n° 10969 | Fiche technique | 7116 caractères | 7116Temps de lecture estimé : 5 mn | 11/11/06 |
Résumé: Comment raconter une histoire érotique tout en restant politiquement correct. | ||||
Critères: fh humour -revebebe | ||||
Auteur : Samuel Envoi mini-message |
Désormais, il faut écrire des textes érotiques qui soient corrects politiquement, socialement, sexuellement, afin que l’histoire serve de modèle.
D’abord, il est impératif de préciser que toute ressemblance avec des personnages existants, ayant existé ou qui existeront dans le futur, est fortuite.
Bernard est au lit avec Nathalie ; il est bien entendu qu’il s’agit de sa femme (nous pouvons fournir le contrat de mariage). Elle est nue, mais elle a pris soin de mettre du papier dans le trou de la serrure, car le trou de la serrure se trouve exactement à la hauteur de l’œil d’un enfant et exactement à la hauteur d’un membre en érection. Il est très important de veiller à ce qu’aucun enfant mineur (pour les enfants majeurs, il faut une dispense signée des parents) ne puisse assister à une scène qui pourrait le traumatiser pour toute sa vie.
Bernard bande, mais il ne le fait pas exprès, c’est la vision de sa femme nue qui provoque cette érection, et non des fantasmes plus ou moins avouables. Bernard a envie de dire : Viens ici que je t’arrose le bénitier ! Mais il se souvient qu’il ne doit pas heurter les croyants dont il faut respecter la foi et le bénitier. Il ne dit pas non plus : À genoux, pétasse ! parce qu’il respecte son épouse, mère de son futur enfant. Il sait que la femme doit être traitée avec douceur et sans aucun mot vulgaire. La femme n’est ni pute, ni soumise.
Bon alors, Bernard ne dit rien, parce qu’à chaque fois qu’il a envie de dire une phrase, il s’aperçoit vite qu’il dérape. Il s’approche de Nathalie, l’enlace et la transporte romantiquement sur le lit qui grince à peine. Il se livre maintenant aux préliminaires, parce qu’il sait qu’une femme n’est pas seulement un ventre dans lequel on entre et on sort. Elle a besoin de caresses douces avant de se faire prendre brutalement. Et surtout, Bernard caresse les seins de Nathalie, depuis qu’il a lu dans une revue quasi-scientifique que les seins malaxés sont moins sujets au cancer.
Puis, il s’éloigne pour mettre un préservatif. Oui, ne l’oubliez pas, TOUS LES RAPPORTS DOIVENT ÊTRE PROTÉGÉS. Bernard et Nathalie sont très vigilants sur ce point, mais ils veulent aussi avoir un enfant, alors ils ont pris soin de découper le bout du préservatif. Sinon, on pourrait penser qu’ils ont des rapports sexuels simplement pour le plaisir. Non, bien sûr, ils pensent avant tout à la continuation de l’espèce humaine.
Puis c’est la pénétration et le va-et-vient du mari sur la femme avec les ha, ho, hé, vas-y, défonce-moi, prends-moi comme une chienne. Là-dessus, je dois rassurer les amis des animaux. Jamais Bernard n’a pris une chienne, comme il prend maintenant Nathalie. La pulsion féminine, si longtemps contenue et retenue par des siècles de frustration, s’exprime brutalement en des termes parfois triviaux, et on ne peut rien y faire. Il faut simplement attendre que ça passe. Et surtout, si on ne veut pas que cela se prolonge, éviter d’aboyer et de mordre.
De toute façon, il est important qu’il y ait un double vitrage et une bonne isolation sonore dans l’appartement. Il serait condamnable que des adolescents entendent ces cris et ces râles érotiques, alors qu’ils ont toutes les études à faire avant de prétendre à fréquenter une jeune fille de façon insistante.
C’est maintenant à l’homme d’éjaculer. Pour ce faire, il doit penser très fort à la perpétuation de l’espèce. Mais parfois, cela ne suffit pas et l’homme se dit alors : Qu’elle est belle la mère de mes futurs enfants ! Mais même avec ces belles envolées, il peut se produire des déconvenues. Il convient d’ajouter que si, dans le cas présent, nous avons affaire à deux personnes de sexes différents, cela ne veut aucunement dire que nous condamnons les homosexuels, qui sont des personnes humaines comme les autres et qui ont droit à leur différence, même si paradoxalement elles sont plus attirées par la ressemblance. C’est d’ailleurs en pensant très fort qu’il tient le cul d’un homme que Bernard parvient à l’éjaculation. Comme on le voit, pas de discrimination.
En général, l’homme jouit le premier et va à la salle de bain pour se laver. On ne dira jamais assez combien l’hygiène joue un grand rôle dans les rapports amoureux. Bernard, qui a du travail, se lave vite la queue et s’en va. Nathalie commence alors à jouir, mais elle a le temps, puisqu’elle est femme au foyer. Et puis, elle est peut-être déjà enceinte ; aussi il lui faut faire attention et éviter tout mouvement brusque.
Nathalie sort du tiroir de la table de chevet un objet qui ressemble beaucoup au sexe de l’homme, si ce n’est qu’il émet un léger bruissement et qu’il produit de jolies vibrations quand on le met en marche (Nathalie a pris bien soin de toujours fermer à clef ce tiroir, pour éviter que l’enfant, qu’elle aura plus tard, ne le trouve inopinément). Et puis, elle se dit que - de la même façon que le silence qui suit un concerto de Bach, c’est encore du Bach - le silence qui suit le départ de Bernard, c’est encore un peu du Bernard, d’autant plus qu’en général il ne dit jamais rien. En fait, elle utilise ce phallus en caoutchouc, non pas pour jouir d’avantage, comme le penseraient quelques esprits lubrico-pervers, mais pour pousser le plus loin possible les spermatozoïdes et démultiplier ses chances d’être fécondée.
Elle est toute à ses pensées de maternité, quand la porte s’ouvre. Eh oui, Bernard, si pressé de retourner au travail, a oublié de la fermer à clef. Le réparateur du chauffage entre. C’est un Martiniquais de 25 ans, un superbe athlète que son uniforme de chauffagiste rend encore plus séduisant. Dans un premier temps, Nathalie, nue et ouverte, pense se mettre à hurler. Puis, elle se dit que ce serait une attitude raciste.
Comment ? Parce que monsieur est noir, il faudrait que je crie comme s’il s’agissait d’un cannibale ! Quelle honte, si je me conduisais ainsi !
Peut-être que le chauffagiste tient le même raisonnement :
Comment ? Parce que madame est blanche, il faudrait que je la méprise au point de ne même pas lui montrer ma queue, qui vaut quand même le coup d’œil, si ce n’est le coup de langue !
Toujours est-il que le Martiniquais reprend les choses là où les avait laissées Bernard, mais Nathalie sent comme une différence, et pas seulement dans la couleur de la peau.
Et quelques mois plus tard, un enfant noir naîtra dans une maison dont le chauffage n’aura jamais été réparé. Bernard demandera le divorce et si on ne se fout pas de sa gueule.
Moralité, il ne faut pas avoir peur des plombiers polonais. L’histoire de ce couple en aurait été moins bouleversée.