n° 10405 | Fiche technique | 7731 caractères | 7731Temps de lecture estimé : 5 mn | 08/05/06 |
Résumé: Un après-midi d'hiver, voyage au coeur d'un pays aimé... | ||||
Critères: forêt campagne amour revede nonéro | ||||
Auteur : Musea Envoi mini-message |
Ce matin, il a neigé.
Une neige légère, comme une plume d’ange, comme une promesse.
Je la regarde posée, ouatinée comme une barbapapa et j’aurais presque envie de la goûter, du bout de la langue, pour saisir ce goût de poussière gelée et constater qu’elle a toujours une petite saveur acidulée, presque piquante.
Les branches chargées s’égouttent lentement tandis que les oiseaux, affamés, se disputent les graines du liquidambar, logées à l’intérieur des petits fruits encore accrochés aux branches dénudées. Un étrange silence règne sur le jardin, mais aussi sur la ville, comme désemparée par la situation.
L’averse a pris le paysage par surprise. Il lui faut le temps de s’habituer.
A cette lumière blafarde, qui illumine d’une drôle de façon le bitume et les façades, mais aussi à ce frisson humide qui court le long des rues désertes et des impasses, comme une mauvaise fièvre.
Bonhomme hiver a secoué son édredon de plumes disait un vieux conte.
Autrefois je riais de l’image, je dansais sous les flocons et je priais que ce petit miracle reste là le plus longtemps possible.
Est-ce la maturité qui me fait aujourd’hui penser d’abord à tous ceux que ce temps aura mis un peu plus dans le désarroi ?
Il faudrait savoir retrouver le temps de l’insouciance certains jours…
Je soupire, rajustant le rideau devant moi.
Je mets un peu de musique et vais me blottir sous la couverture en patchwork du canapé. J’ai fermé les yeux.
Vivaldi m’emporte auprès d’un feu crépitant où je croise un regard bleu plein de tendresse. Il me parle d’un bol de lait et de miel, de mon bout de nez gelé qu’il a envie de croquer. Je souris et mon esprit s’envole, bien au-delà des rivières et des monts, me faire rejoindre ce pays que la neige pare aussi bien que l’herbe fleurie.
Le lait des narcisses, la plainte d’un petit chat perdu sur le chemin détrempé, le meuglement doux des aubracs sous le toit de lauze, mes pas assourdis dans le grand manteau blanc entre crissement et chuintement se posent, incertains.
Un bruit de sabots sur la route. Un traîneau passe, clochettes au vent, fumée odorante d’étable et de foin frais, presque rassurant dans la froidure piquante.
Je regarde l’homme qui conduit l’attelage. Son écharpe s’envole et vient s’enrouler autour de mon cou tandis que sa voix me murmure: « C’est la Reine des Neiges qui vient nous emporter. Saurez-vous me conduire, ma mie, et trouver le mot ETERNITE ? »
Je déchiffre l’énigme, me faisant Gerda en marchant dans la forêt giboyeuse.
Un lièvre roux détale à mon approche. Monter…monter encore, entre sapins, châtaigniers et noyers qui se tordent dans les champs, congères, stalactites bleues, bruits d’ailes et vent mordant.
Le givre a envahi les carreaux de la vieille maison, enchevêtrement de dentelles éphémères, qu’un artiste aurait gravées là pour moi. Je trouve la clé dans le pot de grès. La porte grince. Une odeur de bois brûlé me prend le cœur. J’approche mon briquet de la chandelle qui trône sur la commode.
Le bois sec attend près de l’âtre qu’une bonne âme le fasse cuire.
Je regarde les vitres à regret. Mais il fait trop froid pour rester ici sans abîmer les dessins enguirlandés de l’hiver. Bientôt le feu crépite dans le cantou. J’ai posé la lampe à pétrole près de la fenêtre pour le voyageur égaré.
Je glisse un œil sous le journal du panier aux provisions. Des pommes de terre, quelques oignons, des noix… Et dans le cellier, un saint nectaire, un pot de rillettes d’oie et quelques poires en conserve… De quoi trousser un dîner sympathique. Je souris en préparant le repas. Des bribes de chansons me reviennent. De celles que les enfants fredonnaient autrefois.
Un grattement à la porte. C’est Nella, la chienne rousse des voisins qui réclame sa place près du feu, le museau humide, la fourrure emperlée de flocons. Elle me fait fête et va fureter près de mes casseroles, amicale.
Sa présence me console de celle de l’absent dont les pinceaux, la guitare sont restés oubliés sur la table.
Il est presque huit heures.
La nuit enveloppe la campagne. Les sapins se dressent, fantomatiques derrière la maison. J’ai froid soudain malgré la flamme haute. J’ouvre la grande armoire pour y cueillir une de ses chemises épaisses, en flanelle écossaise qu’il traîne pendant les jours gris à l’atelier. L’odeur de térébenthine me rebute un peu mais je m’y glisse, et je trouve pour compléter ma tenue, un vieux poncho, souvenir d’un voyage au Mexique.
Me voilà parée.
Je pense à son rire me découvrant ainsi vêtue, à son regard, plein de malice. Et je souris en tournant les patates rissolées dans la cocotte en fonte, parmi les oignons doux, le thym et la graisse d’oie…
Dîner solitaire devant la cheminée. Nella s’est endormie à mes pieds, le museau entre les pattes. Un reste de verveine dans le flacon à liqueurs, jette une couleur anisée sur la pierre grise du foyer.
Je voudrais encore l’attendre. Ne pas sombrer dans le sommeil avant que monsieur rentre…
Mais il fait si doux, si sombre sur le canapé bleu.
Et je suis si bien…
Je m’abandonne à la chaleur des flammes, à cette tiédeur enveloppante. Ne manquent que tes bras, amour, tes baisers et cette envie qui nous étreint lorsque nos regards plongent dans la même eau, mi-bleue, mi-noire…
"Dans les replis sombres de ma mémoire, lactés de chèvre, en bouc amoureux… remonte, musicalement, remonte… Je veux te foutre par l’oreille, auvergnate d’amour. L’amour est une chose, qui descend de cheval, l’amour est donc un genre qu’on refuse à sa mère… Mais au fond des bois, où la vie appelle, on ne sait pas trouver celui qu’on veut aimer…Il est temps ma chère… je ne suis plus sûr que les règles d’une bonne baise, soient celles de la politesse… on m’arrache aux genêts, on me fait d’une tige et puis on me défait…"
Tourbillon de mots sans suite, ceux de ta voix, ceux du désir, de ce mal qui noircit les pages et soulève les montagnes. Tout redéfinir. Des contours aux détails, refaire le parcours, interpeller les sens…
Deux pétales chauds se posent en vol sur ma joue.
La voix est si proche que je me réveille !
Retour brusque en ville : plus de feu, de poète murmurant, ni de Nella. La bouilloire oubliée sur le gaz chante et m’appelle pour le thé. Vivaldi s’est tu dans une révérence majestueuse et ma pensée s’effiloche en bulles irisées, encore perdue, affolée…
Un soupir entre regret et bien-être… L’homme s’est endormi contre mon épaule, perdu dans le même rêve. Demain c’est lundi, mais je veux encore profiter de ces heures, suspendues par la neige et mes songes.