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n° 10699Fiche technique7620 caractères7620
Temps de lecture estimé : 5 mn
22/08/06
Résumé:  Des idées qui passent, pendant...
Critères:  fh volupté cérébral
Auteur : Blooch
À quoi pensiez-vous ?

Lorsqu’il est entré dans la salle de bains, elle était penchée au-dessus du lavabo et lui a jeté un regard par le biais du miroir. Vêtue d’une vague chemise de pyjama qui baîllait après la nuit, elle exhibait à la fois sa poitrine généreuse et son petit derrière.


Dès que ces adjectifs anodins lui sont venus à l’esprit, il s’est dit qu’évoquer des dimensions, énumérer des actes sportivement répétés, aligner des chiffres, tout cela c’était faire œuvre de comptable et non de conteur, et que les comptables de l’amour sont des pornographes sans érotisme. Peut-être même des pornographes parce qu’ils n’accèdent pas à l’érotisme.

Elle n’avait pas des fesses et des seins comme ceci ou comme cela. Pas question de décrire des formes de pommes, de poires ou d’autres fruits juteux. Pas question d’aligner des centimètres, des diamètres, de sordides indications sur la taille du soutien-gorge ou de la culotte. Non, elle avait ce qui faisait d’elle une femme et c’était un immense bonheur que de s’en imprégner, une sorte de paradis quotidien. Il se souvenait d’un roman de Philip Roth, « Portnoy et son complexe » où l’un des personnages prend conscience, à l’adolescence, qu’elles ont toutes « ça » entre les jambes, toutes les filles et les femmes qu’il croisait dans la rue, et que c’était véritablement un immense bonheur pour toutes les années qu’il avait devant lui.


La contournant pour aller vers la douche, il lui a familièrement flatté les fesses au passage, en un geste dont le contenu un peu maquignon n’était qu’ironie mutine. Répondant sur le même ton en quelque sorte, elle a remué la croupe, un peu comme les chattes qui, lorsque vous leur caressez le dos, vous propulsent le croupion sous la main. Maquignon, chattes, croupion : il était en train de mélanger son bestiaire ; c’est que le cerveau perdait pied, si l’on ose dire, et que la bête prenait le pas sur l’homme.


C’est d’un doigt léger qu’il a effleuré la vulve.

Il se disait parfois les mots alors même qu’il agissait. Et, forcément, c’était des mots. Contrairement aux objets, ils se chargeaient de sens dès qu’on y touchait. On pouvait dire toutes sortes de mots. On était dans la gaminerie, le salace ou le clinique. Ou bien on les refusait tous et on avait recours à des images, forcément éculées ou ridicules, pas le choix. Bref, on était enfermé dans la culture sans quoi tout se résumait à perpétuer l’espèce et ne valait donc pas le moindre commentaire.


Elle a pris appui sur ses coudes et s’est offerte au geste ainsi esquissé, appelant même sa poursuite insistante. Elle le regardait toujours dans le miroir, mais le sourire était autre. Moins d’espièglerie coquine, moins de camaraderie érotique. Plus de trouble. Comme si les lèvres prenaient déjà le pli du plaisir.


La main entière est venue la saisir, englobant tout le paysage offert, insinuant un doigt ici sans insister, l’autre là pour une simple pression, jouant avec la toison aimée. Et il s’est souvenu de ces objets sexuels féminins aujourd’hui traditionnellement épilés, sans doute parce que l’industrie pornographique voulait montrer plus loin, plus profond, plus cru, ou que cette industrie était essentiellement américaine et qu’elle ne faisait que répéter inlassablement son obsession hygiéniste connotant les poils comme source d’odeurs insupportables. Les vendeurs de parfums avaient ainsi réussi à nous éloigner de notre nature au point de nous faire haïr les fragrances de sexe. Même les mecs étaient devenus autant de minets parfumés.


Il l’a vue fermer les yeux pour intérioriser la caresse. Il savait bien que, plus tard, au plus fort de l’action, elle les ouvrirait à nouveau et qu’elle le regarderait avec une intensité toujours plus grande, comme si son regard et son souffle allaient se mettre à l’unisson, chaque son de gorge, grave et profond, étant accompagné d’un regard plus appuyé jusqu’au moment ultime où elle refermerait ses yeux, peut-être en un dernier spasme de pudeur étrange et de plaisir.

Elle se tendait toujours plus en arrière. Il a joué quelque temps des doigts, étonné de leur étrange pouvoir émollient.

Pulpe. Pulpe veloutée. Vulve enfin. Deux V qui en dessinent deux fois la forme en coin. Deux V que vous faites vibrer sur vos lèvres pour en produire le son, avant de fondre sur les siennes pour en goûter l’odeur d’ulve marine. Et le L comme une langue qui ourle.


Alors il s’est défait.

De tous les mots qui pouvaient décrire la chose, c’était « enfiler » qui faisait le plus écho à ses fantasmes. Un mot qui parlait de sa partenaire comme d’un objet - ce qu’elle n’était pas - accentuant ainsi l’écart entre le quotidien civilisé, policé, convenu, et la nécessaire dose d’excès apparent que comporte l’activité de se jeter l’un sur l’autre en soufflant fort.

On peut décrire la relation charnelle, le coït, comme un acte d’amour, de procréation, d’érotisme pur, de combat parfois. On peut le décrire comme un emportement passionnel que rien ne saurait arrêter ou comme une recherche froide de jouissance physique. Comme une union de désirs convergents (le mot le dit si bien…) ou comme le pouvoir de l’un qui impose à l’autre de céder avec reconnaissance à l’appel des corps. Ce dernier scénario faisait la part belle à l’instinct dans ce qu’il avait d’impérieux. Il a prolongé un instant ce fantasme. Mais la réalité était autre : ils étaient toujours sur un pied d’égalité et il valait mieux qu’il en soit ainsi.


Qu’importe, il avait le plaisir de vivre le faux et le vrai dans le même élan. Il pouvait s’imaginer bêtement en mâle couvrant sa femelle et lui imposant le plaisir, la faisant feuler malgré elle tant il la comblait de ses coups de boutoir. C’était dans ces moments-là qu’il lui arrivait d’imaginer que son membre prenait les dimensions monstrueuses justifiant tous les délires pornographiques. Mais pourquoi, oui, pourquoi les types voulaient-ils à ce point se voir dotés d’un immense phallus ? N’y avait-il que ça qui pouvait les rassurer sur leurs éventuelles capacités à donner du plaisir ? Étaient-ils à ce point maladroits, ignorants ou indifférents aux femmes que leur seul recours fantasmatique consistât en un gourdin plus long, plus grand, plus gros, cadrant finalement plus avec la définition du sport olympique qu’avec les subtilités du déduit ?


« Et elle ? » se disait-il souvent. Il ne pouvait se défaire de cette idée simplette qu’ « elles » aimaient surtout séduire. Leur désir naissait de l’envie lue sur les visages masculins. Toute femme normalement constituée pouvait faire se lever les désirs (et devait avoir conscience du sens cru et physiologique) rien qu’en paraissant. Pouvoir énorme dont elle devait prendre conscience à l’adolescence - trop jeune encore pour s’en féliciter - en saisissant dans le regard d’un « vieux » quelques lumières troubles mystérieusement nouvelles. Un triomphe qui donne des ailes, mais aussi un poids qui écrase. Il fallait une grande force pour gérer et cet essor et ce fardeau. La force des femmes. Leur mystérieuse supériorité.



Oui, leur mystérieuse supériorité…