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n° 11706Fiche technique8671 caractères8671
Temps de lecture estimé : 6 mn
13/09/07
Résumé:  La veille d'un mariage, deux femmes font leurs adieux.
Critères:  ff extracon amour miroir -regrets
Auteur : Anne Archet            Envoi mini-message
La dernière fois



J’acquiesçai de la tête, même si elle ne pouvait me voir, même si elle ne pouvait que sentir le mouvement de ma tête contre son épaule. Je savais que c’était la dernière, l’ultime, la der des der. Elle le savait aussi. Elle n’avait donc pas à le dire et je dis qu’elle l’a dit justement parce qu’elle n’avait pas à le dire, si vous voyez ce que je veux dire.


Qu’auriez-vous fait à ma place ? Qu’auriez-vous fait sachant que c’était la dernière fois ? Vous auriez pris votre temps, c’est sûr. Vous auriez oublié les gadgets, l’acrobatie, les fla-flas, l’esbroufe. Vous auriez concentré toute votre attention sur un seul mamelon en le tétant longuement pour tenter de vous imprégner de son goût. Vous auriez concentré toute votre attention sur un seul sein, pour garder en tête sa rondeur et sa texture. Et voyant qu’elle s’agite, qu’elle en veut plus, vous lui auriez dit :



Vous auriez ainsi pu vous donner la chance d’explorer son oreille avec le bout de la langue, pour vous donner tout le loisir de visiter chaque courbe et chaque pli, pour pouvoir enfin comprendre tout le bonheur qui peut naître de la caresse d’une simple oreille.


Voilà ce que vous auriez fait, voilà ce qui vous aurait occupé jusqu’à ce qu’elle bouge encore, avec plus d’impatience, jusqu’à ce qu’elle serre ses cuisses contre la vôtre pour y frotter son sexe humide et palpitant. Vous auriez alors continué à taquiner son oreille même en sachant qu’elle jouirait de cette manœuvre déloyale, et vous l’auriez laissé jouir en sachant que vous pouvez bien mieux pour elle, beaucoup mieux.


Vous n’auriez pas fait soixante-neuf. Non. Pas ce soir-là. Parce que vous auriez voulu vous consacrer à elle, parce que vous auriez voulu ne jamais l’oublier. Vous l’auriez léchée lentement, doucement, pour faire naître le plaisir, pour graduellement la saturer de volupté. Vous l’auriez ensuite léchée plus vite, plus fort, en prenant soin d’observer ses réactions, en guettant, à la façon qu’elle respire et se contracte, le moment où son clitoris, gorgé de sang, presque douloureux, demande grâce – le moment où il faut passer à son cul.


Car pensez-vous sincèrement que vous l’auriez oublié ? Non, évidemment. Vous auriez fait courir vos mains, vos lèvres et vos dents sur ses fesses et le long de sa raie, pour vous les approprier, pour ne jamais les oublier. Vous ne vous seriez pas laissé distraire par ses supplications, par ses « baise-moi » et ses « fais-moi jouir ». Vous auriez exploré méthodiquement son anus, le taquinant du bout de la langue, y faisant entrer un, puis deux, et même trois doigts. Pour qu’elle soit prisonnière de cet obscur plaisir, de cette caresse qu’elle n’accepte que lorsqu’elle vient de vous.


Vous auriez tout fait pour faire durer ce moment. Vous auriez voulu que cette étreinte dure éternellement. Mais je le jure sur la tête de Satan, vous n’auriez pu l’empêcher de venir trop vite, trop tôt. Vous n’auriez eu alors d’autre choix que de la pénétrer encore, de la baiser une autre fois et l’embrasser, l’embrasser jusqu’à jouir avec elle, sans savoir en fait si vous jouissez pour vrai tant votre attention est portée sur elle. Évidemment, vous auriez quand même fini par plonger avec elle dans l’orgasme en vous effondrant sur son corps, tout en tentant de la lécher encore et toujours jusqu’à ce que votre bouche devienne sèche et crispée. Vous l’auriez alors prise dans vos bras et vous auriez pleuré en silence avec elle – dans la mesure où vous auriez pu, ou voulu, distinguer les larmes de la sueur salée née du sexe et de la canicule. Vous ne l’auriez pas lâchée pour tout l’or du monde.


Et vous auriez eu raison, puisque c’est exactement ce que j’ai fait.


Je l’ai serrée tout contre moi en embrassant légèrement son front et sa nuque. Elle soupira, prit ma main et la porta à ses lèvres.



Elle plaqua ses lèvres contre les miennes, étouffant ses derniers mots par la même occasion. Je vous le demande encore : qu’auriez-vous fait à ma place ? Vous auriez tout fait pour que cette nouvelle dernière fois soit encore plus digne de mémoire que la précédente. Vous lui auriez donné encore plus de doigts, encore plus de lèvres, encore plus de langue. Vous auriez bu sa cyprine comme le dernier verre du condamné. Vous auriez couvert son corps de caresses désespérées jusqu’à ce qu’elle s’endorme. Vous auriez veillé sur son sommeil en écoutant sa respiration et en caressant ses cheveux jusqu’au lever du jour.


Et vous auriez eu raison, puisque c’est exactement ce que j’ai fait.


Des heures plus tard, j’avais toujours les mains dans ses mèches rousses. Cannette de fixatif à la main et peigne entre les dents, je fis pivoter sa chaise pour qu’elle puisse se contempler dans le miroir, ce qu’elle fit d’un air satisfait.



J’aurais voulu me gifler pour avoir lancé une remarque aussi stupidement amoureuse. Elle me sourit et caressa ma joue de sa main gantée.



Elle mentait. Cette robe en lamé orange était hideuse. Ça ne l’empêcha toutefois pas de contempler longuement mon décolleté, pour ensuite, lentement, placer ses doigts entre mes seins. Après un moment d’indécision, j’attrapai son poignet :



Elle fit la moue, déçue, puis se retourna vers le miroir. Mon cœur battait la chamade.



J’avançai près d’elle et déposai une main sur son épaule droite et l’autre dans sa chevelure. Nous nous regardâmes dans le miroir.



Elle hésita. Je pense même avoir vu ses lèvres esquisser un sourire fuyant.



Ma main se contracta sur son épaule. Elle ne réagit pas.



Dans le miroir, son visage était inexpressif, impénétrable. Sans exprimer la moindre émotion, elle prit le voile sur la table, le manipula sans hâte, puis l’ajusta sur sa tête. Toujours sans la moindre expression, elle déposa sa main sur la mienne, restée sur son épaule.



Elle caressa mes doigts gentiment, doucement, comme une torture.



Qu’auriez-vous fait à ma place ? Vous l’auriez prise, là, tout de suite. Vous auriez déchiré cette stupide robe blanche, vous l’auriez plaquée contre le mur et vous l’auriez baisée jusqu’à ce qu’elle crie, jusqu’à ce qu’elle soit trop épuisée pour penser à son fiancé. Vous l’auriez ligotée les yeux bandés sur le lit et vous l’auriez fait jouir jusqu’à ce qu’elle devienne aveugle à tous les hommes. Jusqu’à ce qu’elle ne désire personne d’autre que vous.


Et vous auriez eu raison. Quant à moi, je me contentai plutôt de la suivre à l’église en tenant sa traîne et son bouquet, en espérant que parmi tous les cathos et les réacs de sa nouvelle belle-famille, que parmi tous ces braves gens opposés au mariage gay, il y en ait au moins un qui soit aussi opposé au mariage triste.