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n° 11646Fiche technique37532 caractères37532
Temps de lecture estimé : 22 mn
22/08/07
Résumé:  Où la rencontre de deux femmes très différentes bouscule mes certitudes masculines.
Critères:  f fh fagée inconnu grosseins bizarre bain amour cérébral revede fmast nopéné -initiatiq
Auteur : Olaf      Envoi mini-message

Série : Ultreia

Chapitre 04 / 07
Angoisses et consolation

Ce texte est la suite des n° 11491, "La rencontre", 11536, "La découverte" et 11632, "Face à face", dont la lecture permet de mieux comprendre l’histoire et surtout les réactions des protagonistes.


Le précédent épisode se terminait par :


Au bord des larmes, je réunis les affaires que j’avais l’habitude de prendre avec moi en vadrouille, et je mets la maison en ordre pour une absence de durée indéterminée. Après mûre réflexion, je me dis qu’il pourrait être raisonnable de rendre visite à Saint Guilhem, dans son abbaye de Gellone. Il semble lui avoir fait la meilleure impression, celui-là. Peut-être détient-il même le premier signe qu’elle me destine.







Il n’y a malheureusement aucune trace de Marine dans l’abbatiale. Aucun signe du destin non plus pour me guider, même si, troublé par ce qui vient de m’arriver, je ne suis certainement pas aussi réceptif que je devrais l’être. Je perçois seulement que la cloche de l’église égrène six coups lorsque je remets mon sac sur mes épaules. Déjà dix-huit heures ? Avec les deux heures d’avance qu’elle a sur moi, Marine a le temps de passer le col du Ginestet et de filer sur les Lavagnes avant la nuit. Dans ces contrées, je n’ai aucune chance de la rattraper, ni d’anticiper son chemin pour la retrouver, tant les possibilités sont nombreuses. Je ne suis de toute façon plus assez entraîné à la marche pour cela.


Je ne sais pas pourquoi, mais depuis que j’ai quitté ma maison j’ai le sentiment qu’elle va se diriger vers le parc national des Cévennes, et donc passer en premier la barrière montagneuse qui entoure Saint-Guilhem-le-Désert. Le peu qu’elle m’a raconté de son périple me laisse penser qu’elle pourrait vouloir se rendre à Puy-en-Velay, point de passage traditionnel du Chemin, et y achever sa quête mystique, mais sans retourner à Arles, dont elle venait avant de se réfugier chez moi la première fois. Le passage par Saint-Maurice-de-Navacelles, le Vigan et Florac, puis le chemin de Stevenson pourrait être un choix qui lui correspond, tant il permet de découvrir un nombre incroyable de hauts lieux de l’humanité, sans revenir exactement sur ses pas au retour de Compostelle.


Je décide de faire de même, en espérant que les énergies émanant de ces lieux m’apporteront de quoi trouver quelques réponses aux questions qu’elle a soulevées. Puissé-je être plus conforme à ses aspirations, et m’offrir à elle riche d’expériences constructives, s’il m’est accordé de la revoir un jour.


Arrivé à l’ermitage de Notre-Dame-de-Lieu-Plaisant, je m’arrête tant pour faire le point sur mon entreprise un peu hâtive que pour reprendre des forces, et boire à la source, comme le veut la tradition. Même si je n’ai jamais fait de pèlerinage au sens strict du terme, j’ai suffisamment bourlingué pour savoir ce qui se passe au plus profond d’un marcheur de longue distance. Et je me dis qu’il doit y avoir autant de raisons de se lancer sur le Chemin que de pèlerins. Qu’en est-il pour moi ?


Mon premier mouvement, totalement irrationnel, était de suivre Marine pour éviter de la perdre. Pourquoi m’accrocher ainsi à elle ? Elle a probablement progressé dans son évolution personnelle bien au-delà de ce que ne pourrai jamais comprendre. Le fait de partir seul dans les montagnes des Cévennes changera-t-il quoi que ce soit à cela ? D’ailleurs, sans elle, comment me transformer, comment distinguer mes guides potentiels des faux prophètes ?


À l’inverse, pourquoi vouloir changer, et surtout pourquoi changer pour elle ? Parce qu’elle m’a fasciné par ses dons amoureux ? Parce qu’elle m’a tenu tête ? Parce qu’une représentation idyllique de la Femme sommeille en moi, que Marine a incarnée en se faisant tour à tour Vierge émouvante, terrifiante Sorcière, et Amante avide de prouesses sexuelles, si valorisantes pour le mâle que je suis ?


Serais-je ainsi par sa volonté au début d’une initiation m’amenant à la percevoir telle qu’elle est réellement, en me détachant progressivement de ce qui chez elle flatte mon ego et excite mes sens ? Serai-je jamais capable de me libérer de mon besoin récurrent d’émotions de brève durée, pour arriver à m’ouvrir à un partage approfondi du corps et de l’esprit ? Est-ce le sens de son message laissé sur la table de la cuisine ?



oooOOOooo



Le soleil commence à descendre, et je dois me remettre en route si je veux encore profiter de la clarté de ce mois de juillet. Perdu dans mes pensées, je réalise qu’une des conditions premières de cette aventure n’est pas encore réalisée. Presque chaque voyageur au long cours rencontre en effet au départ de son périple un signe marquant, qu’il retrouve au moins une fois et lui indique le début et la fin de son effort. Un signe qui se manifeste soudainement à lui et représente en quelque sorte un talisman ou un mandala pour les moments difficiles. Il n’en est encore rien pour moi. En ce sens, mon voyage n’a peut-être pas vraiment commencé.


Cela ne m’empêche pas de poursuivre mon ascension du col du Ginestet, pour découvrir vers le nord-ouest le paysage sauvage dans lequel je vais me plonger ces prochains jours. Je marche plusieurs heures, aussi longtemps que je peux distinguer où poser mes pieds, puis je m’arrête près d’un petit étang pour passer la nuit à la belle étoile. Allongé sur une couverture, je me laisse bercer par les bruits qui m’entourent et ne tarde pas à m’endormir.


La sensation d’une ombre furtive passant à côté de moi me surprend alors que le jour est à peine levé. Une forme humaine se dirige vers l’étang à quelques mètres de l’endroit où je suis allongé. Intrigué, je regarde la scène plus attentivement et distingue la silhouette d’une vieille femme complètement nue, qui commence à entrer dans l’eau. D’une voix encore peu assurée, j’essaie de l’avertir des dangers qu’elle encourt.



Son corps maigre et sans attrait s’enfonce progressivement dans l’eau glauque et sombre. Après quelques minutes pendant lesquelles elle reste immergée jusqu’au cou, sans autre mouvement qu’un tressaillement occasionnel de ses cheveux gris tirés en queue de cheval, la femme se retourne vers moi et sort de la mare sans même esquisser un geste pour cacher sa nudité. Je n’en crois pas mes yeux lorsque je vois effectivement une sangsue accrochée à son sein gauche, juste à côté de son mamelon fripé, puis une autre près de son nombril et une autre encore entre les poils rares de son pubis.


Je détourne d’abord mon regard, tant par politesse que par dégoût de ce corps usé par les ans. Mais je me ressaisis en pensant aux blessures que risquent de lui infliger les parasites, et je m’approche d’elle pour l’aider à s’en débarrasser au plus vite. J’en découvre à ce moment une quatrième, juste au-dessus de ses lèvres intimes, flasques et distendues.



Le rire qui ponctue cette phrase grossière me glace le sang. Toutefois, malgré mon dégoût de ces bêtes autant que de l’apparence de cette femme vulgaire et sans pudeur, je suis son conseil et chauffe à la flamme de mon briquet une aiguille que je déniche dans mon sac. Me voyant hésiter sur la meilleure technique de mise à mort, elle m’encourage sur le même ton.



D’un geste sec je pousse l’aiguille chauffée au rouge dans le corps ondulant de la bête immonde ventousée sur le ventre de la vieille. Une monstrueuse crispation se produit, et la sangsue se ratatine en laissant échapper un jet de fumée. Elle lâche prise immédiatement et tombe au sol en laissant une marque sanglante près du nombril. Je chauffe une seconde fois l’aiguille et me prépare à la planter dans une deuxième sangsue, sans trop savoir comment faire pour éviter de toucher la femme, ni poser mon regard sur une intimité que je n’ai aucune envie de garder en mémoire.


J’y arrive tant bien que mal, non sans m’apercevoir que malgré le bain en eau trouble, un parfum agréable émane du corps décharné. Je chasse cette idée de mon esprit, pour mieux me concentrer sur la sangsue à tuer, mais frôle par inadvertance le bas-ventre de la femme. Au moment où le parasite part en fumée, elle saisit vivement ma main et avant que j’aie le temps de réagir, l’utilise pour caresser son sein libre.



Sans lâcher ma main, elle me guide maintenant vers la couverture où je m’étais endormi. Je ne trouve pas la force de lui résister. Quelque chose en elle m’enlève toute volonté. Sa détermination arrive même peu à peu à m’ôter mes inhibitions face à son corps fatigué, dont chaque ride évoque les ravages du temps. Elle poursuit ses lamentations, comme si elle lisait en moi.



Sans plus attendre, elle pose sa main sur son bas-ventre et commence à caresser doucement son clitoris, juste en dessous de la sangsue qui a maintenant doublé de volume, tout comme celle qui orne son sein. Les deux bêtes sont parcourues de contractions obscènes à chaque fois qu’elles avalent un peu de sang, semblables à celles qui agitent un phallus prêt à expulser sa semence.


La scène est totalement irréelle, et il n’en faudrait pas beaucoup plus pour que je m’enfuie, profondément perturbé par la violence des émotions qu’elle suscite en moi. Pourtant, les gestes harmonieux de la vieille en train de se donner du plaisir agissent progressivement et m’apaisent. Je me sens lentement passer au-delà des apparences, et surtout au-delà d’une aversion profondément ancrée en moi pour la déchéance du corps. J’en arrive même peu à peu à pouvoir observer cette femme trop longtemps sevrée de tendresse avec un regard nouveau.


Certes son corps est vieux, son ventre est flétri et ses seins sont réduits à l’état de poche de peau sans relief, mis à part les mamelons qui se dressent maintenant avec fermeté. Certes son sexe n’est en rien attirant, ses hanches maigres ne donnent pas envie d’y poser les mains. Pourtant, quelque chose d’émouvant émane indéniablement d’elle, aussi délicat que son parfum et aussi troublant que la chaleur de sa peau. Quelque chose d’universellement envoûtant que communiquent probablement son désir désespéré de tendresse et les gestes immémoriaux qu’elle fait dans sa recherche du plaisir.


Je ne m’imaginais pas capable de bander par compassion, à plus forte raison pour une femme de cet âge. C’est pourtant bien un début de tension que je décèle maintenant dans mon membre, alors que la vieille fait vibrer son doigt de plus en plus vite sur sa vulve. Elle garde les yeux fermés, son visage est immobile, détendu même. Au-delà du masque de vieillesse, j’y vois fugitivement la beauté dont il devait être empreint au temps de sa jeunesse. Il me semble même y distinguer quelque ressemblance avec le visage de Marine, juste avant la jouissance.


Cela suffit à me libérer complètement de mes appréhensions. Un agréable sentiment commence à monter dans mon cœur. Pas de pitié, juste de compréhension, comme si je pouvais partager la souffrance de cette femme, condamnée à inspirer le dégoût par son apparence, alors qu’au fond d’elle tout la porte encore à s’offrir et à jouir d’un corps qui n’a rien perdu de sa sensualité.


Lentement, j’avance ma main à hauteur de son ventre. Après une dernière hésitation, je la pose sur elle, enfermant la sangsue entre mon pouce et mon index. La bête abandonne la place et tombe au sol, gorgée de sang. J’en profite pour la lancer loin de nous. La femme prend alors doucement ma main et la glisse entre ses cuisses en soupirant d’aise. Je la laisse faire.



Elle ne me laisse pas le temps de réaliser ce que je viens d’entendre. Serrant mes doigts de plus en plus fort, elle accélère le rythme de ses caresses, jusqu’à arriver enfin à faire exploser son orgasme. Elle s’abandonne dans un long râle, le ventre parcouru de convulsions, le dos arqué, les cuisses serrées contre ma main.


Après quelques minutes où elle semble se délecter d’imperceptibles frémissements intimes, la femme ouvre à nouveau les yeux, et, découvrant ma réaction instinctive face à ce qu’elle vient de faire, pose sa main sur la bosse qui s’est formée entre mes jambes. Je la laisse prendre la mesure de ce qu’elle a provoqué en moi, puis je me soustrais à cet attouchement en remettant sa main le long de sa hanche.



Sans me répondre, elle se lève et se dirige vers un buisson où elle avait déposé ses habits. Après avoir délicatement détaché la dernière sangsue de son sein, elle cache sa nudité dans une longue robe de couleur vive. D’un geste émouvant de féminité, elle défait sa queue de cheval et libère sa chevelure grise qui tombe sur ses épaules. Un joli sourire orne son visage fatigué lorsqu’elle se retourne, et vient déposer la bête rassasiée dans le creux de ma main. Étrange cadeau d’adieu….



Elle s’éloigne sans m’en dire plus, disparaissant rapidement de ma vue.



oooOOOooo



Gêné par un rayon de soleil sur mes paupières, c’est à cet instant que je me réveille, le souvenir de ce rêve étrange très précisément gravé dans mon esprit. Je sens alors quelque chose de gluant et froid au creux de ma main. Encore passablement remué par ce qui vient de se produire dans mon subconscient, je ne serais pas étonné d’y découvrir une sangsue gorgée de sang. Ce n’est heureusement qu’un escargot, toutes cornes dehors à la recherche du meilleur chemin pour rejoindre une savoureuse feuille juste à côté de moi.


Le déclic se produit immédiatement. Le voilà, le signe ! L’escargot, à la fois mâle et femelle, qui transforme son partenaire en réceptacle de sperme après l’avoir perforé d’un dard imbibé d’hormones. L’escargot, dont la coquille en spirale évoque le tracé du labyrinthe initiatique et symbolise la permanence de l’être à travers les fluctuations du changement. L’escargot, qui sort de terre après la pluie, associé à la fécondité, au mythe de l’ancêtre revenu sur la terre des hommes pour la féconder. Quoi de plus semblable à ce qui s’est produit avec Marine ? Combien de temps vais-je devoir errer avant de trouver le pendant de ce totem qui désignera la fin de mon initiation ?


Je n’approfondis pas la question, et après un frugal repas, je commence mon pèlerinage. Aucun fait notoire ne vient caractériser cette première journée, si ce n’est ma lente redécouverte de la marche. Mon corps n’est plus habitué à ce genre d’effort, et je me fatigue plus que nécessaire en adoptant un rythme et une position du corps qui ne me correspondent pas vraiment. Ce n’est que peu avant la tombée de la nuit, que je commence à me sentir en équilibre, que mes hanches se décrispent et que mon pas devient plus harmonieux.


Préférant rester seul pour réfléchir à ce qui m’arrive, je renonce à chercher refuge dans un gîte d’étape, et me prépare à passer une deuxième nuit sous les étoiles. Cette fois, aucun rêve ne vient perturber mon sommeil. À mon réveil, d’intenses courbatures sanctionnent ma manière trop rigide de marcher. J’ai besoin de plusieurs kilomètres en serrant les dents avant d’être à nouveau à l’aise sous mon sac et dans mes souliers. Puis je retrouve le bon rythme qui me permet d’avancer rapidement en direction des Cévennes.


Je m’amuse aussi de découvrir les effets de la marche sur mon esprit. De temps à autre une pensée complètement étrangère à ce que je suis en train de vivre traverse mon esprit. Fulgurance métaphysique que je me mets inconsciemment à scander au rythme de mes pas, image floue qui évolue et se transforme en d’autres visions, petite musique intime qui se déroule au fil des heures. J’essaie de garder ces émotions dans ma tête, dans l’espoir de pouvoir en tirer quelque enseignement pour la suite de mon périple.



oooOOOooo



Perdu dans mes pensées, je ne vois pas assez vite les nuages s’accumuler au-dessus de ma route. Au milieu de l’après-midi, alors que j’hésite sur le chemin à suivre, les premières gouttes commencent à tomber. J’ai juste le temps de sortir un ciré de mon sac, avant que le déluge s’abatte. Cette fragile protection ne suffit pas contre les trombes d’eau qui se déversent sur moi. Après quelques kilomètres, je suis trempé jusqu’aux os. Il faut que je m’arrête pour me sécher. Là où je suis, il n’y a malheureusement aucune auberge, ni chambre d’hôte. Désespéré de trouver quelque chose qui convienne avant longtemps, je m’efforce de résister à la nature hostile. Mais je dois rapidement renoncer, et me décide à demander de l’aide dans la prochaine ferme que je trouve.


C’est une femme joviale d’une trentaine d’années qui m’ouvre sa porte. Grande, toute en rondeurs, son beau visage mis en valeur par d’épais cheveux châtains, elle porte un très jeune enfant dans ses bras. À voir la taille de ses seins, elle doit encore allaiter le bonhomme qui me dévisage avec des yeux ronds. Elle s’amuse de ma mésaventure et m’offre spontanément d’entrer dans sa cuisine et de m’y mettre à l’aise.



Je regarde discrètement autour de moi, espérant trouver une trace des autres personnes vivant sous le même toit.



Nous passons la fin de l’après-midi à discuter de tout et de rien. J’apprécie qu’elle m’offre ainsi un peu de son temps, et qu’elle me laisse découvrir sa vie. Elle et son homme étaient venus s’installer ici avec l’intention de développer du tourisme de randonnée avec des ânes. Elle avait même commencé à fabriquer du savon de lait d’ânesse très apprécié loin à la ronde. Mais la rupture de son couple a tout remis en question et elle arrive à peine à maintenir un minimum de production de savon pour survivre. Tout en ayant beaucoup de difficultés à trouver le temps de faire les marchés. Un long silence s’installe soudain. Je l’imagine penser au père de son enfant, qui s’est volatilisé sitôt après l’annonce de sa grossesse. Au père et à leurs rêves abandonnés.


J’essaie de chasser les nuages et tente de la réconforter tant bien que mal. Le temps passe agréablement en sa compagnie. Après s’être isolée pour allaiter son fils, elle m’offre de rester manger avec elle. J’accepte volontiers. La soirée se passe plus joyeusement, tant nous nous trouvons de nombreux points communs dans notre manière de voir la vie. Par moment, je me demande même si je ne serais pas plus proche d’elle que de Marine ?


La pluie ne cessant pas, elle me déconseille de partir dans la montagne dans ces conditions et insiste pour que je passe la nuit dans la chambre d’amis. J’accepte à nouveau. Fatiguée, elle se retire avec son petit sitôt après avoir préparé le lit. Je me glisse voluptueusement sous le lourd duvet et commence à somnoler en repassant le film de ma journée dans ma tête.


À peine une heure plus tard, je suis tiré du sommeil par les pleurs de l’enfant. J’entends Julia le consoler, lui chanter une berceuse, et probablement le nourrir encore un peu avant de tenter de le recoucher. Après un moment d’accalmie, rebelote. Et ainsi de suite plusieurs fois au cours d’une nuit de sommeil en pointillé.


Nous n’avons ni l’un ni l’autre très bonne mine au petit matin. Je lis même comme une grande tristesse sur le visage de ma bienfaitrice. D’emblée, elle s’excuse pour ce que j’ai dû supporter. Je la rassure. Je m’inquiète en revanche de la météo. Il pleut toujours, et la perspective de marcher dans ces conditions ne me réjouit pas. Elle prend les devants en me proposant de rester un jour de plus.



Je commence par faire un tour de la ferme et constate que de nombreux travaux de réparation seraient nécessaires. Je me mets donc au travail, en essayant de parer au plus pressé, de la réparation des barrières cassées à la remise en état de l’alimentation électrique de la savonnerie, en passant par quelques bricolages de plomberie. Nous nous accordons une courte pause pour le repas de midi. Le petit ne semble toujours pas se sentir bien et se met plusieurs fois à sangloter, jusqu’à ce que sa maman le prenne dans ses bras et lui donne le sein. Elle ne s’isole pas cette fois, me laissant admirer ce moment d’intense communion.


Même épuisée, Julia irradie d’une énergie incroyable dès l’instant où la petite bouche goulue attrape son téton dégoulinant de lait. Je suis profondément ému par ce qu’elle me laisse partager. Après quelques minutes, je n’y tiens plus et le besoin de lui offrir un peu de tendresse me submerge. J’hésite à sortir, pour ne pas interférer dans sa relation avec le bébé, puis je me ravise et viens m’asseoir derrière elle. Je vois pour la première fois sa nuque si fine, si fragile, et la naissance de ses cheveux. Il n’en faut pas plus pour me faire craquer. Délicatement je pose un long baiser sur sa peau nue, en lui murmurant ce que je ressens pour elle. Elle penche la tête encore un peu plus, comme pour me faire de la place pour d’autres baisers. Mon cœur s’emballe dans ma poitrine. Je masse doucement sa tête, puis pose mes lèvres sur chaque centimètre de peau atteignable, du lobe de son oreille à la pointe de son épaule.


Rassasié et apaisé de sentir sa mère détendue, le petit s’est endormi contre le sein rassurant. Je me retire sur la pointe des pieds, et retourne à mon travail. Peu de temps après, Julia vient me rejoindre, le visage enfin détendu. Elle se glisse sans mot derrière moi, et m’emprisonne entre ses bras.



Marine veut-elle par ce biais augmenter la distance qui nous sépare ou a-t-elle vu en Julia une rencontre enrichissante dans ma quête spirituelle ? J’hésite un peu à retarder ma progression avant même de m’être complètement engagé dans mon pèlerinage. En pensant à tout ce qui reste à faire dans la maison, j’accepte toutefois de rester jusqu’au lendemain matin. Nous scellons notre accord en restant longuement enlacés. Puis elle me laisse reprendre mon travail, après avoir déposé un léger baiser sur le coin de ma bouche.


Le soir venu, Julia a retrouvé tout son entrain. Ce qui ne sera pas de trop, tant l’humeur du petit Bernard ne semble, elle, pas être au beau fixe. Tout laisse d’ailleurs supposer que la nuit sera à nouveau difficile.


Même sans expérience des nourrissons, je me dis que les sentiments que j’éprouve pour sa mère suffiront peut-être à calmer le gaillard. Sitôt notre repas et la tétée du bébé terminés, je le prends des mains de Julia et le berce en le serrant contre ma poitrine. À mon grand étonnement, il se détend rapidement, son souffle devient plus régulier, et finit par s’endormir dans mes bras. J’en profite pour m’allonger sur un canapé en le posant sur mon ventre. L’effet de mimétisme face à un tel bien-être ne se fait pas attendre, et je rejoins le gamin dans son sommeil.


Il fait encore nuit lorsque je sens Julia caresser doucement ma joue pour me réveiller. Je réalise que le petit est toujours endormi, bien au chaud contre mon flanc. Il n’a apparemment pas bougé de la nuit.



Bigre, si je m’attendais à cela. Moi qui n’ai jamais pu me décider à faire un enfant, je me retrouve plongé dans le quotidien d’une maman allaitante, avant d’avoir pu partager grossesse et accouchement. C’est le grand saut dans l’inconnu maternel.



Je n’ai pas le temps de me redresser que déjà elle avance sa lourde poitrine contre mon visage. Ce que je ressens à l’instant où elle glisse son sein dans ma bouche est indescriptible. Si c’est ainsi que le bébé le perçoit, alors je comprends l’état de béatitude qui caractérise la tétée. D’un coup tous mes sens sont stimulés, et mon cerveau, peu habitué à une telle déferlante sensuelle, sature.


C’est trop fort de sentir l’odeur puissante de lait et de femme qui émane des seins de Julia, trop intimidant de pouvoir toucher la fragile peau de ses mamelons du bout des lèvres, trop rare de goûter la saveur du nectar qui gicle dans ma bouche, trop envoûtant d’entendre le tam-tam de son cœur contre mon oreille, et par-dessus tout, trop rassurant de se sentir ainsi protégé entre les bras de cette femme superbe d’amour et de tendresse. Je me laisse complètement aller, m’efforçant juste d’avaler assez vite les larges rasades qui jaillissent des glandes distendues.


Une fois passés les douloureux tiraillements de la montée du lait, Julia se sent mieux et commence à apprécier la succion de mes lèvres. J’ai peur de priver le bébé de ce qui lui revient naturellement, et repousse un peu le sein nourricier. Julia s’inquiète de mon geste.



Effectivement, un mince filet de lait goutte encore du mamelon durci qui pointe en direction de ma bouche. Je ne résiste pas à y apposer à nouveau mes lèvres et tire doucement quelques gorgées supplémentaires. Julia caresse mon visage pendant ce temps, essuyant sans rien dire les larmes de bonheur qui coulent au coin de mes yeux. Quand je l’ai enfin libérée de son trop-plein lacté, elle se redresse. Tout en me laissant admirer son corps dénudé, elle pose sa main sur mon bas-ventre, presque aussi gonflé que ses seins tout à l’heure.



Je me lève le plus délicatement possible, en replaçant le bébé confortablement sur le canapé, bien calé par une couverture moelleuse. Puis je suis Julia dans sa chambre. Elle est déjà recouchée, dos contre moi, lorsque je passe la porte. J’hésite un instant, plus très sûr d’avoir bien compris ce qu’elle attendait de moi. Puis je me glisse derrière elle dans le lit, en entourant sa taille de mes bras. Immédiatement, mon corps réagit, et mon membre se dresse impérieusement contre ses fesses nues.



Lentement, je fais aller et venir mon chibre contre le large fessier de Julia, qui se serre de toutes ses forces contre moi. Elle s’est emparée de mes mains et les embrasse fougueusement. Déjà mes hanches s’avancent vers elle de manière désordonnée. Il suffit d’une nouvelle pression de son bassin contre ma tige pour que je me mette à déverser ma semence dans son sillon fessier. Elle gémit de bonheur pendant que je me vide sur elle, heureuse de m’avoir fait craquer si rapidement.



Dès que j’arrive à reprendre mes esprits, j’aimerais pouvoir lui offrir le même genre de douceur. Mais elle retient ma main au moment où je la glisse le long de son ventre.



Petit Simon nous laisse encore une belle heure de câlins dans un demi-sommeil. Puis Julia reprend son rôle de mère, et offre ses seins à sa bouche goulue dès les premières lueurs du jour. La mère et l’enfant ont la mine reposée lorsque je les rejoins pour le petit-déjeuner. Julia arbore même un sourire radieux, qui laisse présager d’une énergie nouvelle pour aborder la suite de son existence.



Je promets. Je sais que je tiendrai cette promesse. Peut-être même plus, tant j’ai découvert de belles choses chez cette femme courageuse. D’ailleurs je me sens d’une certaine manière lié à Simon. Ce n’est pas anodin de servir d’oreiller à un nourrisson, et de l’endormir au rythme des battements de son cœur. Ça doit sûrement laisser des traces. D’autant que nous sommes maintenant presque frères de lait !


C’est en tout cas ce qui occupe mon esprit au moment de prendre congé de Julia. Tant mieux, sinon je ne pourrais pas éviter de ressentir la petite brûlure qui maltraite la pointe de mon cœur et ne me lâchera pas tout au long de la journée.



À suivre





(1) Alors qu’il était en prière devant une statue de la Vierge dans l’église de Saint-Vorles à Châtillon-sur-Seine, Saint Bernard (1090-1153) prononça les mots « Monstra te esse matrem » (Montre-toi en mère) de l’hymne « Ave, Maris Stella ». La statue devint vivante et la Vierge lança du lait dans la bouche du saint, sèche à force d’avoir chanté ses louanges.


(2) Sainte Julie ou Ghiulia, patronne de la Corse, aurait été persécutée et torturée par les Romains parce qu’elle refusait de sacrifier aux dieux. Ses bourreaux lui coupèrent les seins et les jetèrent contre les rochers, en contrebas de la ville de Nonza. Deux fontaines jaillirent aussitôt de la roche. La Fontaine des Mamelles, qui ne s’est jamais tarie, attira très tôt une foule de pèlerins, venus de la Corse entière. Ses eaux miraculeuses opérèrent de nombreuses guérisons. Autrefois, les femmes qui invoquaient la sainte contre le tarissement du lait maternel se rendaient en pèlerinage à Nonza, pieds nus.