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Temps de lecture estimé : 9 mn
13/04/07
Résumé:  Y être est un exploit qu'on se doit de narrer ?
Critères:  cérébral exercice
Auteur : Paxal      
L'art dans la tête



J’en conviens. J’étais en forme, et cela depuis déjà un bon moment. Évidemment… la belle affaire ! Sinon, je serai resté, ridicule et meurtri, à cogner piteusement aux portes du sanctuaire… et… vous en auriez bien ri ! Mais, détrompez-vous, ce n’est pas de la fierté que vous constatez là ! Non ! C’est de l’arrogance et de l’émerveillement… La manière dont je me transfigure en ces occasions-là me fascine toujours et je dois avouer que j’en tire une félicité certaine. Car, voyez-vous, il ne me faut pas grand-chose, une caresse – et je fus flatté merveilleusement - une image, quelques mots… et me voilà métamorphosé pour l’éternité. Enfin… pour une éternité très relative, ça, malheureusement, vous le savez aussi bien que moi… Mais bon, ne précipitons pas les choses…


L’extraordinaire de cette situation - qui concourt grandement à ma superbe - réside dans le fait que tout, mais vraiment tout, est disponible pour y être : moi, bien entendu - ce qui est des plus trivial à constater, et vous le constatez ! - mais, pas uniquement. Où serais-je si le lieu n’avait pas, lui aussi, pourvu à ma présence ? S’il n’avait pas souhaité ardemment ma venue ? Et là réside, dans cette conjoncture parfaite, tout le mystère et la fascination d’y être.


Une chose est certaine, je le concède, je suis entré avec un peu de… précipitation, vous dites ? Mais l’attente ne le justifiait-elle pas ? Mettez-vous à ma place… heu… je veux dire… comprenez donc que ma patience à des limites et que, d’autre part, ce que vous qualifiez de précipitation ne signifie nullement, chez moi, empressement : je sais être courtois et élégant, même dans la hâte. J’y suis entré, déterminé, mû par une ardeur impétueuse certes, mais avec grâce et galanterie.



Eh bien, je m’imprègne du lieu, je me balance sagement, je me frotte tranquillement sur les reliefs veloutés, je m’élance gentiment vers les profondeurs de l’abîme.


Bien. Assez de nonchalance ! Esquissons maintenant un geste de retrait… Vous trouvez, sans doute, ce geste un peu théâtral ? Eh bien non ! C’est un geste que l’on peut qualifier de fourbe, d’hypocrite, mais pas de théâtral. C’est vrai… car il n’est pas question que je parte… non ! Dites-vous bien que j’ai mis plusieurs semaines pour me retrouver là ! J’ai souffert le martyr dans ma camisole, bien des jours… bien des nuits… Et même, pour l’anecdote, voilà… un certain temps déjà … j’ai bien cru que c’était acquis, comme aujourd’hui… Enfin y être. En forme depuis un bon moment – et sans aide extérieure d’aucune sorte - tout travaillait en ma faveur, une chaleur lourde et humide, une ambiance discrète, j’avais même eu l’incroyable privilège d’effleurer – à travers les tissus néanmoins - l’improbable horizon, j’avais frôlé – trop indistinctement, il est vrai - les portes du saint des saints mais voilà… le lieu n’était pas libre. Je me suis alors retrouvé… la tête dans l’eau, si l’on peut dire… happé par une forme gutturale, caressé par une houle linguale… mais, d’expérience, ce n’est pas la même chose. Ce n’était pas déplaisant ! Pour sûr ! Mais cela restait en dessous - bien que morphologiquement très au-dessus - des espoirs que je convoitais.


Mais revenons au présent. À ce stade, me direz-vous, je devrais songer à gesticuler un peu plus… cependant l’endroit est propice au farniente, il y fait chaud, l’ambiance y est plaisante et puis je dispose de temps… Bon, bon, d’accord… Je ne vais pas exagérer dans l’art délicat de l’immobilisme, retraite donc ! Mais… ne sortons pas complètement, laissons-nous le droit de résider un bref instant sur le seuil, savourons l’entre-deux, l’indécision, attendons l’opportunité pour de nouveau plonger, pour palper ces formes délectables, pour me fondre dans les délicates saveurs du lieu.

Je m’abîme… Avez-vous remarqué : l’étroitesse du chemin modifie à chacun de mes passages ma physionomie. Dans un sens, l’espèce de cagoule qui me couvre d’ordinaire le chef se recroqueville, puis s’étire et se distend, la tête avance alors gaillardement, dénudée et libre dans son exploration. Elle va jusqu’à buter contre l’ultime obstacle qu’elle étreint sobrement. Dans l’autre sens, la cagoule, navrée d’être ainsi traitée certainement, se rebelle, en un ourlet douillet à la base de mon crâne, puis tente de recouvrer ses droits, de se remettre en place. Tente seulement ! Car avec le temps et les pratiques que l’on m’inflige, l’informe capuche s’est quelque peu distendue. Au mieux s’enroule-t-elle sur elle-même, incapable de dépasser l’obstacle que constitue mon crâne. Elle ne va guère plus loin que dans son intention de reprendre sa place ! De toute manière, dans l’état où je suis, elle ne peut que se résigner… et elle n’a d’ailleurs aucune raison de reprendre sa place.


Allez, je vous fais grâce de mes réflexions physiologiques. Accédons à nouveau aux profondeurs des mystères des délices, entièrement, sans précipitation, lentement… insensiblement… mot par ailleurs très mal choisi car s’il est des sensations, c’est bien en ce lieu ! Pénétrons au plus profond, dans le vif du sujet. Puis repartons, puis… L’intérêt de la manœuvre ? J’admets que, vu de l’extérieur, il peut surprendre. Et j’en conviens, ces agissements pourraient laisser penser que je suis indécis ou hésitant sur le chemin à suivre, eh bien non. C’est l’objectif de ma présence ici qui s’impose ainsi -pour le meilleur mais aussi pour le pire, direz-vous, puisque le pire malheureusement est inéluctable, puisque à terme, je ne tergiverserai plus ainsi, non, et ma triste sortie sera irrémédiable, c’est mon destin de me mouvoir ainsi, avec assiduité, justesse, régularité – mais pas trop tout de même - c’est l’essence du geste d’y être, pour moi, bien sûr ! Mais là encore… Car, par cette mécanique, je pense pouvoir affirmer ne pas être l’unique bénéficiaire de ce meilleur (qui constitue l’objet de ma présence ici, dois-je le rappeler ?).



Le pire, nous le partagerons, à deux… mais heureusement nous n’en sommes pas encore là.


Allez, je brise le rythme, je romps la monotonie, je goûte à l’émotion que procure la vitesse, je m’enivre de célérité. Cela peut vous paraître un peu hâté mais je ne fais que répondre à l’appel qui m’est signifié, et dites-vous bien que je ne suis pas le seul concessionnaire de cette manigance… Écoutez… J’admets que ce rythme soutenu est un peu frénétique … d’ailleurs, voilà que je m’écrase - bien involontairement - sur les fonds abyssaux… mais je n’en suis pas responsable ! Cet aven, il vient à moi tout autant que j’entre en lui, je le reçois comme il me recueille, on est fait l’un pour l’autre, jusque dans les humeurs, les désirs et les plaisirs. On agit de connivence.

Bon, attention ! Surtout ne pas précipiter les choses ! Restons calme un moment, sagement immobile, là… soupirons d’aise… donnons-nous la chance de continuer un peu… soudainement… délaissons la raison au profit du mouvement, mouvement arrière, marche en avant… mais tranquillement, comme aux premiers temps de ma présence ici, et avec détermination… enfin, « détermination », c’est manière de parler ! Car à ce stade… on la soupçonne, la « détermination », on y croit encore un peu… mais elle n’est plus qu’irrémédiablement assujettie à l’ivresse de nos sensations.


Je reprends… Et voilà, vous le constatez, j’ai fini ma mue, une transformation a encore opéré sur mon corps, pas aussi spectaculaire bien sûr que la première, mais tout de même… L’étroitesse du site, le mouvement cadencé, l’imagination… et le ravissement que tout cela procure, a fini par me tendre la peau, par me gonfler d’orgueil, par me grandir encore un peu plus, par me modeler dignement. Il faut dire que dans cet espace unidimensionnel, on se sent si divinement comprimé, si idéalement adulé, que par excès d’arrogance et de vanité et de plaisirs, on tente sans cesse d’en repousser les limites. On se gonfle, on enfle, on exagère.



Il est moite, brûlant, ardent… mais je ne m’en plains pas ! Comme je vous l’ai déjà dit, il est, en grande partie, uniquement fait pour me recevoir… Donc s’il est moite, s’il est chaud, c’est pour moi, c’est bien à cause moi.

Mais n’allez pas croire – du fait de mes propos - que je pense être le seul et l’unique à goûter – ou à avoir goûté, ou même qui goûtera - aux plaisirs de ce lieu. Celui-là… précisément. D’autres m’ont précédé bien sûr, des habiles, des astucieux, des expérimentés… mais aussi, des rustiques, des frustres, des sauvages. Ça fait finalement une présence moyenne et comportementale honorable. Et ce n’est pas surprenant ! Ce lieu engendre le désir et ce désir se mue – trop peu souvent à mon goût, hélas - en acte. Toutes ces présences passées, futures… sont donc tout à fait raisonnables : que cet espace fut déjà envahi est on ne peut plus sensé. Par surcroît, avant même d’y être – ci-dedans présent - j’ai bien plus qu’une présomption que des doigts m’y avaient précédés, et s’y étaient égarés… allégrement, audacieusement… alors…


Je dois vous avouer que je perds un peu la raison à avancer, à reculer, à me ruer vers l’avant, puis vers l’arrière, à cogner, à trembloter, à trépider, à osciller à de multiples cadences… voilà qui vous forge un fou en très peu de temps ! D’autant que, vous vous en doutez bien, je ne songe qu’à continuer, qu’à poursuivre ce voyage fait indécisions rusées et de décisions dissimulées… je ne songe… qu’à pénétrer le mystère.



Oui, oui… mais… je n’en suis plus capable ! Regardez-moi… crispé, tendu, concentré et terriblement téméraire. Enflé ! D’accord, la chaleur, l’humidité… tout cela est en partie dû à moi, et si j’étais plus maître de la situation, je devrais immédiatement cesser mon agitation, mais… ma volonté s’est envolée. Voilà. À ce stade, je ne suis plus qu’une victime consentante de mes propres actes. Et puis, de la tenue … je vous en prie ! J’en ai !


Je continue… Ça devait arriver, me voilà à la limite du tourment - le plus exaltant que je puisse connaître, par ailleurs - à la limite de la douleur aussi - je ne sais plus trop bien, dans ces moments-là - au paroxysme de la volupté, ivre… mes mouvements deviennent indociles et frondeurs. Les délices que me procurent… quoi finalement ? ces délices… me précipitent vers une ultime métamorphose : rigidité extrême, allure farouche, panache redoutable… Et pourtant je dois tenir, tenir encore un peu, pour moi… pour le jeu… pour les joueurs…


Et voilà, c’est parti, le sort est jeté, propulsé, par saccades irrégulières qui viennent nacrer le fond de la paroi sur laquelle je trépigne. Je me perds dans ce mélange visqueux, épais et chaud. Tout s’agite, fiévreusement, s’affole, convulsivement. Je reste prostré, crispé comme un extravagant au fond du précipice, je sue, j’expire, je déguste et j’apprécie, j’apprécie…


Je me calme… Avez-vous remarqué qu’à un certain moment, au cours de cette aventure, vous n’existiez plus… je veux dire… je n’étais plus qu’à moi, je ne vivais que pour moi et vous, qui suiviez mes tribulations, le faisiez sans narrateur. Vous n’étiez plus qu’un voyeur… abandonné par son auteur. C’est le lot de chacun nous autres, dans ces moments-là. Ceux qui observent, ceux qui attendent… n’ont plus guère d’importance. C’est égoïste, je sais, mais pouvons-nous vraiment agir autrement ?


Vous riez ? Effectivement, j’ai repris une allure plus grossière mais, notez tout de même que je suis encore digne et j’entends le rester encore un bon moment ! Là, alangui et nonchalant, à savourer ce qui reste encore de plaisir, même s’il s’estompe bien rapidement, même si, mon désir de plaisir a été évacué dans l’action. Il reviendra de toute manière, j’en suis certain, il est toujours revenu et bien trop souvent des moments incongrus.


Allez, un dernier geste, pour m’extraire, une dernière glissade, un « Au revoir » à la province conquise – de la poésie ? Oui, oui… pour mieux conjurer mon impuissance, sans doute - Suspense… non ! Imprudence ! Ne donnons pas de fausses illusions ! J’en serai bien incapable ! Une petite hésitation aux portes du paradis…