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Temps de lecture estimé : 13 mn
20/03/07
Résumé:  Jamais les extrêmes ne s'attirent...
Critères:  jeunes amour volupté nonéro nostalgie
Auteur : Oreste Anonyme            Envoi mini-message
Ephémères

25 Janvier 2006. Nous sommes en plein cœur de l’hiver. La température ambiante mais plus encore la mine des gens nous le signale. Triste, fatiguée, grise, sans vie…On pourrait citer tous les adjectifs du genre. À croire que tout le malheur du monde est tombé sur leurs têtes. Vivement le printemps, vivement l’été ! Colin n’était pas le dernier à arborer cet aspect mélancolique. Il déambulait sur le campus universitaire de Grenoble, la tête basse, pas vraiment enchanté à l’idée de débuter une nouvelle journée de labeur en même temps qu’une nouvelle semaine. En outre, ses examens passés la semaine dernière s’étaient mal déroulés. Il ne se faisait plus aucune illusion quant à l’issue de son année. Colin se sentait seul au sein de ce grand espace qu’était l’université. C’est vrai qu’aujourd’hui il était vide, dieu sait pourquoi d’ailleurs, mais ce qui était surprenant et qu’il était en train d’apprendre à ses dépens, c’est que même dans les endroits les plus peuplés, on peut s’y sentir terriblement à l’étroit. Au programme de ce matin un cours de Littérature comparée, une heure de « trou » et enfin, pour clore la matinée, une de Grammaire Française.

La matinée se passa lentement. Comme un fait exprès, Colin avait été à la limite de s’évanouir de lassitude sur son pupitre. Il faisait exprès de se mettre au fond de l’amphithéâtre pour ne pas être dérangé. Volontairement, il se coupait du monde, donc, et se plaignait d’en être exclu. Où est la logique ?

Au début du dernier cours de la matinée, celui de grammaire, il avait eu la surprise de voir une jeune fille blonde s’asseoir juste à côté de lui. La rangée était grande, la salle était à moitié remplie, pourquoi avait-elle fait ça ? Il ne la connaissait pas. Il priait pour qu’elle n’engageât pas la conversation avec lui. Il entendait bien suivre son cours avec attention. Il était là pour ça.



Ça commençait bien. Colin la regarda avec étonnement. Comment pouvait-on, à ce point, être négligé ? Effectivement, elle ne pouvait pas travailler ainsi. Il lui tendit une feuille ainsi que le stylo avec lequel il était en train de noter le cours.



Elle rit et se présenta.



« Très bonne idée », se dit Colin mentalement. « Fiche-moi la paix. »

Elle se décala légèrement et, en fin de compte, n’écouta pas les explications que délivrait l’enseignant. Elle appuyait frénétiquement sur les touches de son portable. Colin l’observait du coin de l’œil et pensa : « Bien sûr, après elle voudra que je lui file mon cours. Elle pourra toujours rêver ». La fin de l’heure et de la matinée arriva. Il était midi pile. Il avait rangé toutes ses affaires quand une main lui tendit un stylo-bille.



Elle aurait pu y penser plus tôt. Il allait devoir tout ressortir, ce qu’il fit sans rien laisser paraître.



Puis le sac sur l’épaule, il sortit à grands pas de la salle. Il avait besoin de prendre un peu l’air, de retrouver le soleil après avoir été enfermé toute la matinée. Juste au moment de franchir le seuil du bâtiment, une voix le héla.



Il se retourna et vit Aurélie. Il haussa les sourcils d’un air interrogatif.



Il avait furieusement envie de lui dire non. Qu’est ce qu’elle avait à le coller comme ça ? En plus, il n’avait pas très faim.



La sandwicherie n’était pas très loin. Il en profita pour la détailler un peu. Tout d’abord, il la trouvait grande. Colin était petit, 1m70 mais elle, elle faisait facilement une tête de plus que lui. Grande, blonde, les yeux bleus. Typiquement le genre de fille à ne pas traîner avec un Colin dehors songea-t-il. Cette pensée le fit sourire jusqu’aux oreilles.



Colin rougit et détourna la tête pour dissimuler sa gêne. Une fois le sandwich acheté, ils s’en retournèrent près de l’entrée principale.



« Qui c’est, encore ? » se demanda-t-il. « C’est la journée. Qu’est-ce que j’ai aujourd’hui pour être aussi attirant ? » Il se retourna et vit Johanne. Une fille avec qui il avait suivi une option de sociologie politique l’année précédente. Ils se firent la bise.



Il éclata de rire.



Il rejoignit Aurélie, qui s’était assise sur le muret jouxtant l’entrée du bâtiment de l’université.



Il prit le tract, le roula en boule et le jeta avec adresse dans la poubelle.



Ils passèrent une heure à discuter avec animation sur cette murette comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Il se sentait bien avec cette fille. C’était assez rare pour être souligné. Il avait tort de se couper des autres comme il le faisait jusqu’alors. C’était vraiment stupide et ça ne servait à rien si ce n’est à être malheureux. Rien ne vaut le contact humain. La seule chose qui l’agaçait et il se demandait si ce n’était pas réciproque était qu’elle soit tout le temps interrompue par des appels intempestifs ou des textos n’ayant aucun intérêt d’ailleurs. Il lui en posa carrément la question.



Il regarda son portable.



Elle se leva d’un coup.



Ils rentrèrent ensemble et rejoignirent, après s’être fait la bise, chacun de leur côté, leur salle de cours.

19h sonna. La fin de la journée. Elle s’était terminée par un cours d’opéra terrible. Colin en avait les oreilles qui sifflaient. Il sentit son portable vibrer. Il n’en avait pas tellement l’habitude. Le numéro affiché sur l’écran ne lui disait rien. En le parcourant, il se rappela de la rencontre qu’il avait faite à l’heure du déjeuner.



Il répondit aussitôt tout en relevant les yeux de temps à autre pour ne pas percuter quelque chose ou quelqu’un.



Le soir, en se brossant les dents devant la glace, il repensa à cette fille. Hier, il ne la connaissait pas, il ignorait tout à fait son existence, aujourd’hui peut-être qu’une belle romance était en train de débuter. Il ne pouvait s’empêcher de se faire des films dans sa tête. Qu’est-ce qu’elle lui voulait au juste ? Pourquoi lui ? Est-ce que cette histoire allait marcher ? Pour combien de temps ? Il secoua la tête. Pourquoi ne savait-il pas prendre les choses avec un peu de distance, d’indifférence, de désintéressement ? Pourquoi ne savait-il pas prendre le bonheur comme il venait ? Autant de questions auxquelles il n’arrivait pas à trouver de réponses. Tout au long de la semaine, il se laissa séduire par ses mots… Elle lui envoyait des SMS enflammés où elle éprouvait le désir de le voir absolument, qu’elle pensait à lui continuellement, qu’elle l’imaginait en train de l’embrasser tendrement… Colin ne savait plus trop où il en était. C’était si soudain. Mais très agréable, bien entendu. Se sentir aimé est une sensation si douce… Elle justifie l’existence, à elle seule. Comme si le miel le plus onctueux coulait dans nos veines. C’était un rêve éveillé.

La fin de semaine arriva vite. Il était déjà vendredi après-midi. Le TD de latin touchait à sa fin.



Le hall de la gare était bondé. C’était dur de se frayer un chemin parmi tout ce monde. Une fois sur le quai, il lui fit observer :



Elle se pencha et lui offrit ses lèvres. C’était le premier baiser qu’ils échangèrent. Colin eut un petit mouvement de recul et finalement sous la douceur du geste, s’abandonna. Au bout de quelques secondes, bien qu’il était difficile de dire exactement combien tellement il avait l’impression que le temps s’était suspendu, leurs bouches se quittèrent. Elle lui sourit et s’en fut en lui faisant un petit signe de la main.

Colin se toucha les lèvres. C’est étrange, un baiser de femme. C’était frais mais une grande chaleur avait envahi tout son corps. Il essaya tant bien que mal de retrouver ses esprits. Voyant le convoi s’ébranler, il quitta à grands pas le quai, les yeux dans le vague, un léger sourire flottant sur son visage. Cette fois-ci, pour la première fois de son existence, il pouvait dire comme tout le monde : je suis Amoureux.


Le week-end passa lentement. Trop à son goût. Il découvrit, comme tant de couples, les affres de la séparation. Bien sûr, celle-ci n’était que temporaire, mais ces deux jours lui parurent durer une éternité. Finalement, ils ne se virent que mardi. Tout en déjeunant, ils évoquèrent la manifestation anti-CPE qui se déroulerait en début d’après-midi dans le centre-ville.



C’était la première fois que Colin participait à une manifestation. Il y avait du monde mais les slogans étaient toujours les mêmes depuis 30 ans. En voyant des enfants à qui on n’aurait pas donné plus de douze ans, il souffla à Aurélie :



Elle lui prit la main et le guida vers la tête du défilé. Ce geste l’émut autant que le baiser… La main dans la sienne, il se sentit pousser des ailes, nanti d’une confiance énorme. Celle-là même qui lui faisait tant défaut, jusqu’à présent.


Trois heures plus tard, ils étaient de retour sur le campus. Ils s’avachirent sur le premier banc qu’ils trouvèrent.



Colin tira de son sac, le « Ratures » daté du mois de février. Il venait juste de sortir. C’était un recueil de poèmes mensuel que publiaient des étudiants en Lettres.



Aurélie posa sa tête sur son épaule et lui caressa les cheveux.



Qui, dame, dénonce un furieux

Désir dopant d’impression cutanée ?

Da-Da – Oui – l’affirmation

D’ubiquité tactile s’aventure

Et brosse la bulle imminente,

Rebrousse un poil impie…

[En chambre avoir con d’homme caoutchouc

Rutilant d’aise en brique alu]

Mièvre apatride adolescente

Au ciboulot torché de bible…

Car trop Calliope… attraction…

Je calle et pige, « dieu quel cul ! ».

Branle-bas de con-bite !

Mais merde humez-moi l’âme !

Moi, mon humain ventre bipède

En reste, en rade, à cinq séquestre

Un saint…

S’en va souvent en guerre au point

Qu’Electre branche en prise son

Bonbon de rousse renardière. Ô faim ! Ô faim ! Ô les boules ! j’écris :

Titube a mal maigri

Trop osseux…

Il a glissé des mains pour en faire

Des sièges à chasteté pétante ;

L’heure fixée au doigt

Au doigt fixé à l’œil

Heurtant au bout un sexe

Pas tenté pour saoul qu’il soit,

Malgré l’heure avancée,

Décédé au lancer d’un avril au hasard…

Tarte à la truffe moite – à l’eau

Baignée d’effluves de muqueuses.


Nuque amoureuse arrachée au trophée du tronc,

Tronc à tordre et truc à guirlandes

Glandes assoiffées : des tiennes mon joyau

D’obsidienne fraîche – mac à l’arbre-amour,

Bataille, bas-touche, à tout prix,

Hors de la ceinture, fouet, laisse,

Porte – apporte son trou cuivré…

Or ci-gît nos partouzes – crise en thème -

Amour – crise en t’aime – Oh triste,

Triste amour mondialisé.

Ma morale entachée d’homo-sexué,

Aral aux mots en mer de sel,

J’écrase un grain au pilon mort -

Con cassé – con cassé – marié - marié -

Farouche – Y mène toutes

A votre avis ! Oh !

Marraine la bonn’ fée poudrée des fesses

Aux caresses bijambées



Comme un malheur n’arrive jamais seul…

Eurh ! bruit – Eurh ! passe – Eurh ! Et tout fait silence…



Et ils s’embrassèrent tendrement.


Il n’est pas forcément nécessaire de forcément tout retranscrire de leur relation. La nuit fut des plus merveilleuses. Elle lui offrit son premier moment d’amour et en même temps son premier moment de plaisir.

On pouvait penser que cette romance était faite pour durer. Mais non. Deux jours plus tard, en rentrant chez lui après sa journée de cours, Colin reçut le texto suivant sur son portable : « Pardon pour tout… mais je ne veux plus de relations amoureuses. Tu me rappelles trop mon ex. Si tu veux, on peut rester amis ».

Colin ne ressentit aucune émotion à la lecture de son message. Tout juste ferma-t-il les yeux quelques instants. Sa réponse fut brève : « Je ne t’en veux pas. Mais par pitié, à l’avenir, ne joue plus avec les sentiments des gens ».

Pour la petite histoire, quelques semaines plus tard, Aurélie apprit à Colin, tout à fait innocemment, avoir quelqu’un dans sa vie et être tout à fait heureuse avec lui. Gainsbourg avait raison. Les filles, c’est du chinois…