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Temps de lecture estimé : 7 mn
06/08/07
Résumé:  Journal d'une femme professeur de l'Institut en expédition scientifique. Le permafrost réserve bien des découvertes...
Critères:  fh inconnu collègues sales odeurs pénétratio journal aventure
Auteur : Barnabé

Série : L'expédition

Chapitre 01
Premières découvertes

Je ne comprends pas pourquoi Iouri se défie de moi à ce point. Il doit être misogyne ou quelque chose comme ça. Aujourd’hui, il n’a même pas voulu que je mette le nez dehors. « Trop froid, trop de vent », il a dit. Qu’est-ce qu’il croit, que je suis en sucre ? Un genre de petite fille fragile ? Je ne suis pas arrivée à ma position, à mes fonctions à l’Institut, sans être capable d’affronter beaucoup de choses. Y compris le froid et le vent. La bureaucratie. Les enquêtes de personnalité. Et même ce mufle de Iouri ! Il a beau être le chef de l’expédition, je ne vais pas le laisser me maintenir à l’écart !


Ce soir, ils sont revenus avec des nouvelles passionnantes : il semblerait que, à trois kilomètres au nord-est de la station, le permafrost contienne des animaux congelés, probablement des fossiles préhistoriques. Deux chasseurs appartenant à une tribu voisine de celle de notre guide leur ont affirmé qu’on en avait déjà trouvé à cet endroit. Demain ils y retournent, et j’irai avec eux, foi d’Anna Ivanovna ! Je dirai à Iouri que c’est en plein dans ma spécialité ; il a beau être géologue, il ne connaît rien aux fossiles congelés. Je ne vais pas laisser cette brute abîmer mes spécimens.


Ce soir, le guide semblait presque excité par la découverte. Depuis le début de l’expédition, il est très réservé. Je dirais même : morose et apathique. Ses yeux sont fuyants, on ne les voit presque jamais. Quand on les aperçoit, ils semblent éteints. Son visage est un masque impassible. Même le Président de l’Institut, ce fossile, ce vieux hibou conservé au formol, est plus expressif !


Et, ce soir, le guide avait les yeux brillants, il a sorti des phrases entières en russe, alors que je croyais qu’il ne connaissait que quelques mots de base ; un très mauvais russe, certes, mais il arrive à se faire comprendre de Iouri. Est-ce que ce sont les fossiles qui l’excitent à ce point, ou bien y a-t-il autre chose qu’ils ne m’aient pas racontée ?


Quel sauvage, quand même. Il pue, il ne se lave jamais, il est vêtu de peaux de bête, et je suis sûr qu’il croit encore aux vieilles superstitions de son peuple. Bien sûr, nous sommes tous camarades… mais il me semble quand même que la révolution n’est pas venue jusqu’à ces contrées sauvages et désertiques.


Comment s’appelle-t-il, déjà ? Motal, Moktal, Madjal ? Quelque chose comme ça. Leurs noms sont si étranges…


Je viens de relire ce que j’ai écrit : traiter le Président de vieux fossile, dire que la révolution n’est pas arrivée jusqu’ici… voilà des mots qui pourraient me coûter cher. Heureusement, je ne mélange jamais l’affectif et le travail. Mes notes de travail sont strictement professionnelles, tandis que, dans ce cahier, je peux me laisser aller un peu…


Enfin, demain : les fossiles !


Vive la science, vive la révolution !


*

* *


Nous avons creusé le permafrost avec des pelles et des pioches. C’est un travail harassant. J’ai insisté pour faire ma part. Iouri, qui était encore tout étonné de s’être fait remonter les bretelles par une femme lorsqu’il a voulu m’empêcher de venir, n’a pas voulu risquer à nouveau mon courroux. Il m’a laissée faire. Je suis fourbue et j’ai des ampoules. Mais je suis fière. Après tout, mon grand-père était paysan, mon père est un ouvrier décoré dans l’ordre du mérite de Stakhanov : j’ai de qui tenir !


Nous avons trouvé trois petits animaux fossiles. Je pense qu’un seul est vraiment intéressant, mais j’ai ramené les trois, pour examen approfondi ultérieur. Je les ai enterrés dans une sorte de silo creusé par notre guide derrière la cabane. Le permafrost, c’est plus efficace qu’un congélateur… Et puis, ça ne tombe jamais en panne ! Comment disait mon frère quand il était responsable du matériel à l’armée ? Ah oui : « Camarade Général, tout tombe en panne selon les prévisions ! » Il disait ça, et il riait, il riait ! Il racontait cette blague à la fin des soirées, quand il avait bu beaucoup de vodka. Il disait toujours la même blague, et il riait à chaque fois, il riait comme si elle était nouvelle…


Le guide n’a pas l’air de comprendre pourquoi on garde ces animaux dans un silo. Il m’a demandé :



Je lui ai répondu sévèrement :



Il avait cet air penaud et servile. Je déteste cette attitude bourgeoise contre-révolutionnaire.


Il m’a lancé encore un regard, étrange, indéchiffrable, avant de se remettre à creuser.


Demain, nous devrions recevoir la pelleteuse mécanique demandée hier par radio. Les fouilles pourront aller beaucoup plus vite, alors. Mais il faudra être d’autant plus prudent pour ne pas abîmer les fossiles. Je surveillerai moi-même les opérations. Iouri n’a qu’à bien se tenir !


Vive la science, vive la révolution !


*

* *


Tempête de neige aujourd’hui. Le bureau nous a dit à la radio que la pelleteuse était bloquée. Nous avons rangé nos notes, travaillé un peu, puis nous avons joué aux cartes en buvant de la vodka. J’ai la tête qui tourne, j’ai bu autant qu’eux. Il n’était pas question de démériter face aux hommes. Demain, retour aux fossiles. Maintenant je vais dormir.


Vive la science, vive la révolution, vive la vodka !


*

* *


Ce matin, j’avais mal au crâne. Les hommes n’étaient pas vaillants non plus. La tempête soufflant toujours, nous nous sommes levés tard.


L’après-midi, le temps s’était amélioré. Iouri et Ivan sont allés voir le chantier. Ils m’ont dit : « Aujourd’hui, on ne creuse pas, pas la peine de venir. » Même le guide, ils ne l’ont pas pris avec eux. Iouri est vraiment étrange parfois.


Je me suis retrouvée seule avec le guide. Je ne savais pas trop comment me comporter avec lui. J’ai travaillé sur mes notes en l’ignorant totalement. Quand j’ai relevé la tête, j’ai vu qu’il réparait une parka en peau. Il avait une grande aiguille recourbée, un fil solide, et il cousait. Je me suis approchée et je l’ai regardé faire. Je ne voyais pas bien, il travaillait vite, au milieu de cette peau et ces poils. Pour détendre un peu l’atmosphère, je lui ai demandé comment il faisait. Alors il a cousu plus lentement, en me montrant bien les gestes. Je lui ai dit :



Il a paru très, très surpris. Il a dit dans son mauvais russe :



Il m’a laissé la place sur la chaise. Il m’a tendu son ouvrage, me plaçant délicatement l’aiguille entre les doigts.


Je n’y arrivais pas. Il essayait de m’expliquer, mais il poussait des soupirs sans arriver à s’exprimer, car il ne connaissait pas les mots en russe. Alors il a pris ma main et il l’a guidée. Il a continué un moment. Au début, ça le faisait rire aux éclats. Sans doute de voir une femme, et qui plus est une femme professeur d’université, faire ce travail réservé aux hommes dans son peuple. Et puis, comme je progressais, il est devenu sérieux. Il poussait ma main, il la dirigeait. Ensuite, il m’effleurait seulement le dos de main, comme on souffle sur un bateau en papier, doucement, juste pour donner la direction. Quelle main étrange ! J’étais curieuse, et je l’ai prise dans la mienne pour la regarder. L’intérieur blanc-jaune, semblant lisse mais tout rugueux de callosités. Le dos de la main, très brun, mais avec une peau très douce et totalement imberbe. J’étais là, à caresser doucement le dos de cette main, sans penser à rien, quand, tout à coup, une bouffée de chaleur m’a envahie.


Tout est allé très vite. Il m’a serrée contre lui. Je sentais sa chaleur, son odeur d’homme non lavé, ses cheveux gras. Cette odeur m’attirait et me répugnait à la fois. J’ai vaguement essayé de le repousser en tentant de me rappeler les recommandations du Manuel en ce qui concerne les « relations avec les camarades guides locaux », mais il a descendu mes pantalons, a ouvert sa braguette, puis m’a prise contre la table sans autre forme de procès. Il m’a besognée assez vite en ahanant, puis il a poussé quelques grognements, et c’était fini. Bizarrement, moi qui ai généralement besoin de longs préliminaires, dès le début j’étais mouillée, prête à l’accueillir. Ensuite, mon bassin a suivi son mouvement, tout simplement. J’ai joui tout au fond de moi, malgré la brièveté de l’acte. Une jouissance simple, profonde, naturelle. Étrange.


Ensuite, nous étions tous les deux profondément gênés. Il répétait : « Désolé, madame professeur. Désolé, madame professeur. » Je lui disais : « Ce n’est rien, ce n’est rien. »


Finalement, il est sorti en disant qu’il allait à la rencontre de Ivan et Iouri. Je suis restée longtemps sans rien faire, et puis j’ai repris le train-train : ranger mes notes, sortir chercher de la neige, la faire fondre sur le poêle…


J’ai décidé que cela ne doit surtout pas se reproduire. Nous devons avoir des relations strictement professionnelles. Je suis une femme professeur de l’Institut, après tout, et il n’est qu’un « camarade guide local », un sauvage pour ainsi dire (même si nous sommes tous camarades).


Demain, la pelleteuse !


Vive la révolution, vive la science !