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28/02/07
Résumé:  Descendant direct de l'illustre baron Archibald-Honoré de Fpathfraddel, qui se rendit célèbre pour sa flamboyante victoire lors de la bataille de Verchevont, Mourillon de Fpathfraddel, hélas, ne tenait de son aïeul que le nom de famille.
Critères:  conte délire humour merveilleu -contes
Auteur : Freddy Warmbread      Envoi mini-message
Mourillon de Fpathfraddel

Le fabuleux destin de


Mourillon de Fpathfraddel






Descendant direct de l’illustre baron Archibald-Honoré de Fpathfraddel, qui se rendit célèbre pour sa flamboyante victoire lors de la bataille de Verchevont, Mourillon de Fpathfraddel, hélas, ne tenait de son aïeul que le nom de famille.


En effet, chez les Fpathfraddel, une malédiction perdurait depuis déjà au moins soixante-douze générations et demie, malédiction qui reposait sur un principe simple : tout garçon né un jour de grande marée portait en lui tous les germes de la malchance. Et par un triste hasard de la destinée, Mourillon avait vu le jour justement lors de la marée la plus importante du siècle. Car la dose de malchance dépendait non seulement de la taille de la marée, mais aussi de la date à laquelle une marée d’amplitude semblable avait eu lieu ! Plus cette date était éloignée et plus on était malchanceux. Alors lorsque la durée atteignait cent ans, imaginez donc un peu !


C’est dire si Mourillon était mal pourvu. Petit, fort rondelet, les yeux victimes de strabisme divergeant, le front plissé, un grand nez, un menton fuyant et des oreilles décollées, on ne pouvait pas dire qu’il représentât le type même du canon de beauté, de quelque époque fût-elle. Non content d’être laid, cet homme n’était pas non plus ce que l’on pouvait appeler une lumière. Âgé de huit ans, il savait tout juste compter jusqu’à quatre, encore cette opération était-elle pour lui un vrai labyrinthe.


Maintenant âgé de dix-neuf ans, trois mois et cinq jours, Mourillon est licencié de Polytechnique, sait parler douze langues couramment, connaît la littérature française, britannique, russe, allemande et espagnole de toute époque sur le bout des doigts, sait jouer du piano, de la grosse caisse, du violoncelle, du saxophone, de la guitare, de la clarinette, du hautbois, du cor d’harmonie, de l’orgue, de la guimbarde électronique et du woodblock en mi bémol, est champion de course à vélo, sacré meilleur tireur au pistolet de l’année, vainqueur du concours annuel de tonte de souris angoras vertes, jongleur de rimes, physicien poète, chimiste travesti, ambassadeur du pays des rêves, ministre de la fantaisie, président du délire, roi des fous, empereur des songes et avant tout, le Chef Suprême de l’Éternelle Sagesse. De Rien, il est devenu Tout.

Par quel miracle du Destin parvint-il à une telle métamorphose ? Nul ne saurait le dire. Même pas moi. Mais comme je veux bien être gentil avec vous, je vais tout de même vous le raconter. Après tout, c’est moi qui invente cette histoire, non ?




Tout commença un beau jour… par une nuit d’orage terrible. Des torrents vrombissant d’eau se déversaient, inondant les rues, noyant les sous-sols pendant qu’un tonnerre fracassant doublé d’éclairs aveuglants désemparait la population. Un vent de démon mugissait tel un loup de mauvais augure. Le château des Fpathfraddel, situé sur une colline, échappait en revanche aux inondations. Dans le salon majestueux de la demeure, aux bigarrées et vastes tentures, Loreline-Inès de Fpathfraddel, la nièce du bien-aimé baron Ferdinand-Gaston de Fpathfraddel et de sa femme Marianne-Agathe de Fpathfraddel, essayait tant bien que mal d’enseigner au jeune Mourillon les rudiments du piano. Car étant donné le quotient intellectuel de ce dernier, vous vous doutez que cette entreprise n’était pas chose simple, bien au contraire. Depuis au moins vingt-cinq leçons, la pauvre Loreline-Inès devait encore longuement épiloguer sur la manière dont il fallait jouer le la et le si. Expliquons-nous : quand elle lui disait de jouer la, Mourillon demandait automatiquement :



Mais rien à faire : Mourillon se refusait à admettre qu’un la puisse être ici, ni qu’un si puisse être là non plus d’ailleurs. Et cette soirée, las des si ainsi que des la, le jeune garçon était invivable. Non content de ne pas comprendre, il n’arrêtait pas de faire le pitre. Loreline-Inès bouillait intérieurement, mais se retenait d’éclater, car ce comportement ne serait pas digne d’une jeune fille de bonne famille.


La pluie battait avec force sur les grands vitrages de la salle de réception. De temps à autre, un éclair illuminait la pièce avec presque autant de force que le soleil en plein jour. Soudain, le majestueux fracas du lourd fer contre le bronze retentit depuis la monumentale porte d’entrée dans le château tout entier. La domestique de la maison, la modeste Églantine Vormerau, tira de toute sa force la poignée de la lourde porte. Ce n’était pas aisé pour quelqu’un comme Églantine, toute petite et menue comme une souris de cuisine. Mais elle n’eut pas longtemps à se donner cette peine car la porte s’ouvrit d’elle-même. Églantine eut un mouvement de recul sous l’effet de la surprise, surprise qui ne tarda pas à se transformer en véritable ahurissement, lorsqu’elle vit, là, sous la pluie battante, noyé dans son vêtement trop ample, presque effondré sur sa canne… un vieillard rabougris, minuscule et maigre comme un pancréas de musaraigne. Églantine allait lâcher un cri monstrueux lorsque le vieil homme approcha sa main du front de la domestique en disant :



Ce ne fut pas un cri qu’Églantine lâcha, mais une superbe voix d’opéra digne des plus grandes cantatrices. Le curieux personnage tressaillit, et, dans un grand affolement, sortit de dessous son chapeau melon un potentiomètre qu’il régla sur zéro. Immédiatement la voix se tut et Églantine s’endormit.



Malheureusement, les prouesses vocales d’Églantine avaient alerté Loreline-Inès qui se précipita dans le hall d’entrée, un fusil de chasse à la main. Quand elle vit la scène, furieuse, elle pointa l’arme sur le vieillard qui, dans la précipitation, prononça une succession de formules bizarres qui d’abord firent exploser un vase de porcelaine de Chine, décrochèrent une tringle à rideaux, puis mirent le feu à un tapis. Ce n’est qu’à la quatrième tentative que ce verbiage fut utile : le fusil gela entre les mains de Loreline-Inès qui le jeta sous l’effet de la surprise. Puis, reprenant la maîtrise de ses formules, il la figea sur place puis disparut dans un beau flou artistique qui le fit immédiatement réapparaître dans la grande salle de réception, juste devant Mourillon, qui ne parut pas surpris le moins du monde. L’homme sorcier lui sourit d’un de ces sourires que l’on dit énigmatiques et que l’on trouve particulièrement sur un célèbre tableau que je ne nommerai pas, puis lui murmura à mi-voix :



Sur ce, il prit la main de Mourillon et tous deux disparurent dans un flou nettement moins artistique que le premier, car la téléportation à deux personnes nécessitait une énergie telle que son aspect artistique s’en trouvait considérablement amoindri. En effet, il ne s’agit pas d’un film comme « Charmed » où les sorciers, démons, êtres de lumières et apparentés ont la faculté de se transporter à trois, quatre ou même douze tout en conservant les mêmes effets élégants lorsqu’ils apparaissent et disparaissent. La réalité était bien différente de cette vision édulcorée de la téléportation, ah ça oui, vous pouvez me croire.


Enfin bref, let us go back to our sheep. Un certain temps après (non, je ne sais pas exactement combien de temps après, et puis d’ailleurs je m’en fiche pas mal : c’est un conte et non pas un roman historique, que diable !), nos deux protagonistes arrivèrent sur une vaste étendue d’herbe bien humide. Il faisait nuit noire (enfin, bleu très foncé plutôt), et au loin on apercevait une procession de lumières jaunes, très faibles et cependant bien visibles sur le fond d’encre de l’obscurité et qui se reflétaient vaguement sur les volutes capricieuses d’un cours d’eau. Le jeune Mourillon dormait dans les bras d’Izarine Obronomozramnavistoq (je l’appellerai désormais simplement O, comme oxygène, pour ne pas trop décourager les éventuels lecteurs), et le vieil homme contempla durant de longs instants cette procession, et il faillit fondre en larmes sous l’effet des relents d’oignon qui sévissaient dans le voisinage. Quelques heures plus tard, alors qu’il ne restait presque plus personne sur la prairie, Izarine O prit l’apparence d’un « processionneur » (excusez le néologisme, mais je ne pouvais pas l’appeler un processeur, tout de même), et se dirigea à pas rapides, presque en volant, vers le lieu où se trouvaient auparavant les fidèles, Mourillon en son giron.


Méconnaissable sous son habit de pèlerin, Izarine se recueillit longuement devant le visage souriant et doucement serein de la Vierge Marie - car il avait beau être un sorcier, il était également un chrétien très fervent et très pieux - puis se rendit dans les bains de cette fameuse eau miraculeuse qui est le but du pèlerinage de milliers de personnes à travers le monde : en effet, ils étaient bien entendu arrivés à Lourdes. Sous l’endroit où Bernadette Soubirous avait eu l’apparition qui fit la renommée de la ville se rejoignaient trois sources d’une eau d’une exceptionnelle pureté, la Source de la Connaissance, la Source de la Force et la Source de la Bonté, et formaient un lac souterrain d’où émanait l’eau merveilleuse. Il n’y avait là de magie d’aucune sorte, il faut bien le comprendre, mais la toute-puissance du Saint-Esprit qui, à travers la foi des hommes, apportaient à ces eaux ses propriétés miraculeuses.

Il était cinq, peut-être six heures du matin. Les premières lueurs de l’aurore pointaient à l’horizon et teignaient le ciel de leurs teintes jaune pâle et rosâtre. L’air était frais, la rosée tombait lentement des feuilles, goutte à goutte, patiemment. Izarine O, murmura plusieurs fois doucement l’oreille de son jeune protégé :



Brusquement, le jeune garçon, qui en réalité était déjà plus ou moins réveillé (plus que moins d’ailleurs), éclata d’un rire tonitruant qui fit sursauter le sorcier. D’un geste de la main, il le calma et lui dit :



Sur ce, il le prit par la taille et le plongea tout entier dans le bain d’eau bénite. Se produisit l’incroyable : l’eau se mit à bouillir, fuma, puis une vive lumière blanche illumina la salle pendant une fraction de seconde et tout redevint normal. Et là, oh surprise : le petit garçon moche et stupide qu’était Mourillon avait disparu, à sa place se tenait un superbe jeune homme, un mètre quatre-vingt-dix, une large carrure, un visage aux traits droits, les yeux bleus et de longs cheveux blonds comme les coquelicots (il fallait bien un peu d’originalité dans cette description assez banale !). La première réaction de notre Mourillon transfiguré en Adam des temps modernes fut de se dissimuler les parties intimes quand il se rendit compte qu’il était nu. Izarine O, très respectueux de la pudeur (à tel point qu’il n’osait même pas se regarder dans une glace lorsqu’il lui arrivait de se déshabiller !), avait eu soin de retourner ses yeux dans leurs orbites pour ne rien voir. Il prononça un mot bizarre, fit un geste hexagonal de la main gauche : un pantalon en jean, une chemise bleu ciel, un caleçon et une paire de chaussettes tombèrent en plein sur la tête de Mourillon qui s’empressa de les mettre car, non content d’être nu, il avait froid !



Aussi curieux que cela puisse paraître, la mémoire revint immédiatement à Mourillon : en effet, il était non seulement devenu l’archétype du prince charmant des contes, mais aussi il avait la Connaissance et l’Intelligence. De Rien, il était devenu Tout. Un véritable miracle s’était produit.



Mourillon ne parut pas déconcerté le moins du monde : il connaissait sa destinée comme si on la lui avait dite depuis sa plus tendre enfance. Une seule question parut avoir une certaine importance à ses yeux.



Trop tard. Sans même un au revoir, Mourillon était déjà parti, vif comme l’éclair, vers la demeure de l’Ange Malchancificateur, sur son tapis volant. Au bout d’à peine dix-sept minutes trente-huit secondes ce trajet, il plongea en direction du vieux bungalow rouillé (car il faut préciser que l’Ange n’était pas très soigneux). Mais l’Ange avait repéré Mourillon depuis longtemps et se préparait à le détruire en utilisant son supermégatroniseur à induction magnétique allégé en matière grasse. Mais comme je viens de vous le dire quelques lignes plus haut, l’Ange n’était pas très soigneux et son appareil ne fonctionnait pas car quand il l’avait reçu de son pote Lucifer en échange d’un bon pot de vin, il l’avait monté dans le mauvais sens. Alors, l’Ange devint blême, car lui, contrairement à Dieu, avait lu les petits caractères. Il savait que, seul, il ne pourrait rien faire contre le terrible Mourillon. Ne sachant que faire, il implora d’abord Dieu qui ne répondit pas sous prétexte qu’il était en grande conférence, puis Méphistophélès qui ne répondit pas non plus car il détestait par-dessus tout qu’on l’appelle de ce nom depuis qu’un certain Goethe l’avait fait connaître au monde entier. En désespoir de cause, il essaya de se cacher. Mourillon arriva devant son antre en costume de plongée et dégaina son épée plus vite que son ombre, qui en resta baba.



Se rendant compte que l’Ange ne se montrait pas, Mourillon s’énerva :



Une ombre immense passa au-dessus de lui : c’était l’Ange. Lorsque Mourillon le vit pour la première fois, il se tordit de rire. En effet cet Ange était une créature mi-homme, mi-dragon, mi-serpent, mi-tigre et mi-poisson rouge (ce qui faisait tout de même beaucoup de moitiés pour une seule bête), et ces moitiés étaient arrangées de manière si disparate que l’effet comique était irrésistible. L’Ange, en entendant le jeune homme rire de la sorte, se vexa et en profita pour décocher, sournoisement à Mourillon une de ses boules d’énergie dont il avait le secret. Mourillon, pris d’un rire inextinguible, ne vit pas l’attaque arriver et fut projeté au loin. En un rien de temps, il se releva :



Sur ce il brandit son épée, fondit sur l’ange et le transperça de son épée. Comme il n’était pas encore mort, il le transperça de nouveau jusqu’à qu’il ne bougeât plus. C’était fini, la malédiction était détruite.


De retour à Verchevont, un festin gigantesque en son honneur l’attendait. Tout le monde, humain et non-humain confondus, étaient invités. On festoya sept jours et sept nuits durant. On invita même Johnny Hallyday pour un concert spécial. Mourillon finit par épouser une jeune fille qui était tombé sous son charme, et qu’il aimait aussi (car ce n’était pas la seule jeune fille qui soit tombée sous son charme, loin de là), partit en voyage de noces à Hawaï pour un repos bien mérité. On le nomma Roi de Verchevont, mais il refusa, car il préférait à ces lourdes responsabilités ses passe-temps favoris : la philosophie, la littérature, la musique, l’étude des squelettes carbonés des hydrocarbures et surtout faire l’amour avec sa femme dans les arbres. Puisqu’il n’y avait aucun prétendant au trône, Verchevont laissa tomber la monarchie et devint tout naturellement une République. Ce fut Izarine Obronomozramnavistoq (on garde le nom complet, car on est en situation officielle), qui fut élu, à 125 % des suffrages, Grand Chancelier en chef de Verchevont. En effet, maintenant qu’il n’y avait plus d’Ange Malchancificateur, il pouvait assumer pleinement de hautes fonctions sans se préoccuper des malchanceux, puisqu’il n’y en avait plus.


Enfin, pour conclure comme dans un conte, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. (Et en fait, la fille en question s’appelle Loreline-Inès, qui est loin de se douter que son époux est ce petit garçon qui la faisait rager avec les si et les la du piano. Mais chuuuuuuuuuuuuuut ! c’est un secret !)

Tout est bien qui finit bien.


Ah vraiment ?


Eh bien, moi je n’en serais pas si sûr. Voici les bribes d’une conversation entre Mourillon et Izarine que j’ai entendu :