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Temps de lecture estimé : 83 mn
25/11/06
Résumé:  Cette histoire se situe dans un monde incertain. Rome n'en finit pas de mourir et le dessein féodal n'a toujours pas pris corps. L'Antiquité jette ses derniers feux et fascine les peuples, un nouveau monde se lève ; dans la confusion et les tâtonnements.
Critères:  historique humour fantastiqu merveilleu
Auteur : Maître Secret      Envoi mini-message

Concours : Concours "Les récits historiques"
Les métamorphoses du Diable

PROLOGUE

LES MÉTAMORPHOSES DU DIABLE






Superbe, cheveux longs et bouclés, visage d’Adonis, bottes, culottes et cotte de cuir rouge, Lucifer chemine le long du sentier, au pas vif de son coursier, un bai cavecé de noir, tout harnaché de lormeries d’argent. Patricien à l’élégance recherchée, paré de la beauté du Diable, il était passé, sous d’autres traits, par Byzance et par Rome où il venait d’exciter la rivalité des Pontifes. Un petit jeu facile mais dont il raffolait. Le soleil était doux et le ciel clément. Seul, un souffle vague émouvait parfois la cime vagabonde des arbres les plus hauts.


Au loin, une cloche matutinale tintinnabulait son appel cristallin, carillonnant le début de la messe. Sur les mauvais chemins de terre qui couraient au village, les retardataires pressaient le pas, vaguement inquiets de se trouver en faute. Mais Satan était si beau dans ses atours de jeune patricien qu’en le croisant bien des paysannes prenaient le temps de lui couler un regard plein d’aveux et de promesses.


Par deux fois, malgré ses exploits de la nuit précédente, il s’était surpris à trop longuement regarder un frais minois ou un cul bien tourné. Surtout, la petite blonde dont le vent venait de soulever la tunique. Jolies jambes, belles cuisses, chatte dorée et des fesses toutes rondes. La friponne avait bien senti son regard. D’un œil malicieux et rieur, elle lui avait fait comprendre qu’elle saurait s’attarder s’il brûlait de l’y inviter. Son sang n’avait fait qu’un tour, se précipitant vers son bas-ventre pour gonfler un phallus toujours prêt à damner les damoiselles à la trop chancelante vertu. Ah ! Quel bonheur d’être affranchi des infirmités physiques qui interdisent aux mortels de jouir sans trêve ni repos des joies de la bête à deux dos. Lui qui ne souffrait d’aucune limite, cent fois et plus il pouvait, sans faiblir, labourer tous les ventres qui s’offraient à sa convoitise. Hélas, en cet instant, ce charitable serviteur des belles dames n’avait guère de temps pour la baliverne. Il pressait sa monture, craignant d’être en retard au rendez-vous fixé par Asmodée, le plus beau de ses frères. Baal, dit Belzébuth, son vieil ami et complice, revenu d’un important voyage au fin fond l’Asie, une des pièces maîtresse de l’intrigue s’y tenait encore, serait là, lui aussi..


La cloche sonnait toujours l’appel des fidèles et ce bruit détestable lui vrillait les tympans. Non qu’il fût incommodé par cet hommage à Dieu, lui, son plus ancien et fidèle adversaire, mais il supportait de moins en moins le tour terrifiant que prenait la religion chrétienne. Plein de compassion pour l’humanité souffrante, il s’affligeait de voir ces pauvres gueux, venus au temple - harassés de fatigue et de misère - n’arrêter leur pénible labeur que pour s’entendre agonir de péchés et de fautes. Offenses et malédictions, quelques prédicants fanatiques n’avaient de cesse de leur promettre qu’en ce bas monde ils n’endureraient jamais assez de peines et de souffrances pour mériter leur éternel salut. Encore que son Enfer lui paraisse chaque jour moins triste que leur Paradis, il s’indignait que l’on puisse répéter à ces miséreux que l’excès des plaisirs auxquels ils succombaient les conduisait droit vers la damnation, eux qui, perpétuellement, ne vivaient que dans l’affliction, le dénuement ou la maladie. Décidément, les chemins de YHWH lui restaient si impénétrables qu’il aurait véritablement dû se révolter contre lui dès les premiers jours, comme le voulait une tenace légende.

Mais, pas plus que les dieux antiques, il n’avait mesuré l’étendue du danger, quand des Juifs fanatiques avaient commencé, cinq ou six siècles avant Jésus, d’écrire leur Bible, le plus malfaisant des romans. Qui aurait cru qu’un dieu aussi méchant et jaloux aurait eu ce succès ?


Des siècles des siècles durant, il avait loyalement compagné les anciens dieux. Un temps, il avait même essayé, mais en vain, de convaincre ce démiurge despotique de s’adonner davantage à la miséricorde. Devant l’horreur qui s’annonçait, il venait de se résoudre à agir sans tarder afin d’aider les dieux antiques à recouvrer un peu de leur gloire et de leurs pouvoirs. Ils se montraient finalement tellement plus humains et cléments…


Quelle tristesse qu’Isis, mère des initiés, n’ait pas vaincu ! Dieu aurait été une femme, et son règne magnanime.

Mais, pour l’heure, il y avait quelques difficultés et beaucoup de mérite. Le cul ondulant de la jolie garce ne cessait de le hanter. Vision fugace mais ô combien bandante ! Il avait envie de tourner bride, le trot de sa monture aurait tôt fait de le ramener vers l’accorte donzelle.


Oh Diable ! le vrai beau cul de fille. Par la mordieu, qu’il aimait le cul des femmes, centre ultime des tensions du désir ! Mamelu ou pimpant, dans les deux univers il ne savait rien de plus merveilleux ni de plus exaltant qu’un vrai beau cul de femme. Ni le monde des mortels ni le monde des dieux n’avaient de trésor comparable à choyer. Même le Paradis ne pouvait offrir pareille extase que celle que connaissait un homme quand il contemplait l’obscène et sublime offrande d’une croupe féminine à l’instant où se révèlent tous ses mystères et tous ses enchantements.

Rien dans l’éternité des cieux ne rivalisait avec la vision de ces rondeurs jumelles, adorablement fendues par la plus exquise des fêlures. C’était d’ailleurs une des raisons pour laquelle il avait saccagé l’Eden sans trop de regrets.


Assurément, YHWH avait beaucoup à craindre d’un tel rival, même Allah, pourtant son plus proche cousin, se montrait moins grossier, lui qui promettait à ses fidèles un Éden peuplé d’odalisques ravissantes et lascives. Mais son Enfer lui semblait plus harmonieux. Là, les femmes n’avaient ni voiles ni chaînes, et elles choisissaient librement leurs amants.


Certes, le fuselé chantant d’une cuisse longue et souple, la fuite d’un dos alangui, céleste océan de blancheur ivoirine, venant mourir dans la munificence des hanches où doucement la peau se teinte d’un éclat rosé, pouvaient composer un bien troublant spectacle ; certes, la cambrure d’un nichon, colline moelleuse où dort le faon, pouvait laisser dans la paume quelques siècles de souvenirs ; certes, la pourpre rosace, fleur languissante et close dans sa corolle de nymphes, joyau un moment pénétré et trop vite délaissé, pouvait vous faire mille années de remords. Mais cela même ne suffisait pas à l’émouvoir pareillement que le renflé d’une paire de fesses, globes épanouis, tourbillons neigeux où se mêlent la braise et le sublime éther.


Ineffable vision d’une femme accroupie dans la posture de l’orante, dévoilant d’un seul coup toute la masse somptueuse de deux fesses philippines et charnues, lisses comme un marbre, dures comme une roche. Lune d’albâtre, lumière astrale et vent de soleil, c’est Séléné, pâle déesse qui fait des cieux la nocturne splendeur, qui offre sa beauté au regard éperdu de l’amant ; c’est aussi la sombre chthonienne, blottie aux abysses de la terre, mais qui fait de la vie un enchantement de Vendredi saint. Dans cette pieuse attitude, l’entrefesson, délicatement entrebâillé, laisse apercevoir un vertige d’odeurs sombres et suaves, vallée secrète qui mène de façon insidieuse vers l’anus. Pareil à un petit œil tout rond, il vous dévisage sans rien voir. Quel poète trouverait jamais les rimes et les sons qui puissent chanter l’absolue perfection de cette aveugle pupille, toute cernée d’une paupière violette, ourlée de mille fronces frêles. Oh ! provocantes délices ! Verge qui monte, grandit, durcit et plane, l’éternité n’était rien comparée au bonheur de traverser cette chair délicate et fragile. Et puis, là, immédiatement au-dessous de cette empyrienne porte, la plus mirifique rupture de lignes qui se puisse concevoir, quand l’arrondi des globes vient se poser sur deux cuisses nerveuses et puissantes. Superbes colonnes qui soutiennent le temple saint, superbes tenailles faites pour s’ouvrir et se resserrer autour du pérégrin. Ici la peau a un grain, une texture… Au milieu de cette débauche de courbes, contrariées mais parfaitement ajustées, s’enchâsse l’autre merveille primordiale, velours de muqueuses rosies et frissonnantes fourrures, l’amande d’une vulve qui laisse espérer le plus captivant des orifices, tout ruisselant de vie et de désirs.

La quintessence de la Création. Quel affreux blasphème que d’en faire l’antre du péché !


Somptueux et baroque défi à toutes les perfections du cosmos. Même l’harmonie des sphères célestes et la course des galaxies n’avaient assurément rien à offrir de si parfait ni de si stupéfiant que les savoureuses rondeurs d’un vrai beau cul de femme…


Bite dure et souffrante, il serait volontiers retourné culbuter la drôlesse et la trouducuter à en perdre le souffle. C’était d’ailleurs le plus sot et le sûr des défis qui se puisse imaginer à l’endroit de ce pisse-froid de YHWH. Disgrâce d’un sort contraire, le temps lui manque, elle devait pourtant avoir l’entrecuisse hospitalier et chaudement lubrifié.




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Pour que le temps lui paraisse moins long et oublier les tourments de son sexe, il fixe ses pensées sur le cul de la belle qu’il vient de damner toute une nuit durant. Damner, plutôt sauver ! Ce Paradis est aussi morne et triste qu’un couvent. Que de morts regrettent de l’avoir mérité quand ils voient les délices où vivent les fils de Satan. Ils sont légion à venir frapper au Portail pour changer de résidence, mais YHWH n’est pas prêteur, c’est là son moindre défaut.


Hier, le soir s’approchait et l’heure était aux Vêpres dans la cité où il avait fait halte. La ville était en effervescence, partout de petits groupes allaient et venaient en discutaillant. Certains arboraient de martiaux équipements, avec plus ou moins de fierté. De nouveau, l’ost des Francs, conduit par Pépin, revenait chevaucher sur la terre d’Aquitaine.

Laissant ces gens à leur tumulte, il dirige sa monture vers l’église. D’expérience, il savait les lieux de culte particulièrement propices aux intrigues amoureuses. Les femmes s’y pressent nombreuses et l’émotion sacrée les rend vulnérables et accessibles. Bercées par l’encens et les chants liturgiques, elles se laissent facilement emporter par leur sensualité.


D’ailleurs, tout dans les offices est conçu pour transporter les sens, les prêtres espérant sournoisement profiter de ce frémissement des corps pour abuser les âmes. En outre, les femmes pieuses font les chaudes amantes, sitôt qu’on a su les éveiller au désir. L’effroi du péché stimule leur lubricité et, tant qu’à se maudire, elles font l’amour sans retenue. Perdue pour perdue, autant jouir pleinement de sa faute…


Entrant dans l’abbatiale, il avait croisé une charmante veuve.


Sa tenue et sa démarche respiraient la décence de bon aloi. Sa pudicité et son humilité n’avaient rien d’ostentatoire. Élégante, elle ne cherchait nullement à cacher sa fortune ou sa beauté. Il est vrai que la vêture des Aquitaines restait singulièrement frivole comparée à celle des femmes austrasiennes. L’écarlate tunique talaire, ourlée de frise d’or et de fourrures d’hermine, était de laine coûteuse et fine. Une large étole, pareillement bordée, mais d’un rouge plus clair, couvrait ses épaules dénudées et tombait presque au sol. De belles épaules pleines et rondes. Une large ceinture de cuir ouvragé, sertie de clous d’or, soulignait la minceur de sa taille et l’exquise amphore de ses hanches. Ainsi ajustées, les étoffes ne cachaient guère la plénitude de ses formes. Le corset mettait en valeur la poitrine généreuse et les seins melonnés. On devinait le ventre un peu bombé et les cuisses fuselées ; l’altière cambrure des reins conduisait le regard sur une croupe où dansaient deux globes magnifiques. Ses cheveux calamistrés, d’un beau châtain foncé, mis en valeur par des reflets cuivrés, étaient relevés d’un anadème décoré de pierreries rutilantes. Autour de ses bras, armilles et bracelets jetaient leurs feux précieux.

Pourtant, modeste et réservée, elle marchait avec grâce, les yeux baissés et le visage serein. Un voile léger et translucide ajoutait à son charme par ce quelque chose de doux et de vaporeux.

Elle était chaste sans forfanterie ni ostentation. Le genre de femme particulièrement difficile à séduire car elle respirait l’authentique vertu. Celle qui vient du cœur mais non d’une pruderie hypocrite. Le genre de femme qui provoquait justement chez le Prince des Démons une furieuse envie de séduire. Soustraire une âme naïve à YHWH, le dieu mesquin et jaloux, n’avait pas de prix et agrémenterait leur accouplement d’une jouissance de fin gourmet.


Galant homme, il lui a tendu un peu d’eau bénite dérobée à l’énorme vasque qui trône là. Elle l’a acceptée sans y voir malice, puisant l’offrande dans le creux de sa main. Soudain, alors qu’elle le regarde pour lui dire son merci, émue malgré elle par l’incroyable beauté de son chevalier servant, elle rougit, le visage empourpré jusqu’à la racine des cheveux.


Il est vrai que Satan ne manque ni de charme ni de prestance. C’est un homme jeune et vigoureux, au visage charmeur, malgré l’indécise pénombre, et au physique d’athlète. Sa vêture somptueuse est celle d’un homme fortuné. Sur une braconnière de peau pourprée, brodée de frises fleuries, il porte une cuirasse de cérémonie. Taillée dans un cuir de même couleur, elle est richement ornée de pectoraux en bronze. Par-dessus, il arbore un riche manteau de brocart, drapé avec grâce sur les épaules. Les braies et les bottes cavalières sont de peau violacée. La plume au chapeau et l’épée au côté, il passe en somme pour un vrai gentilhomme.


Elle l’a remarqué, reste à la suborner ; elle est troublée, l’intrigue s’engage sous des auspices qui ne sont pas trop défavorables.


Elle prend place sous la nef. Méphisto la suit, déjà plein d’espoir et de désir. Il s’installe près d’elle. Les voici debout, côte à côte. Elle semble ne plus lui prêter attention, il se garde de toute précipitation, absorbé comme un dévot dans ses prières. Il sait bien qu’en tapinois elle jette quelques regards discrets sur son agréable voisin. Lui qui lit dans les esprits sait que, pour le moment, il n’y a aucune concupiscence dans ces furtives œillades, juste de la curiosité pour un étranger aussi mystérieux que séduisant. D’ailleurs l’homme ne semble nullement chercher à troubler ses dévotions. Au contraire, il affiche un recueillement qui la trompe et, à la longue, l’agace. Pour être chaste, elle n’en est pas moins femme, et quelques marques d’admiration, manifestes mais séantes, lui semblent toujours flatteuses.


D’ailleurs, maintenant qu’il peut sonder à loisir les tréfonds de son âme et de son cœur, il sait qu’elle n’est ni prude ni bigote. Consciente de ses charmes et de l’attrait qu’ils suscitent chez les hommes, elle n’éprouve nul remords à leur plaire. Elle n’a que des regrets. Leur désir lui semble aussi naturel que son deuil lui paraît nécessaire. À ses yeux, l’amour n’est ni un mal ni un péché, et elle regarde toujours avec une sympathie amusée les signes furtifs qui trahissent, chez les nouveaux amants, la flamme naissante de leurs amours débutantes. Tant de ruses éventées et d’intrigues balbutiantes pour cacher ce que tout le monde peut voir, c’est charmant. Si elle est chaste, ce n’est pas par inclination mais par résolution ; simplement, elle se veut fidèle à ses premières amours. Le deuil d’un époux aimé est inévitablement devenu le deuil de son sexe.


Même si on l’avait mariée sans rien lui demander, par "mégarde", ses parents avaient fait le bon choix. Une craintive pucelle ne pouvait rêver de meilleur époux que le baron Méode. Ce bel homme, enjoué, spirituel et prévenant, avait vite transfiguré un mariage imposé en une liaison passionnelle.


Roteberge n’avait pas seize ans le jour de ses noces. Toute la cérémonie, elle s’était prise pour Iphigénie sacrifiée sur l’autel pour que soufflent les vents qui conduiraient les Achéens jusqu’à Troie. Pareillement, son père l’avait vendue à l’homme le plus riche et le plus puissant de la province. Terrifiée, elle imaginait son sexe comme un coutelas qui viendrait lui déchirer le ventre. Pourtant, malgré son âge, elle l’avait trouvé beau sans qu’un seul instant cela réduise ses effrois. De dix ans son aîné, Méode connaissait bien les femmes. Un physique avenant, un esprit éclatant, une courtoisie sans faille et une vigueur peu commune lui avaient valu maints succès féminins. Il n’ignorait rien de leur indomptable sensualité, si farouchement emmurée dans le secret de leur ventre. Pour qu’elle se révèle, il fallait l’apprivoiser. Elle n’attendait que des circonstances favorables pour s’épanouir et libérer sa violence. Galant, respectueux et toujours gai, c’était un compagnon idéal. Et, à force d’attention et de patience, il avait joliment éveillé le corps de la jeune fille à toutes les voluptés. La nuit de leurs noces, loin de se jeter comme un rustre sur son corps et ses frayeurs, il s’était réfugié dans la chambre voisine. Une portière tissée dans une splendide tapisserie les séparait.



Pendant trois semaines, il avait patienté, regardant jour après jour ses alarmes virginales se fondre dans un désir croissant. À force de fréquenter cet homme, d’être couverte de cadeaux et entourée chaque instant de mille et une attentions, elle s’était prise à l’aimer, et chaque jour son corps réclamait ses caresses plus crûment que la veille.


Et un soir, n’y tenant plus, elle était venue le rejoindre, nue, les cheveux soigneusement brossés, le souffle court et le ventre noué. Après mille caresses et cent mille baisers, il lui avait fait découvrir les fabuleux plaisirs qu’une femme et un homme peuvent faire naître de leur amour et de leurs désirs. Pendant les six années de leur vie commune, ils avaient grisé leurs chairs de plaisirs toujours renouvelés, s’aimant sans esclandres mais d’intense façon. Par bribes, Lucifer entrevoyait des images fugaces de corps à corps frénétiques et d’étreintes audacieuses. Même le dimanche, les jours de jeûne et d’abstinence, elle n’avait pas hésité à braver l’interdit des pénitentiels pour lui dispenser ses trésors et ses étreintes. Quel péché pouvait-il y avoir à jouir de son époux et à lui rendre les félicités qu’il savait dispenser ?


Voilà trois ans, quand l’incessante guerre contre les Francs l’avait emporté, comme tant de courageux combattants aquitains, il ne lui était même pas venu à l’idée de lui chercher un remplaçant. Au contraire, elle avait choisi de consacrer son veuvage à honorer pieusement la mémoire de cet homme admirable, et ce si merveilleux amant. La crainte de n’en point trouver de semblable était peut-être pour quelque chose dans cette mortification.


C’était là un volcan assoupi qu’il fallait savoir réveiller. Roteberge, jetant un rapide coup d’œil à son voisin, est soudain surprise de lui trouver un air si familier. Nul doute, dans la lumière qui le nimbe maintenant, il ressemble à Méode.

Une évidente semblance qu’elle n’avait pas remarquée sur le coup. Son trouble grandit.

Satan sourit discrètement d’avoir si bien réussi à se donner cette trompeuse physionomie. Une métamorphose légère mais indéniable, dosée avec exactitude pour semer la confusion sans lever le soupçon. Il profite de cette première brèche pour inspirer quelques pensées lascives à cet esprit candide. Pour appuyer les divagations de Roteberge, il propage de sournois effluves masculins. L’invite est si provocante que nombre de drôlesses tournent leur regard vers cet homme fascinant. Les sens de Roteberge s’affolent et, sans même qu’elle en ait conscience, son corps répond à cet appel par de chaudes senteurs amoureuses. L’odorat démoniaque, hypertrophié comme toutes ses facultés, savoure toutes les nuances de ce bouquet de désarrois sexuels. Cent femelles désirantes répondent à l’odorant message de rut, mais l’émoi inconscient de Roteberge a une richesse d’arôme qui la distingue de toutes les femmes alentour, et qui révèle l’exceptionnelle virulence érotique de ses pulsions.


Décontenancée, Roteberge vacille. Il lui prête son bras pour qu’elle retrouve une contenance. Elle frémit à ce contact. Les feux du désir renaissent de leurs cendres quand d’intimes souvenirs viennent en multitude hanter son esprit. La belle n’a point délaissé le soutien de son bras ; au contraire, comme accablée, elle s’abandonne contre lui. La victoire se rapproche et Lucifer sent sa verge durcir. Le moment de l’estocade est venu.


En deux temps, trois mouvements, il pousse son avantage. L’officiant entame un cantique que la foule reprend à l’unisson. Il se met à chanter.

Une voix sublime monte et s’enfle sous la nef. Une voix de ténor, puissante, profonde et chaude. Une voix d’une surnaturelle beauté. Un chant poignant qui émeut toute l’assistance quand il célèbre la tragique passion de Jésus et l’horrible détresse de la Mère Douloureuse. La foule, captivée, se tait pour l’écouter. Même le prêtre, troublé, suspend ses oraisons pour s’emplir de ce chant sublime. Roteberge, bouleversée, a les yeux pleins de larmes et tout son corps frémit. Cette voix magnifique, riche de tendres inflexions et de sensuelles harmoniques, la fait littéralement défaillir. Comme chacun, elle prête une oreille attentive à ce lamento sacré qui emporte vers Dieu et les âmes et les cœurs.


Elle est perdue, sauvée, pense Satan, car rien n’est pire à ses yeux que l’étiolement d’une chair desséchée par la privation. La séduction du Malin vient de trouver les clefs qui ouvrent les portes les mieux closes. Le désir imprègne peu à peu toutes les fibres de Roteberge.


L’office terminé, Lucifer, sorti sur le parvis de l’abbatiale, se retrouve entouré d’une horde de femmes esseulées, qui gloussent et qui pépient. Les épouses jettent vers lui des regards éperdus, mais la présence de maris soupçonneux leur interdit de faire chorus. Les hommes le regardent avec défiance mais aussi déférence. L’individu dégage une telle puissance qu’il ne peut que forcer le respect. Le scramasaxe au côté et l’épée droite dans le dos rendraient circonspects les plus belliqueux. Ils sentent que le quidam serait redoutable les armes à la main.


Il se fait connaître, sous le nom de Gilberte, comme un baron originaire de la légendaire Camelot, celle-là même où le consul Arthur, patrice des Bretons, avait lutté jusqu’à son dernier souffle pour défendre Rome contre les Angles et les Saxons, alors idolâtres féroces et barbares impies. Une si fabuleuse extraction ne pouvait que lui valoir admiration et sympathie.


Roteberge, qui avait fait un pas vers lui, hésite et se détourne. Il lui peine de se mêler à cette foule de filles en chaleur. Satan, harcelé, ne peut maintenir une naissante emprise sur cette âme fière et farouche. Elle s’éloigne ; il fulmine contre les importunes. Ces poules caquetantes ne l’intéressent pas, elles sont déjà à lui, encore qu’il les laisserait volontiers au dieu qui en voudra.

L’Enfer n’est pas ouvert à n’importe qui… Les candidats sont nombreux, les élus bien plus rares.

Il ne peut se lancer aux trousses de sa dulcinée sans gravement déroger aux convenances et risquer de la froisser. Prenant son mal en patience, il fait bonne figure, plaisante et batifole tout en prenant soin de refroidir l’ardeur de ses admiratrices, évitant toutefois les offenses.


Quand il la voit s’éloigner, la croupe tanguant et les hanches divagantes, il reste stupéfié que cette morbidesse affolante ait pu si longtemps contenir les offenses. Par quel mystère aucun chevalier n’est passé au galop sur le parvis pour l’enlever et la jeter sur le col de son coursier ? Certes, le rapt n’avait que deux sanctions, la mort ou les épousailles, mais être obligé de marier pareille beauté n’avait rien d’une affligeante punition. Elle va, tempétueuse cavale à la puissante croupe, en ondoyant sur le pavé, ignorant que ses jambes de statues devront bientôt ployer sous le joug de l’étalon.


Enfin libre, il se dirige à grands pas vers la demeure de sa victime. Comme un limier, il suit sa trace. Sottement, il a oublié de découvrir son adresse en perçant sa mémoire. Heureusement, ses prodigieuses senteurs restent perceptibles malgré la débauche d’odeurs qu’exhale la cité. Malgré les remugles des tanneries, la puanteur des gorelleries et autres cuiries, les sèches exhalaisons métalliques des faveries, celles, sourdes et tenaces des filandiers, il distingue sans trop de peine le parfum de Roteberge, qui fleure bon le lilas, la violette et le benjoin. Il hume aussi les affriolants effluves de son corps. Odeurs de miel, arômes de pêche, saveurs d’épices qui enveloppent sa peau, et senteurs de musc et d’océan qui sourdent de son sexe. Le désir de Roteberge ne s’est pas éteint à mesure qu’elle s’éloignait de lui. La bite dressée et, diable, quelle bite ! - tant qu’à être Satan, autant se doter d’une verge triomphale - il ne perd pas un atome de ces vibrantes fragrances. La passion le dévore, le désir le forsène. Satan est amoureux.


Comme un chien fou qui piste la chienne en chaleur, il hume l’air pour y flairer le passage de sa proie. La cité n’est pas bien grande, le voici rapidement devant la résidence palatine de la femme désirée.

Satan est devant le palais aux belles frises où l’objet de sa convoitise a trouvé refuge. La place n’a ni tours ni remparts ni gardes en armes. Elle sera plus facile à investir que la noble dame.


Quand la portière vient annoncer à Roteberge qu’un beau seigneur, répondant au nom de Gilberte, la mande, elle sent son sang se glacer et la tête lui tourner. Loin de se contenter d’un hommage courtois, l’inconnu est venu, au mépris de toute bienséance, la relancer chez elle. Elle ne peut raisonnablement douter de ses intentions et, bien qu’elle s’en effare, elle sait déjà qu’elle n’a plus vraiment envie de résister à cet imprévisible retour du désir. Si son âme crie au scandale, tout son corps tressaille d’allégresse, et son corps, trop longtemps jugulé par la continence, vient puissamment lui rappeler les fiévreuses exigences de la chair. Une vulve démangeuse lui manifeste sans ambages combien elle souffre d’une si longue abstinence. Son âme craint encore le tentateur quand sa féminité implore l’homme. Son seul espoir, c’est que ses intentions soient honnêtes. Qu’il vienne l’enlever, ou, s’il la viole, il faut qu’elle ait droit au cadeau du matin. Ainsi font ces rustres de Francs. Cet homme, elle sait, elle le sent, n’a que faire de la vigilance de son père. En effet, si nul ne l’a déjà enlevée, c’est que son père protège jalousement la fortune de Méode, attendant qu’elle puisse échoir à ses fils.


Soudain, un doute horrible ! Il n’est pas Franc mais vient de la Bretagne océanique. Quelles sont les coutumes de ces gens-là ?


Elle n’a pas le temps de savoir si elle veut tenter de lui donner son congé ou si elle accepte de lui ouvrir sa maison que, sur les talons de la servante, il fait irruption dans ses appartements. Dieu ! Qu’il est beau, le pourfendeur de ma vertu, songe-t-elle, toute penaude de se réjouir si fort de sa totale impuissance.


Diable ! Qu’elle est bandante, la jolie Roteberge, s’alarme Lucifer, inquiet malgré lui de s’émouvoir pareillement. Il avait escompté une passade, il va écoper d’une maîtresse.


Elle a le regard qui tue, celui qui met à quia le pire des hommes.

C’est tout le problème, même les génies primordiaux perdent leur substrat quand ils se font homme. Ils endossent toutes les exaltations de leur chétive substance. Les dieux aussi. Osiris et Jésus ne souffrirent-ils pas mille morts et mille afflictions ?


La vaste pièce est richement décorée. Marbres roses et bleus bordent les murs et couvrent le sol. Ici et là, des festons de cuivre martelé rehaussent l’appareil. Deux des murs sont somptueusement ornés de grandes fresques élégiaques. Sur leur tiers supérieur, des fenêtres à pilastres laissent passer une clarté diffuse. Au fond, une portière damassée d’or et d’argent s’ouvre sur un lit de bronze couvert de coussins colorés. La chambre à coucher d’été donne sur un patio aux parterres fleuris, sagement ordonnés autour d’une fontaine ornée d’une naïade tenant une jarre d’où coule une eau vive.


Dans le simple appareil d’une beauté surprise dans son intimité, elle est encore plus belle qu’à l’église. Les cheveux sont défaits et cascadent souplement, une chasuble d’intérieur bleutée, brodée ton sur ton, a remplacé les vêtements de ville. Elle met en valeur l’azur de ses yeux. Elle est entièrement nue sous l’étoffe fine. La tunique, lâchement drapée, découvre des horizons de chair à faire damner Satan. Une épaule, une cuisse, la naissance de la gorge. Dépouillée de tout bandage, sa poitrine frémissante avoue ses somptueuses lourdeurs sous l’étoffe agitée d’un souffle précipité.


Quand elle le voit, si beau et si hardi, Roteberge est prête à défaillir. Toutes ses énergies vitales refluent vers son sexe. D’une voix mal assurée, elle voudrait le tancer, espérant puiser dans un flot de reproches la force de lui résister. L’indispensable répit pour recouvrer ses esprits.



Elle voudrait poursuivre son discours, mais elle sent que le regard de Gilberte s’égare sur son corps dévoilé. Avec épouvante, elle constate que sa tenue ne protège que bien peu sa pudeur. Un pan de l’étoffe a glissé sur sa cuisse droite, en découvrant le galbe charnu et superbe, une échancrure sournoise dévoile le pli de l’aine. La levée, qui devrait envelopper l’épaule gauche, tombe sur le bras et découvre la générosité d’un sein. Maladroitement, elle essaie de réajuster sa mise. De fait, aucune barrière ne se dresse entre elle et le désir de Gilberte, et ce déshabillé défaillant est pire que la nudité. Elle aurait été moins gênée dans le simple apparat de la piscine d’eau tiède. Elle bafouille des phrases incohérentes où il est question de la goujaterie des hommes et de la faiblesse des femmes. Consciente de trop en dire, elle se tait, paniquée.



Ce disant, il caresse sa dague et Roteberge au bon cœur frémit pour sa domesticité. La portière affolée quitte la pièce, les mains sur le cou comme pour vérifier qu’on ne l’a pas déjà égorgée. Pourtant, le hasard fait bien les choses… avant d’avoir retrouvé son poste, elle a oublié jusqu’à l’existence du visiteur. Revenue à son guichet, elle s’endort lourdement, comme tous les meschins et meschines qui vivent là. Jusqu’au matin, cette demeure sera celle de la Belle au Bois Dormant. Et chacun sait que cette belle se donne au premier qui l’éveille.

Tout un programme…


Lucifer n’est guère plus assuré que sa dupe. Son cœur bat la chamade à mesure que l’amour subjugue le désir. Néanmoins, il parvient à pénétrer l’esprit de Roteberge, à la recherche de la faille qui la fera succomber. L’âme du Malin a une puissance phénoménale, mais il ne peut contrecarrer les inclinations profondes de ses victimes. Roteberge n’est que confusion. Son désir, si évident soit-il, ne peut vaincre les réticences d’une ombrageuse vertu.


L’amour est la seule clef qui puisse ouvrir son corps, il faut se faire aimer pour devenir amant. La tâche n’a rien d’insurmontable pour un cœur aussi sincèrement épris que celui de Satan.

Il laisse parler sa passion.



… Ce corps vaut bien une messe, pense-t-il en secret.


Une inquiétude vague traverse l’esprit de Roteberge devant cette soudaine fureur amoureuse.



Intérieurement, le démon a un sourire attendri. Elle ment. Méode n’étant pas Franc, elle a conservé son immense fortune. Ce qui rend encore moins compréhensible l’absence de prétendants. Les gardes paternels, endormis par ses soins, ne l’auraient pas rebuté même s’il n’avait été qu’un simple mortel.



Étourdie par une si brûlante confession, elle ne trouve rien à redire. Ce sont les mots funestes qu’elle désirait entendre. Même l’idée d’aller voir le prêtre dans l’heure qui suivra le morgengabe lui semble dérisoire. La forme de mariage proposée n’a rien d’anecdotique pour elle. C’est ainsi que Méode avait choisi de convoler en justes noces. Même si les draps exposés au matin à la fenêtre de la chambre nuptiale n’avaient d’autre sang que celui d’un lapin, tout le reste de la cérémonie avait été respecté à la lettre. La position de Méode ne lui permettait pas de rendre public leurs petits arrangements matrimoniaux.


Réfugiée dans son logis, confuse et désemparée, elle s’en veut d’avoir laissé le désir la soumettre à nouveau. Pourtant, une heure durant, elle n’avait cessé de regretter sa fuite et d’imaginer les fadaises troublantes dont elle aurait aimé qu’il la flatte et l’ensorcelle.


Gilberte discerne sa confusion, sa victoire est prochaine. Elle sera sa défaite. L’amour le terrasse déjà.



Il aurait aimé pouvoir lui dire qu’elle n’avait nullement à se tourmenter pour son âme éternelle, car elle n’en avait pas. Plus exactement, gentille Roteberge, elle irait dieu sait où, les dieux se souciant assez peu des morts. Seuls les vivants les intéressent car les morts ne peuvent plus prier. Il n’y a ni Paradis ni Enfer. Ni aucune récompense ni aucun châtiment qui vienne jamais sanctionner la geste des humains. La vie éternelle n’est qu’une faveur discrétionnairement attribuée par quelque déité en mal de gratitude. Moi, je la réserve à ceux qui m’ont bien servi.

Du temps d’Isis, les choses en allaient autrement. La bonne mère des hommes les aimait assez pour ne pas les décevoir. Mais c’est là un secret.


Elle se tait, partagée entre l’allégresse et la désolation. Le désir qui l’habite l’épouvante et la comble à la fois. Il lui semble impossible d’occulter si soudain une viduité de plusieurs années, il lui semble urgent et nécessaire de renouer avec les transports de la chair.


Le voici jeté à ses genoux, dans l’humble posture du suppliant. Sous les yeux de Satan, la cuisse de Roteberge montre une tendre carnation, l’ivoire en est rosissant sous le coup de l’émotion. Il brille et tremble à la lumière des torches. Il y pose la main et caresse doucement cette peau chaude et soyeuse. Roteberge frémit et, sans même qu’elle en ait conscience, ses jambes s’ouvrent quand les doigts s’aventurent… Nul scrupule insurmontable ne la retient plus, l’heure de sa reddition est aussi celle de leurs fiançailles. D’une cheville à l’autre, pour son conquérant s’inscrit l’immensité du seul véritable Éden.


Au milieu d’une toison drue, l’intaille torride lui abandonne ses secrètes humeurs. La vulve est gorgée d’une mouille épaisse et poisseuse. On croirait qu’elle a déjà joui au seul contact de la paume sur sa cuisse. Les fesses ont glissé vers ses lèvres. Abandonnée, palpitante, elle le laisse explorer sa vertu. Oh surprise ! Il y débusque un trésor. Les deux lèvres entrebâillées délivrent un clitoris agressif et dodu comme la phalange d’un doigt. La femme qui possède une telle protubérance ne peut être que la plus chaude des garces. Il lui a fallu une volonté de fer pour brimer si longtemps une sensualité débordante. Il le branle entre les doigts, elle se cambre et gémit. Les cuisses sont grandes ouvertes et l’invitent à oser. La tête enfouie sous les étoffes, les lèvres sataniques prennent possession de l’extraordinaire pistil. La sucrerie fond sur la langue diabolique. Et quelle langue ! Pourvu que, toute à sa jouissance, Roteberge ne remarque pas que cette langue est un peu trop longue que pour être tout à fait humaine. Elle jouit une première fois. Un foutre épais et liquoreux imprègne la bouche de Lucifer d’une explosion de robustes saveurs et confusément mêlées. Un brouet démoniaque ! Un élixir d’amour aussi puissant que ses plus fameux sortilèges. Une alchimie d’arômes épicés, difficiles à déchiffrer, où s’imbriquent des embruns maritimes aux violences d’équinoxe, l’amer et le sucré, l’acide et le salé, la muscade et la sarriette, la cannelle et le miel, la pomme et le gingembre, la cardamome, le girofle et cent autres saveurs que, dans l’ivresse, il oublie de démêler. Qu’importe, il est perdu et s’y noie avec joie. Cette divine ambroisie le saoule, et le désir l’enivre.

Tel est pris qui croyait prendre. Si Roteberge se damne, Lucifer se condamne. Le voilà esclave passionné d’une enchanteresse.


Le philtre qu’il fit administrer à Tristan et Iseult n’avait pas le dixième de ce pouvoir, songe-t-il avant de sombrer. Et rien n’avait jamais fouillé aussi haut l’entrecuisse de la belle.


Roteberge s’offre davantage, elle colle sa vulve gourmande à cette gueule avide. Les lèvres de ces deux bouches se soudent en un suffocant baiser ; son clitoris palpite comme une langue contre la langue de Gilberte. Une langue serpentine la fouille profondément, pourléchant d’intimes replis que nul homme ne pourrait visiter. Hébétée, elle n’a même pas conscience de l’insolite de ces caresses. Gilberte cherchant à glisser une main curieuse sous les fesses épanouies de Roteberge, celle-ci soulève légèrement sa croupe pour faciliter ses explorations. Il a tôt fait de dénicher un anus frémissant et consentant. La rosette s’épanouit quand on la sollicite, le sphincter est dilaté par de fréquentes visites. Ainsi Méode et Roteberge s’adonnaient-ils sans retenue à l’épine du dos. Pécheresse un jour, pécheresse toujours. Pas de rédemption quand on se livre au Diable ! Tu es trop chaude pour jamais te racheter. Quand les doigts méphitiques y cherchent leur chemin, le doux œillet ouvre ses limbes avec voracité. Dans l’instant, l’index et le majeur y ont trouvé leur place. Le boyau tiède et élastique joue souplement quand ils y prennent leurs aises. La muqueuse palpite quand ils entament leur battement cadencé. Ils sont incroyablement longs. Le pouce, aussi souple et démesuré, se glisse à leur rencontre en passant le vagin. La gueuse soupire de contentement et son arrière-train se fait pesant pour le visiteur. Tortillant le bassin, elle se branle sur les trois petits pals. Le souffle haletant, elle a tôt fait d’en jouir. Les deux pertuis, secoués de plaisir, exsudent leur volupté. Elle hurle comme une folle quand l’orgasme cisaille ses viscères.

Les mois de diète dégorgent tous ensemble.


La robe s’est défaite. L’étoffe tombante libère sa beauté. Il ne découvre que des chairs sans faiblesse ni disgrâce. Ses mains montent à l’assaut de sa splendeur. Épousant la cambrure des reins, parcourant l’orbe généreux des flancs, elles viennent emprisonner les seins. Les rondeurs élastiques débordent de toutes parts. Oh ! la magnifique poitrine ! Ferme et luxuriante, elle gonfle sous les caresses et comble de ravissement la paume qui les pétrit. Délaissant l’entrecuisse, il lui baise le ventre, bécote le pli de l’aine et pourlèche le nombril d’une langue tournoyante. Il la sent palpiter de bonheur. Ses lèvres happent les tétins sombres, il tète les sombres aréoles avec des avidités de nourrisson, mais aussi une gourmandise qui ne doit rien à l’innocence.


Roteberge se pâme sous les assauts.

Si sa jouissance est moins fougueuse qu’à l’instant, le désir renaît, plus fiévreux et plus dru. À la longue, l’abstinence avait anesthésié les sens, la jouissance a réveillé ses désirs.


Le voici débout contre elle, ils sont fougueusement enlacés l’un à l’autre. La cuirasse blesse délicieusement sa peau délicate. Une caresse virile et sauvage qui n’a rien de déplaisant. Malgré l’épaisseur des braies et de la tunique, elle apprécie l’énorme vigueur du braquemart. Dieu ! cet homme est monté comme un taureau ! Elle rêve d’être, comme Io, la génisse, soumise à l’arrogance de Zeus.


Enfin, leurs bouches se trouvent. Le baiser est passionné. Leurs lèvres sont torrides, leurs langues, déchaînées. Ils se mordillent la gueule et se fouillent la gorge. Roteberge a une haleine de roses et de gentiane, celle du Démon, chargée des intimes saveurs de la belle, brûle comme un piment. Échange des désirs, circulation des fluides, ils se boivent la salive, ils se gloutonnent l’âme. Ces feux n’ont plus rien de terrestre. Comme une ombre tapie dans un recoin du cerveau, une sorte de prémonition envahit Roteberge. Cette nuit verra un grand prodige, sans qu’elle puisse discerner si ce présage est favorable ou redoutable. Les effluves sataniques se propagent dans ses nerfs, et l’idée que son amant n’a rien d’humain commence à se faire jour. Mais il est déjà trop tard. Envoûtée par la passion, elle ne peut plus contrôler sa lubricité. Avec des gestes avides et maladroits, elle déboucle la cuirasse. Quand celle-ci chute lourdement sur le sol, elle s’empresse de lui ôter sa braconnière. Les bottes retiennent les braies ; délacées, elles pendouillent pitoyablement entre ses jambes. S’ils n’étaient si affairés, le beau Lucifer aurait l’air bien lamentable, les braies en flamberge.

Ils n’en ont cure. Leurs bouches se boivent, leurs langues s’étreignent et la main de Roteberge pogne autant qu’elle le peut l’énorme pieu. Il est si monumental qu’il l’inquiète quelque peu. Mais Gilberte la doigte de part en part, si joliment et si adroitement que ses pensées s’estompent en de voluptueuses vapeurs. Ce baiser dure une éternité si longue et si passionnée qu’ils en jouissent aussi pleinement que d’une copulation. Le sexe de Roteberge exsude son plaisir et ruisselle sur ses cuisses, le sperme de Gilberte fuse sur le ventre de la dame. Cet orgasme inattendu les laisse inassouvis. Furieusement embrassés, ils continuent de se dévorer l’âme. Plus il bande, plus elle mouille.


Tant de bon foutre gaspillé navre Roteberge. Lucifer n’en a cure. Ses ressources sont inépuisables. S’arrachant à regret au baisement de sa charmante, il retrouve l’entrecuisse et lape la mousseuse cyprine. Ses doigts accompagnent ses assauts. Tirant promptement parti d’un fondement si détrempé, ils investissent les reins et la vulve avec une vigueur accrue. Elle se trémousse en tout sens, bouleversée par d’ineffables chatteries, sans se rendre compte que la main de Méode n’avait pas tant de doigts à lui fourrer dans le cul ou le con.


Satan songe à l’avenir. Les noces démoniaques n’ont rien de banales. « Roteberge, mon amour, tu ne le sais pas encore, pour cette jouissance, je t’offre l’éternelle jeunesse et l’éternel plaisir. Quelque part aux confins de l’univers, sur le bord d’une mer toujours calme, au milieu d’une plaine verdoyante, cernée par quatre grands fleuves et pleine de vergers, je te bâtirai un palais digne de ceux que glorifieront les chansons de geste. J’ai gardé le Jardin quand les hommes en furent chassés. (Et, à mesure qu’il la rêve, une armée de djinns et de démons érige la superbe bastille.) Le toit en sera d’or. Les murs de porphyre, de corail et de gemmes étincelantes, les colonnes, de marbre et d’ivoire. L’émeraude et le diamant, enchâssés d’or, serviront aux festons. Les frises combineront l’agate, le rubis et le lapis-lazuli au vermeil pour dessiner des motifs recherchés. Oiseaux merveilleux, bêtes fabuleuses, tigres, lions, licornes blanches et noires, singes s’y mêleront aux feuilles subtiles et aux riches fleurs. Mille pilastres torsadés supporteront les plafonds de deux cents chambres. Leur sol sera pavé d’or, de marbre et d’ivoire, les voûtes à caissons seront peintes richement. Haut de huit coudées, chacun de ces piliers aura demandé trente défenses d’éléphants. Ils seront imbriqués les uns aux autres en de formidables spirales subtilement sculptées de dragons et de figures chimériques. Les feuilles d’acanthe qui orneront les chapiteaux seront découpées dans un scintillant et sonore cristal. Ils porteront des fruits de pierres précieuses et chanteront au vent d’ineffables mélodies. Des cohortes de démons mineurs exauceront tous tes désirs. Sur ta table, les meilleurs mets, pour ta toilette, les plus belles étoffes et les plus mirifiques bijoux. Aucun parfum ne sera assez coûteux pour te mériter et ta couche sera celle de toutes les voluptés. »


Quant à Roteberge, pendant qu’il échafaude ses plans, il y a déjà un long un moment qu’elle a totalement perdu la tête. Sinon, peut-être s’effraierait-elle des grouillantes proportions des appendices qui la trifouillent. Aucun mortel n’a doigt ou langue d’une pareille longueur ni en si grand nombre. Un tourbillon d’étoiles ! Un immense vertige ! La tête lui tourne et tout son corps vacille. Comme par magie, les voici délivrés de leurs derniers oripeaux. Les lèvres soudées à sa vulve, les doigts crochetés dans l’orchidée et dans l’œillet, il la soulève de l’autre main et l’emporte vers la couche. Elle aurait l’impression de voler si cette double intromission ne devenait si lancinante. Hallucinante ! Par gerbes brûlantes les étoiles dansent et virevoltent, tournoient et l’envahissent. Pourtant, l’éruption excessive ne l’empêche pas de jouir. Au contraire, elle avive ses orgasmes. Pour la cinquième ou la sixième fois, un spasme déchirant secoue son ventre d’ondes gigantesques et brûlantes.


Offerte, ouverte, abandonnée, elle est allongée sur la couche aux pieds de bronze, genoux pliés, cuisses écartelées et les hanches mouvantes et émouvantes, elle fait grande fête à la bouche du doux Gilberte.

Des millions de soleils dans la tête et le ventre, elle n’est plus que lumière. Elle n’est plus que jouissance et débauche. Mille images obscènes viennent furieusement hanter sa cervelle. Le souvenir de ses étreintes les plus folles lui reviennent, Méode était un amant aussi inventif qu’infatigable, mais, peu à peu, son visage et son corps s’estompent au profit de Gilberte. Elle brûle de répéter avec lui cette carte du Tendre que son époux savait décliner avec tant d’audace.



Emportée par le flux et le reflux des jouissances, elle laisse son esprit divaguer. Bercée par le va-et-vient du plaisir, elle rêve que c’est une femme qui la masturbe si bien et la suce avec art. Elle a les yeux rouges et un mufle de chien qui fouille les moindres recoins de sa féminité. Ensuite surgissent des images d’étreintes bestiales. Des lions, des taureaux, des étalons, même des boucs aux couilles gonflées et odorantes peuplent ses pensées. Les bêtes immondes grouillent autour d’elle et la forcent de toutes parts. Mille pénis de toute taille et de toute forme s’enfoncent dans son corps et l’emplissent de semence. Débordante de foutre, elle jouit de répugnante façon. Les animaux laissent place à des faunes aux gigantesques phallus. Pourtant, tous ces monstres la possèdent sans dommage et lui donnent des jouissances impossibles. Ces images de copulations abominables lui font horreur et pourtant, fascinée, elle s’y attarde, laissant cette excitation obscène stimuler son plaisir. Jamais elle n’avait imaginé que de pareilles abjections se puissent concevoir. Elle les croyait réservées à l’imagination perverse et délirante des auteurs de pénitentiels. Quel esprit malade peut nourrir d’aussi nauséabondes extravagances et quelle putain peut ainsi s’y complaire ? La honte la submerge et enflamme sa libido.


Limée et sucée par-devant et par-derrière, elle jouit à répétition. Un orgasme chasse l’autre. Un faune colossal la baise par-devant, un faune colossal la baise par-derrière. Et voilà qu’elle désire que Gilberte l’enconne et l’encule. Se frotter la couenne de suite, mais par quelle porte commencer le festin ?



Cette sortie ordurière la surprend. Comment peut-elle se laisser aller à pareilles obscénités ? On l’a sûrement ensorcelée. Méode adorait qu’elle délire en lui faisant l’amour, mais jamais elle n’aurait osé proférer devant lui de telles abominations. Il en aurait certainement été choqué alors que Gilberte semble ravi.


Il serait chose facile pour le Prince des Ténèbres d’exaucer ce fantasme, mais il ne peut y satisfaire sans dévoiler sa véritable nature. Il est trop tôt. Plus tard, quand elle aura quitté ce monde…


Dans un désordre de chevelure éparse, elle est affalée sur le lit, béante et déployée. Satan, debout dans la ruelle, contemple sa nudité.


La poitrine, pourtant opulente, est si ferme qu’elle ne s’affaisse que d’imperceptible manière. Le ventre est légèrement bombé, le creux de l’aine, bien dessiné, et les hanches, somptueuses. Les cuisses, rondes et longues, semblent rouler sur les coussins. Le pénil est dodu, la toison pubienne, sombre et drue. Elle encadre une vulve en intaille et d’un rose lilas soutenu. L’envie de la posséder lui taraude les reins.


Malgré son abandon, Roteberge ne perd rien de l’athlétique plastique de son nouvel amant. Dieu ! jamais homme ne fut si beau et si puissamment découplé ! Pourtant, cette superbe académie n’est rien, comparée au monstrueux reptile qui s’élève sur son ventre. La tête du serpent se dresse jusqu’au nombril, même les satyres et les étalons de ses songes ne peuvent rivaliser avec cette colossale virilité. Elle brûle qu’il la pénètre mais redoute qu’il ne la blesse. Ce n’est pas une bite, c’est une arme dangereuse et cruelle.

Satan s’en veut un peu. Son esprit acéré lit comme à livre ouvert les réticences de l’aimée. Il aurait dû faire preuve de davantage de clairvoyance et éviter tant de forfanterie en se contentant d’une queue moins extravagante. Toutefois, si elle pouvait imaginer ce qu’est une véritable priapée de satyre, sa peur se ferait épouvante.


Qu’importe ! Maintenant, la belle, fascinée malgré elle par le fabuleux boute-joie, se redresse sur sa couche et le flatte doucement. Comme pour apprivoiser le monstre, elle lui cajole le museau et le col. Loin de se calmer, l’animal fabuleux se cabre et se démène. Impatient, il attend autre chose qu’une timide flatterie. Répondant à l’invite, elle l’empoigne fermement. L’autre main triture les bourses boursouflées. Elle sent sous la peau le foutre qui bouillonne dans les couilles. Cette verge inflexible est coulée dans l’acier. Elle a beau la tordre en tout sens, elle ne fléchit ni ne plie. Plus elle s’acharne dessus, plus elle durcit. Sa main ne peut l’empaumer complètement, il s’en faut d’un bon tiers. C’est à la fois terrifiant et merveilleux de la sentir se cabrer sous les caresses. N’y tenant plus, elle se déchaîne et le branle avec énergie. Comme une démente, elle regarde sa main véloce qui monte et redescend sur l’interminable hampe. Elle l’étrangle si bien qu’il lui faut desserrer son étreinte pour passer sur le gland, gros comme une pomme verte. Celle-là même qu’Ève croqua avec délices dans des époques lointaines. N’osant l’emboucher, elle crache dans sa paume pour qu’elle glisse plus facilement sur la verge circoncise.


Sa brutalité ne semble nullement ébranler le monstre ni gâter son plaisir. Il pulse dans sa main, annonçant l’irruption. Elle accélère son branle avant de recevoir sur le visage cinq jets copieux d’un jus épais et odorant. Elle en a sur le front, sur les joues, les paupières et le nez. Un peu de liqueur coule sur son menton et sa poitrine. Satan la trouve charmante ainsi fardée de sa rosée. De la langue, elle cueille les dernières gouttes qui perlent sur le méat. Leur goût puissant explose sur ses papilles. Elle les savoure avec délectation. Comme un venin perfide, la semence démoniaque se diffuse dans ses veines comme autant de germes, messagers de l’amour et de la connaissance.

Déjà, aux marges de sa conscience, elle pressent sa véritable identité. Même si elle ne peut encore l’admettre, leurs épousailles s’annoncent et la révélation se prépare.


Sans rien perdre de sa vigueur, en expulsant la liqueur maligne la verge a retrouvé des proportions moins surhumaines. Si l’éperon de Gilberte n’est pas dompté, le conin de Roteberge s’est laissé apprivoiser. Il est prêt à accueillir l’étreinte du démon.



Il est temps de conclure. Tous deux tremblent de désir. Gilberte allonge son amante de côté, l’échine souple et ployée pour que saille l’arrière-train. D’une main, il relève la cuisse gauche. Placé derrière elle, il s’enfonce de moitié dans la vulve ruisselante. Les craintes de Roteberge étaient vaines, en dépit de sa taille il la pénètre sans réelles difficultés. Ni résistance ni douleur marquée, le sexe féminin avale l’énorme épieu, comme la gueule du reptile déglutit sa proie. L’entrecuisse écartelé, la vulve écarquillée, le vagin dilaté, elle l’engloutit par saccades. Par constrictions successives, ses muscles accompagnent l’oblongue pénétration. Un cobra ingère un python. Si Roteberge a le souffle coupé, la muqueuse distendue est assez lubrifiée pour laisser passer l’obélisque. Sans que cette bite de légende soit plantée jusqu’à la garde, le gland toque à l’entrée de la matrice et remplit totalement la gaine. Cette goinfre ensorcelante est même ravie d’être bourrée jusqu’à la gueule. Elle s’empresse autour de son hôte, le cajole et le flatte dans un récital de frémissements et d’ondoyantes contractions.


L’ahurissante colonne va-et-vient doucement. À chaque coup de reins, elle gagne une fraction de pouce en arrachant à Roteberge des spasmes de félicité. Comme un serpent qui rampe, elle pousse son avantage. De la tête aux pieds, Roteberge jubile à mesure qu’il gagne du terrain. Et lui, tout content de voir comme elle s’épanouit sous le joug, précipite ses coups de boutoir. Il en intensifie, par degrés savamment maîtrisés, la cadence et la puissance. Le branle est incessant, la poussée, impossible à contenir, l’orgasme, irréfragable. Une sorte de bête fouisseuse creuse inexorablement une galerie dans ses entrailles. La tête du boa doit se promener quelque part entre ses deux poumons pour que l’air lui manque ainsi. La belle cavale galope sous l’aiguillon. La voici, trépignant, les flancs couverts de suées et l’écume argentant ses lèvres. Elle hennit, elle suffoque, mais elle jouit. Elle fuit et elle revient, elle courbe l’échine et puis bondit. Mais qu’elle rue ou se cabre, elle reste soumise à l’impitoyable étreinte. Avec passion ! Plus il va vite, plus il va loin, plus sa fureur augmente, plus son plaisir s’aiguise. La respiration heurtée, elle profère des insanies. Dans un murmure incohérent, portée par une voix faiblissante, elle glorifie l’énormité de la verge et célèbre son agonie. Quand les testicules viennent battre la vulve, elle comprend que l’énorme mandrin s’est enfourné jusqu’à la garde dans un délicat conduit. C’est la fin du voyage, dans un hurlement de joie et de terreur, elle abandonne son âme au Diable. L’orgasme fulmine, la matrice affolée s’ouvre et se ferme en palpitant pour lamper le sperme qui jaillit en cataractes joyeuses avant de parcourir ses veines. Le python accouche d’innombrables serpenteaux de feu. Grouillants et frétillants, ils taraudent ses nerfs et artères, et vont répandre une lumineuse jouissance dans chacun de ses muscles. Son corps n’est plus qu’un nid de serpents tordus de volupté.


Avec eux se diffusent des bribes de savoir, l’initiation commence. L’idée de Dieu s’éloigne de Roteberge, son cerveau se peuple de tableaux sabbatiques où des sorcières lubriques offrent leurs corps splendides à l’étreinte des démons. Avec un soupçon de jalousie, elle contemple leurs démoniaques plaisirs.


Elle envie leurs félicités insensées et voudrait les partager. La verge de l’amant reste vigoureusement ancrée dans son ventre. Son impitoyable dureté sonne contre l’utérus comme la promesse d’ineffables et torrides voluptés. Le crépuscule noie le patio, ni la nymphe ni les fleurs ne sont plus visibles. Dans la chambre, seules les torches éclairent leur corps à corps. Leur vacillante clarté nimbe leurs enlacements d’une sombre magie. Elle est prête à donner son âme pour que perdure l’enchantement. L’infatigable virilité de l’Ange de lumière est là pour l’exaucer. Il fait rouler leurs corps mêlés et se retrouve sur elle dans la plus classique des figures amoureuses. Bouche à bouche, abdomens soudés, les seins écrasés contre une poitrine velue et les jambes tressées, ils recommencent leur copulation. Un arc-en-ciel traverse le corps de Roteberge qui n’est plus que clartés et couleurs. Entre ses cuisses, elle sent le redoutable mandrin qui bastonne ses chairs intimes. Les reins souples et puissants, il lance de formidables coups de boutoir. Ses muqueuses étrillées s’enflamment comme une étoupe et ses liqueurs féminines se consument comme l’huile d’une lampe. De nouveau, ses entrailles tressaillantes ne sont que jouissance. L’ardente torche va-et-vient dans son tabernacle profané, y jetant les brandons de l’orgasme. Elle crie, elle se cabre, elle se tord et se laisse dix fois plonger dans le vertige. Un rideau de feu tombe sur ses yeux, son corps est un bûcher où brûle son âme éternelle. Diable ! Que les flammes de l’enfer sont sournoises et délicieuses, le Paradis n’a pas autant de charme.


Plantée dans son ventre, la trique devient tronc d’arbre et l’arbre prend racine. Les racines croissent, drageonnent en tous sens et envahissent son corps de leurs vrilles. Leurs filaments transpercent ses organes et entrelacent ses muscles tétanisés d’un lacis de volutes et de voluptés cuisantes. Les cuisses relevées, les genoux repliés au-dessus des épaules viriles, le bassin chaviré et la croupe projetée à la rencontre du glaive, elle se laisse éventrer. Il la pilonne avec une ferveur croissante dans un clapotis de cyprine. Il l’enconne, elle s’emplit et ses viscères refluent, il déconne, elle se vide et ses tripes diffluent. Hallucinant va-et-vient d’une mer qui monte et qui descend, comme l’onde qui bout dans une urne trop pleine, l’orgasme la submerge. Le plaisir en hurlant jaillit comme un geyser. Ses cuisses se contractent, son corps se cambre, ses yeux chavirent et sa cervelle explose. Lucifer scrute la montée du plaisir. La tête oscille sur l’oreiller, le regard vitreux et l’écume sur sa bouche annoncent l’agonie. Apothéose des petites morts retrouvées… Comment a-t-elle pu vivre trois ans, privée de ce bonheur fabuleux ? Il laisse son plaisir déferler dans son ventre. Des éclaboussements de sperme arrachent à Roteberge une ultime jouissance.

Elle perd conscience…




???

??




Avec l’aube, Satan chevauche à vive allure. Il laisse derrière lui une villa urbaine en ruine. Le feu a tout consumé. Un feu comme on n’en avait jamais vu de mémoire d’homme. En quelques minutes, la résidence de Dame Roteberge, une des plus éminentes patriciennes de la Cité, avait été entièrement calcinée, ainsi que tous ses habitants. Nulle trace ne restait du passage du Démon et l’honneur de la belle demeurerait intact dans toutes les mémoires.


Il lui faut rejoindre au plus vite le lieu convenu. Leur combat ne peut être différé. Une lutte longue va s’engager contre un dieu névrosé et sanguinaire. Il le sait, c’est une lutte qui durera des siècles et des siècles et fera des morts par millions. Effroyable mais inévitable ! Il n’y aurait jamais assez de bûchers et de boucheries pour apaiser l’inextinguible soif de sang de ce démiurge insensé. N’avait-il pas maudit Quaïn, le fils du serpent, car cet homme doux ne faisait sacrifice que du fruit de ses cultures.


Au bout d’un certain temps, Quaïn apporta des fruits du sol comme offrande à l’Éternel. Abel, lui aussi, apporta des premiers-nés de son petit bétail avec leur graisse. L’Éternel porta un regard favorable sur Abel et sur son offrande ; mais il ne porta pas un regard favorable sur Quaïn ni sur son offrande.*


Ainsi parle la Bible.


Du sang, rien que du sang, je ne veux que du sang, avait hurlé YHWH. Sans effusion de sang, il n’y a pas de rémission.**


Son monde n’avait que quelques décennies et déjà la folie gagnait Yahweh.



Tous les dieux de l’univers avaient blêmi en entendant l’horrible malédiction, sauf quelques dieux tout aussi sanguinaires, exilés dans une terre lointaine où, il fallait l’espérer, nul ne s’aventurerait jamais.


Tandis que, galopant sur une route lointaine, son époux enrage contre Yahweh, Roteberge s’éveille à ses côtés, heureuse et insouciante. Surprise également. Roteberge revient à elle et son âme s’émerveille. Elle ignorait qu’une femme puisse avoir autant de plaisir. Elle sait que son amant est le Diable et que la damnation l’emporte. Qu’importe, elle tourne vers lui un visage radieux et le remercie. Si l’Enfer est pavé de si fabuleux plaisirs… Lucifer lui tend une coupe d’argent pleine de son sang largement coupé de vin. Un peu aujourd’hui, davantage demain. C’est un philtre auquel il faut s’habituer. Quelques semaines seront nécessaires pour achever sa transmutation. La mortelle sera immortelle, la femme un démon. Comme un charme subtil, la semence démoniaque circule dans ses veines, transmutant chacun de ses atomes. Une mystérieuse métamorphose s’opère. Si elle n’est pas encore tout à fait une diablesse, Roteberge n’est déjà plus humaine. Elle en est heureuse, surprise et bouleversée. Son bonheur est celui d’une chair repue, mais il tient, plus fortement, à l’intensité et à l’acuité nouvelle de ses sensations, émotions, sentiments et de sa conscience. Son cœur et ses croyances, ses opinions, ses convictions ne sont plus les mêmes. Surtout, loin de se sentir corrompue, elle a la certitude que ces capacités naissantes la rendent meilleure. Elle est cependant sidérée et choquée de cette terrible puissance qu’elle sent monter en elle. Son âme a du mal à se retrouver dans cette nouvelle peau, comme la chenille doit avoir de la peine à comprendre qu’elle est devenue papillon. Surtout, elle ne peut s’empêcher d’être inquiète de ce qui va survenir quand cette transfiguration sera achevée. Ne risque-t-elle pas de devenir un monstre ou d’être la victime d’un effroyable piège ?



Maintenant qu’une nuit profonde les entoure, une clarté diffuse émane de l’amant. Cette étrange lumière ne l’inquiète même plus. Il la regarde, les yeux pleins de tendresse. Sa physionomie a changé. Sa beauté est si grande qu’elle est à peine supportable. C’est la beauté du Diable. Et pourtant, il contient sa splendeur. Roteberge n’est toujours pas prête à voir son véritable visage. Il faut attendre qu’elle ait achevé de se dépouiller totalement de sa défroque terrestre. De par le vaste univers, nulle beauté ne peut rivaliser avec celle de Lucifer et nul mortel ne peut la contempler sans se consumer.


Elle pleure de gratitude, elle sanglote d’effroi.



Elle est maintenant dans une pièce qui n’est plus celle de sa maison. Une pièce inconnue, immense et ciselée dans un rutilant cristal. La lumière se lève et ses murs transparents laissent voir les fabuleux jardins d’Éden qu’il lui a donnés. La chambre est pleine de belles succubes qui seront ses servantes. Sous ses yeux miroitent des siècles de bonheur et une éternelle félicité. Elle n’aura d’autre tourment que de vivre dans l’espoir du plaisir, consumée chaque jour par l’envie et l’attente. Elle n’aura d’autre supplice que de retrouver à chaque instant les étreintes de son maître, et sombrer, un peu plus chaque heure, dans la débauche et la luxure.



Une porte s’ouvre qui donne sur le jardin qui entoure le Palais.

Ils sortent.

Un zéphyr tiède et parfumé caresse leurs corps nus. Roteberge peut voir loin sur l’horizon. Sa vision est déjà celle d’un aigle et ils sont sur le sommet d’une montagne, au milieu d’une plaine délicieuse et couverte de verdure. La montagne descend en pente douce vers la plaine. Ses flancs sont couverts de vergers et de vignes, sauf sur un côté qui tombe comme un rempart inaccessible dans l’écume d’un fleuve.

Sur sa rive, une petite gentilhommière cachée dans un écrin de buissons fleuris. C’est ici que venait dormir la Reine de Saba quand elle se baignait là. Les eaux du Paradis lui conservaient sa beauté et sa jeunesse. Bien que puissante magicienne, elle n’avait cependant jamais pu escalader la montagne pour se nourrir et se désaltérer aux arbres sacrés.


Ici, tous les arbres, toutes les plantes les plus propres à charmer les yeux, à flatter l’odorat et le goût. Une déesse bien plus ancienne que tous les autres dieux en était la grande ordonnatrice. Une déesse partie depuis longtemps vers d’autres étreintes et d’autres amours. Vers d’autres univers et des mondes à créer. La maternité reste sa distraction préférée. Elle a légué l’Eden aux autres dieux et l’a peuplé de jardiniers pour l’entretenir. Yahweh a voulu l’usurper.



Quant à l’immense Palais, il est encore plus beau vu de l’extérieur. Des tours, des flèches, des donjons et des clochers, des murs de cristal où somnolent d’inutiles chemins de ronde pleins de mousse et de fleurs, de grandes fenêtres taillées dans le diamant, des vitraux ciselés dans les gemmes les plus rares. Partout l’or, l’ivoire et l’électrum ornent ses murailles d’où monte, comme d’une immense lyre, une musique céleste, celle que font les doigts du vent en les effleurant.


Au milieu de ce charmant paysage, un jardin, encore plus délicieux Ce jardin merveilleux est maintenant au centre du Palais édifié pour Roteberge, dans une vaste cour où s’élèvent deux arbres gigantesques, plus hauts qu’une montagne.

L’arbre de la vie, d’où s’écoulait l’ambroisie d’un or liquide.

L’arbre de la science du bien et du mal que Yahweh prétendait contrôler pour garder les hommes dans l’ignorance. Les esclaves n’ont pas besoin de connaissance, ni de sagesse. Ils sont là pour servir et prier.


C’est au pied de ces arbres qu’une vierge endormie fut pleine des œuvres de dieu et eut un enfant qu’elle nomma Osiris. C’est d’ailleurs là qu’il préfère reposer quand il ne pèse pas les âmes.



Un couple de licornes, une blanche, une noire, les attendent sur l’esplanade pour les mener où ils voudront à la découverte du parc de toutes les voluptés.

Immobile au bras de l’époux, elle contemple l’immense panorama de ce domaine qu’il lui offre, avec ses forêts, ses champs, ses lacs et ses innombrables jardins. Un fleuve calme et limpide traverse tout le domaine et se divise en quatre, en le quittant. Chacun de ces bras cerne un orient.

Le premier s’appelle le Pishôn : il contourne tout le pays de Havila, où il y a de l’or. L’or de ce pays est le plus pur et là se trouve le bdellium*** et la pierre d’onyx.

Le deuxième fleuve s’appelle le Gihôn : il contourne tout le pays de Kush.

Le troisième fleuve s’appelle le Tigre : il coule à l’orient d’Assur.

Le quatrième fleuve est l’Euphrate.

Sur leurs rives, des peuples innombrables ont pris vie et dressé de puissantes cités et de splendides empires. Et tous ont péri sous les coups de Yahweh, toujours apeuré à l’idée que les hommes deviennent forts et le défient. Ainsi ruina-t-il la puissance de Babel quand il crut qu’elle le menacerait.


Roteberge monte en amazone la douce femelle, aussi sombre qu’une Éthiopienne. Satan chevauche le mâle blanc et rétif. Le chemin qu’ils prennent coule ses lacets sur le flanc sud. Ses pavés sont de marbres colorés qui dessinent des motifs subtils. Sur un côté cascade une eau claire, sur l’autre s’enracinent toutes les fleurs en somptueux parterres.

Au pas de leur monture, ils descendent la côte. Comme Lucifer lui explique les mesures radicales qu’il a prises pour organiser son départ, Roteberge s’inquiète de ses gens.



Et quand ils sont en bas, ils trouvent une fontaine miraculeuse qui irrigue toute la plaine et fait vivre les plantes et les bêtes. C’est une fontaine taillée dans un énorme saphir, dont les ruisseaux argentins et tortueux roulent sur des pierres orientales ou sur des sables d’or et forment des labyrinthes infinis sous les ombrages qui les couvrent. Elle verse le nectar à profusion sur toutes les plantes et nourrit des bêtes et des fleurs dignes du paradis ! La nature bienfaisante les a répandues avec exubérance, sur les collines, dans les vallons, dans les plaines découvertes qu’échauffent doucement les rayons du soleil, et dans ces berceaux où des ombrages épais conservent, pendant l’ardeur du jour, une agréable fraîcheur. Là, sous les arbres et le soleil, paissent le tigre et la gazelle.


Et là s’étendent Lucifer et sa nouvelle épouse.

Roteberge est jalouse et pleurante. Il faut la consoler.



Surpris, il ne dit rien. La dame n’est pas simplement belle, elle est intelligente. Quelle poisse et que lui répondre ?



Il se tait.



Il se tait toujours et ce silence le condamne.



De fait, il ne saurait les compter. Il partage sa vie entre cent femmes, peut-être le double. Son silence est le pire des aveux.



Elle pleure et il promet. Sa victoire n’arrête pas ses larmes. Bien au contraire.



Mais entre ses doigts elle regarde son amant, espérant qu’il viendra la consoler.


Que les hommes sont naïfs et crédules ! Les voici enlacés dans une clairière toute moussue d’herbes et de soleil folâtre.

Roteberge triomphe, rassurée sur son charme et son ascendant.

Libérées, les licornes partent vite s’ébattre à quelques toises du couple. Elles semblent d’humeur aussi badine que leurs maîtres.

Avant de sombrer, Roteberge a le temps de les voir s’élever dans l’azur, enlacées l’une à l’autre.

La trouée est ouverte à flanc de berge. Le fleuve coule à côté d’eux dans un frais clapotis.

Si des milliers d’insectes tachent la lumière en voletant autour d’eux, aucun qui pique ou qui agace.


Un long baiser a tôt fait d’échauffer leur nudité. Roteberge oublie déjà ses rivales en sentant le priape méphitique se dresser contre son ventre. Après tout, est-ce important quand on a un infatigable amant toujours disponible ? Leurs corps et leurs étreintes ont gardé les saveurs des folies de la nuit. Odeurs lourdes, entêtantes et poisseuses qui gêneraient en d’autres moments le nez délicat de Roteberge.

Mais ici, déjà jetée au sol et couchée sur le dos, elle est proprement embrochée par le membre apoplectique autant que satanique, et ces remugles obscènes ne font qu’ajouter à son trouble. Lucifer n’a pas perdu une seconde en vains préparatifs. Il la baise dans l’urgence. Mais tendrement. Très tendrement, pour qu’elle se persuade qu’elle seule compte à ses yeux. De nouveau, la houle emporte la jeune femme dans le bercement interminable de ses sacs et de ses ressacs. Ô Satan ! Divin Satan qui, à chaque coup de reins, fait d’une femme l’égale d’une déesse. C’est épouvantable d’être aussi vulnérable. À la première caresse, à la première étreinte, la voici qui s’affole et divague. Un baiser, une flatterie, l’orage s’amoncelle et pèse dans son ventre. La voici désirante, offerte sans défense à l’âpre joug du mâle. Sans autre ressource que de jeter ses hanches dans un perpétuel roulis qui accompagne ses coups de reins qui hurlent et qui harcèlent. Sa bouche a juste effleuré les seins, sa verge a légèrement toqué à la porte d’entrée et de suite elle n’est plus que désir. Elle s’est laissée tomber en arrière dans la verdure avec un murmure plaintif et impatient. Sous un ciel aussi doux que l’amour, son entrecuisse pleure toutes les larmes de son corps. Dans le cri des éclairs redoublés, toutes ses chairs s’effondrent et fondent dans un torrentiel chaos. Le désir creuse ses gouffres où l’homme pousse un dur pilier. Sa croupe s’est surélevée pour activer le coït. Ouvrant largement ses cuisses à la pulpeuse musculature, sa main a guidé le vit vigoureux à l’entrée de son chas. Les yeux clos, elle savoure la fabuleuse sensation de ce corps étranger et pourtant familier qui va-et-vient au plus profond de son corps. Obsédante présence qui darde son dur faisceau de lumières et de feux. Obsédante présence qui semble cependant tellement évanescente. Fuyante, fugace, fugitive. Ondoyante quand on la voudrait tyrannique, inexorable quand on la voudrait capricieuse. Mais toujours frustrante. Elle voudrait être rassasiée, il ne fait qu’entretenir sa faim. Chaleurs et voluptés, jouissances et moiteurs. Mer chaude et tempétueuse à la marée qui monte et qui descend. Touffeurs et étouffements. Ses rivales sont mortes et enterrées, sa vulve défoncée s’ouvre et trépasse sous les assauts du madrier. Lucifer besogne comme un forcené au milieu de ses plaintes et de ses éclaboussements de plaisir. Elle crie, elle pleure, elle tangue et balance. Sa mouille détrempe leurs sexes et coule visqueuse sur sa croupe. Si l’envie lui venait, il percerait l’anus sans coup férir. Tonne le plaisir dans l’ombre brune du corps à corps. Vagues, lames, houles et rouleaux, la mer pousse ses écumes dans un tourbillon d’or de pourpre. Les sept béatitudes. Des deux mains, Satan agrippe ses belles fesses pour durcir le bassin dans la meilleure inclinaison.

Elle a noué ses jambes sur les reins de l’amant et, hurlant du plaisir qui crie, elle jette son ventre à l’assaut de l’homme. La tempête tord son corps et déchire sa peau en haillons réjouis. Une trop petite enveloppe pour une si grande jouissance…

En gestes convulsifs, sa main arrache des touffes d’herbe.


Roteberge est petite et immense la mer. Comme un fétu de paille, la vague gigantesque la jette aux nues en courroux.

Et, d’instant en instant, elle effleure des cieux d’orages et d’allégresses.


Roteberge exulte férocement. Elle se laisse pénétrer, les jambes repliées sur les épaules de Satan, elle se laisse fourrager par l’énorme queue. À chaque assaut, le priape gagne en taille et en force. Son cul chante de bonheur. Comme les anges, elle vole maintenant de ses propres ailes vers le pinacle. Cinq spasmes féroces la cisaillent. C’est bon ! C’est bon ! C’est le bonheur !


Cris et convulsions déchaînent l’amant. Il précipite sa course pour atteindre plus vite le terme du chemin. C’est une petite mais difficile route qui le sépare de l’orgasme. On ne la termine que hors d’haleine et cœur battant à tout rompre. Une demi-douzaine de coups de queue et il se raidit de la tête aux pieds, ses mains se crispant sur l’arrière-train de la pouliche des mers. La bite, aux portes de l’utérus, cogne le cul-de-sac. Il jouit dans un râle de bête, envoyant dans son ventre des giclées de sperme à n’en plus finir. Éclairs impétueux, tonnerres blessants, sa verge hurle la colère de toutes les mers démontées. Énorme gland, vultueux et furieux, énorme cylindre de chair qui mord à mort la chair délicieusement meurtrie et frissonnant sous l’averse de leurs jouissances conjuguées. Croulant déluge, il lui envoie un flot en démence. Vagin chaud et juteux, son cœur de femme explose en même temps. Un moment, rien n’apaise le vent, rien ne fait taire la lame. Il la remplit totalement, une seule poussée longue et puissante. Une poussée impétueuse. Elle hurle son plaisir et fait danser ses nerfs et ses muscles. Chaque tendon vibre comme la corde d’un luth. Roteberge sait maintenant que c’est un baume aux effets mirifiques qu’elle boit par cette bouche d’en bas. Elle jouit une dernière fois en sentant fuser la semence.


La marée est au jusant, elle est un arc-en-ciel.

Une même musique s’élève de leur corps.


Ils reprennent leur promenade. Roteberge est heureuse, pleine d’une joie animale. La chair repue, l’âme rassérénée. L’heureux et champêtre refuge charme les yeux par sa variété : la nature, encore dans son enfance, déploie toutes ses grâces et toute sa liberté. Toutes les bêtes s’y ébattent en paix, même celles disparues dans le flot des millions d’années. Même les chimères, les dragons, les phénix ou les sphinx. On y voit des champs et des pelouses aux verts admirablement nuancés, environnés de riches bocages et remplis d’arbres de la plus grande beauté. Des uns coulent les baumes précieux, la myrrhe, et les gommes odoriférantes ; aux autres sont suspendus des fruits brillants et dorés qui charment l’œil et le goût et nourrissent un peuple de singes…

Ici, les palmiers couvrent de jolis monticules, là des ruisseaux serpentent dans le sein d’un vallon couvert de fleurs et de roses sans épines. Certains rosiers sont même d’or et portent des fleurs d’or. Les roses d’Isis.


Avec le crépuscule du soir, ils regagnent leur château.



Les diablesses la lavent dans un lait embaumé de suaves arômes. Elles lui rasent le pubis puis la coiffent, l’oignent et la parfument avant de la couvrir de bijoux. Un collier à sept rangs de perles fines ruisselle sur sa gorge et caresse ses seins. Des armilles d’or et de pierres précieuses tintent à ses poignets, ses doigts sont couverts de bagues et ses chevilles sont cerclées de chaînettes en diamant qui proclament qu’elle est une courtisane consacrée au plaisir. On vermillonne ses tétins et l’on farde sa vulve. Quand elles la parent et enduisent sa peau d’onguents précieux et délicieux, leurs mains sont si caressantes qu’elles lui arrachent des petites plaintes de plaisir. Quand trois doigts enjôleurs viennent enduire son vagin et son anus d’un baume assouplissant, elle croit qu’elle va jouir. Hélas, les garces qui la toilettent prennent garde de ne point l’apaiser. Leurs caresses ne sont faites que pour exciter son désir. Satan se réserve ses plaisirs.


Ainsi parée mais toujours nue - ou presque, dans sa robe égyptienne totalement transparente - et toute concupiscente, on la conduit près d’une immense couche dont les colonnes d’or sont ornées d’émeraude et de rubis. Elles montent sous une voûte d’étoiles de diamants haute de cent coudées. Là, Lucifer l’attend, les yeux brillant de convoitise. Sur sa cuisse gauche repose l’énorme pénis. Dès qu’il la voit, son sexe bondit comme un animal familier qui gambaderait en retrouvant son maître. Le python balance sur son ventre, le museau agressif et la hampe plus démesurée que tantôt. Loin de redouter la morsure d’un si colossal reptile, elle se flatte de lui faire un effet si saillant. C’est là un magnifique hommage à sa vénusté. Aussi longtemps qu’elle le fera aussi magnifiquement bander, son amour lui sera conservé.


Loin de sa belle, un autre Méphisto aiguillonne sa monture. Ailleurs, par milliers et par milliers, à travers le temps et l’espace, d’autres avatars aiment, ourdissent, trament et complotent. Tous les avenirs qu’il peut voir sont noirs et sanglants quand domine ce Dieu. La tolérance est un péché, la science, un crime. Partout on brûle et on égorge. Savants, sorcières, païens, infidèles, hérétiques et relaps, par tombereaux entiers leurs corps engraissent les charniers et la sinistre fumée des autodafés ne cesse d’empuantir le ciel.

Aussi longtemps que Yahweh n’était qu’Elyon, le Très-Haut, le Père des Ans, Tsebaoth le Dieu des Armées, le Chevaucheur de Nuées, aussi longtemps qu’il n’était qu’un dieu parmi les autres, aussi longtemps que ses identités mêlées se contrariaient, aussi longtemps qu’une épouse retenait ses plus mauvais penchants, ses travers restaient supportables. Faute de conséquences notables, son individualisme forcené, son égocentrisme natif et sa congénitale mauvaise humeur n’avaient que peu d’importance, noyés dans la confuse diversité d’humeur de mille et mille dieux concurrents.

Le courroux et l’absolutisme de Jéhowah, l’Ancien des jours et le Dieu de l’Orage, restaient sans danger tant que ce chef tribal, aussi triste et jaloux que vindicatif, ne régnait que sur un petit peuple perdu. Après tout, les Juifs avaient le droit de se complaire dans la vénération du dieu irascible et vengeur qu’ils s’étaient inventé. Ce dieu, né tardivement, quand Judas voulut inventer une histoire et un peuple, était vite devenu le plus odieux de tous. Dans la profession, on l’appelait « Ôte-toi de là que je m’y mette ». Aussi, aujourd’hui qu’il voulait s’exporter et régenter le monde…


Brrr ! Quelle abomination !


Foin de ces sinistres pensées…

Gilberte, puisque tel est le nom qu’elle lui veut, tend les bras à Roteberge. Elle se jette contre lui et frotte son corps sur le sien comme une femelle en rut. La pointe de ses seins frémit à son contact, son ventre s’épanouit et l’humeur de Vénus coule entre ses cuisses. Ses mains cherchent le priape, l’airain est en fusion. Elle le branle comme une folle. C’est envoûtant d’élocher pareille gaillarde. Elle y met tout son cœur et toute son énergie, certaine de ne pouvoir l’assécher. Elle peut traire cette bite sans scrupule, elle restera vaillante comme devant. Sa main court à toute allure du haut vers le bas de l’épieu ; quand elle cogne le ventre, elle remonte aussi vite. L’épaule lui fait mal, le bras s’épuise de ce périple. Elle change de main. Celle-ci, pas davantage que l’autre, ne peut faire le tour de l’énorme cylindre. Elle accélère son branle, vingt fois encore elle escalade et dévale furieusement. Enfin, la bête s’émeut. Un peu de liqueur suinte du méat, prémices d’une formidable éjaculation. Elle n’en veut rien perdre, certaine que ce breuvage précipitera sa métamorphose. La gueule égueulée, elle engloutit le gland sans ralentir sa masturbation. Sa bouche ne pourrait en gober davantage. Elle accompagne ce paluchage de morsures légères et de quelques coups de langue. Enfin, sa récompense jaillit, furieuse et abondante. D’épais jets de sperme explosent, inondant son palais et ses joues d’une liqueur anisée et poivrée. La sève satanique a un bouquet puissant, âcre et épicé, dont la virulence n’a guère de point commun avec les saveurs douceâtres dont elle garde le souvenir. Avec avidité, elle boit cette potion magique, aphrodisiaque sans égal, qui lui donnera la force et le savoir, la jeunesse éternelle.


Le charme opère, un désir insensé la submerge. Bacchante folle de son sexe, elle réclame le mâle. Maintenant que ses chairs sont préparées, il l’achevale sur lui, cavalière démente, empalée sur un pommeau d’arçon d’un pied et quelques pouces. Loin de faiblir, le monstrueux priape semble encore s’allonger et s’enfler. La muqueuse assouplie accompagne cette croissance.

La splendide amazone domine sa monture. Qu’elle est belle, le ventre solidement crocheté par le pal ! Satan contemple la flamboyante cavalière. Son corps, tout en rondeurs, n’avoue aucune faiblesse. Mille muscles déliés cisèlent de plantureux appas, sculptés dans un vivant airain. Les cuisses nerveuses enserrent le bassin de Gilberte et les fesses, écrasées sur ses cuisses, ne perdent rien de leur fermeté. Les seins ne fléchissent qu’à peine.


La poitrine lourde et rebondie ballote doucement au rythme de ses hanches balancées. Quelle chance ! Il a mis la main sur la plus belle fille de l’homme. La plus chaude aussi. Il a connu des myriades de femmes, aucune ne l’égale. Il se souvient du temps où les égrégores avaient trouvé si belles les filles des hommes qu’ils les avaient désirées. Au grand courroux de Jéhowah, les veilleurs s’étaient unis aux mortelles et ils avaient peuplé la terre d’une riche descendance. Beaucoup avaient fait soumission. Ni lui, ni les Anges rebelles. Si Roteberge avait été du lot, tous auraient refusé de se mettre à genoux.


Par petites oscillations, Roteberge se remplit du boutoir. Elle le laisse cheminer doucement au milieu des muqueuses. Il va toujours plus avant. La tête dressée distend les viscères et refoule les organes. À mesure qu’elle progresse, la gaine se resserre et comprime l’épieu. Son ventre est tendu comme la peau d’un tambour où le vit satanique dessine une ombre portée. Quand elle est complètement embrochée, suffoquée, elle suspend son branle. Satan prend la relève. Contractant et décontractant sa verge, il tend et il distend le vagin délicat. Ce battement suffit à émouvoir ses sens. Très vite, elle retrouve la jouissance. Pas celle qui rassasie, celle qui exaspère.


Gonflée de lubricité, boursouflée de désir, toutes ses chairs turgescentes, elle se déchaîne. Coups de reins frénétiques, sauts de cuisse rageurs, elle balance les hanches de furieuse manière, faisant coulisser avec impétuosité son ventre sur l’écouvillon. Elle veut jouir.

La voix rauque, elle chante son plaisir.



… Mon chéri, je jouis de partout…

… Sans mentir, aucun homme ne saurait me faire jouir comme toi.

… OUIII ! Je brûle de partout…

… Dis, c’est ça, l’Enfer ?

… Quelle frotteuse, elle me fourbit les muqueuses à merveille.


Roteberge agonise, la cheminée ramonée d’un bout à l’autre. Son foutoir n’est plus qu’une fournaise, le boutoir luciférien, une flamme.


Gilberte malaxe ses seins à pleines mains. Elle geint de plaisir et prend appui sur elles pour accélérer ses basculements. Il craint qu’elle ne les emporte trop vite dans sa jouissance. Il veut encore un peu de temps pour savourer pleinement cette étreinte titanesque. Jamais cul aussi fol ne dansa sur sa verge. Il cesse ses caresses et lui ordonne de se pétrir les nichons. Elle s’y résigne à regret mais se caresse avec fièvre. Le spectacle est charmant, la trompette de l’amour s’enfle de quelques pouces. Roteberge a l’impression de ne plus être qu’une peau ajustée sur une pine.


Satan caresse ses fesses et, glissant dans la raie, lui enfile deux doigts dans la rosette. Elle s’abandonne à cette intromission. Dans l’heure, ils vont passer d’un paradis à l’autre.


Il devait l’aimer plus de dix mille ans, passant chaque jour à l’épouser avec ferveur. Puis, son cœur ayant changé, ses visites se firent plus rares, mais jamais il ne la priva de ses largesses. Au contraire, chaque fois qu’elle distinguerait un appétissant mortel, il prendrait soin de lui offrir l’occasion d’en tirer son plaisir. Mais ceci est une tout autre et bien longue histoire. Elle vécut pour toujours et fut la mère de légions de striges et de succubes.




???

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Cavalier rouge sur un cheval rouge, Lucifer chevauche aussi vite que la foudre. Le visage fermé, il court vers son destin. Le cheval galope, la fumée aux naseaux, l’étincelle aux sabots. Loin de sa belle, Méphisto aiguillonne sa monture. Près de sa belle, Satan reprend ses esprits. Le corps nu et lascif de Roteberge n’en finit pas de frémir contre le sien. Entre l’austère Paradis et les délices de l’Enfer, son cœur n’hésite plus.

Ils se sont aimés comme des fous et cheminent maintenant collés l’un à l’autre dans un immense char en or que tire une litanie de tigres rugissants. Dionysos l’a laissé là un matin où il était ivre de vin et de femmes, le Diable l’a conservé pour son usage en attendant qu’il dessoûle. L’affaire de quelques siècles.


Toujours aussi bavard, il explique à Roteberge que l’Éden est un reste du royaume d’Osiris.



Il lui parle et il l’aime à nouveau. Encore un corps à corps torride et épuisant. Comme Messaline, lassata, necdum satiata, Roteberge peut être fatiguée mais jamais rassasiée. Cette drôlesse s’est vite métamorphosée en gueuse. Elle n’est jamais apaisée et sait à merveille se faire désirer. Il faut à Lucifer toutes ses forces surnaturelles pour parvenir à la contenter.

Pauvres mortels ! En amour, les hommes n’ont guère les moyens de se mesurer à leurs femmes. Ce doit être la raison de cette peur idiote qui les conduit à brimer leur plaisir.


Ailleurs, autres temps, autres lieux, au même moment, par milliers et par milliers, d’autres avatars aiment toujours et encore, d’autres avatars ourdissent sans relâche, trament et complotent sans cesse.


Autre moment, autre lieu, le cavalier rouge galope vers son destin sans même remarquer une adolescente rêveuse qui aurait bien aimé qu’il lui vole son pucelage plutôt que de le perdre bêtement avec le rustre à qui on la destine.



Médusé, Satan regarde sa nouvelle jeune épouse. Elle apprend vite et bien…

Elle a raison. La glorification retrouvée des plaisirs d’une chair indomptée et sauvage replongerait l’humanité dans la sainte allégresse des cœurs et la rédemptrice exultation des corps. Au cœur de cette réhabilitation : les mystères antiques, une mythologie aux antipodes de la pudibonderie sinistre que voulaient instaurer les Églises d’Orient et d’Occident.


Belle saloperie que d’interdire l’amour ! Ventre-Dieu ! Voilà une énième mignonne qu’il croquerait bien. Une brune avec ce soupçon de vulgarité qui vous chamboule le bas-ventre. La coquine lui sourit en se passant la langue sur les lèvres… Il imagine sa vulve, chaude, humide et gourmande, qui s’ouvre doucement sous l’assaut de son vit. C’est inhumain d’être Satan quand on doit se hâter. Il presse sa monture et s’éloigne en maudissant l’univers entier. Heureusement que là-bas il peut donner sa langue au chat de Roteberge.


Triste nécessité, les dieux sont à l’image des hommes qui les font, et ils restent prisonniers des cultes qui les honorent. Seuls les démons avaient d’autres latitudes depuis les temps immémoriaux où ils avaient été contraints d’apprendre à vivre sans la dévotion des hommes. Nés avant tout autre démiurge, tout juste forgés dans l’épaisseur frustre des énergies vitales originelles, quand le Cosmos poussait et que les monstres hurlaient dans l’Aube des temps, les titans, les anges, les démons, les djinns, les égrégores et autres esprits élémentaires appartenaient au chaos. Ils puisaient dans cette primitive genèse une plus grande liberté que les dieux vis-à-vis des méandres complexes de l’âme humaine dont ces derniers étaient sortis, telle Minerve jaillissant de la tête de Jupiter. Mais ils en retiraient aussi une moindre puissance.

D’où, partout, leur soumission aux jeunes dieux.


Lui-même éprouvait d’ailleurs une difficulté croissante à ne pas devenir aussi méchant que les hommes se plaisaient à l’imaginer. Voilà longtemps, sans l’amour d’Éloa, il aurait certainement succombé à l’appel du mal.


Même Jésus n’avait pas réussi à fléchir son père. Qu’il fut Râ ou Yahweh, bien vite ce dernier l’avait abandonné à un cruel supplice quand il avait lancé son cri d’amour et de fraternité. Une nuit entière, en vain, dans la trompeuse douceur des oliviers, il l’avait supplié d’éloigner le terrible calice qu’il voyait s’approcher dans la lumière des torches.

Eli, Eli, lamma sabacthani ! Dieu, Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ! Son cri terrible était monté dans les cieux quand il avait compris que son inflexible père l’avait trahi. De ses larmes terrifiées était née la douce et sensible Éloa, le seul ange femelle qui ait voulu renoncer au salut de son âme pour devenir l’aimante amante de Satan.


Lucifer aimait beaucoup ce colosse joyeux, plein de force et de vitalité. Initié aux mystères de l’Égypte, il avait voulu restaurer les sagesses d’Abydos. Il avait voulu incarner avec tant de sincérité les désirs et les rêves humains qu’il en avait aimé la vie avec plus de force et de conviction que la plupart des mortels. Effrayés, les tristes prêtres du Sanhédrin ne le lui avaient jamais pardonné, refusant de voir le Messie dans un homme qui vivait si benoîtement avec la trop affectueuse Madeleine et quelques autres épouses.

D’ailleurs, dans les premiers temps, aucun Nazaréen n’avait condamné l’amour physique. Même Paul, fanatique transfuge sadducéen, le plus rigide et le plus dogmatique des apôtres, avait dû convenir que le culte d’Éros restait un préalable indispensable à de plus religieuses agapes.


Brisant avec cet enseignement venu du fond des âges, l’Église de Rome et sa sœur byzantine commençaient déjà de proscrire de son culte la moindre passion et la moindre fantaisie, la moindre humanité en somme.


Ni le dieu sans nom ni sa nouvelle Église ne pouvaient supporter que des hommes et des femmes s’aiment librement et totalement ; c’était autant de moments de liberté qu’ils leur volaient. En de tels instants, ils n’avaient plus besoin d’eux pour supporter la misère de leur condition. Ils s’évadaient intolérablement de la tutelle d’une Église qui, despote sans limites, n’avait de cesse que d’enfermer ses fidèles dans les rets enserrés de ses lois tyranniques.


Oh ! la plus perverse des ruses : leur avoir imposé les délices de l’amour pour aussitôt les leur interdire !

Comme sa course touchait à sa fin, il se prépare à faire halte dans l’épais bosquet où il a rendez-vous avec ses compères. L’endroit était sûr ; il y serait à l’abri des regards indiscrets pour endosser l’apparence de l’homme mûr et sage qu’il devait devenir. Pourvu que ses élèves aient toutes les qualités nécessaires.


Au milieu du bois, une clairière et une petite rivière faisaient un havre charmant. Dans les rayons de soleil qui striaient l’ombre des frondaisons, une demi-douzaine de nymphes et le même nombre d’ondines dansaient, légères et gracieuses. Il aimait bien ce monde incertain où l’immense forêt primitive ne comptait que quelques déchirures, où l’étendue grandissante de bois et de plaines retournés à la friche laissait de vastes espaces à ces charmants petits génies. Surtout que cette plaisante faune n’avait cessé de s’enrichir au cours des derniers siècles.

Les elfes, les fées, les sylphides et les nains, venus dans les bagages des peuplades germaniques, coexistaient maintenant avec les dryades et les chèvres-pieds qu’avaient introduits les légions romaines. Sans oublier loups-garous, feux follets ou autres gnomes et farfadets qui survivaient sur les débris de l’imaginaire celtique…


Belzébuth s’était déjà éclipsé dans les bras d’une nymphe affamée, mais l’ombre d’Asmodée, Ashma Daêva, l’antique et superbe tentateur des Persans, l’attendait pensivement. En raison de la mission que ce dernier venait d’accomplir, son apparence était encore celle d’une femme.

Une des plus belles qui soient !

Cette situation l’avait ravi, car la jouissance des femmes lui semblait, au fil des siècles, incommensurablement plus riche et plus intense que celle des mâles. L’homme qu’Asmodée avait dû séduire était de modeste condition mais fort avenant, aussi beau que viril. Les trois années passées dans sa couche n’avaient rien eu de déplaisant pour l’ardente succube.


C’était l’un des agréments propres aux anges. Même déchus, n’ayant pas de sexe certain, ils gardaient la faculté de s’incarner indifféremment dans l’un d’eux. Tour à tour incube ou succube, l’infinie palette des voluptés leur restait toute entière accessible. Un plaisir refusé à la plupart des dieux. Lucifer ne put s’interdire de se gausser de Mars ou de Thor se risquant à se métamorphoser en femme. Manquant à toute charité, il fit le pitre en les singeant ainsi affublés et cette plaisanterie fit naître un pauvre sourire sur les lèvres d’Asmodée…


Mais la pitoyable diablesse restait bien triste d’avoir dû quitter son tendre époux. Elle ne pouvait s’empêcher de songer à sa douleur devant le corps sans vie de cette femme qu’il avait tant aimée, morte en donnant le jour à leur dernière fille. Elle s’était éprise de cet homme et, au surplus, il détestait mourir.

Un moment de souffrance et de vulnérabilité qui le tordait de peur et d’angoisse. L’abandon d’une étoffe charnelle était toujours douloureux ; si coûteux en énergie qu’il lui faudrait encore des heures de torture pour retrouver la plénitude de ses forces vitales.


Bien vite, satyres, nymphes et ondines font la ronde autour du beau jeune homme et de sa séduisante compagne. Quelle chance de ne pas être humain ! Lorsque les mortels succombent à leur ensorcelante beauté, ils se condamnent le plus souvent à la mort. Si les nymphes sont sans malice, les ondines se montrent fréquemment cruelles…


Mais, sang de Dieu ! Qu’elles sont belles et désirables ! Sans oublier toutes les belles qu’il a entrevues lors de sa course fantastique et qui l’ont si bien échauffé. Lui qui n’a d’autre mission que de faire succomber l’humanité à la tentation, comment résisterait-il à pareilles offrandes ?


Il n’a ni les regrets ni l’amertume de son ami. Plongé dans son chagrin, Asmodée éconduit les trois faunes qui lui font des avances. En toute autre circonstance, le sensuel démon n’aurait nullement dédaigné la promesse d’une si chaude jubilation. On n’est pas sans raison une déité charmeuse de la sexualité et du désir…


Sitôt pensé, sitôt fait ! Voici Satan, devenu gigantesque ægipan. Corps d’homme mais velu, oreilles pointues, cornes farouches et pieds fourchus comme un bouc, les couilles à l’avenant, c’est là une physionomie qui l’amuse beaucoup. Voilà deux ou trois cents ans, il a d’ailleurs soufflé à quelques artistes en mal d’inspiration de le figurer ainsi.


Plus encore, quel ravissement que ce sexe mirifique ! Un phallus titanesque, long d’une belle coudée, épais comme un gourdin, se dresse conquérant devant lui. Une bite de rêve qui ne peut pas faiblir mais qu’aucune mortelle ne pourrait engloutir dans son ventre sans y trouver la mort en d’horribles souffrances.

Et puis, cet étourdissant appétit sexuel ; insatiable, il l’inonde et l’affole. Nul mortel ne pourra jamais entrevoir ce qu’est cette érotomanie portée à son comble. Non pas désirer, mais ne plus être que l’incarnation du désir. Une libido sauvage coule souveraine dans ses veines, aussi brûlante et hypnotique qu’une drogue. Le sperme gicle à gros bouillons dans ses couilles palpitantes, magma volcanique désespérant de jaillir.

Une désirance à l’état pur, sans entraves ni tabous. Sans cervelle non plus. Penser ne sert à rien quand on a pour unique fonction d’inonder la terre de son foutre.


Émoustillante à souhait, une ravissante nymphe se sauve devant lui ; riant à pleine gorge, elle frétille lascivement du cul. Elle est toute rose, toute ronde et toute potelée. Une longue et fine ondine, aussi blonde que diaphane, l’accompagne dans sa fuite. L’une s’appelle Calyge, l’autre Fruige.


En quatre ou cinq bonds de bête en rut, il les rattrape et les prend dans ses bras. Effarouchées mais ravies, elles poussent de petits cris. Les jetant à genoux, il conduit leurs bouches vers le colossal monstre qui pulse en puissantes saccades à l’aplomb de son ventre.


Deux bouches soyeuses mais gloutonnes viennent vivement s’y coller. Ce serpent python est assez volumineux pour que chacune y trouve place. Les lèvres de Calyge s’ouvrent et s’arrondissent pour entourer le gland épais comme une grosse pomme, celles de Fruige mordent et caressent la longueur du pénis. Lucifer appuie son dos contre un pommier sauvage pour mieux s’abandonner à cette savoureuse fellation.

Les dents de Calyge enserrent bien l’ourlet du gland et le mordillent délicieusement. Sa langue, longue et chaude, court vivement sur sa surface et lui fait une gaine humide et délicate. Elle aspire prestement la verge et titille le méat. Pendant ce temps, l’ondine, de ses petites dents pointues et coupantes, s’acharne sauvagement sur la hampe herculéenne. Elle la croque à pleines dents, elle la mâchonne goulûment. Heureusement que ce membre possède la solidité de l’airain, sinon il serait vite déchiqueté tant elle se montre safre. De ses mains, elle soupèse deux bourses gorgées de sucs, odorantes comme celles d’un bouc. Elle les tire, elle les tord, elle les écrase, les roule l’une contre l’autre pour qu’elles exhalent mieux leur fumet animal. Elle les enfourne dans sa gueule et les martyrise de ses crocs. Un grand creux se fait dans le ventre satanique ; ses entrailles ruissellent dans un gouffre sans fond. Lucifer ferme les yeux et savoure ce festin démoniaque.


Une douleur lancinante et suave transperce les testicules cannibalisés et le sexe lacéré. Quel bonheur de pouvoir assouvir, sans réserve ni risque, le fantasme ancestral de l’émasculation.


Sous la langue de Calyge, son gland est visité par un essaim d’abeilles furieuses qui bourdonnent férocement pour chercher une sortie. L’essaim se libère pour mettre enfin un terme à l’insupportable fourmillement. Il explose dans la bouche de la nymphe et s’y déverse en longues cataractes d’un sperme intarissable. Il en a tant à donner qu’il quitte ses lèvres pour inonder le visage et la poitrine des deux luronnes qui s’en trouvent bien vite enduites des pieds à la tête. Elles jouissent et se masturbent sous cette chaude averse.

Qu’importent les flots tumultueux qui jaillissent de ce phallus, il est inépuisable comme son désir est insatiable. Ses couilles de bélier lui permettraient, en une journée, de saillir sans défaillir un cent de femmes. Sa pléthorique semence coule en abondance sur le sol. En écume débordante, elle vient féconder la terre ; après tout, c’est là la plus sainte des missions qui incombe à un faune.


De ses paumes, il enferme la croupe de la nymphe et la soulève dans les airs pour qu’elle vienne s’empaler sur le pal démoniaque, dressé vers les cieux comme un prodigieux défi. Elle s’ouvre, elle s’écarte, elle se fend, ivre de bonheur. Les nymphes sont ainsi faites que, malgré son étroitesse, leur chatte indéfiniment extensible peut engloutir sans se rompre la monstrueuse masse de cette chair turgide. Il la pénètre jusqu’aux tréfonds des viscères. La puissance de son vit cyclopéen est si fabuleuse qu’il peut supporter le poids de la drôlesse embrochée qui gigote autour. Ses mains ne lui servent qu’à faire aller et venir son corps désarticulé tout le long du surnaturel gourdin.


Le sexe acropète escalade sa poitrine. Elle le sent qui cogne contre son cœur. Farcie comme une volaille, elle sent son corps se lézarder sous la prodigieuse pression. Quand l’apex du gigantesque phallus est à la cime de ce corps bouleversé, les lèvres du démon gobent les nichons frétillants. Quand le sexe monstrueux ressort de son ventre divulsé, le nombril de la nymphe éperdue s’offre au diabolique regard. Chutes et ascensions, au fur et mesure qu’elle monte et qu’elle descend, il savoure de la langue et des babines l’offrande de tout un corps.

Elle hurle comme une bête fauve à l’agonie, ravagée de douleur et de jouissance conjuguées. Satan mène le bal et se délecte des contorsions du vagin convulsif de la petite divinité. Secoué de spasmes hallucinants, il comprime frénétiquement sa bite. L’ondine, frustrée de ne pas profiter de cette formidable étreinte, lacère le dos de sa compagne et le torse du faune. Ses griffes acérées courent sur la peau délicate de la nymphe et sur le cuir velu du chèvre-pied ; elle y sème avec volupté de longues estafilades. Bientôt ses doigts plongent vers l’anus de Calyge, et sa longue main, logée au plus profond des reins, vient de ses doigts déliés branler le sexe infernal.


Les sœurs des deux petites divinités font joyeusement le cercle autour de leur bienheureuse compagne. Elles dansent et caracolent autour de ce faramineux accouplement, un peu jalouses de ne pas être de la fête. Chacune, avide, languit de partager pareille aubaine. Elles hurlent et elles trépignent quand le sexe s’enfonce. Elles poussent des hourras et font des sauts de biche quand il ressort presque entièrement du corps de Calyge. Dans leur ronde frénétique, elles s’embrassent et se caressent ; certaines se penchent en avant d’obscène façon, faisant saillir leur croupe, cuisses ouvertes, écartant largement de leurs mains les lèvres de leur vulve pour exhiber avec impudeur les rosées de leur chatte gourmande. Elles se tripotent et se sucent, suppliant pour que vienne leur tour. Parfois, quand la bite gigantesque est dénudée, elles la prennent dans leurs mains pour tenter de la dérober au ventre de Calyge.

Revenu sur les lieux de cette bacchanale, consciencieusement, Belzébuth les prend l’une après l’autre.


Calyge labourée n’est plus qu’un corps pantelant, les satyres ordinaires n’ont jamais su la régaler ainsi. Plus son corps se fend sous les monstrueux coups de bélier du titanesque phallus, plus celui-ci se gonfle pour combler cette immense vacuité. Maintenant, la violence des va-et-vient ne cesse de décupler. Enfin, le monstre se déverse dans son ventre. La puissance de ses soubresauts et l’impétuosité de ses éjaculations sont telles que son corps entier tressaute et ballote, désarticulé comme celui d’un pantin.


Il l’ôte de dessus son sexe, le vagin révulsé adhère encore à l’arme du crime ; elle s’écroule sur le sol comme une masse informe puis se relève aussitôt, toute guillerette et mutine, pour rejoindre promptement les batifolages de ses compagnes. Un seul regret trotte dans cette petite tête, jolie mais un peu sotte : pourra-t-elle jamais retrouver un galant de cette trempe ?




???

??




Sa chute n’est pas finie que l’ondine entraîne déjà ce diable fichtrement complaisant au fond de sa rivière. Un cortège de loutres joyeuses accompagne leur plongeon. Les petites gueuses raffolent des spectacles égrillards. Manger du poisson en regardant ondines et naïades faire férocement l’amour est un divertissement de choix. Quelle délicieuse habitude ont ces exquises créatures de noyer leurs amants d’un moment. Elles adorent les sentir se débattre dans une dernière exaltation. Sublime exultation ! Elles trouvent que les spasmes de la jouissance, conjugués aux convulsions de l’agonie, donnent une saveur sans pareille aux orgasmes qu’ils leur procurent. Une façon un peu perverse d’aimer qui a surtout le défaut de limiter très vite la population de mâles disponibles.

À vrai dire, les succulentes dryades ne valent pas mieux, leurs galants finissent par étouffer, enfermés dans leur arbre.


Mais lui n’en a cure. Il connaît tous les pièges et toutes les parades.

De toute façon, le corps fluide et délicat des ondines n’est pas fait pour l’étreinte priapique d’un satyre. Le voici devenu Triton. De sa longue queue serpentine qu’il enroule sur les seins et les hanches de la belle, il captive la fuyante nageuse. Comme une plante volubile, l’appendice caudal l’enferme dans le lacis de ses vrilles écaillées. Les lentes reptations de cette cravache mélusine abandonnent sur son ventre et sa poitrine des chapelets de frictions lancinantes mais lascives.

Elle frissonne voluptueusement sous cette étreinte baroque qui embrase sa peau. De la pointe de son pédoncule, il lui cingle le cul avec ardeur. Les deux petites fesses rondes rougissent mais se tendent pour rechercher la marque cruelle d’exquises estafilades.


Elle roule entre ses mains, cherchant à lui échapper mais revenant vite s’offrir à cette pénétrante torture. Sa vulve est en feu et, sourdement, un obsédant brasier monte dans son ventre que noue la cuisante tourmente du désir.

Il se rappelle une fresque raffinée où Triton se prépare à enconner une naïade. Il prend la pose. La donzelle impatiente l’enserre de ses cuisses entrouvertes et son pénis longiligne bande si fabuleusement que ses couilles massent sa vulve alors que la pointe du phallus pistonne entre ses seins. Le propriétaire avait fini par la faire retirer des murs de sa chambre. Ses maîtresses s’extasiaient devant un tel prodige, persuadées qu’il s’agissait en quelque sorte d’un avertissement augurant des joies qui les attendraient au déduit. Et, invariablement, le matin venu, elles lui disaient leur déconvenue.

L’une d’elles lui ayant jeté à la figure qu’il n’avait certainement pas servi de modèle au décor prétentieux de sa chambre, il s’était décidé à remplacer l’ouvrage par une scène élégiaque à l’érotisme plus modeste.

Un marchand syrien, du nom de Luc Sypher, l’avait acheté pour, disait-il, décorer l’une ses demeures. Ce dernier avait d’ailleurs offert ce palais à la ravissante railleuse qui resta, de longs siècles, absolument ravie d’avoir rencontré un spécimen si proche de l’original.


Sa bouche plonge entre les cuisses de la belle. Il y boit à une source autrement savoureuse que l’onde qui les enrobe. Sa langue se fait longue et préhensile comme celle d’un caméléon. C’est Fruige qui s’étouffe dans un gargouillement de volupté.


Elle s’impatiente.

Il faut que l’étreinte se conclue. Elle ouvre son sexe et supplie ce démon qui la subjugue de lui donner sa provende de plaisir. L’attente torturante trouve sa conclusion. Enfin, un sexe interminable la pénètre vivement. Non, démoniaque surprise, ce n’est pas un sexe qui l’investit, mais deux. Elle avait oublié que les tritons ont une queue anguiforme qui peut valoir son pesant de verge. En son temps, la petite Ève avait pareillement découvert les inépuisables sortilèges d’une queue de serpent…

Autre porte, autres joies, cette double pénétration, qui fouaille d’un coup ventre et reins, la laisse interdite. Décidément, Satan n’est pas un amant ordinaire. Il déploie des ruses et des talents qu’aucun demi-dieu ne saurait égaler, et l’art subtil de ses métamorphoses chimériques fait de Fruige, la sanguinaire, une amante éperdue et soumise. Pourvu qu’il revienne souvent la voir, elle ne veut plus d’autres hommages que ceux du Grand Fornicateur. Ce ne sont pas des vits humains qui l’honorent. Ils n’en ont ni la forme ni la consistance.

Un long pénis rétractile jaillit de son fourreau et se déroule longuement dans les plus secrets méandres de ses entrailles.

Aussi mirobolant que celui d’un étalon !


Une queue serpentine, rêche et écailleuse, lui lacère les reins de ses boucles incisives.


Leurs deux corps sans poids dérivent langoureusement entre deux eaux et peuvent s’abandonner sans limites aux plus impensables enlacements. Portés par les flots et les pirouettes de leurs corps, aucune figure, aucune acrobatie ne leur sont interdites. Onde fraîche qui glisse sur la peau comme des lèvres imberbes, onde bouillante qui s’agite dans leurs ventres, flots obscurs et peuplés d’orages tumultueux qui gargouillent et les mélangent. Tout est volupté et plaisir.

Cette longue et souple pénétration bouleverse l’ondine qui ondule à l’unisson des serpentines tumescences qui caressent savamment l’intimité de son ventre et de ses lombes. Les amants confondus vibrent à l’unisson des torrents et des cascades.


Elle se sent palpiter, à mesure que palpitent les deux tiges.


De toutes parts sourdent les feux amoureux, elle quémande davantage de chair pour que son supplice atteigne des paroxysmes inouïs. Une galaxie d’étoiles et de soleils fait la roue dans son ventre. Ils vont de remous en tourbillons. De gouffres en maelströms. Des courants impétueux les mènent plus loin que les phosphores chanteurs et que les fougues rougeoyantes des soleils exotiques.


Maintenant, elle sait pourquoi tant de femmes se font sorcières et courent la campagne par les sombres nuits de sabbats, dénudées et offertes. Un long et voluptueux orgasme la traverse de ses liquides tempêtes. À présent qu’il s’enfle et durcit davantage, il fustige brutalement son abdomen et ses reins d’une âpre brûlure qui la meurtrit rudement. Comme un cuivre martelé, elle prend forme à mesure qu’il cogne avidement. Elle défaille à nouveau, emportée par le tumulte d’un orgasme sauvage qui la cingle et la cambre de la tête aux pieds…

Lucifer se venge avec délectation des tortures que la belle lui a fait subir. Sexe et queue de triton s’enlacent dans le ventre de Fruige pour lui tordre les tripes dans une ardente tresse. Sa chair cède et se noue dans une tresse de feu quand, enfin, il libère le torrent de ses fluides démoniaques.

Agonie de voluptés trop puissantes pour une chair si frêle, maintenant qu’il l’abandonne, l’ondine coule au fond de l’onde. Longtemps, son corps défaille des contrecoups d’une copulation sans pareille. Comme une Ophélie, tel un grand lys mourant, elle dérive et soupire au milieu des nénuphars froissés. Les nymphéas et les lotus flottent autour d’elle et lui fredonnent une aubade câline. Des fleurs ont fait leur nid dans sa chevelure éparse, ses mains ondoient comme des nageoires, les castors à la queue caressante glissent sur sa poitrine et son ventre. Fruige file au milieu d’un cortège de poissons et de loutres fantasques. Elle dérive longuement entre deux eaux, flottant dans le courant, bercée de mille rêves où, sans trêve, il revient la combler.


En ayant terminé de ce savoureux entracte, Lucifer reprend figure humaine. Avec quelques difficultés. Le danger de ces métamorphoses qui chamboulent votre cervelle, c’est qu’il est difficile de s’en affranchir. Quel bonheur de ne plus penser à rien d’autre qu’au plaisir ! Quelle formidable tentation que celle qui voudrait vous enfermer à jamais dans la bestiale enveloppe d’une divinité orgiaque, aussi stupide que sa bite est énorme.




???

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Malgré son envie de poursuivre cette enivrante débauche, le voilà homme discret mais de bonne prestance, entre deux âges mais vigoureux, plein de sagesse et de longanimité.

Des années de travail l’attendent.


Quand viendrait le Crépuscule des dieux, l’heure de l’ultime affrontement où, jusqu’au dernier, divinités, démiurges, demi-dieux, génies et autres esprits de l’univers s’affronteraient dans un dernier assaut, le monde serait surpris de le voir combattre dans les armées du Bien. Mêlée au demeurant confuse et changeante, car la plupart des dieux, à l’image des hommes qui les font, étaient, selon les heures, tantôt cléments, tantôt néfastes. Lui, le Diable, lui, le Ténébrion, il serait, sans faiblir, du côté de la Vie, du côté du Savoir et de la Raison. Combattant des lumières, il se dresserait contre l’Obscurantisme et les létales ténèbres. Il serait le défendeur de l’Amour contre les jalousies morbides d’un dieu frustré. Et son poids serait grand dans ce gigantesque conflit, car ses légions étaient puissantes de soixante-douze princes et de sept millions quatre cent cinq mille neuf cent vingt-six démons de tout rang, tous aguerris aux plus difficiles batailles.


Les détails du plan arrêtés, il prend congé de son cher Asmodée que ce spectacle égrillard n’a pu tirer de sa mélancolie. Belzébuth, que rien ne presse, reste introuvable. Il se presse, encore que, pour quitter les belles qui veulent le retenir, il doive promettre de revenir les voir et de chacune les baiser tour à tour. Ce qu’il fit volontiers dans les années qui suivirent, car il regrettait sincèrement de ne pas les avoir toutes possédées. Et, scrupuleusement, il tint sa promesse, venant souventes fois, nuitamment, retrouver cette horde paillarde de démiurges femelles.


En route vers son destin, il ne peut s’empêcher de songer aux délices de la chair. L’interdit sexuel constitue de façon assurée un interdit que les hommes ne pourront jamais respecter, et qui les plongera nécessairement dans l’angoisse et la détresse d’une insoutenable culpabilité. Piège vicieux et méchant qui permettrait à l’Église de raffermir son emprise sur les corps et les âmes. Tous ne succomberaient pas, mais tous seraient atteints. Et ceux qui résisteraient au désir le feraient au prix de tels tourments que les péchés de l’esprit deviendraient vite plus délétères que ceux de la chair. Que de vices putrides et de turpitudes malsaines encombreraient les âmes de prêtres sans joie et sans espérance à force de privations. Oh ! l’admirable et féroce chausse-trape ! Faire un monde de pécheurs où la miséricorde de Dieu deviendrait indispensable… Dans cette mécanique infernale, une victime désignée : la femme, sanctuaire des plus voluptueux enchantements. Lucifer partageait assez le point de vue d’Asmodée sur l’indomptable extravagance de leur sensualité. Il comprenait que, logiquement, l’interdit du plaisir passerait par la soumission des femmes. C’est d’elles que venaient le désir et l’amour ; c’est contre elles que l’Église bâtirait sa puissance et sa gloire.


« Perfide et sournoise chair de femme », se mettait-elle à dire. « Fallacieux et mortel, le désir qu’en éprouve l’homme », se complaisait-elle à ressasser. La femme ne serait plus la sublime source de toute vie et de toute initiation. Adieu ! l’Isis compatissante qui ressuscite les hommes pour les guider vers la lumière. La femme deviendrait, dans la bouche cloacale de saints hommes égarés, le temple de la plus terrifiante mort, celle de l’âme. La femme est la mort, car son sexe est celui du diable, et la volupté qu’il dispense, le plus certain et le plus rapide chemin vers l’enfer, hurleraient ces terrifiants charognards, avec la fureur de leurs sens frustrés par les mortifications. Et pourtant, c’était faux. Seuls les dieux avaient fait don aux mortels du sexe et de ses flamboyants plaisirs. Lui n’avait fait qu’y initier la gentille et docile petite Ève. C’était du moins un scénario admis quoique fort éloigné de sa vérité.


Le cri terrible de saint Anselme de Cantorbéry résonnait déjà à ses oreilles épouvantées :



Pourtant, l’homme serait fin et subtil, répétant partout que, si rien de sublime ne se fait sans la Foi, elle reste bien misérable sans l’appui de l’intelligence. Néanmoins, avec lui, le clérical chemin de croix des femmes trouverait son apothéose au terme de siècles passés à blasphémer leur joie.


La bataille serait belle, la bataille serait grande. Pourvu que ses apprentis soient à la hauteur et deviennent vite des maîtres.







* Genèse. IV:3-5.

** Hébreux. IX:22

*** Le bdellium n’est autre que la gomme arabique qui longtemps valut plus que l’or.

Merci à Milton pour le jardin d’Eden et à la Chanson de Huon de Bordeaux et Aubéron, roi de féerie, pour le palais. Je m’en suis librement inspiré.