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n° 10530Fiche technique19232 caractères19232
Temps de lecture estimé : 11 mn
19/06/06
Résumé:  Ce qui est simple pour certains paraît difficile à d'autres, et vice-versa.
Critères:  f fh complexe vacances odeurs cunnilingu pénétratio mélo
Auteur : Lise-Elise  (Thématique)            Envoi mini-message
Dies illa




Il y eut un temps où j’étais un amant tendre, attentif, maladroit. Un temps où je préférais de longues promenades main dans la main à des après-midi dans une chambre close. Un temps où j’étais romantique. Je suis encore tout cela. Je le suis encore. Mais plus seulement.


Il fut un temps où je n’avais rien à regretter.


Un temps où mes décisions étaient simples, et mes engagements joyeux. Un temps où je n’avais pas peur de moi-même.


Je ne sais pas si je voudrais retourner en arrière. Aujourd’hui je connais ma noirceur. J’en ai peur. Je la cherche et la souhaite, aussi.


Caroline était mon idéal. Blonde, fragile, passionnée par l’astronomie, elle me complétait à merveille. Je lui faisais découvrir les fleurs – j’ai toujours eu une passion pour la botanique – elle, les étoiles. Je posais un baiser léger juste en dessous de son oreille, là où un fin duvet blond attirait mon regard. Nous mêlions nos doigts dans un sac de cerises. Nous étions amoureux et c’était simple. C’était doux. Je ne pourrais plus me contenter de cette douceur.


Nous avions décidé de passer deux semaines de vacances ensemble. C’était la première fois que nous serions aussi longtemps en tête à tête : nous nous voyions plusieurs fois par semaine, le mardi soir, le vendredi après-midi et le dimanche, le plus souvent, mais sans pour autant partager le quotidien. Nous voulions aller dans les Pyrénées, avec son télescope et mon matériel à herboriser, dans un coin suffisamment sauvage pour communier avec la nature. Main dans la main.


Nous avions choisi un petit camping du côté de Saint Bertrand de Comminges. Des amis m’avaient chanté les louanges de cette abbaye, et nous comptions bien la visiter. Le voyage se passa sans encombre. Caroline avait préparé une merveille de pique-nique, allant jusqu’à prévoir le café et la nappe à carreaux. Je la sentais, néanmoins, légèrement préoccupée. Elle balaya son inquiétude d’un revers de main lorsque je lui posais la question.


Les premiers jours furent conformes à nos rêves : nous alternions longues randonnées et tourisme culturel, visitions des expositions et allions à des concerts. Nous projetions de monter deux jours sur la Maladeta, avec le télescope : nous étions assez bons marcheurs pour tenter l’aventure. Mais les ombres se formaient de plus en plus souvent sur le front de ma compagne, et elle contrait toutes mes tentatives de percer son mutisme.


Nous avions décidé d’une journée au calme avant d’affronter les sommets. Quelques courses à faire, et farniente. Le temps orageux ne nous incitait pas à la frénésie. Caroline se fit, ce jour-là, plus caressante que d’habitude. Nos peaux étaient moites de transpiration, et pourtant elle cherchait mon contact, passait ses mains sous ma chemisette, m’embrassait avec plus d’audace que jamais. Elle alla même, alors que nous patientions à la caisse de la supérette, jusqu’à poser sa main sur mes fesses, ce qui me fit sursauter de surprise. Je ne la connaissais que réservée.


Le soir, alors qu’elle se blottissait dans mes bras, le pot de crème mont blanc à la main, je lui chuchotai :



J’ajoutai aussitôt, car je l’avais sentie se raidir :



Mais elle se dégagea, et me tendit la cuillère sans rien dire. Elle prit ses distances, me demandant même de ne pas l’accompagner pour la vaisselle, que nous avions faite ensemble depuis le début des vacances. Elle mit longtemps. Je m’interrogeais sur la conduite à tenir.


Dès qu’elle revint, je me précipitai pour lui ôter la bassine des mains. Elle fuyait mon regard. Elle était plongée dans un livre quand je la rejoins sous la tente.


Je n’avais pas si souvent l’occasion de la regarder. Allongée sur le tapis de sol, la tête appuyée sur le bras, le dos cambré, son autre main caressant machinalement l’une ou l’autre partie de son corps, elle était, j’en suis sûr, bien loin de se douter à quel point elle était provocante. Je tentai de me concentrer sur mes mots fléchés, mais elle aimantait mes pensées. Au bout d’un moment, je n’y tins plus et commençai à faire courir ma main par-dessus ses vêtements : ses fesses, son dos, déposer un baiser sur sa nuque, ses mollets nus. Elle réagissait à mes câlineries, tout en continuant sa lecture. Je m’enhardissais, passant sous son débardeur, glissant deux doigts entre ses cuisses serrées. Sa réaction à cet attouchement fut fulgurante. Comme traversé par un éclair, tout son corps se tendit, et elle desserra les genoux, comme pour me laisser une plus grande marge de manœuvres. Je ne me fis pas prier.

Mais elle restait couchée sur le ventre, m’interdisant de la déshabiller. J’allais cueillir son sein, enroulais mes jambes autour des siennes pour la faire pivoter. Elle se laissa faire, jusqu’à ce que j’attaque le bouton de son short. Elle plaqua alors sa main avec force sur la mienne, en poussant un cri de détresse, qui, sur le moment, me parut incompréhensible.

Elle se replia sur elle-même, cachant son visage. Elle passait, en une fraction de seconde, de l’abandon à la défiance. Je n’osais plus la toucher. Elle ne réagissait pas à mes paroles, et je compris petit à petit qu’elle pleurait.


Je repris mes caresses, me limitant, cette fois, à ses épaules. Je voulais être le plus apaisant possible, mais elle était si tendue… Je murmurais doucement, lui disant que je l’aimais, qu’elle pouvait tout me dire, que je la comprendrais… Ces mots-là la firent bondir :



Ma douce et tendre s’était muée en tigresse, et j’essayais malgré tout de faire front.



Je restais estomaqué. J’avais fini par associer ce mot aux yeux rouges et larmoyants de ma mère, à l’aspirine et à la poche de glace qu’il fallait, parfois, remplacer par une bouillotte. Mes précédentes petites amies ne m’avaient pas détrompé. C’était désagréable. D’ailleurs, la plupart préféraient faire une pause en ces périodes. Caroline n’avait pas fait exception, notre absence de promiscuité facilitant les choses. Nous n’en avions jamais parlé.



Elle était de plus en plus agressive. Elle n’avait pas manifesté de signe de douleur. Au contraire, elle s’était faite si câline…



Je lui tendis un mouchoir. Elle le déplia. Puis elle s’assit, roulée sur elle-même, la tête sur les genoux.



Je l’embrassais avec tendresse, cherchant à lui prouver que rien ne pouvait m’éloigner d’elle. Je le pensais vraiment.


Elle bafouillait, cherchait ses mots. Plus elle parlait et plus ma stupéfaction était grande, plus mes caresses étaient précises, aussi. Ce qu’elle me disait allait à l’encontre de tout ce que je pensais savoir sur le corps des femmes. Elle me disait que ses saignements provoquaient chez elle une envie presque incontrôlable, une faim dévorante de sexe. Elle me disait n’en avoir jamais parlé, mais elle avait lu quelque part de ça pouvait arriver, qu’elle n’était pas anormale. Elle le répéta plusieurs fois. Elle m’avoua se caresser seule dans ces périodes, jusqu’à en avoir mal à force d’irritation parfois. Elle alla même jusqu’à me dire l’avoir fait après la vaisselle, et me fit sentir sur ses doigts l’odeur tenace de sang et de mouille, légèrement mêlée à celle du Paic citron. Nous n’avions jamais parlé autant de sexe. Et maintenant je la tenais à demi couchée dans mes bras, et je n’avais jamais eu autant envie d’elle.


Elle ne pouvait pas l’ignorer : ma verge bandée appuyait sur son dos et le haut de ses fesses, et les étoffes n’auraient pu masquer ça. Ma main était retournée entre ses cuisses, et je remontais vers le bouton de son short, en guise de question. Elle semblait hésiter. Puis elle murmura, les yeux baissés comme pour masquer sa honte :



Elle se détacha encore, et je me retrouvai encore une fois surpris de cette capacité à faire fi de son excitation. La mienne était si forte qu’elle devenait douloureuse.



Sa voix hésitait, mais ses yeux me suppliaient de la suivre, et à vrai dire je n’étais plus en état d’être raisonnable. Elle se dirigea vers les douches. Il n’était pas très tard, du monde passait, des jeunes gueulaient en jouant au volley avec une bouteille de shampoing. Nous profitâmes d’une brève accalmie pour entrer dans une cabine. L’étroitesse du lieu nous forçait à nous frôler, et je me sentis ridicule d’en être gêné : nous étions là pour bien autre chose.


Caroline reprit l’initiative. Me gratifiant d’un baiser dévorant, elle attaqua les boutons de ma chemisette, qui se rendirent sans résistance. Ne voulant pas être en reste, je m’en pris à son short qui se retrouva vite à terre, suivi de la culotte. J’eus un bref mouvement de recul en apercevant la serviette sanglante, mais la peau nue de Caroline sous mes mains eut raison de ma résistance. Ma douce compagne avait entrepris de me dévorer avec une frénésie que je ne lui connaissais pas. Je parcourais moi-même sa peau de caresses fiévreuses, désordonnées, à mille lieues des doux massages qui m’étaient habituels. J’eus vite fait de retrouver le chemin de son sexe, trempé, liquide presque, et bientôt l’odeur acre qu’elle m’avait fait sentir monta jusqu’à moi, forte, enivrante. Quand je plaquai Caroline contre le carrelage humide pour plonger mon sexe en elle, son soupir en dit assez sur l’envie qu’elle en avait.


J’avais cultivé la lenteur. Je me découvrais précipité. J’avais soigné la douceur. J’étais tout d’un coup brutal. J’avais été soucieux du plaisir de ma partenaire. Je devenais égoïste. Et Caroline, la bouche contre mon épaule, semblait vouloir retenir ses cris.


Après ma jouissance, je glissai sur le sol, laissant ma fiancée comme crucifiée, haletante. Je contemplais les lignes rosâtres qui glissaient le long de ses cuisses, dessinant un filet de luxure sur sa peau virginale. Je regardais son buisson en bataille, et je sentais l’envie monter de mordre dans la motte que j’avais labourée, d’aller chercher, plus loin, encore, cette violence des sens que je n’avais jamais encore connue.


Mais Caroline, un peu apaisée, se fit raisonnable. Elle se rhabilla sommairement avant de gagner une autre cabine. Seul, je fis couler l’eau froide, comme pour me punir. De quoi ? La seule vision de l’eau à peine teintée suffit à me faire bander à nouveau.


Je restai sous l’eau jusqu’à en être presque anesthésié, puis m’ébrouai. Je n’avais pas de serviette. Me sécher sous la tente fut relativement compliqué.


Sur le chemin du retour, nous parlions d’emménager ensemble comme d’une évidence. J’avais été abasourdi par la facilité avec laquelle Caroline avait admis mon accès de bestialité. Nous avions, quelques jours plus tard, repris sur le mode tendre qui était notre quotidien, mais elle ne semblait pas se faire de souci quant à mes débordements. Au contraire, c’était comme si cet épisode l’avait confortée dans la confiance qu’elle avait pour moi. J’en étais déboussolé. Je lui proposais pourtant de déménager en septembre : son appartement pouvait nous accueillir tous les deux.


Ce devint vite une habitude. Tendre et doux la majeure partie du temps, nous étions pris, trois jours par mois, d’une frénésie de sexe. Je voulais goûter, je voulais voir. L’odeur à elle seule, suffisait à me plonger dans la luxure. Voir l’écume rose qui naissait sous mes assauts me transformait en bête sauvage. Caroline écartait les cuisses, et je plongeais deux doigts, trois, parfois jusqu’à la main entière en elle, et elle soulevait son corps pour mieux venir à ma rencontre. Je léchais, mes doigts d’abord, attiré et rebuté en même temps par le vague goût métallique de ses sécrétions. Puis je plongeais à la source, et l’idée même de le faire me submergeait d’un dégoût mêlé de délice. J’osais tout en ces moments, je prenais possession de son corps, et elle s’offrait entière, débarrassée de toutes ses inhibitions.

Vingt-sept jours par mois nous éteignions la lumière, et pratiquions une ou deux fois par semaine quelques préliminaires timides et un missionnaire sage. Et ces trois jours, que Caroline avait vite, grâce à sa pilule, installé le week-end, nous nous transformions en bêtes lubriques.


Les hommes sont ainsi faits qu’ils poursuivent des buts sans trop savoir pour quelles raisons. Quand Caroline, deux ans plus tard, me parla d’avoir un enfant, cela me sembla raisonnable. Nous gagnions bien notre vie, nous avions démontré notre capacité à vivre ensemble. L’étape suivante était logique. Je me rendais donc aux arguments de ma tendre compagne, sans trop mesurer ce que ça voulait dire. La seule pensée que j’eus fut : ça fera sans doute plaisir à ma mère. Quand l’un de mes collègues m’interrogea :



Je répondis en haussant les épaules. En vérité je n’imaginais même pas ce que ça voulait dire.


Nous modifiâmes un peu nos habitudes : nos week-ends érotiques étaient par nature inféconds. L’arrêt de la pilule les rendit aléatoires, mais Caroline était si contente qu’elle se déchaînait plus encore. Puis elle commença à avoir des nausées… Alors mon côté affectueux, prévenant, inquiet, prit le dessus.


Ma science des massages tendres, mes caresses douces, mes baisers rassurants trouvèrent tous leurs usages. Non, elle n’était pas grosse, elle était magnifique. Et oui, je m’occuperais des courses, repose-toi, mon ange, je sais que tu es fatiguée.


Je lui cachais, sous cette gentillesse pur sucre, une inquiétude diffuse, un malaise grandissant dont je ne comprenais pas la cause, et que je mis sur le compte de la semi-abstinence que sa grossesse m’imposait. J’avais perdu l’habitude.


Mais si j’avais été honnête j’aurais su que ce n’était pas ça. Pas ça seulement.


Angoisse sourde devant le lit d’enfant. Embarras devant ces éléphants grotesques qu’elle avait choisis pour le papier peint. Pour me faire pardonner mon manque d’enthousiasme, je m’occupais seul des travaux de tapisserie. Plus j’avançais dans cette tâche plus ces dessins mal tracés me semblaient sinistres. Sensation d’encombrement devant la foule d’appareils ménagers : chauffe-biberon, mixer, stérilisateur chimique… Je passais mon temps à essayer de leur trouver une place, il me semblait sans cesse me cogner à l’un d’eux. Caroline prenait ma nervosité comme un écho à la sienne. Aujourd’hui je pense presque que c’était le contraire, que sans moi elle eut été sereine.


J’avais, en géniteur modèle, suivi les deux heures de préparation à l’accouchement prévues pour les pères à la maternité. Ce fut là que je commençai à comprendre. Les autres hommes, tout gauches et empêtrés qu’ils soient, paraissaient émerveillés par ce qui allait leur advenir. Malgré les explications de la sage-femme, tout cela me semblait abstrait. Étais-je, moi, concerné par une naissance ? Vraiment ? En rentrant à la maison je fus effaré par le volume du ventre de Caroline. Ma fragile petite chose s’était transformée en baleine… Et pour expier cette pensée, je passai une heure à surveiller le riz au lait dont elle rêvait.




Je subissais cette rengaine depuis ce qui me semblait une éternité.

L’accouchement se révélait difficile, et la péridurale avait cessé de faire effet depuis une demi-heure déjà. Caroline serrait les dents, et j’essuyais avec régularité la sueur de son front, la laissant me broyer la main quand elle en ressentait le besoin. Mais je n’en pouvais plus, et l’infirmière s’en aperçut avant moi.



Je ne me fis pas prier. Les gémissements de Caroline me poursuivaient dans les couloirs. J’optai pour un café bien fort, à la cafétéria de l’hôpital. Je pris le temps de le boire, puis j’en commandai un deuxième. Je ne me sentais pas le courage de remonter.



La familiarité me donna l’énergie qui me manquait. J’achetai une canette de jus de pomme, et passai par les escaliers.


Arrivé à l’étage, la pression qui s’était légèrement relâchée revint en force. L’angoisse me serrait les tempes, me nouait l’estomac. L’odeur d’éther me retournait le cœur. Je parvins jusqu’à la porte de la salle d’accouchement.


Caroline avait les jambes ouvertes sous le drap vert, ouverte comme lorsqu’elle s’offrait à la brutalité de mes mains. Et comme alors, son corps, aujourd’hui déformé par la grossesse, se cambrait comme pour s’exposer plus encore.


Je laissai tomber la canette, je fis demi-tour. Mes jambes me conduisirent mécaniquement à notre appartement. Là, je préparai une valise sommaire. Pourtant peu à peu ma raison prenait le dessus. Je ne pouvais pas faire ça. Je ne pouvais pas laisser Caroline seule, avec un gosse. Je tremblais de plus en plus. Il fallait prendre une décision, vite.

En allant vers la salle de bain je croisai le regard de plastique d’un lapin en peluche.

Un cadeau de ma mère.


Elle était si contente.


À trois heures du matin, un coup de téléphone m’apprit de qui j’étais le père.





À l’origine de ce texte, il y a une discussion avec Amanite.

Bande originale : Le requiem de Mozart