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Temps de lecture estimé : 33 mn
21/07/06
Résumé:  Chronique à la fois douce-amère, tendre et sulfureuse, sur des femmes qui vont réaliser leur attirance pour d'autres femmes. Confusions et incertitudes pour certaines, vices et turpitudes pour d'autres, leur rencontre va définitivement lier leur destin.
Critères:  ff inconnu voiture volupté dispute
Auteur : Nicky Gloria  (Femme mariée qui assouvit ses fantasmes en écrivant.)      

Série : Sans mâle et sans tabou

Chapitre 01
Sans mâle et sans tabou 1

MICHÈLE ET FIONA



CHAPITRE 1


C’est un triste matin dominical, comme Michèle Seigner les déteste. Sombre, maussade, comme son humeur. Debout devant la baie vitrée, elle parcourt le parc du regard. L’aube se lève, impitoyable, donnant de ternes couleurs aux arbres majestueux, pins et eucalyptus, qui projettent leur ombre sur une vaste pelouse habituellement bien entretenue. Elle contemple les arbres bercés par le vent, un fort mistral qui fait également onduler et frissonner tous ses massifs de géraniums, hortensias et fuchsias. Épines et pétales parsèment le sol, donnant à son jardin des allures d’abandon. Elle pourrait profiter de cette journée de repos pour jardiner, se consacrer à ses loisirs, à ses plaisirs, faire comme tout le monde.


Mais elle sait que ce ne sera pas un dimanche comme les autres. Pourtant, elle aurait aimé passer quelques minutes dans le jardin, juste derrière la tonnelle, dans son sanctuaire luxuriant et multicolore. Un havre de paix où elle aime se réfugier lorsqu’elle a besoin d’être seule, de réfléchir, de trouver un remède à ses soucis ou à ses problèmes. Une façon comme une autre de fermer les yeux, de fuir la réalité et rêver d’un monde meilleur où elle ne cesse d’établir et de changer les règles selon ses états d’âme. Une solution de facilité qu’elle maîtrise à la perfection depuis tant d’années, et qui n’a jamais rien changé.

Mais, aujourd’hui, elle veut que ça change.

Elle n’en peut plus, la coupe est pleine, elle se sent au bord de la dépression, prête à basculer dans le vide. Quel nom donner à ce trou béant qui vient de s’emparer de tout son être ? Elle l’ignore, mais elle doit réagir, prendre son courage à deux mains et s’en aller. Pourtant, elle hésite toujours, la valise à ses pieds. Les forces lui manquent. Comment peut-on tourner le dos à huit ans de vie commune ? Comment peut-elle douter ainsi de tout ce qu’elle a construit et se laisser si facilement submerger par le doute, la culpabilité, la panique, par des sentiments si intenses et si complexes qu’elle ne sait plus où elle en est. La réponse n’est plus ici, dans sa maison, leur maison, où la routine va reprendre inexorablement ses droits.


Un mouvement derrière elle l’arrache à ses sombres pensées. Son mari vient d’apparaître dans le séjour, s’appuyant contre la porte comme si les forces lui manquaient. Son visage est livide, d’un blanc cireux. Il garde les yeux fixés sur la valise, un long moment. Puis son regard reflète la plus grande incompréhension lorsqu’il la regarde de nouveau, un regard de chien battu, triste et malheureux. Un regard qui supplie et qui veut l’attendrir. Elle ne le supporte pas, s’affole, par peur de céder encore, comme elle le fait depuis tant d’années. Elle se sauve précipitamment, s’enfuyant comme une voleuse de sa propre maison.

Elle se retrouve près de sa voiture sans s’en rendre compte. Elle s’appuie contre la portière, les jambes tremblantes. Puis, brusquement, elle part d’un fou-rire qu’elle est incapable de maîtriser. C’est de la peur, de la tristesse, du soulagement, un mélange de tout ça, trop d’émotions qui la gagnent et la font craquer. Et, surtout, de l’étonnement. Incroyable, elle l’a fait ! Elle a toujours cédé à la facilité, reculé devant l’effort, comme vaincue d’avance par les obstacles à franchir, mais cette fois-ci elle l’a fait ! C’est dans un état second qu’elle enclenche l’ouverture centralisée des portes. Les loquets remontent avec un claquement sec quand elle entend un bruit de pas précipités derrière elle. C’est son mari qui court vers elle, toujours en caleçon et torse nu. Michèle pose vite sa valise dans le coffre avant de gagner la place du chauffeur, met le contact et baisse à regret la vitre de son côté. Il se penche, essoufflé, cherchant ses yeux alors qu’elle cherche au contraire à éviter son regard.



Le regard de son mari reste fixé sur elle, mais sans la voir, perdu ailleurs. Il ne comprend toujours pas, il la regarde comme si elle était une autre femme, si lointaine, si étrangère. Ses mains tremblent alors qu’il lisse d’un geste nerveux ses cheveux trempés par la pluie qui vient de tomber.



Puis son visage s’assombrit, prenant une expression dure et implacable alors que ses yeux irradient de colère. Son ton alors résigné devient brusquement agressif :



Sa voix se brise sur cette ultime phrase. Tout est dit. Un peu de douceur et de compassion de la part de son mari aurait pu la faire douter, mais par sa maladresse il venait de lui rappeler combien il pouvait être dur et obtus, sans la moindre compréhension. Elle comprend brusquement à quel point il pouvait la rendre malheureuse, et elle en ressent un formidable sentiment de soulagement, lui confirmant que son choix est le bon. Elle lève les yeux sur lui, osant enfin l’affronter. Il lui jette un dernier regard furibond puis s’éloigne lentement.

La pluie tombe toujours en minuscules coups d’épingle sur le pare-brise alors qu’elle manœuvre pour sortir de la propriété. Il lui faut un terrible effort de volonté pour ne pas regarder derrière elle, dans son rétroviseur, cette splendide demeure qui a vu grandir ses enfants, dans laquelle elle a vécu et partagé tant de choses avec toute sa famille. Maintenant qu’elle y repense, des souvenirs heureux semblent vouloir remonter à la surface, avec déjà de la tendresse et de la nostalgie alors qu’elle n’est même sortie de la propriété. Non, il ne faut pas fléchir. Tout son corps se raidit dans une insensibilité métallique tandis qu’elle passe devant le lourd portail en fer forgé. Ne pas penser, ne pas céder, ne pas regretter, tels sont les mots d’ordre qui s’entrechoquent dans sa tête et auxquels elle doit s’accrocher de toutes ses forces. Des impératifs si désespérés qu’elle s’accroche au volant comme si sa vie en dépendait, ne réalisant même pas qu’elle quitte la ville.


Le temps morne et pluvieux qui s’est abattu sur le département ne semble pas s’améliorer, bien au contraire… Elle conduit prudemment, dans le battement incessant des essuie-glaces et le bruit monotone de la pluie. La route serpente dangereusement, mouillée et glissante, avec une visibilité réduite. C’est sans réfléchir qu’elle prend l’autoroute et roule sur la voie de droite, sans ralentir, sans accélérer, d’une vitesse constante, à travers une pluie fine et poudreuse. Les vitres embuées ne révèlent qu’un paysage gris qu’elle ne voit même pas. L’asphalte luisant défile sous les roues de la voiture avec cette même régularité monotone.

e sursaute brusquement lorsqu’un camion la double dans un concert de klaxon exaspéré. Sa voiture fait une embardée et elle se retrouve engagée sur une bretelle de sortie sans qu’elle l’ait voulu. Tant pis, elle part de toute façon au hasard, allant là où le destin la mènera. Le camion qui l’a effrayée l’a sortie de sa torpeur, mais elle regrette presque cet état second dans lequel elle s’était cloîtrée. Maintenant, elle est submergée par les souvenirs, les remords, il lui est impossible de faire le vide dans sa tête.



La sensation d’oppression revient d’un seul coup, un état d’anéantissement total, comme si le ciel lui tombait sur la tête. Elle laisse derrière elle tout ce qu’elle connaît : son mari, ses enfants, sa maison, ses amis, ses habitudes, pour partir à l’aventure vers une destination inconnue. Des tremblements nerveux commencent à la secouer lorsqu’elle aperçoit une femme plantée au bord de la route, pouce levé, qui sautille sur place à son approche. Sur le bas-côté, un break d’un gris terne clignote de tous ses feux de détresse. Michèle hésite une brève seconde, puis elle se décide à se garer devant la voiture apparemment en panne. Vite, elle essuie du revers de la main les larmes qui ruissellent sur son visage.

Cette femme en détresse lui apparaît comme un signe du destin, au moment même où elle allait de nouveau sombrer dans la déprime. Il n’est pas dans ses habitudes de s’arrêter lorsqu’une personne fait du stop, mais il s’agit là d’une femme qui ne représente certainement aucun danger, et surtout tous les moyens lui semblent bons pour se changer les idées et ne plus broyer du noir. La femme se penche par la vitre que Michèle vient d’entrouvrir.



D’emblée, Michèle a un mouvement de recul. Elle enregistre avec appréhension le profond décolleté avec, sur le sein gauche, un large tatouage représentant un léopard ou une panthère, elle ne sait trop… Puis elle s’arrête sur le piercing accroché au sourcil droit, autre détail qui ne la met pas en confiance, cataloguant d’office l’inconnue comme une marginale, d’un mauvais genre. De plus, elle la trouve laide : un visage anguleux au menton pointu, un nez grand et busqué, une large bouche, des yeux sombres qui brûlent d’une passion secrète, vifs et perçants, avec cette lueur qui a quelque chose de dément, de sauvage. Jusqu’au moment où cette femme sourit, un sourire radieux, resplendissant, qui éclaire son visage et l’irradie tout entière. Cela efface d’un coup sa première impression, et Michèle se traite mentalement de vieux jeu en répondant tardivement.



Michèle la trouve drôle avec son franc-parler et ses façons un peu rustres. Elle se surprend à sourire. L’inconnue, ravie, l’observe avec gaieté en partant d’un grand rire spontané.



Le visage de Michèle se ferme.



La femme éclate encore de rire.



Michèle se déride, appréciant la situation qui prend maintenant une tournure tragi-comique.



La femme se précipite vers son véhicule immobilisé, refermant dans un claquement sec le capot du moteur et se penchant ensuite sur le siège arrière. Elle en ressort avec un sac de sport. Michèle, de sa fenêtre entrouverte, lui crie :



La femme s’exécute. La portière côté passager s’ouvre aussitôt après, laissant surgir la femme qui s’assoit vivement avec un soupir de soulagement. Elle est trempée jusqu’aux os. Le tee-shirt mouillé qu’elle porte lui colle si étroitement à la peau qu’il en est transparent, dévoilant des seins lourds et épais qui oscillent alors qu’elle se laisse tomber sur le siège. L’animal tatoué semble vivant, s’étirant et se lovant au rythme de ses mouvements. Le short en jean, coupé haut sur ses cuisses, la serre aussi près du corps. La veste en cuir, noire et usée, est grande ouverte sur ses épaules, complètement imbibée d’eau. Un bandana décoloré enserre de longs cheveux en bataille, accentuant le côté marginal de la femme. Michèle, encore une fois, s’efforce de ne pas se fier aux apparences. De toute façon, à cause de son éducation, elle a toujours eu le défaut d’être trop sévère pour tout ce qui n’entrait pas dans ses propres critères. Une rigueur déplacée qu’elle se promet de corriger si elle veut un jour se décoincer et croquer la vie à pleines dents. Se sentant observée, la femme lui jette un regard aussi insolent qu’insistant, prenant son temps pour la détailler de haut en bas. Gênée, Michèle détourne les yeux, se concentrant sur la route alors qu’elle redémarre.



Elle joue avec une boucle de ses cheveux noirs, tirant la mèche jusqu’à l’ossature du nez, et se forçant à loucher pour la regarder s’entortiller dès qu’elle la lâche. À la dérobade, Michèle l’observe. Elle est ravie de sa présence, amusée par ses manières décontractées.



Michèle rougit en jetant un bref regard sur les seins agressifs. Puis, comme prise en défaut, elle détourne vite le regard. Sans complexe, la femme la toise avec un petit sourire amusé, enchaînant aussitôt sur un ton enjoué :



Michèle ne répond pas tout de suite. Fiona, surprise, est témoin de son changement. Pourquoi ce froncement de sourcils, cette crispation des lèvres ? C’est comme si une ombre passait sur son visage, une ombre d’une tristesse infinie. Émue, elle s’excuse :



Son menton se met à trembler, et c’est au prix d’un terrible effort qu’elle réussit à refouler ses larmes. Fiona l’observe maintenant différemment, avec un mélange de compassion et d’étonnement. Michèle s’en rend compte.



Michèle garde un instant le silence avant de se décider à répondre :



Des cheveux aussi noirs et sombres que ses yeux, avec le même éclat lumineux et irisé dès que la lumière s’y accroche, et ce détail attire le regard de Michèle qui, du coin de l’œil, la contemple beaucoup plus qu’elle ne le devrait. Cette femme, avec ses épaules de nageuse, une silhouette à la fois robuste et voluptueuse, mélange vitalité et sex-appeal pour un résultat spectaculaire. Mais, ce qui l’impressionne le plus, c’est cette façon féline et sauvage qu’elle a de bouger, comme un animal indomptable. Une femme qui n’a certainement pas froid aux yeux, directe, qui doit foncer dans le tas et balancer toutes sortes de vérités sans penser aux conséquences.

Bref, tout son contraire. Si elle a une ligne à couper le souffle, son visage est beaucoup plus quelconque, sans beauté particulière. Des traits figés, froids, marqués par le poids des épreuves qui ne l’ont sans doute pas épargnée. Puis, à chaque fois qu’elle sourit, le miracle se produit, elle rajeunit de dix ans, rayonne tout entière, avec plus de charme et de charisme que le plus parfait des mannequins. Ce qui est actuellement le cas alors qu’elle est enjouée et curieuse, un intérêt sincère qui ravit Michèle.



Fiona esquisse une moue boudeuse, comme déçue.



Elle parle à voix basse. Son fin visage est creusé par la fatigue et le chagrin. Fiona l’observe sans s’en cacher, avec une infinie douceur.



Le sourire amer de Michèle se fait plus ironique.



Michèle quitte un instant la route des yeux pour observer Fiona avec amusement.



Michèle, ignorant l’ironie, hoche tristement la tête en répondant d’un ton monocorde.



Elle cherche ses mots, un instant trop émue pour s’exprimer de façon claire et précise. Elle finit par poursuivre :



Tandis qu’elle parle, elle réalise qu’elle omet de préciser que cette vie mondaine lui avait plu, au départ… Elle aimait sortir, recevoir du beau monde, elle trouvait très agréable et flatteur de jouer les hôtesses et fréquenter les notables de la ville. Elle avait toujours apprécié le luxe et les belles toilettes et savait que cela lui allait admirablement bien, l’auréolant d’une classe folle que beaucoup de femmes lui enviaient. Il lui paraissait inconcevable de vivre sans argent, c’était inimaginable de s’en priver, une pensée qui à elle seule l’horrifiait.

Mais il n’y avait pas que cela dans la vie, avec les années elle s’en rendait compte… Elle avait besoin de tendresse aussi, d’amour, mais son mari était avare de compliments, de gestes affectueux ou romantiques… De toute façon, il avait pris l’habitude de ne plus la voir. Avec lui, elle était transparente, elle faisait partie des meubles. À ses yeux, elle était une épouse soumise qui savait se tenir dans le monde, qui entrait dans son moule à lui, sachant tenir la maison, sachant le servir, lui et ses invités, et s’occupant correctement des enfants. Jamais il ne lui demandait son avis, jamais il ne lui parlait de son travail, jamais il ne s’inquiétait de ce qu’elle pouvait faire ou ressentir… Des questions, il ne lui en posait aucune, contrairement à cette femme qui s’intéressait réellement à elle, qui l’écoutait, qui voulait tout savoir d’elle.



Michèle tourne la tête dans sa direction et s’enquiert :



Une pointe d’admiration vibre dans la voix de Michèle.



Ses réponses sont sèches. Michèle ignore ses réticences et insiste :



C’est dit sur un ton si froid et impersonnel que Michèle en a la chair de poule. Brusquement, ses états d’âme lui paraissent si insignifiants qu’elle a honte d’avoir déballé ses petits problèmes de façon si mélodramatique. Fiona, consciente du malaise dont elle est seule responsable, tente de corriger le tir en reprenant sur un ton plus léger.



L’atmosphère s’est détendue, Michèle a retrouvé sa volubilité. Fiona esquisse une moue admirative.



Michèle acquiesce de la tête. Elle a la gorge serrée. Bien sûr qu’elle a peur de perdre ses illusions, de ne pas pouvoir faire face et de renoncer, se posant mille questions aussi inquiétantes les unes que les autres. Fiona se rend compte qu’elle est au bord des larmes et elle pose sur son bras une main douce et compatissante.



Michèle réussit à se détendre en donnant sa réponse avec un humour forcé.



Un sourire satisfait éclaire le visage de Michèle tandis qu’elle s’emballe :



Fiona la toise avec amusement.



Michèle croit avoir mal entendu.



Michèle sent le feu lui monter au visage tandis qu’elle lui jette un regard surpris. Fiona, au contraire, ne semble pas gênée ou embarrassée d’avoir posé une telle question, et c’est avec un naturel désarmant qu’elle remarque :



Étrangement, Michèle se sent en confiance. Cette femme est d’une franchise et d’une spontanéité qui la change tellement de ce milieu bourgeois et hypocrite qu’elle côtoie régulièrement, et parler lui fait tellement de bien. Depuis qu’elle se livre comme elle ne l’a jamais fait, sa lassitude et son anxiété ont disparu. La raideur de son cou ne l’enlace plus, les muscles de ses épaules se sont relâchés et, plus que tout, son cœur n’est plus pris dans un étau. Elle continue donc :



Elle se tait brusquement, regrettant d’en avoir déjà trop dit, surtout sur un sujet aussi intime. Fiona l’observe d’un air pensif, un sourire énigmatique sur les lèvres.



Elle se tait un long moment. Michèle fait de même, réfléchissant à tout ce qu’elle vient de dire. Elle a vidé son sac, un flot ininterrompu de regrets, de rancœur, avec le sentiment absolu d’avoir gâché sa vie et d’avoir fait le bon choix de partir. Un départ tardif mais nécessaire. Elle se sent plus légère et remercie le destin d’avoir placé cette femme sur sa route. Elle est aussi surprise que ravie de l’aisance avec laquelle elles s’entendent, alors que tout les sépare.



Elles échangent quelques banalités avant de garder encore le silence. Le ronronnement du moteur est durant quelques kilomètres le seul bruit monotone qui emplit discrètement l’habitacle de la voiture. À la sortie d’un village, Michèle s’arrête à une station service. Elle immobilise son véhicule devant la troisième pompe à essence, où un employé assure le service.



Elle n’a pas fini sa phrase que, sans un mot, Fiona sort de la voiture et se dirige vers la boutique, un modeste bâtiment fraîchement repeint, aux vitres si propres qu’elles en sont étincelantes. Au-dessus, une enseigne annonce fièrement que la boutique est ouverte 7 jours sur 7. Michèle y pénètre à son tour pour régler. Elle retrouve Fiona, campée insolemment devant des distributeurs automatiques de boissons. Michèle, malgré elle, lui envie son allure résolue, un mélange d’aisance et de désinvolture, comme si elle était partout en pays conquis. Déhanchée, elle est en train d’étudier le choix des boissons disponibles, tirant de la poche de son short une poignée de pièces, et en glissant quelques-unes dans la fente du distributeur. Ne voyant rien venir, elle secoue la machine avec violence, lui donnant en même temps un coup de pied virulent.



Une deuxième secousse plus énergique et la boisson jaillit dans un joyeux tintamarre. Victorieuse, Fiona se tourne vers Michèle. Ses yeux sombres semblent encore plus brillants quand elle s’écrie avec un sourire rayonnant :



Puis elle rit, avec tant de chaleur que ses traits semblent encore irradiés. Michèle a l’impression que cette femme, de sa seule présence, doit illuminer chaque endroit où elle entre. Cette sensation demeure alors qu’elle s’exclame comme une gosse enjouée devant le rayon des gâteaux.



De joie, elle s’élance dans ses bras pour lui déposer un baiser sur la joue. Michèle se sent rougir jusqu’à la pointe des cheveux, d’autant plus que Fiona la garde longtemps contre elle, dans une étreinte presque amoureuse et possessive. Michèle se dégage nerveusement, se dirigeant un peu trop vite vers la caisse pour régler l’essence et les paquets de gâteaux. Elles rejoignent ensuite la voiture.



Elle arrache l’emballage et croque à pleines dents le premier gâteau. Michèle lui jette un regard amusé en redémarrant. Elles reprennent la route qui serpente dans l’obscurité épaisse d’une forêt de pins, et sur des kilomètres le faîte incliné des arbres forme un tunnel frais et obscur. Fiona ne dit plus rien, occupée un moment à dévorer les gâteaux. Elle en propose à Michèle, qui accepte avec joie. Le paquet est vite terminé. Fiona est sous le charme, appréciant cet instant où elles ont partagé la même gourmandise, troublée par cette intimité où elle a l’impression qu’elles sont seules au monde, perdues sur une route déserte. Une pensée étrangement agréable…

Elle a eu aussitôt un petit pincement au cœur lorsqu’elle l’a vue derrière le volant, superbe, divine, avec sa longue chevelure rousse et flamboyante qui rayonnait autour d’un visage tout aussi lumineux. Un teint de porcelaine, des traits délicats, une peau blanche et laiteuse, des yeux bleus extraordinaires, il ne lui en a pas fallu davantage pour être séduite. Une beauté à la fois glamour et fragile, avec ce petit air triste si touchant, comme si elle était hantée par un lourd secret, une évidente détresse qui l’a aussitôt émue. C’est dans l’immédiat qu’elle a eu envie de la faire sourire, la libérer, de lui apporter de la fantaisie et de la gaieté. Elle a apprécié ses confidences, cette façon émouvante qu’elle a de parler, tout en pudeur et en retenue, et plus elle se confiait plus elle se sentait proche d’elle.


Et là, il y a cinq minutes à peine, elle a subi le choc de sa vie, le coup de grâce fatal. Elle se doutait que Michèle avait un corps somptueux, fait de courbes harmonieuses, mais la voir dans cette station d’essence, de la tête aux pieds, svelte et élancée, serrée dans un tailleur-pantalon noir et chemisier en dentelle, fut malgré tout un sacré coup de sang dont elle ne s’est toujours pas remise. Et maintenant, plus elle la regarde - ou plutôt la dévore du regard - plus cette attirance s’en trouve renforcée, un désir grandissant, lancinant, comme elle n’en a pas connu depuis longtemps. La tendresse a fait place à des pulsions beaucoup plus animales qu’elle ne fait rien pour retenir. Au contraire…


Michèle sent le changement, comme de l’électricité qui semble grésiller. Elle devine les yeux insistants qui brillent dans la semi-obscurité, braqués sur elle comme des feux ardents. Elle garde le nez pointé sur le volant, maintenant mal à l’aise. Sa conduite devient maladroite, elle négocie un virage trop vite qui fait déraper la voiture dans un crissement de pneus. Le ciel bas et brumeux se mêle toujours à une pluie fine, ce qui ne l’aide pas à avoir une maîtrise parfaite du véhicule. Pour justifier sa maladresse et rompre le silence, elle s’empresse de commenter :



Ce n’est pas une question, mais une affirmation, et dite si brusquement et si hors de propos qu’elle ne trouve rien à répondre. À côté d’elle, Fiona s’agite nerveusement, comme si elle était assise sur des charbons ardents. Avec une souplesse étonnante, elle choisit la position tailleur, écartant négligemment ses cuisses qu’elle caresse doucement du bout des ongles.



Elle se cambre en arrière, passant ses mains dans les cheveux en un lent et sensuel mouvement. Cela a pour effet de gonfler davantage sa poitrine, et elle continue de s’étirer de façon lascive, comme une chatte qui prend ses aises. Son short remonte davantage, glissant sur des jambes couleur de miel, musclées, éclatantes de soleil et de jeunesse. Michèle, crispée, ne comprend pas ce brusque changement de comportement. C’est si déplacé et provocant qu’elle perd contenance. Elle a toujours été galvanisée par les fortes personnalités, redevenant une petite fille facilement impressionnable, admirative ou craintive. Tendue, elle garde les yeux fixés sur la route. Elle ne réagit pas davantage lorsque la femme ordonne soudainement d’une voix basse.



C’est si imprévisible qu’il faut un moment à Michèle pour que la phrase arrive à son cerveau.



Affolée, Michèle donne un grand coup de frein en braquant vers la droite. La voiture s’arrête à un mètre d’un gigantesque eucalyptus qui projette son ombre immense sur la profonde végétation qui les entoure. Michèle tourne un visage inquiet vers sa passagère, ne comprenant toujours pas.



Pour Michèle, cela paraît si absurde et inconcevable qu’elle en reste bouche bée. Pour Fiona, au contraire, il n’y a là rien de surprenant, c’est dans la logique des choses, une pulsion tout ce qu’il y a de plus naturel, à assouvir tout aussi naturellement.



Elle croit vivre un cauchemar. Cette femme était sympathique il n’y a pas deux minutes, avenante et pleine de sollicitude, et maintenant elle est méconnaissable, agressive, grossière et autoritaire, avec dans les yeux cette lueur qui ne lui plaît pas du tout.



L’indignation la fait suffoquer.



Michèle se racle la gorge, essayant de prendre un ton ferme qui s’enroue dès les premiers mots.



Fiona fait la sourde oreille, sans se laisser désarçonner.



Michèle sent au creux de sa main le contact doux et tiède du sein épais qui semble brusquement gonfler. Elle veut se dégager, mais Fiona lui presse davantage la main sur sa poitrine d’un geste brusque et possessif.



Encouragée par son silence, elle la prend de son bras libre par la taille et la serre avec autorité contre elle.



Michèle a la voix si enrouée qu’elle n’émet qu’un son étranglé. Fiona persiste :



Raclement de la gorge avant de répondre faiblement :



Elle ne cesse de la provoquer, l’enlaçant plus étroitement, plongeant ses yeux brûlants dans les siens, quêtant du regard un abandon ou un acquiescement. Son manque de combativité l’encourage à aller plus loin. Elle rapproche brusquement son visage, lèvres entrouvertes. Michèle esquive le baiser qui effleure le coin de sa bouche. Puis, dans un sursaut de révolte, elle réussit à la repousser un peu. Fiona repart à l’attaque, mais la physionomie de Michèle prend une expression de confusion si pathétique qu’elle se laisse un instant attendrir. Cette femme est si fragile psychologiquement qu’elle pourrait abuser de la situation, la forcer un peu pour la posséder, mais elle ne souhaite pas en venir à de telles extrémités. Elle ne l’a jamais fait et souhaite parvenir à ses fins dans un consentement réciproque.



Michèle est si offusquée qu’elle ne trouve rien à répondre. L’autre continue.



Son regard est fuyant. Elle maudit la brève hésitation qu’elle a eue avant de répondre. Elle a menti, et elle n’a jamais su mentir. Son mari a toujours eu du désintérêt pour cette partie intime d’elle-même, utilisant simplement le sexe comme une arme pour affirmer son pouvoir et satisfaire sa supériorité de mâle conquérant. Le fait qu’il n’aime pas lui prodiguer le cunnilinctus, osant à peine lui regarder le sexe, avait quelque chose de blessant, comme s’il cherchait à lui faire détester sa propre féminité, à ne pas la mettre en valeur. Elle ne peut s’empêcher d’y penser alors que le regard de Fiona l’épie dans la pénombre, brillant et incisif.



Michèle ne proteste pas, un silence qui ne peut que la trahir, mais étrangement elle ne se sent plus la force de se draper dans un manteau de dignité froissée. À quoi bon puisqu’elle a été assez stupide pour se confier à cette femme, des aveux que celle-ci utilise maintenant de façon sournoise pour la contrer avec une logique imparable. La voix de Fiona se fait de nouveau entendre, plus rauque, plus douce, comme une voluptueuse caresse.



Tout en parlant, elle ne cesse de la fixer intensément, un regard brûlant qui subjugue.



Elle la défie toujours du regard en l’enlaçant. Michèle semble paralysée, tremblant de la tête aux pieds. Les mots crus et excitants que prononce cette femme prennent corps et existence, enflammant ses sens. Elle s’en laisse bercer, en état d’hypnose. Cette femme exerce sur elle une sorte de fascination, ses façons directes, son désir primitif et impétueux ont quelque chose de troublant et d’inquiétant. Jamais on ne lui a dit des choses pareilles, jamais on ne l’a désirée si ardemment, et cette fièvre est communicative. Elle s’en rend compte, elle veut échapper à son emprise :



Michèle ne sait plus où elle en est, tout est si confus… Son trouble, son émoi, la panique de ne rien maîtriser et de se découvrir effectivement… Comme si une autre personnalité prenait naissance et s’imposait dans toute sa force, toute sa passion. Elle se ressaisit, se tortille pour s’écarter, bredouille :



L’émotion lui coupe la parole. Fiona reste tout près d’elle, sans la toucher. Elle veut qu’elle sente sa présence, son parfum, son désir.



Puis elle tend son bras droit d’un geste nerveux, lui touchant la joue. Michèle recule imperceptiblement, coincée aussitôt contre la portière. Elle pourrait tourner la poignée, bondir hors de la voiture, mais quelque chose la retient, cette autre femme qui la remplace pour l’obliger à faire face à ses propres instincts. Michèle ne bouge plus, pétrifiée, interdite. Fermement, Fiona lui cloue les bras aux côtés, la tenant à sa merci. Sa voix est rauque lorsqu’elle lui souffle prés de l’oreille :



Encore ces mots qui font bouillonner son sang et la laissent sans volonté…


Fiona maintient sa prise en l’attirant à elle. Michèle gémit, fermant les yeux comme pour échapper à ce qui l’attend. Le cœur battant, elle sent un effleurement aussi doux et sensuel que de la soie sur sa joue, puis une haleine fraîche et parfumée sur ses lèvres, avec cette odeur de vanille qui, légère et subtile, est très agréable, entêtante presque… Puis vient le contact des lèvres sur les siennes, et une langue qui lèche sa bouche, sur toute la longueur, savamment et doucement. De surprise, Michèle s’entend gémir, elle ouvre les yeux puis les referme aussitôt.

Sa bouche reste également close tandis que Fiona promène toujours la sienne aussi langoureusement, de façon paresseuse. C’est si agaçant que Michèle finit par entrouvrir ses lèvres. Aussitôt, une langue fébrile glisse entre ses dents et visite fougueusement l’intérieur de sa bouche, quémandant un échange qu’elle ne lui accorde pas, se contentant de se laisser embrasser. Son cœur se met à battre plus vite devant l’insistance de la bouche audacieuse qui ne cesse de la relancer et de la provoquer avec un art divin, exigeant toujours de sa part une réaction. C’est un contact doux, ardent et mouillé, si grisant que, malgré elle, par instinct, sa langue se met alors en mouvement, allant timidement à la rencontre de celle de sa partenaire. Elles se nouent et se frottent délicieusement l’une contre l’autre, dans un baiser de plus en plus fougueux et audacieux.


Paniquée, Michèle réalise brusquement ce qu’elle fait. Haletante, elle s’écarte pour reprendre son souffle et ses esprits. Fiona ne lui laisse aucun répit. Elle l’embrasse dans le cou, remonte jusqu’au lobe de l’oreille qu’elle mordille tendrement. Michèle sursaute, s’accroche à elle comme une noyée en se faisant toute molle. En revenant à sa bouche, Fiona la contemple une seconde avec avidité, comme une proie à dévorer. Michèle a le feu aux joues, son menton tremble. Elle croise son regard et y lit une telle ardeur qu’elle se sent perdue. Fiona profite de ce désarroi pour glisser une main sur sa gorge, effleurant le col du chemisier avant de défaire le premier bouton. Au fur et à mesure qu’elle la déshabille, ses gestes se font plus fébriles, plus impatients, fixant fiévreusement la peau nue, blanche et délicate du cou, puis la naissance des seins fermes et laiteux qui tendent avec insolence le soutien-gorge qu’elle dégrafe prestement. Sa respiration s’accélère en dévoilant le galbe parfait d’un sein qu’elle effleure du bout des doigts.


Michèle sursaute encore, se laissant toujours faire lorsque Fiona se dépêche de libérer les derniers boutons. Se laisser dévêtir par une femme lui monte à la tête, elle râle et pousse un petit cri éperdu lorsque sa partenaire lui dégage l’autre sein en écartant complètement le chemisier. Sans force, elle bascule en arrière, nouant ses mains autour de son cou alors qu’elles reprennent leur baiser, encore plus brûlant. Fiona ne s’attarde pas, laissant descendre sa bouche dans le cou qu’elle embrasse fougueusement, tandis que sa main droite se referme sur un sein et le caresse.

Michèle laisse échapper une sourde plainte, se crispant brusquement. De ses deux mains, Fiona touche maintenant sa poitrine, passant lascivement le pouce sur les bouts qui se dressent instinctivement sous la caresse. Michèle pousse des soupirs encore plus forts lorsque la bouche se mêle au jeu, atteignant le doux renflement de ses seins. D’abord, Fiona garde les lèvres serrées, saisissant les pointes pour les agacer du bout de la langue, puis aspirant doucement en même temps. Ensuite, elle laisse sa langue ramollir, tournant autour des aréoles en suivant le tracé pour finir par picorer les extrémités d’une façon diabolique, passant d’un sein à un autre pour maintenir la fièvre érotique qui vient de posséder sa nouvelle conquête.

Michèle lui aurait certainement tout cédé si, malheureusement, une voiture ne s’était approchée à cet instant. Toutes deux se crispent alors que les feux de croisement passent sur la voiture, éclairant furtivement l’intérieur. C’est une brève interruption, mais malheureusement suffisante pour briser le charme. Retrouvant ses esprits, Michèle la repousse avec l’énergie du désespoir. Fiona veut reprendre les choses là où elles en étaient mais le visage de sa partenaire prend un air si malheureux et apeuré qu’elle sent ses résolutions faiblir. Après tout, ce n’est que partie remise…


Cette femme vient de lui prouver qu’elle est loin d’être insensible aux attentions d’une autre femme, avec sans doute d’incroyables aptitudes pour ces amours-là, et elle compte prendre le temps qu’il faut pour la convaincre d’aller bien plus loin. Jusqu’au bout et au-delà de ce qu’elle avait connu jusqu’ici avec les hommes. Sans l’avertir, elle quitte brusquement le véhicule. Michèle se demande encore ce qui se passe lorsque sa portière s’ouvre d’un coup. Fiona lui ordonne sur un ton sec.



Michèle a du mal à revenir sur terre.