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Temps de lecture estimé : 9 mn
30/08/06
Résumé:  Je pense à un concerto pour deux pianos. Il est vraiment sublime, je monte le son mentalement, ça couvre un peu les gémissements et le côté scabreux de ce dialogue.
Critères:  ff amour humilié(e) fdanus
Auteur : Isilwen            Envoi mini-message
Duo de pianos pour une sardine

Variations en mode mineur





Je cheminais tranquillement quand j’entendis cette femme parler à voix haute, seule. J’aurais pu la plaindre. Me demander comment elle était arrivée là. J’aurais pu.


Et moi, comment ai-je fait pour en arriver là ?

Bêtement, j’ai pris à gauche, puis à droite et deux fois à gauche en sortant de chez moi. Je marche doucement parce que j’ai mal à la hanche. Et puis je ne suis pas pressée d’arriver. En fait si, mais je ne peux pas me presser. Pourquoi vouloir gagner des secondes quand on marche vers le néant ?


J’arrive enfin.

Elle m’ouvre la porte et me déshabille dans un même geste. Ses mains sur ma peau. Mon chemisier et ma jupe par terre, en boule. Je viens de les repasser. Dommage. Mon corps m’informe que je prends du plaisir, je soupire par habitude. J’essaie de me concentrer. J’aimais ça avant. Je le croyais du moins.


Si j’entendais des voix comme cette femme dans la rue, entendrais-je encore la mienne ?


Cette superbe femme, ma femme, à la démarche de danseuse classique, que je ne pouvais m’empêcher de regarder avec émotion… J’aimais la voir marcher dans la rue, gracieuse, elle marchait sur l’eau, vision dont la beauté me semblait christique. Elle a troublé mon athéisme, mais j’ai bien fait de ne pas me convertir.


L’envers du décor. Oh, comme ces mots lui vont bien ! Après des mois à ne la voir que de dos, j’ai fini par haïr ce geste dans lequel elle se retourne à quatre pattes, me tend ses fesses :



Elle se retourne ou se détourne de moi ?


Pour l’heure, elle lèche mes seins. Elle suce mes tétons encore trop fort. J’ai l’impression que mes aréoles vont se déchirer du reste de mon sein. Elle me fait mal. Si encore c’était volontaire de sa part, je pourrais éventuellement y prendre du plaisir. Mais son absence de maîtrise m’impose la vigilance. Je dois pallier ses faiblesses et taire les miennes.

Tiens, ça me rappelle comment j’ai commencé à vouloir la frapper : elle avait mordu mon téton gauche et entamé ma chair. Je ne l’ai pas repousséE en criant, j’ai juste saisi sa mâchoire. Trop peur qu’une réaction brusque la fasse tout arracher. Je me voyais déjà aux urgences, mon téton entre deux glaçons.

Un perpétuel décalage. Trop excitée, avait-elle dit pour s’excuser en voyant la goutte de sang glisser sur le marbre blanc de mon sein. Non, pour s’expliquer plutôt. Elle ne s’excusait jamais, se pardonnant toute seule. Devant le miroir, j’examine ma blessure. Elle vient derrière moi, mord mon épaule, elle a envie malgré ce qu’elle vient de me faire, elle empoigne mon sein qui saigne, je suis sûre qu’elle n’a même pas fait attention à la portée de son geste. Je serre les poings, je la tuerais de son indifférence, je ferme les yeux et je refoule mon envie de la projeter contre le mur.


Je l’aimais pourtant. Et j’en étais désolée. Les premiers mois, élève attentive à découvrir son propre plaisir, elle jouissait en hurlant. Moi, non. Elle n’était pas capable de m’y conduire, trop maladroite, trop impatiente de sa propre jouissance. Frustrée au commencement, furieuse maintenant.


Je reviens à la réalité. Ses mains sur moi sont lassantes. Toujours les mêmes caresses, je n’ai jamais réussi à la faire varier. Comment une femme peut-elle être aussi peu sensible ? J’ai l’impression d’être dans les bras d’un mauvais amant, sensation inédite pour moi. Je m’arrange pour que ses mains dégagent de mes fesses. Elle n’admet pas que la sodomie ne soit pas vitale pour moi. Et c’est pas faute de l’avoir dit clairement. On ne se comprend pas, voilà tout. Mais elle ne l’a pas compris.

J’éprouve un pincement au cœur. Elle essaie sans doute de bien faire. Mais plutôt que ses doigts qui me ramonent le sexe et ses phalanges qui cognent mes grandes lèvres, j’aimerais son sourire, ses mains sur mon visage et un baiser tendre. Non, elle a envie de sexe, de pornographie, et je lui donne.

Je repense à l’héroïne de « Requiem for a dream », film dont je n’ai compris que tard l’écho qu’il avait en moi. Elle se prostitue pour avoir sa dose, elle va au bout de son cauchemar pour en trouver la lumière qui l’aidera à l’oublier. Je suis comme elle, je joue les catins pour avoir ma dose d’amour. Sa lumière, c’est son shoot. Son shoot, c’est son espoir et son oubli. Ma lumière, c’est l’espoir du shoot. Que j’attends depuis longtemps.


Le signal est donné. À genoux derrière elle, je me sens vide, l’âme creuse. Je me détourne d’elle, de moi, de mes pensées en regardant par la fenêtre. Les nuages s’amoncellent à droite, le ciel bleu à gauche. Dirais-je que le temps est couvert, dégagé ou qu’il va se couvrir ? J’aimerais ouvrir la fenêtre pour connaître le sens du vent. Si j’étais un nuage, que verrais-je de là-haut ? Les strato-cumulus sont si drôles à voir. Je voudrais en être un, mais serais-je encore myope ? Ça peut avoir des lunettes, un nuage ? Et puis, ça voyage. J’ai faim d’espace, alors, si je pouvais, j’irais frotter mon ventre sur les pyramides d’Egypte, peut-être arriverais-je jusqu’au Mexique, où je m’éventrerais en un orage salvateur.


J’entends des voix, je n’ai pas envie de les écouter, elles ne disent pas de belles choses. Et j’entends plus la mienne. Pourtant, je sens mes cordes vocales qui vibrent.



Je retourne à la fenêtre, pas envie d’écouter cette laideur. Je pense à un concerto pour deux pianos. Il est vraiment sublime, je monte le son mentalement, ça couvre un peu les gémissements et la crasse de ce dialogue. Il y a pris du plaisir, le piano, à être touché avec tant de grâce ? On dirait que oui, qu’il aime ce que la pianiste lui fait faire, alors il se donne tout entier. Il doit sourire quand elle s’approche de lui, il doit faire frétiller ses marteaux d’excitation. Ma main au feu qu’il allège même son capot quand elle s’assoit, impatient d’être effleuré et caressé.


Avant, on faisait l’amour. Maintenant, je la baise. C’est ce qu’elle veut. Je pouvais la faire jouir en lui disant « Je t’aime, mon ange », plus maintenant.

Comment j’en suis arrivée là ?

Où est passée la joie que je ressentais de voir nos corps joints dans la chaleur des draps ? Ces instants qui me rendaient invincible, prête à tout affronter parce que j’étais aimée ? Ces aubes que je regardais avec sérénité et confiance, juste parce qu’elle dormait dans mes bras ? Ces secondes, ces minutes intensément douces qui faisaient monter en moi des larmes de joie et des vers de Baudelaire ?


Une sirène m’interrompt dans mes rêveries. C’est elle, l’orgasme est imminent. Je repose mon regard sur nous. Je prends une gifle magistrale, mon cœur se fige dans ma poitrine. Une partie de moi se recule, horrifiée. L’autre continue d’œuvrer.

J’ai trois doigts dans son cul, trois dans sa chatte. D’une main elle se branle, de l’autre elle maintient sa posture, le cul offert. La tête tournée vers moi, elle se regarde se faire défoncer. Je réalise que j’émets des sons proches du grognement. Elle est bouche grande ouverte, je ferme les yeux, je ne supporte pas de voir la marque du vice la défigurer. Je clos les paupières pour ne pas vomir devant ce mauvais porno auquel je prends part. Elle jouit et me délivre de ces gestes mécaniques dont les engrenages déchiquettent mon visage.


Je retire lentement mes doigts, elle s’effondre sur le lit. Je regarde mes mains. Elles tremblent. Maculées de ses sécrétions, elles exhalent un parfum adoré perverti en odeur putride. Je me lève et vais à la salle de bains. Eau, savon. Je frotte. Encore et encore. Je prends la brosse à ongles et je frotte avec frénésie, l’eau coule, je pense aux litres d’eau gaspillés, à l’amour gaspillé, à ceux qui n’ont pas d’eau et à moi qui n’ai pas d’amour. Il faut que je parte.


Je retourne dans la chambre et la trouve sur le ventre, caressant avec un plaisir évident son anus distendu. J’éclate en sanglots quand elle me dit :



Elle compte certainement me bâcler, me faire jouir comme elle en a l’habitude, comme je m’y suis résignée. Elle va prendre mon clitoris entre ses lèvres et me sucer comme si j’étais un mec avec une bite minuscule.


Ce soir, je n’ai plus envie de fermer les yeux et d’imaginer qu’elle m’aime. Ou, pour arriver à jouir, plonger dans mes souvenirs, en essayant de croire qu’elle ne m’insulte pas en me traitant ainsi. La frustration, la colère, l’humiliation ont fait naître un fantasme qui m’effraie, qui m’achève un peu plus, mais qui est devenu le seul à me procurer l’orgasme. Sa tête entre mes cuisses, j’imagine que si j’étais un homme je tiendrais sa tête pour jouir dans sa bouche, pour la voir s’étrangler avec mon sperme, hoqueter, les larmes aux yeux. Si j’avais été un homme, je l’aurais battue, je lui aurais fait mal, je l’aurais humiliée, j’aurais éjaculé mon mépris sur son visage, tout comme elle m’éclabousse avec le sien quand elle commente : « T’as joui vite ». Là, j’ai toujours envie de lui répondre : « Je voulais en finir rapidement ». Mais je me tais en me retournant contre le mur, triste d’avoir encore suicidé une part de mon être.

Je le sais, si je l’avais traitée comme ça, elle aurait aimé. Car, même dans mes fantasmes tordus, je l’aurais fait à sa demande. Je l’aurais fait avec cette incompréhension au fond du ventre, la même que j’ai quand ce ne sont que mes doigts qui ravagent sa chair.



Je suis debout au pied du lit, perdue, honteuse. Que suis-je devenue ?

Avec un peu de doigté, les plus beaux sentiments peuvent être pervertis. Par amour, on peut tout. Même s’oublier. Elle est heureuse comme ça, moi je m’étouffe avec les mots que je n’ai plus le droit de dire. Elle n’en veut plus. C’est comme si elle ne voulait plus de moi.

Je croyais que ce n’était qu’un jeu amoureux plus épicé. Puis c’est devenu une habitude. Puis une obligation. Une nécessité. Enfin, la seule chose autorisée.


Je suis debout au pied du lit, fait-elle semblant de ne pas voir mon visage décomposé ?

Je ramasse mes vêtements et les enfile. Elle me demande si je sors. J’avais pris l’habitude d’aller marcher pour voir la lune et les étoiles, voir si le monde pouvait encore être beau après les instants magnifiques qu’elle me donnait. J’ai pris l’habitude de lui mentir après. Et je partais confier à la nuit mes larmes d’amour et la violence de ma haine.


Je la regarde encore une fois. Je la laisse parfaitement indifférente. Elle fume sa clope l’air satisfait. C’est déjà ça.



Elle me regarde, furieuse.

« Aimer » est un verbe qu’elle ne conjugue plus qu’en mangeant des sardines. C’est dingue de se dire qu’on aimerait être une chose qui pue, pleine d’arêtes, un poisson stupide et minuscule.



L’air est frais au-dehors. J’ai oublié mon pull chez elle. Tant pis, je l’aimais bien mon pull.

Je repense à l’aube que j’aimais voir naître en sentant son souffle léger dans mon cou. L’amour est un instant plus ou moins long, vouloir le suspendre est mascarade. Nier sa perte une folie.


Je marche et me dis que j’ai tout de même de la chance de connaître un tel instant ave elle.

À nouveau, des vers de Baudelaire caressent mes lèvres et, à voix haute, pour mon seul plaisir, je les récite, joyeuse de retrouver la femme que je suis.

Je secoue les écailles qui commençaient à fleurir sur ma peau. Je me serais changée en sardine par amour !

J’ai connu la passion dans laquelle on oublie sa propre volonté. Elle m’a offert un instant d’exception. Voilà ce que je garde au fond de moi.


Le dernier vers du poète me fait sourire, alors que les immeubles endormis renvoient l’écho de mes pas tranquilles :


Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.