n° 11689 | Fiche technique | 16175 caractères | 16175Temps de lecture estimé : 10 mn | 07/09/07 |
Résumé: Sur les boulevards, le va-et-vient des premiers passants se fait sentir. | ||||
Critères: prost policier -policier | ||||
Auteur : Freezrick Envoi mini-message |
Sur les boulevards, le va-et-vient des premiers passants se fait sentir. Il pleut. Des lève-tôt ont pris soin de se munir de parapluies, les couche-tard sont mouillés. Quelques gars traînent, la ville est pleine de clodos. Le maire parle de réinsertion, ça reste des laissés-pour-compte que le gouvernement oublie. Moi, je n’oublie jamais. Un travail se termine toujours.
Il est maintenant six heures moins le quart, la voiture souffre du froid autant que moi. La radio m’a épuisé avec ses talk-shows pour dépressifs. La buée couvre toutes les vitres et le chauffage craque. Un passant s’arrête à ma hauteur et frappe à la fenêtre. Je l’ignore et il repart après sa troisième tentative. Je termine de préparer mes affaires et décide de sortir me dégourdir les jambes. Ça fait deux heures que je l’attends et je préfère attendre maintenant le patient sous un porche.
Vers six heures et demie, enfin, je le vois qui traverse la rue, il se dirige vers le 37. Accompagné. Il n’est pas difficile de comprendre que sa nuit fut plus chaude que la mienne. Il titube un peu et reste souvent accoudé au mur pour ne pas trébucher. La jeune fille à ses côtés ne doit pas avoir plus de 22 ans. Une mine défaite, symbole de jeunesse actuelle, elle porte une longue veste en cuir et des bottes rouges.
Ils se traînent péniblement vers l’immeuble et franchissent la porte d’entrée. Je monte derrière eux. Ils parlent bruyamment, se sentent le centre du monde et mon client parle de ce qu’il va lui faire une fois allongés. Ils ne m’entendent pas, mes pas sont légers et couverts par leurs cris et hurlements. Ils arrivent enfin à son étage, le troisième. Il ouvre la porte, non pas sans avoir cherché ses clefs quelques instants et pénètre dans l’appartement, la fille hésite, mais il lui prend la main, et la convainc de rentrer. Ils ne ferment pas la porte, elle reste entrouverte. Du palier, je les entends s’embrasser et se déshabiller dans le couloir.
J’attends, et me décide également à entrer. Doucement, je pousse la porte et viens m’agenouiller près d’un pot de fleurs. Encore quelques instants, j’entends un bruit sourd, l’un d’eux est tombé. Puis un bruit de ronflement, je peux y aller…
Je traverse rapidement le long couloir qui mène du salon vers les chambres et vois enfin la porte d’où venaient les bruits. La chambre à coucher, la lumière est toujours allumée. J’entrouvre plus encore la porte, je découvre la fillette endormie sur le lit, et mon amant d’un soir affalé sur le sol. Lui d’abord, je vise la nuque, un coup. Puis la fille, un coup. C’est dommage, elle était mignonne.
Andrea Avares, dit le Duc, né le 12 mars 1961, marié, deux enfants. Ce que la fiche disait. Mort, aujourd’hui.
* * * * *
Mon travail ne donne envie à personne. Tout le monde le connaît, un des plus vieux métiers du monde, mais personne n’y prête attention, pensant qu’ils sont à l’abri, que je ne les aurais jamais comme patients. Aujourd’hui encore, après douze années d’exercice, je reconnais prendre plaisir à un travail bien fait. Je rentre souvent fatigué. Seuls un bain moussant et un verre de vin de Bordeaux me permettent alors de reprendre mes esprits.
Les femmes me manquent beaucoup, elles étaient présentes dans ma jeunesse, puis peu à peu se sont éloignées. Je ne peux rien construire alors je vis seul, aux dépens de femmes de joies. Un coup de téléphone, une balade en voiture, et je redécouvre les joies et les orgasmes oubliés.
Laissez-moi vous raconter ma dernière rencontre. Il fait froid, je décide de prendre ma voiture pour me changer les idées. Un arrêt au comptoir du coin, et trois verres de Côtes du Rhône plus tard, je suis prêt. Il faut que je trouve une femme, un objet, quelque chose qui me fasse oublier ma solitude.
Je sors du bistro, la tête lourde, les souvenirs me reviennent. Des morts, des hommes, des femmes, tous morts. Tous morts sous mes mains, un couteau, un fil de piano, un rasoir, un pistolet. Mes outils de travail. Je marche maintenant le long de l’avenue, il fait un temps de chien, humide, mes chaussettes sont mouillées. Je ne suis pas lavé. Je m’en fous, elle va m’aimer, du reste le prétendre.
Le milieu de la nuit est le mien, mon univers, mon lieu de travail, j’y côtoie mes patients et mes clients. Souvent, ils se connaissent, s’apprécient, s’aiment ou se détestent. Pour moi, quelle différence ? On me paie, et je tue.
Je continue à marcher, certains veulent s’approcher mais en croisant mon regard, dénué de sentiments, décident de continuer leur chemin. Voilà je les répugne, ils m’indiffèrent. La société a pris un pari sur moi, elle me laisse travailler, je ne lui appartiens plus. Enfin, c’est ce que je crois. J’arrive à un croisement, les feux clignotent orange, il est trop tard pour qu’ils soient rouges, trop tôt pour qu’ils soient verts. Je prends sur la gauche. Je la vois. Elle marche à quelques mètres de moi, un pas nonchalant, les bras branlants, un faux sac à main de marque à sa main gauche. Une cigarette dans l’autre. Elle essaye de rentrer en contact avec quelqu’un, mais les passants l’ignorent. Je m’approche. Doucement, presque tendrement, ma proie, elle est déjà à moi.
Elle m’adresse cela tellement facilement, elle n’y croit plus, elle aussi, la société la laisse en paix. Elle vit dans la rue, dans le milieu de la nuit. Elle aussi, ses patients et clients s’y côtoient. Nous sommes les mêmes. Nous risquons notre vie chaque minute, j’y prends plaisir. Elle ? Son plaisir ne m’intéresse pas. Je lui donne ce qui lui est dû et repars.
Elle indique une ruelle adjacente, je la suis. Son maquillage est pauvre, elle a sûrement froid. Ça coule, son rouge à lèvres est moche, elle ne sent pas meilleur que moi, elle ne sent rien. Elle me précède, nous arrivons devant un immeuble sombre, elle pousse la porte et nous montons les marches d’un escalier situé sur la droite. Deuxième étage, porte de gauche. Elle entre en premier, me demande de m’asseoir. Je trouve une chaise de cuisine recouverte d’une pile de vêtements. Je jette le tout par terre.
Cinq minutes lui suffisent, elle se déshabille et s’allonge sur le lit, allume une cigarette. Son studio est sale, des vêtements partout. Une odeur alliant humidité et renfermé. Elle appuie sur un interrupteur sur le mur. Le plafond prend une autre couleur, il est rouge, on dit que c’est la couleur de l’amour. Je l’associe à autre chose. Boulot. Allons-y. Je me déshabille et ne garde que mon slip. Je suis moche. Elle ne remarque rien.
Je m’approche du lit, elle se redresse. M’enlève mon slip et commence à me sucer. Je ferme les yeux. Les images défilent devant moi. Elle ne dit rien. Je me laisse faire. Une pro, bizarrement cela nous rapproche. Nous faisons notre travail méticuleusement, sans a priori, sans remords, sans dégoût. Rien. Mon pénis est dur, elle est douée. Je lui repousse la tête, je veux la pénétrer, elle comprend et se couche sur le dos. Mes forces retrouvées, je monte sur le lit, lui lève les jambes et les place sur mes épaules, elle se laisse pratiquement docilement faire, sans vouloir dominer. Elle ne dit toujours rien. Mes allers-retours sont d’abord tendres, puis plus appuyés et enfin très accélérés. Finalement je jouis, elle, je ne pense pas, je suis trop rapide. La passe n’a pas duré plus de trente minutes.
Je me rhabille, laisse de l’argent près du lit. Elle est toujours là, couchée, fume, elle pense à son futur client, sa clope, ou peut-être à la fin de sa journée. Je ne la reverrai jamais. Il me faut prendre des précautions dans mon travail. Sur le point d’ouvrir la porte, je me retourne et lui demande son nom.
Je descends les marches, prends l’allée et me retrouve à nouveau sur l’avenue, je cherche des yeux ma voiture. Il est tard, je suis fatigué. Je dois dormir, je travaille tôt demain.
* * * * *
Sept heures, il est temps, je prends mon uniforme. Un travail m’attend. Je m’habille en noir. Mon client m’a prévenu, il m’a laissé une enveloppe à la Poste. Le temps s’est amélioré, il fait beau, je marche à côté de vieux qui parlent du boucher, de jeunes mères pressées de se débarrasser de leur rejeton, le monde de la journée n’est vraiment pas pour moi.
J’arrive pour l’ouverture, le guichet est encore libre, les collectionneurs de timbres ou les titulaires de livret A ne sont pas encore à mes bottes. J’ai le temps. Je récupère ma lettre. Il faut m’isoler pour ouvrir mon courrier. Marchant vers un parc, je repense à ma nuit, à cette prostituée, une femme sûrement bien, un peu perdue. Sa vie doit être bien triste, mais ne le suis-je pas aussi, enfermé dans ma solitude ?
Sur un banc, la couleur de l’enveloppe fait tache sur mon pantalon noir, je parcours les papiers, mon employeur stipule que le travail doit être terminé aujourd’hui. J’espère que mon patient n’habite pas trop loin. C’est quelques ruelles à côté. Le sujet : prostituée. Elle lui doit de l’argent et refuse de payer sa cotisation hebdomadaire. Mon client ne veut plus lui faire crédit.
Son nom… ANNA
Je marche, décidé d’aller chercher plus d’informations. Le vent souffle un peu. Le soleil s’estompe pour laisser place à quelques nuages. Il pleuvra cet après-midi. Un temps qui me va bien, le visage des passants est plus triste, on a moins de remords. Des gens tristes sont toujours plus faciles à tuer.
Le comptoir est déjà ouvert, le cafetier y range les vestiges enfumés de la nuit passée. Des mégots par terre, des morceaux de verres qu’un routier trop imbibé aurait fait tomber sans penser à s’excuser. L’homme a le regard couleur clope éteinte, puant et terne. Je m’assois à une table, il ne me regarde même pas. Sa vie ne n’intéresse pas, elle est banale, sans histoire. Le tuer ne me procurerait aucun plaisir. Il ne gémirait pas. Son sang serait trop noir des cigarettes fumées derrière sa caisse.
Quelques minutes plus tard, la tasse m’enfume le nez, le café est chaud, le goût à vomir. Jean, le serveur arrive enfin. Le cafetier le regarde et l’insulte. La restauration, un monde dur également, à servir des gens insignifiants, qui discutent de patrons stressants, de ménagères qui repassent mal, de leurs marmots qui piquent dans leur portefeuille et boivent de l’alcool au lieu d’aller au collège.
Je dois voir mon client. Le contacter sera facile, le rencontrer peu recommandé. Il emploie beaucoup de monde, sa tête vaut cher. Son affaire est flamboyante. Il traite plusieurs dossiers, attaques au fourgon, kidnapping, intimidation et protection. Un mac puissant. Il faut que j’en sache plus.
Ma pute m’a touché, je veux savoir pourquoi mon client veut tellement se débarrasser d’une poule aux œufs d’or. Elle doit être jaunie par une histoire. Pourquoi je me pose des questions ? Je suis payé pour tuer, et je suis bon. Jamais une bavure, jamais un témoin, jamais une fuite. Reste qu’Anna m’est liée, elle me connaît, j’ai joui en elle. Et elle a bien simulé.
La cabine téléphonique fonctionne, je me lève et décide d’appeler un contact de mon client. Il pourra peut-être m’organiser un rendez-vous avec lui. Émile travaille aussi pour mon client, il s’occupe aussi d’affaires. Je l’ai vu à plusieurs reprises. Un homme gras, toujours à hurler sur des filles qu’il pelote sans aucune gêne. Il aime les femmes et la nourriture riche. Sa journée est toujours parsemée de bagarres pour récupérer les frais de protection. Notre conversation dure peu. Émile est un homme occupé. Il me demande de le retrouver à son bureau avant le déjeuner. Je suis content. L’envie me vient à me demander ce qu’il se passerait si je le descendais. Ma mort peut-être. Ses hommes me tortureraient. Passons.
Je rentre chez moi. J’ai besoin de calme. Émile ne va pas être facile à convaincre. J’ai une mine défaite. Un verre de whisky. Quelques étirements. Ma forme me lâche. C’est vrai, l’âge aidant, le besoin de faire du sport doit se renforcer. Un autre verre de whisky. J’ai baissé les stores. Il fait chaud dans ma chambre. Quelques mouches et autres insectes voltigent autour du lustre.
Quelques verres plus tard, on approche onze heures, je dois y aller. L’heure approche. Je suis en forme, l’alcool aidant. Je prends mon Ami, bien au chaud dans mon holster. Mon manteau. Mon chapeau. Je suis prêt.
Le bureau d’Émile est dans un hangar au milieu d’une zone industrielle. Se garer loin et marcher vers les portes d’entrée. Deux hommes de main gardent les lieux. Je me présente. L’accueil est froid, ils ne me fouillent pas. Ils me connaissent. Je les connais. Des gros bras. Des touche-à-tout. Pour quelques milliers d’euros, ils descendent nos mères. Parfois par simple jeu. Apparemment, ça amuse les filles.
Les gardiens du temple m’indiquent un bâtiment à l’écart. Le hangar est aussi gris que le ciel. Ma haine gonfle. Je n’aime pas Émile, un gros porc sans goût ni limite. J’entre. Une musique enveloppe les lieux. Un vieil Aznavour. Des cris aussi. De femmes. Plusieurs voix qui sortent de la salle adjacente. Il n’y a aucun meuble dans la première pièce. Je prends mon souffle. Je dois y aller. Je dois rentrer.
La porte ouverte, je découvre le bureau enfumé, les filles dansent, certaines seins nus, d’autres totalement nues. Émile est à son bureau. Il fume son cigare, un Partagas D4. Il rigole. Dans la pièce, un canapé. Deux hommes se font sucer. Les gardes du corps. Au milieu de la pièce, trois filles bougent vulgairement. Émile me voit et hurle de m’approcher. Lui aussi a droit à sa sucette. Il jubile. Ces femmes sont des prostituées. Non, pardon, ses prostituées.
Je m’assois devant le bureau.
Je lui dis que j’ai des informations complémentaires. Anna, elle a parlé. Du bluff, parfois, savoir jouer au poker peut aider. Il est réticent. Le pauvre. Je vais le tuer. Je lui dis que je serais ravi de bosser directement pour lui. Lui offre du travail bien fait, sans bavure. Il accepte. Cette brute veut prendre le dessus, je comprends, il veut être calife à la place du calife. Je joue le jeu. Il aime. Il me donne l’adresse du patron.
Je décide de partir. Me lève. Émile me jette en pâture. Il veut vraiment en finir avec son boss. Je marche vers la sortie. Laisse ces hommes se faire sucer une dernière fois. Au moment de saisir la poignée, je me retourne. Le mac et ses hommes sont tous en extase. Je sors mon flingue, et alors qu’ils sortent leur dernier râle, je leur colle tendrement une balle dans le front. Tout doucement, pour le souvenir. Les filles hurlent. Elles essayent de sortir, prennent quelques fringues. J’en rattrape une, Mina.
Je sors mon couteau. La gifle plusieurs fois. Et lui pose la lame sur la joue. Le sourire de l’ange lui va si bien. Elle part en titubant. Maintenant, je dois me préparer. Le patron va lâcher ses chiens après moi, je dois être prêt.