqu’un qui voudrait bien, mais qui ne peut pas sans votre aide. Elle voudrait bien vous aider, mais si vous n’y mettez pas du vôtre, rien ne se passera. Une fée, c’est plus souvent la grenouille qui vous regarde passer du bord de sa mare sur le chemin de votre vie que la blonde à gros seins vêtue de blanc et équipée d’une baguette magique qui vous apporte le chèque du gros lot, alors que vous aviez oublié de jouer la super cagnotte. Votre fée, vos fées si vous êtes un peu poète et sage, vous les avez en vous, elles sont toujours prêtes à vous aider, mais savez-vous les écouter ?
Cette nuit, je découvrai tout ça, retrouvant mes deux fées bienveillantes dans cette chambre où j’avais dormi étant enfant puis adolescent. Ce sont elles qui calmaient mes terreurs nocturnes lorsque réveillé par l’aboiement d’un chien au loin, j’entendais la maison vivre et faire craquer les rhumatismes de ses grosses poutres de chêne et de ses parquets de châtaigner. Plus tard, lors de mes premiers émois charnels, elles m’aidèrent à mieux supporter l’indifférence de Juliette, de deux ans mon aînée, dont les formes déjà épanouies m’avaient subjuguées et qui préférait la compagnie des garçons du village, qui, eux, avaient des mobylettes !
Bercé par les tic-tacs de la pendule, véritables battements du cœur de la maison, je glissais dans une espèce de torpeur plus ou moins éveillée. Plus je me laissais aller plus les choses s’animaient, plus mes fées se révélaient.
La première à sortir de l’ombre fut Aline (du nom d’un premier amour). Je mis un peu de temps à la reconnaître. Elle avait bien changé depuis que nous ne nous étions vus. Ou peut-être mes souvenirs s’étaient-ils quelque peu estompés. D’elle je ne gardais en mémoire que de lourds et longs cheveux roux en boucles soyeuses et souples qui descendaient jusqu’au creux de ses reins. Ses traits s’étaient un peu effacés dans ma mémoire, et ce qui revint en premier ce fut le semis de tâches de son sur son visage, puis ses yeux vert menthe à l’eau (très clairs comme quand on ne met que très peu de sirop), enfin son nez mutin et ses lèvres pulpeuses, charnues mais sans excès, toujours souriantes, toujours légèrement entrouvertes. Elle ressemblait presque traits pour traits à Viviane, mon premier amour d’adulte. Amour timide et de timide, longtemps platonique et secret, un jour prêt à être déclaré, le lendemain tué par l’apparition d’un bellâtre « Nicolas, je vous présente Jean-Pierre, mon mari ».
Sous le long manteau du rideau qui la couvre des épaules jusqu’au sol, je devine son corps. Je ne sais pas pourquoi, mais il prend des formes différentes selon les moments. Bien charpentée, sans être trop volumineuse, une poitrine de nourrice, rebondie comme un oreiller que l’on serre contre soi pour pleurer en paix. Presque celui de ma mère jeune sur les photos de l’album dans le placard à côté de la cheminée. L’instant d’après, c’est celui de mademoiselle Lulu, une jeune femme à la vertu aussi légère que la cuisse, et qui moyennant quelques espèces sonnantes et trébuchantes a soigné bien des étudiants de la fac (moi le premier), et dont je garde un souvenir tendre et ému. Parfois même humide… Un moment plus tard, Aline a pris les formes plus ou moins androgynes de Patricia, la standardiste de l’entreprise qui m’employait et avec qui nous eûmes une brève mais brûlante liaison, qui ne dura que les deux mois d’un été, le temps de l’absence d’un compagnon dont elle se sépara quelques mois plus tard. Sans pour autant que nous renouions. Pour finir, elle adopta le corps fin et nerveux, les seins en poires lourds et fermes, attachés haut sur le torse, le bassin large et la fourrure abondante mais bien disciplinée, les fesses rondes et fermes mais sans excès de volume que je lui proposais. Je ne lui ai pas dit que c’était un puzzle de tout ce que j’avais aimé chez mes différentes conquêtes, faites depuis notre dernière rencontre. Elle sembla se satisfaire de ce que je lui avais offert et m’apparu dans toute sa splendide nudité.
Mais à quoi pensez vous donc, une fée c’est asexué…
Léa (ce fut celle qui m’offrit ma « première fois ») mon autre fée, qui commençait soit dit en passant à s’impatienter, fut beaucoup plus directe dans son approche. En sortant de derrière le rideau, elle aussi nue comme à son premier jour, elle avait déjà le visage, la chevelure noir de jais, le corps entièrement glabre, la démarche, la prestance de Raïssa. Mon dernier amour. Je l’avais rencontrée chez un client, lors d’une mission pour mon entreprise, et après six mois de folie amoureuse, nous venions d’être séparés, bien contre notre gré par la camarde, son coup de faux ayant pris l’allure d’un cancer foudroyant.
Il faut croire que l’ambiance de la chambre leur plaisait car bientôt mes deux fées vinrent s’asseoir sur mon lit, une de chaque côté. La plus curieuse de ce que j’avais fait depuis notre dernière rencontre fut Aline. J’essayai donc de lui raconter ma vie d’étudiant, les études, les sorties avec les copains, les filles qui passaient plus ou moins vite dans le quotidien, pour certaines dans la chambre pour d’autres jusque dans le lit. Je lui ai un peu raconté les bons coups, les délires, les pannes parce que trop de fatigue, trop de pression ou parfois trop d’alcool. À ses sourires maternels et compréhensifs, à ses commentaires souvent positifs, je compris que si elle n’approuvait pas tout ce que j’avais fait, elle en comprenait la plus grande partie. Parfois Léa intervenait, posait une question ou apportait une précision. Elle semblait m’avoir suivi de plus près qu’Aline.
La nuit avançait, la pendule avait déjà sonné à plusieurs reprises des changements d’heure. Mes fées se penchaient sur mes peines de cœur, après avoir évacué d’un « le travail ça s’arrangera toujours » mes autres soucis.
Aline et Léa s’étaient réfugiées sous les couvertures où je les avais invitées de peur qu’elles n’aient froid. En mai, les planèzes d’Auvergne ne sont pas si chaudes que ça la nuit, surtout dans une vieille maison peu chauffée, même pour une fée. Je les avais toutes deux serrées contre moi, et leur chaleur douce et bienfaisante m’apaisait. Qui a commencé de Léa ou d’Aline, je ne sais. Nous parlions de la dernière fois où Raïssa et moi avions fait l’amour, quelques heures avant qu’elle ne soit obligée de partir une fois encore à l’hôpital. La dernière. Comme souvent, nous avions pris notre temps, découvrant une fois encore chaque parcelle de nos corps, explorant chaque endroit déjà découvert, y revenant, cherchant à provoquer un nouveau frisson, à accroître le désir que nous avions de nous. Son traitement l’avait rendue entièrement glabre, étendant à l’ensemble de son corps cette absence de pilosité réservée auparavant à ses aisselles et à son mont de vénus. Nous en jouions, cherchant ainsi à dédramatiser les effets secondaires de ce fichu traitement. Lorsque nous avions été prêts l’un et l’autre et qu’il ne nous était plus possible d’attendre, elle m’avait réclamé, je l’avais demandée, et en sautant le pas vers la petite mort elle m’avait dit : « Quel bon moment pour faire un enfant, il serait à la fois beau et assuré de partager notre bonheur ». Hélas, ce bonheur nous serait refusé tant qu’elle serait malade.
Quelle main était sur moi, caressant mon sexe tendu ? Quelle main tenait mes bourses et les massait tendrement ? A qui était la main qui me caressait le dos et celle qui redessinait tendrement mon visage ? Quelle bouche me prodiguait ce tendre baiser, à qui appartenait celle qui m’avait englouti, et qui gourmande me dégustait si légèrement ? Quel corps me chevaucha plus tard enserrant ma verge dans un fourreau doux et chaud avant d’en exprimer toute la force, la tendresse et l’amour ? Leurs deux rires cristallins se mêlèrent lorsque j’explosai. Leurs mots doux, impossibles à transcrire mais si tendres et si forts qu’ils envahirent mon esprit. Leurs bras me bercèrent tendrement une fois que je fus dans les limbes, flottant au-dessus de mon corps lourd et sans réaction. J’y trouvais à la fois la paix de l’âme et du corps, et bien que la nuit fut très avancée, et que les premières lueurs commençaient à poindre là bas au-dessus des monts du Forez, je m’endormis.
Bien plus tard, l’heure du petit déjeuner passée depuis bien longtemps et celle du déjeuner sur le point de l’être aussi, je me réveillai, empli d’une sensation bizarre, à la fois soulagé et frustré, ne comprenant pas ce qui s’était passé, mais en ayant une conscience forte.
Comme le dit la chanson « J’ai encore rêvé d’elle, si fort que les draps s’en souviennent ».
A bientôt mon amour.