- — Il te trompe !
- — Oui mon chéri, j’adore quand tu me parles comme ça.
- — J’te jure ! Il te trompe, et avec toutes les bonnes femmes du quartier, il y en a pas une qui n’y passe pas. Tiens, hier c’était avec Gisèle, tu sais, celle qui a cet affreux sac à puces puant, qu’elle appelle pompeusement Beauty. Elle dit à qui veut l’entendre que c’est un Teckel pure race… Tu parles, elle a un peu oublié de mettre un s à race !
- — Oui, dis-moi encore des choses.
- — Tu m’écoutes ? Oh là ! Le Manitoba, faudrait penser à un peu ouvrir les écoutilles ! Je te dis qu’il te trompe. Tu vas encore te prendre un poteau en plein dans le portrait. Tu sais, comme dans ces pubs où on voit une blonde distraite qui se prend le réverbère. Eh bien ça va être la même chose avec toi, et alors finies les balades en forêt, adieu les copains et les copines. Je n’aurai plus droit qu’aux pleurs, aux lamentations, aux yeux bouffis, aux cheveux en bataille, plus d’heures, couché à trois plombes du mat, levé à midi. C’est que j’ai des horaires, moi. Ce matin, c’était avec la grosse Lulu, là honnêtement je ne vois pas du tout ce qu’il lui trouve, avec ses mamelles de gorille. Ils étaient ici, dans ta chambre, sur ton lit, à faire la bête à deux dos. Même qu’elle pousse des cris comme une chatte en chaleur et lui avec son bâton tout rouge qu’il exhibe fièrement sous le nez de toutes ses pétasses.
Dis, tu m’écoutes, là ? Faut faire quelque chose ! C’est que j’ai ma vie, moi aussi, mes copains et copines n’ont pas de téléphone portable, eux. Encore une invention du diable, ce truc-là. Ce matin, justement, tu n’avais pas fini de fermer la porte d’entrée pour aller travailler qu’il était déjà occupé à organiser sa journée. Tu devrais peut-être regarder les numéros qu’il appelle… Et puis non, prends l’annuaire du quartier, cela ira plus vite. Tu retires les moins de dix-huit ans, il parait qu’il a des principes, ça c’est Dora qui me l’a dit, tu sais, celle qui a des supers yeux bleus et qui habite en bas de la rue. Ah oui ! tu dois aussi retirer les plus de cinquante balais : Nino l’a entendu dire qu’il ne faisait pas dans les « chefs d’œuvre en péril ». Nino, celui qui a un accent bernois, qui habite de l’autre côté du parc. Puis faut penser à mon hygiène de vie. À ce propos, lui, il en a pas tellement. Je dis ça, je ne dis rien, toute façon tu t’en fous. Tu sais le plastique, que certains de tes ex-amants d’un soir mettaient sur leur engin… moi, je trouve que cela fait un peu saucisse sèche, mais toi, tu disais toujours à Milène que c’est une preuve de grand respect pour la femme. Et, elle, elle approuvait. Faut croire qu’elle a changé d’avis, parce qu’il en met jamais, avec elle.
- — C’est quoi ces gros soupirs ?
- — C’est pour te dire que Milène, ta meilleure amie, celle avec qui tu as été à la maternelle, en colo, avec laquelle tu as fumé ton premier joint, elle est dans le lot aussi. Je l’ai vue de mes yeux, toute nue dans ton canapé favori. Il n’y a vraiment que la factrice qui s’enferme dans la chambre : il paraît que je la regarde avec de drôles d’yeux. Mais moi, je l’aime bien, la factrice. Mes copains, ils l’aiment bien aussi. Même qu’elle s’entraîne pour le marathon, avec Jimmy, tu sais, celui qui habite à deux blocs d’ici. Ça, pas à dire : le Jimmy, il l’aime bien, il lui court pas après, il galope et elle, avec sa foulée élégante, elle arrive à rester devant. Mais le Jim, il a de la bonne volonté et de l’endurance.
- — Moi aussi je t’aime, mon chéri, mais il faut un peu me laisser tranquille, ce n’est pas encore l’heure.
- — Attends ! Qui te parle d’heure ? Moi, je te parle de cet abruti qui te sert de compagnon ! Tu crois qu’il se gêne pour moi ? Rien du tout ! Il les poursuit devant moi dans toute la maison en poussant des cris de sauvages, et puis il les immobilise. Tiens, ce matin, dans les escaliers, la grosse Lulu, on aurait dit une baleine échouée sur une plage, et le voila qui la monte par derrière et la traitant de chienne. Faut croire que son mari, à la grosse Lulu, il y trouve son compte, parce qu’elle a du tempérament et lui - son mari, pas l’autre olibrius - avec son physique de tonneau de bière un jour de foire, il doit pas trop assurer.
- — Non ! Je t’ai dit que ce n’est pas encore l’heure.
- — C’est trop facile, ça ! Je te parle de ma vie et de tes problèmes, ce sont des sujets intimement liés, et toi, tu me dis que ce n’est pas l’heure ! Tu pourrais pas t’en trouver un gentil ?
Tiens, Thierry… Je l’aimais bien, moi. Il était sympa. Tous les week-ends à la montagne, à crapahuter. Il y avait vraiment que toi pour t’en plaindre, mais moi, je suis fait pour la vie au grand air, au lieu de tourner en rond dans ton cent mètres carrés. Le dernier week-end, non, là, tu as vraiment été injuste avec lui, ça avait été de la super balade. C’est lui qui portait le pique-nique, moi j’étais le « porteur d’eau ». Tu as trouvé le moyen de te plaindre en disant que deux jours dans la montagne sans confort, ce n’était pas pour toi. Je l’aimais bien, Thierry…
Ou alors Nico, tiens, ça c’était un type bien, un restaurateur. Il nous faisait des supers petits plats. C’est que je suis gastronome, moi. Bon, c’est vrai, il avait pas trop d’horaires, et le week-end c’était assez morne. Mais c’est quoi, ces petits problèmes de kilos superflus ? Je t’aime comme tu es, moi. Tu ne devais jamais préparer les repas, c’est lui qui s’en occupait. Nico, il avait des activités saines, au moins. À l’automne, nous allions aux champignons. Tu ne peux tout de même pas critiquer ce genre de sortie ! Je n’ai jamais vu qui que ce soit en talons hauts, bas résille, porte-jarretelles et soutien-gorge pigeonnant à la cueillette aux champignons. À moins que ce soit au bois de Boulogne…
- — Comme tu es mignon…
- — Amélie, tiens, en voila encore une qui était bien ! Tu chantais tout le temps, on allait à la mer et à la campagne, elle s’occupait de moi, j’étais aux petits oignons. Et ne me parle pas de cette histoire de bébé que tu ne pouvais pas avoir : il te suffisait d’utiliser une fois ou deux ton grand benêt, et l’affaire était faite. Elle était gentille, Amélie. Sans entrer dans ta vie privée, lorsque tu étais au lit avec Amélie, tu semblais nettement plus apprécier ses cajoleries et autres gestes de tendresses qu’avec ton éphèbe. Ta sœur dit qu’il est trop bien pour toi, trop jeune, trop beau, trop drôle, trop « vigoureux », selon ses propres expressions. Voila quelqu’un qui a du bon sens… Elle devrait tout de même arrêter de venir essayer tes sous-vêtements ici quand il est là et pas toi. Je suis blond, mais pas idiot à ce point-là. Ta sœur, je l’aime bien, elle n’a pas tous les défauts : elle a épousé un charcutier, on peut dire d’elle que c’est une femme de goût.
La porte de la chambre s’ouvrit à ce moment-là, livrant le passage à un jeune homme d’une vingtaine d’années, entièrement nu, le sexe en érection.
- — Hum, je vois que tu es déjà prêt, dit-elle d’un air gourmand.
- — Oui, la journée a été longue à t’attendre. Qu’est-ce qu’il a, à me regarder comme ça, celui-là ? Il est jaloux ! Il en a pas une comme la mienne, hein ? Il veut la goûter, peut-être ?
- — Arrête ! C’est pas drôle ! Occupe-toi plutôt de mon minou, espèce de gros bêta… lui dit-elle.
- — C’est à moi qu’il parle comme ça, l’autre, là, qui agite son engin ? D’ailleurs, à partir de maintenant, vous m’appellerez « Zorro le Vengeur Masqué » !
Le jeune homme poussa un hurlement de douleur et de peur.
- — Dis à ton sale clebs de me lâcher !