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Temps de lecture estimé : 21 mn
31/08/06
Résumé:  L'espace. Un vaisseau se dirige vers une planète déserte pour y fonder une nouvelle civilisation. À bord, des événements inattendus remettent tout en cause...
Critères:  amour nonéro -sf
Auteur : Patrick R. D.  (Homme, amateur de littérature en tous genres.)            Envoi mini-message

Concours : Concours "La trame imposée"
Un si long voyage...

Le voyage durait depuis plus de cent trente ans. Plus d’un siècle que le plus grand et le plus incroyable engin spatial conçu par l’humanité voyageait dans l’espace.

À son départ de l’orbite terrestre, le Gaïa emmenait à son bord quelques centaines de personneS. Ils étaient désormais plusieurs milliers. L’équipage était formé par les arrière-petits-enfants des membres de l’équipe originelle. Eux étaient tous morts depuis longtemps. Avec les technologies existant au milieu du vingt-et-unième siècle, c’était le seul moyen pour permettre à un vaisseau piloté par des humains de faire un aussi long voyage. C’est ce qui expliquait la taille de cet engin, long de plus de six cents mètres, en forme de cylindre tournant en permanence sur lui-même de manière à créer une gravité artificielle équivalente à celle de leur future planète.

Le Gaïa se déplaçait dans l’espace au quart de la vitesse de la lumière. Jamais auparavant un engin construit par les hommes n’avait été aussi vite. Il lui avait fallu trente longues années pour atteindre cette vitesse. Désormais, la dernière phase du voyage allait commencer avec la longue décélération, longue elle aussi de trente ans, leur permettant à terme de se mettre en orbite autour de la planète qu’ils avaient nommée Terre Nouvelle.


Daniel ne se lassait pas d’admirer les images obtenues avec les instruments d’observation du Gaïa. Il savait tout ce qu’il était possible de connaître sur ce système solaire et sur l’orbite de leur future planète. Par contre, quand il pensait qu’il faudrait encore plus de trente longues années avant de pouvoir y poser les pieds, il se sentait pris d’un profond sentiment de lassitude. Avoir vingt ans sur le Gaïa n’était pas chose simple. Heureusement, il avait trouvé en Blanche un soutien qui lui permettait de se concentrer chaque jour sur son travail.

La vie des trois mille sept cent cinquante-cinq passagers du Gaïa reposait en grande partie sur ses épaules. Car, malgré son jeune âge, il était l’un des responsables du fonctionnement du réacteur à fusion du vaisseau. Il se devait donc de rester parfaitement maître de ses émotions. Et grâce à la présence de la jeune femme, il avait trouvé une raison d’être assez forte pour lui faire oublier leur inconfortable situation, seuls, à des années-lumière de toute autre vie humaine. S’il restait seulement d’autres humains vivants…

Souvent il regrettait le choix fait par les initiateurs du projet Gaïa d’avoir refusé tout contact avec la Terre. Le vaisseau ne disposait en effet d’aucun moyen de communication permettant de recevoir les émissions radios en provenance de la Terre. Ils étaient encore moins capables d’envoyer le moindre message vers la Terre.

Il se demandait souvent ce que les habitants de la planète de ses ancêtres étaient devenus. Vivaient-ils comme l’avait prédit John Kelly, le fondateur du projet Gaïa, sur une planète asphyxiée, surchauffée et presque morte, aux prises à des conflits incessants pour le contrôle des rares ressources encore viables ? Ou, comme beaucoup de fondateurs du projet le pensaient, se sont-ils exterminés les uns les autres, à force d’exploitation abusive des ressources et de guerres incessantes ?

Il espérait que, une fois sur Gaïa, on le laisserait construire un radiotélescope pour essayer de savoir ce qui s’était passé sur Terre.


En attendant, il devait quitter sa chambre pour rejoindre son poste au centre de contrôle du réacteur à fusion nucléaire. Une importante opération de maintenance devait commencer, avant de faire se renverser le long vaisseau sur lui-même, afin de placer le puissant moteur à fusion à l’avant pour freiner progressivement le vaisseau.

Cette opération était essentielle pour l’avenir de cette mission et de ses milliers de passagers. Daniel ne trouvait aucune fierté à en être le responsable. Il le faisait parce qu’il avait été choisi pour cela. Chacun ici avait un rôle bien précis, au service du reste de la communauté. Il avait hérité de ses géniteurs une intelligence et un goût poussé pour les sciences. À lui de s’en servir au mieux. D’une certaine façon, il pensait parfois n’avoir été conçu que pour ce rôle. Il était un peu comme un outil au service des autres. Certains disaient qu’il était un génie, lui se comparait parfois à un ordinateur. Il savait d’ailleurs qu’il en avait certains défauts, comme une grande difficulté à communiquer avec les autres. Là encore, il se rendait compte de sa chance d’avoir trouvé Blanche. Il était le scientifique introverti, elle était l’artiste rêveuse.


L’ironie était qu’il devait à un ordinateur de pouvoir envisager sa vie avec elle. Sur le Gaïa, un programme informatique évaluait en permanence les besoins futurs et recherchait chez chaque homme et chaque femme les meilleurs gènes. Le programme veillait aussi à un mélange équilibré des gènes des passagers du vaisseau, dans le but de créer plus tard la civilisation la plus saine possible. Il proposait ensuite à chaque individu une courte liste du sexe opposé au sein de laquelle il était permis de choisir son futur partenaire. C’est ainsi que ses parents avaient été sélectionnés pour engendrer un futur ingénieur surdoué. Le résultat avait été presque au-delà de leurs espérances, les tests lui donnant un quotient intellectuel digne d’un génie. Malheureusement, il était plus à l’aise avec les sciences et les chiffres qu’avec les gens. C’était peut-être à cause de cela qu’il se sentait si peu à sa place dans ce vaisseau.

Mais c’était aussi à ce programme qu’il devait sa rencontre avec Blanche. Les choix proposés par l’ordinateur avaient surpris beaucoup de monde. Il avait en effet estimé nécessaire de lui proposer des femmes aux talents artistiques développés. Parmi les six de sa liste, il était immédiatement tombé amoureux de cette magnifique jeune fille aux longs cheveux noirs. Il avait de la chance, de nombreux couples à bord du Gaïa ne connaîtraient jamais réellement l’amour, se contentant de faire leur devoir en élevant ensemble leurs enfants.


Blanche. Il pensait souvent à elle. Depuis qu’il la fréquentait, il se sentait mieux. Il aimait tout en elle. Elle était devenue le centre de son univers. Sa raison de vivre. Elle était celle qui lui avait donné confiance en leur avenir, lui faisant penser qu’ils arriveraient peut-être à créer ce monde meilleur que leurs ancêtres avaient rêvé.



***



La cabine ressemblait à un petit studio, avec un coin salon et un grand lit. Les murs étaient recouverts de tableaux. Le point commun de ces œuvres était de n’utiliser que du blanc, du noir et des nuances de gris.

Le plafond était un écran géant affichant une vue fixe de l’espace autour du vaisseau.



Blanche se tourna vers son amie. Carla était si belle. On ne comptait plus les hommes du bord qui auraient rêvé d’être choisis pour concevoir avec elle une descendance. Mais c’était avec Blanche qu’elle passait le plus clair de son temps.

Cependant, les deux jeunes femmes devraient bientôt, comme toutes les femmes du vaisseau, remplir leur rôle et mettre au monde au moins un enfant. Chacune avait déjà choisi l’homme avec lequel elle allait concevoir et élever leur premier enfant. Le hasard, pensaient les deux jeunes femmes, avait mis Aaron, le frère de Blanche, sur la liste de Carla. Ils se connaissaient déjà et s’étaient naturellement choisis.

Elles restèrent ainsi quelques instants, Carla caressant doucement les longs cheveux bruns de Blanche. Carla rompit le silence.



La jeune femme prit quelques secondes avant de continuer.



Carla prit tendrement le visage de Blanche dans ses mains et l’embrassa.



***




Le frère et la sœur se retrouvaient presque tous les soirs, sauf quand leur emploi du temps les en empêchait. C’était depuis longtemps un rituel immuable. Leurs parents avaient toujours été plus passionnés par leur travail que par leurs enfants et, profitant du fait que tout était prévu à bord pour s’occuper des enfants, si importants pour cette mission, ils les avaient depuis leur plus jeune âge laissés grandir sans réelle présence parentale.

Enfant, Blanche avait compensé ce manque en se reposant très souvent sur les épaules de son grand frère. Celui-ci, même aujourd’hui qu’il avait vingt-cinq ans, prenait toujours ce rôle de grand frère très à cœur.

Après l’avoir rapidement embrassé, Blanche proposa à Aaron de s’asseoir alors qu’elle disparaissait dans la salle de bains. Elle paraissait souriante et enjouée, ce qui fit plaisir à son frère, trop souvent soucieux de voir la jeune femme si mélancolique.



Tout dans ce gigantesque vaisseau était petit, se dit Aaron en regardant la cabine de sa sœur. Au début, il devait paraître gigantesque aux quelque trois cents membres du premier équipage. Aujourd’hui, presque toutes les cabines étaient occupées et les salles communes étaient quasi toujours pleines. Il devenait difficile de trouver un peu d’intimité. Tout semblait fait pour qu’on ne puisse pas réellement avoir de secrets, ni de véritable vie privée. Tout finissait toujours par se savoir. Aaron terminait des études de sociologie et il s’inquiétait des règles de plus en strictes en vigueur à bord du vaisseau. Certaines lui paraissaient en contradiction avec les préceptes des fondateurs de la mission Gaïa.


Aaron se leva pour regarder les tableaux de sa sœur, curieux de voir si elle avait fini une nouvelle œuvre. Alors qu’il entendait l’eau couler, son regard fut attiré par une feuille blanche posée sur un dessin inachevé. Voyant qu’il s’agissait d’une lettre, il allait la reposer quand il vit la signature.

Carla.

La curiosité fut alors la plus forte, il se demandait ce que Carla pouvait avoir à écrire à sa sœur. Il eut beaucoup de mal à la lire jusqu’au bout, mais malgré le choc de ce qu’il comprenait il continua à lire jusqu’au dernier mot, pour être sûr.


Je t’aime. Carla.


Il n’avait plus le moindre doute. Ce qu’il découvrait le choquait, moins pour l’interdit de ce genre de relations dans les règles du Gaïa que par le fait qu’il s’agissait de sa sœur.

Comment avait-elle pu lui cacher ça ? Et combien de temps ?

Sans s’en rendre compte, il s’était assis sur le bord du lit, tenant toujours la lettre entre ses mains, le regard perdu. Il n’entendit pas la porte de la salle de bains s’ouvrir, ni même Blanche venir près de lui. Il se rendit compte de sa présence quand elle lui enleva doucement la lettre des mains.



Elle lui avait parlé doucement, tendrement, comme pour le réconforter. En relevant le regard vers elle, il lui répondit sèchement.



Il se leva, repoussant la main de sa sœur, et sortit sans un mot de plus, laissant Blanche en pleurs, la lettre serrée dans sa main. Après être restée quelques minutes prostrée en train de pleurer, son premier geste fut d’appeler Carla.



***



C’était vers le jardin botanique du vaisseau qu’Aaron se dirigeait toujours pour réfléchir et se détendre. Ce fut encore une fois au milieu des plantes qu’il alla immédiatement en quittant la cabine de Blanche. En partant, il avait en tête d’aller sur-le-champ voir Carla pour lui dire que tout était fini entre eux. Sur le chemin de la cabine de la jeune femme, il avait changé d’avis, préférant prendre le temps de réfléchir. Il n’arrêtait pas de se demander comment il avait pu être aussi aveugle. Comment ne s’était-il pas rendu compte de ce qui se passait entre sa sœur et la femme avec qui il pensait faire un enfant ?

Il marchait lentement le long de l’allée des lauriers, remplissant ses poumons de leur parfum, quand il entendit marcher derrière lui. Il s’étonna de voir Daniel ici, mais s’en réjouit. Il fallait qu’il lui parle.



Aaron conduisit Daniel dans une petite clairière aménagée au milieu de bambous. C’était un endroit calme et presque toujours désert.



Daniel resta bouche bée, choqué, autant par ce qu’Aaron venait de lui annoncer que par la manière.



Jamais Aaron ne l’avait vu ainsi. Jamais auparavant il ne l’avait vu hausser le ton et encore moins crier comme il venait de le faire.



Aaron n’avait pas réfléchi, les mots étaient sortis naturellement. Il n’en voulait pas à Carla, ni à sa sœur. Il n’y avait rien à y faire. La vie était si compliquée à bord du Gaïa, les règles si lourdes.



Daniel partit en courant, Aaron essaya de l’arrêter mais l’autre le repoussa violemment. Jamais il ne l’avait vu ainsi. Au moins, cela l’avait aidé à ouvrir les yeux. Il savait que sa sœur n’était pas vraiment heureuse, mais il n’avait jamais cherché à la comprendre. Il mettait cette mélancolie sur son côté artiste. Aujourd’hui, il comprenait qu’elle cachait un difficile secret pour une communauté comme la leur. Il se devait de l’aider à être heureuse, quelles qu’en soient les conséquences pour lui et Carla.


Il resta un moment à profiter du calme et du bruit des bambous portés par la légère brise artificielle permanente du jardin. Ce n’est que longtemps après le début de la nuit qu’il rentra se coucher. Demain, il parlerait à Carla et Blanche.



***



Quand Carla se réveilla le lendemain matin, elle reçut un message d’Aaron lui demandant de la retrouver au jardin. Elle savait qu’il aimait venir ici, au milieu des plantes de la Terre, et se doutait que c’était là qu’il préférerait lui parler. Pour avoir passé une partie de la soirée avec Blanche, elle savait exactement de quoi il voulait lui parler et avait peur de ce qu’il pourrait lui dire. Elle avait très peu dormi cette nuit. C’est l’esprit tourmenté qu’elle partit à ce rendez-vous.

Il la vit arriver et se leva pour l’accueillir.



Les deux jeunes gens se regardèrent un instant, puis Carla vint se blottir contre Aaron qui la prit tendrement dans ses bras. Au bout de quelques minutes, ils s’assirent l’un contre l’autre sur le banc.




***



Blanche trouva Daniel à son poste comme elle s’y attendait. Elle avait décidé de lui parler d’elle et de Carla. Elle craignait qu’il ne soit déjà au courant et voulait en avoir le cœur net. Cependant, cette nuit, Daniel avait tout fait pour qu’on ne le trouve pas. La salle se trouvait à l’intérieur de l’axe du vaisseau, en zone d’apesanteur. Blanche n’aimait pas se déplacer en apesanteur et c’est avec précaution qu’elle entra dans la pièce, en se tenant à la rambarde.

Il se retourna dès qu’il entendit s’ouvrir la porte derrière lui.



La jeune femme ne savait pas quoi dire. Elle ne l’avait jamais vu comme ça. Elle s’avança vers lui en se déplaçant le long de la rambarde métallique. Daniel avait les pieds bloqués pour se tenir devant la console de contrôle. Il leva la main vers elle.



La porte s’ouvrit alors sur Aaron et Carla. Le frère et la sœur entrèrent rapidement, visiblement plus à l’aise en apesanteur que Blanche.



Blanche était tétanisée. Elle ne reconnaissait plus cet homme. Qu’avait-elle fait ? Comment avait-elle pu ne pas voir dans quelle détresse il se trouvait ?

Aaron fit un pas de plus vers Daniel, il tendit lentement sa main vers son ami, voulant la poser sur son épaule. Ce dernier le repoussa violemment, et déséquilibré, sans aucun point d’appui, Aaron tomba à la renverse. Il fit un début de pirouette avant que sa tête ne heurtât une console. Carla prit la main de Blanche en entendant le bruit sourd du choc. Personne n’osa bouger jusqu’au moment où Blanche vit les premières gouttes de sang s’écouler et s’envoler de sous la tête de son frère. Elle poussa un cri et se jeta dans les bras de Carla qui ne pouvait quitter des yeux le regard sans vie du jeune homme.



Les deux femmes entendirent à peine Daniel dire ces deux mots. Il les répéta plusieurs fois, de plus en plus distinctement. Il se tourna vers Blanche qui le regardait fixement. Le jeune homme n’avait jamais vu ce regard. Il y lisait la peur, mais aussi le dégoût.



Il s’étonnait lui-même du calme de sa voix.



Blanche et Carla se regardèrent un instant, cherchant dans le regard de l’autre à comprendre ce qu’il essayait de leur dire.

Daniel était calme. Comme si, désormais, il savait pourquoi il était venu au monde.



Il ne la laissa pas répondre et continua son discours.



Carla se tenait toujours à la rambarde. Sans même s’en rendre compte, elle reculait lentement, cherchant à s’éloigner, elle et son amie, de cet homme. Elle n’avait plus de doute sur sa folie. Elle n’arrivait plus à quitter des yeux ce regard et ses yeux injectés de sang. À ce moment, elle n’osait imaginer ce qu’il était en train de faire. Elle se tourna vers Blanche et la vit pleurer. Elle avait compris.



Blanche prit appui sur son amie pour se lancer vers Daniel. Il ne chercha pas à l’éviter, ni à l’empêcher de le frapper. Elle tapait aussi fort qu’elle le pouvait, rapidement des bulles de sang volèrent. Elle pleurait toujours. Devant sa passivité, elle finit rapidement par arrêter de le frapper. Il lui saisit alors les poignets.



Blanche, quant à elle, n’entendait que les paroles d’un fou. Les paroles d’un fou qui avait décidé de juger coupable tout un peuple et de les condamner à mort.

Un fou qu’elle avait cru aimer.

En regardant défiler le compte à rebours et les dernières secondes, elle se dit qu’elle avait elle aussi toujours su que Daniel avait besoin de son aide. Elle aurait dû le comprendre.

Son dernier geste fut de se jeter dans les bras de Carla, après un dernier regard pour son frère. Elle n’eut pas le temps dire une dernière fois à la jeune femme qu’elle l’aimait.


La destruction du vaisseau fut instantanée. Personne, parmi les trois mille sept cent cinquante-cinq passagers du Gaïa n’eut le temps de comprendre ce qui se passait. En moins d’un dixième de seconde, une gigantesque explosion avait totalement vaporisé le vaisseau et tous ses occupants.




Épilogue



En orbite autour de Terre Nouvelle, Anaelle consulte avec attention le rapport de l’ordinateur de la station d’observation astronomique. Depuis vingt ans que les humains ont colonisé cette planète, suite à la maîtrise des voyages hyperspatiaux, cette station guette l’arrivée du Gaïa, parti de la Terre cent trente-deux ans plus tôt. Si tout s’est bien passé, Anaelle doit y avoir des cousins à son bord, c’est pourquoi elle s’est portée volontaire pour ce travail. Un lointain parent faisait partie des initiateurs de ce projet et était l’un des trois cent quarante-six membres d’équipage à se lancer dans cette incroyable aventure. Aujourd’hui, les volontaires pour cette station sont rares tellement ce travail est ennuyeux. La présence humaine n’y est que pour contrôler le travail de l’ordinateur. Surtout qu’elle est la seule présence humaine dans ce système solaire… En respect pour le Gaïa et ses passagers, leur planète n’a pas été colonisée et sa nature vierge et luxuriante les attend, eux et leur rêve de créer une nouvelle civilisation pacifique.

Anaelle, peut-être parce qu’un de ses arrière-grands-parents y a participé, a toujours été fascinée par cette histoire. John Kelly, l’homme qui avait permis la réalisation de ce rêve un peu fou, avait envisagé la possibilité qu’avant la fin de leur voyage, les humains aient développé des technologies leur permettant de voyager plus vite que le Gaïa. Aussi avait-il été décidé de laisser se terminer ce voyage normalement. C’est pourquoi, plus d’un siècle après le départ du grand vaisseau, une simple station d’observation a été construite en orbite de la planète, se contentant de scruter l’espace pour observer l’avancée du vaisseau. Anaelle est la seule présence humaine de tout le système.


Aujourd’hui est un grand jour. Il va enfin y avoir quelque chose à voir. Avec le temps mis par la lumière pour arriver jusqu’à eux, c’est aujourd’hui qu’il sera possible de voir la longue flamme de fusion du moteur du Gaïa, indiquant le début de sa décélération.


Il est l’heure de déjeuner, les gargouillis de son ventre le lui rappellent. Anaelle consulte la liste des plats disponibles quand la voix de l’ordinateur l’appelle.



En regardant ces images, Anaelle, figée, regrette soudain son excitation momentanée.



Anaelle ne sait pas quoi dire. Elle est là pour observer l’évolution du voyage de ce gigantesque vaisseau, le premier et le seul vaisseau interplanétaire construit avant la découverte du vol hyperspatial. Et là, sous ces yeux, une explosion gigantesque annonce silencieusement la mort des milliers de passagers du Gaïa. Combien étaient-ils précisément, se demande-t-elle ? On ne le saura jamais. Anaelle a les larmes aux yeux. Et cela fait déjà deux ans qu’ils sont tous morts.

Machinalement, elle commence à réfléchir au texte du communiqué qu’elle devra bientôt envoyer à travers la galaxie, à destination des dizaines de colonies humaines. Elle sait très bien qu’aujourd’hui plus personne ne s’intéresse à l’aventure du Gaïa et à ses passagers. Cette tragédie passera totalement inaperçue au milieu des milliers de dépêches de presse envoyées chaque jour.


Mais elle ne peut s’empêcher de pleurer en regardant l’explosion du grand vaisseau.