Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 11724Fiche technique31820 caractères31820
Temps de lecture estimé : 18 mn
17/09/07
Résumé:  Histoire triste, dramatique et violente d'un amour impossible.
Critères:  fh amour pénétratio mélo -amourdram
Auteur : Giusepe            Envoi mini-message
Le verre de bière

Je ne cherche pas à vous attendrir, ni à vous choquer, il se trouve que je vous dis les choses telles qu’elles advinrent, c’est tout.



*****



Vous imaginez bien la scène, peut-être l’avez-vous déjà vécue :


Le cimetière à moitié vide, la pluie, les fleurs qui se couchent à cause du vent ; les employés des pompes funèbres qui font prestement, autant que faire se peut, les regards maussades et les mines compassées ; les proches qu’on essaie d’identifier, la misère qui hurle dans chacun de leurs gestes ; la mère qui titube, le bras raide de celui qui la soutient ; la dernière prière dont on ne comprend pas les mots.


Et moi qui suis là, vous ne me connaissez pas, mais je suis celui, pâle comme de la craie, qui se tient un peu en retrait et qui tremble ; moi, qui pleure de ne plus jamais pouvoir la voir, ni la toucher, ni lui parler, ni l’entendre.


Et elle, ou ce qui reste d’elle, dans ce cercueil qui descend maintenant dans… un trou.



*****



J’avais connu Agnès par le boulot. Je suis infirmier. Elle avait fait un séjour dans le service où je travaillais, et c’est là que nous nous étions rencontrés. Pour être complet, je devrais peut-être dire que c’est dans un hôpital psychiatrique que je bosse… et que bien sûr, si elle était là, c’est qu’elle n’allait pas très bien. Et alors, qu’est-ce que ça change ? J’aurais dû me méfier, c’est ça ? Mais on dit toujours ça après coup, et ça ne veut rien dire.


J’ai tout fait pour éviter de tomber dans le piège du type protecteur qui profite de la fragilité d’une personne pour s’immiscer dans sa vie privée. Ce scénario bidon, c’est ce que pensent les autres de moi, mais cela n’a aucun rapport avec la vérité. La vérité est toute simple : nous sommes tombés amoureux l’un de l’autre, tout simplement. Enfin, tout simplement… Je suis tombé amoureux moi, mais elle de son côté, c’est un peu plus compliqué… enfin c’était.


Je ne savais pas trop pourquoi elle était là exactement, je veux dire à l’hôpital, mais je me doutais que cela tournait autour d’une grosse dépression, peut-être même d’une tentative de suicide. Il y avait eu un clash quelque part dans sa vie, m’avait-elle dit, et je n’avais pas cherché à en savoir davantage. Je sentais qu’elle n’avait pas envie d’être questionnée. Les confidences viendront en leur temps, je me disais. En réalité je me fourvoyais, les confidences ne sont jamais venues.


Après coup, lorsque l’on se remémore le fil d’une histoire, il est très facile d’analyser, de décrypter et de donner un sens aux petits signaux bizarres que l’on remarque, mais sur lesquels on passe. Mais peut-on dire « j’aurais dû faire ci à la place de ça » ? Quel sens cela a-t-il ? Il aurait fallu me la changer, Agnès, me la refaire du tout au tout ; alors que moi, c’est comme cela que je l’aimais.



*****



Si je ne l’avais pas croisée dans l’escalier, le jour de sa sortie de l’hôpital, je ne sais pas si nous nous serions revus après. J’étais très attiré par elle, et elle réciproquement sans doute, mais contexte hospitalier oblige, cela restait très évanescent.



C’est ce que j’avais dit en la croisant. Elle descendait avec son sac, je montais, et sans même m’en rendre compte j’avais fait demi-tour pour l’accompagner.



Elle me fit son sourire paisible comme elle avait parfois, car oui, elle pouvait avoir l’air paisible.



Elle continuait à descendre sans ralentir, mais se décalait un peu contre le mur pour me laisser une place à ses côtés.



J’étais gêné de ma maladresse, mais elle ne semblait pas m’en tenir rigueur. Nous étions arrivés en bas dans le hall, tout en bavardant, et c’est là qu’elle me dit :




*****



C’est fou ce qu’elle pouvait avoir l’air d’aller bien, parfois, en comparaison avec les moments où ça n’allait pas. Le plus dur pour moi, c’était cette sorte d’impondérabilité perpétuelle. N’importe quelle situation pouvait se renverser sans crier gare.


Parfois, en regardant ses yeux candides et verts, j’avais la sensation qu’ils disparaissaient d’un coup, et que derrière surgissait un antre rouge et grondant, comme si brusquement s’ouvrait la porte d’un four. Puis cette image se dissipait, et Agnès redevenait belle et sereine. Pourtant, l’impression d’avoir entrevu un démon derrière un masque subsistait et me faisait peur. Peur pour elle.



*****



On s’est retrouvé le lendemain à boire un verre chez Picasso. Picasso, c’est un pote à moi, il tient un café. On l’appelle comme ça parce qu’il dessine avec une facilité incroyable. Ce type, il est capable de faire le portrait de quelqu’un les yeux bandés après l’avoir regardé quinze secondes. Mais il n’est pas prof aux beaux-arts ni à l’école du Louvre, il tient juste un troquet, c’est comme ça.

Par la suite, Agnès et moi avons pris l’habitude de nous retrouver tous les jours chez Picasso à 18 heures. Les soirées se sont peu à peu prolongées. Un soir, nous nous sommes embrassés, et Picasso nous a apporté un plat de spaghettis.



Elle est venue chez moi et nous avons fait l’amour.



*****



Je ne me rappelle plus très bien le premier truc vraiment alarmant qu’elle ait fait. En fait, j’avais juste parfois des sensations étranges, obscures.


Une fois, nous avions rendez-vous, à une station de métro, et elle n’était pas là. Bizarrement, j’ai été tout de suite très inquiet, presque paniqué. J’ai eu le réflexe de descendre dans la station, et je l’ai vue, debout sur le bord du quai. Trop près du bord, beaucoup trop près.



Je suis arrivé en courant, elle a tourné sa tête vers moi. L’espace d’une fraction de seconde, j’ai vu ses yeux, ils étaient vides, rouge sang, ouverts vers un autre monde terrible et monstrueux. Puis Agnès, ma toute douce, est tombée dans mes bras.



Elle m’a serré contre elle, et elle a plaqué sa main sur mon sexe, mais ce n’était pas érotique, c’était comme si elle se raccrochait à une bouée.



Mais cette phrase est venue après un long silence. J’ai senti qu’elle se décrispait peu à peu. Elle continuait à appuyer sur mon sexe, et quand même, je commençais à bander.




*****



La première fois que nous avons fait l’amour, le soir après les spaghettis de Picasso, cela ne s’est pas passé comme dans les films. J’ai fait de mon mieux, mais je n’ai pas réussi à la détendre, elle était très crispée. Elle n’a pas joui, elle n’a pas simulé non plus. J’étais déçu, j’avais peur de m’y être mal pris.



Je ne savais pas trop quoi dire.



Celle que j’avais connue avant Agnès n’aimait rien autant que ma langue entre ses cuisses, et j’avais entendu dire que c’était comme ça, les filles. Comme en plus, ça me rend fou de me trouver là, j’avais pris mon temps, avant de la pénétrer.



C’est ce que je me suis dit, ça viendra, nous avons le temps. Et en effet, plus tard, c’est venu, mais pas vraiment comme je m’y attendais.



*****


Une fois, dans la rue, nous avons croisé un attroupement : des gens pariaient autour d’un type. Le bonhomme, un gugusse assez louche, avait trois cartes qu’il déposait l’une après l’autre, faces cachées, sur un carton en guise de table, après avoir exécuté quelques passes ; il fallait dire où se trouvait l’as de pique. À priori, rien de compliqué, il suffisait de le suivre des yeux. Seulement, l’as de pique n’était jamais où l’on croyait l’avoir vu, et le bonhomme ramassait tout le fric en gloussant, avec une gouaille désagréable.



C’était moi, le bonnet vert, et je ne tenais pas à jouer : il était clair que ce type était un pro de l’arnaque.



Surpris, je tournai la tête : c’était Agnès, la mademoiselle.



Agnès avait sorti dix euros et les avait posés sur le carton.



Il avait rapidement disposé les cartes à l’envers devant nous. J’étais tendu, sur mes gardes. Agnès au contraire avait l’air parfaitement relax.



C’est ce que je croyais aussi, mais jusqu’à présent ça n’avait pas marché.



Elle sembla changer d’avis brusquement, et sans attendre, retourna l’as de pique. Le bonhomme fit la grimace.



Ils recommencèrent, et Agnès gagna encore, mine de rien, en ayant l’air de choisir une carte au hasard. À la quatrième tentative, Agnès avait gagné 160 euros, et le bonhomme ne lui proposa pas de recommencer.



Je sentais que le type commençait à s’énerver, son sourire commercial commençait à tirer vers le rictus. Il y avait beaucoup de monde autour de nous. Je tentais d’attraper Agnès par le bras, mais elle se dégagea sèchement.



Le bonhomme palissait à vue d’œil. Agnès quant à elle avait un drôle de regard, et sa voix vacillait.



Et avant que le bonhomme n’ait eu le temps de réagir à cette nouvelle insulte, Agnès donna un violent coup de pied dans son carton. Les cartes voltigèrent sur le trottoir. Le bonhomme se redressa d’un bond. Je me précipitai pour m’interposer, mais d’un coup je m’arrêtai, saisi par son expression : il avait peur. Je me tournai vers Agnès, et je la vis, les yeux injectés de sang, le menton en avant, les narines dilatées, les ongles dehors, elle était effrayante.



Le cercle des curieux autour de nous reflua en arrière dans un murmure agité.



Sa voix était méconnaissable. Elle jeta tous les billets en l’air et avança vers le bonhomme, à deux doigts de lui sauter dessus. Lui commençait à battre en retraite en trébuchant sur les restes de son carton, sans même faire attention aux billets qui s’envolaient sous son nez. Je me mis devant Agnès et la pris dans mes bras de force. J’eus l’impression d’étreindre un objet métallique.



Je ne savais pas quoi lui dire, je me bornais à lui parler doucement à l’oreille, tout en la maintenant contre moi avec fermeté. Enfin, elle finit par se détendre peu à peu.



Elle ne me répondit pas tout de suite, son visage restait hostile et fermé. Puis soudain, elle se tourna brusquement vers moi :




*****



La première fois qu’Agnès a eu un orgasme avec moi, c’était un dimanche après midi, un bon mois après notre première tentative. J’appris un peu plus tard que c’était pour elle la seconde fois de sa vie. Je n’ai pas eu les détails de la première fois, elle n’a jamais voulu en parler.


Nous étions chez moi, sur mon lit. Comme d’habitude, je l’avais tendrement embrassée, cajolée, m’imbibant de chacune parcelle de son corps avant d’oser toucher son sexe, et comme à chaque fois, j’avais été déçu et inquiet de le trouver relativement sec. Pourtant, Agnès se collait à moi, et semblait avoir envie, si j’en jugeais l’avidité avec laquelle elle me caressait.

J’avais fini par me laisser glisser entre ses jambes, et je lui léchais soigneusement et délicatement le clitoris. Peu à peu, je commençai à venir taquiner l’entrée de son vagin de mon doigt. On ne pouvait pas dire que celui-ci restait complètement aride, mais par rapport à ce que j’avais connu jusqu’alors chez d’autres filles, cela n’avait rien à voir. J’en étais à me demander s’il nous faudrait utiliser un jour des lubrifiants, perspective qui ne m’enchantait guère, lorsqu’ Agnès m’interrompit :



Elle se retourna sur le ventre, et glissa sa main droite entre ses cuisses. Elle écarta ses lèvres, m’offrant ainsi la vision de son sexe ouvert. J’en fus à la fois gêné, désarçonné et terriblement excité.



Je guidais doucement mon pénis vers l’entrée, mais Agnès recula brusquement pour venir à ma rencontre. J’eus moi-même un peu mal, tant elle était sèche à l’intérieur. Je voulus me retirer, pour au moins me lubrifier un peu avec ma salive, mais Agnès ordonna :



Je commençais à bouger. Agnès n’avait jamais ainsi pris d’initiative, elle n’avait pas non plus l’habitude de parler pendant l’amour. Je commençais à me dire que j’avais peut-être été trop tendre avec elle quand elle me demanda d’une drôle de voix :



La suite ne vint pas. Je l’encourageai :



Elle m’excitait à me parler ainsi. Je m’enfonçai alors en elle un peu plus brusquement, et plus profondément. Elle soupira, et je sentis enfin son sexe se dilater un peu et changer de texture.



L’atmosphère changeait, la voix d’Agnès devenait gutturale. Elle bougea son cul en le levant vers moi, et elle plongea sa tête en avant dans l’oreiller.



Je m’étais brusquement interrompu, estomaqué.



Je recommençai à bouger, malgré ma stupeur. Je me rendais compte que la situation me troublait, mais je n’osais pas parler. Jamais je ne me serais attendu à une telle demande de sa part. Agnès continuait à me supplier :



Je revis Agnès telle que je l’avais vue la première fois, pâle, fragile, endormie et sereine sur son lit d’hôpital. À cela se superposa l’image d’une fille vulgaire, trop maquillée, l’image d’une prostituée racolant sur un trottoir blafard. J’eus presque envie de fuir, soudainement, sans comprendre pourquoi, alors qu’en même temps, le désir et le plaisir montaient et menaçaient de me submerger. Agnès, que veux-tu de moi ? Quel rôle veux-tu me faire jouer ?



Ce n’est qu’un jeu, me disais-je. Ce n’est rien, ce n’est rien… Je me disais ça, pour me donner du courage, mais je savais bien que là, c’était plus qu’un jeu, plus qu’un peu de sel pour rehausser un plat trop fade. C’était un pan de la mystérieuse personnalité d’Agnès qui s’éclairait d’une lueur pourpre.



La voix d’Agnès chevrotait d’excitation, elle bougeait avec volupté, et son sexe, enfin, commençait à mouiller. Je compris qu’il fallait foncer dans cette direction, que c’était la seule issue à notre amour, qu’il n’y avait que ça à faire, et que si j’attendais encore, il serait trop tard. Je criai :



Je lui envoyai un coup de reins si puissant qu’il la projeta en avant et lui fit se cogner la tête contre le montant du lit. De ma main droite, je lui griffai les fesses, imprimant des traces rouge sang ; puis, je lui tirai les cheveux et la giflai. De ma main gauche, je fouillais tout autour de son sexe, cherchant son anus, lui fourrant un doigt dedans. Agnès cria, et soudain, je sentis son sexe s’ouvrir, se dilater, puis devenir chaud et gluant, à un tel point que je n’en sentis plus les parois. J’éjaculai en un râle qui m’effraya moi-même tandis qu’Agnès hurla sa jouissance comme une victoire, son premier orgasme avec moi, enfin.



*****



Chez Picasso, un matin, nous étions attablés devant un chocolat chaud et des croissants. Nous prenions souvent notre déjeuner chez lui, tant l’ambiance de ce café était sympathique.


Je parlais à Agnès d’un film que je voulais aller voir avec elle. Je parlais, parlais, tout en mangeant, la bouche à moitié pleine, quand je vis son poing crispé sur le croissant qu’elle tenait. Je levai les yeux, et réalisai qu’elle ne m’écoutait pas.



Elle avait son visage dur et fermé, le menton légèrement tremblotant. Instantanément, je sentis que ça clochait. Merde, pensais-je tout allait bien, qu’est-ce qui se passe ?



Son poing serrait le croissant de plus en plus, tant et si bien que celui-ci s’échappait d’entre ses phalanges, complètement broyé. Je me retournai pour regarder derrière moi, le regard vitreux d’Agnès semblant fixer une scène se déroulant au-dessus de mon épaule. Des types, joyeux et peut-être un peu démonstratifs, parlaient en rigolant.



Ce devait être ça, certainement, ces types qui avaient déclenché quelque chose. Ce n’était pas la première fois qu’Agnès réagissait bizarrement devant des gens dont le rire sonnait un peu faux ou un peu hystérique. J’écoutais ce qu’ils disaient : il était question semblait-il d’une cuite qu’ils s’étaient tapée la veille. Agnès marmonnait entre ses dents :



Je la sentais prête à exploser, et je savais qu’elle pouvait être extrêmement violente si par malheur elle perdait le contrôle d’elle-même. Je tentais désespérément de la ramener à la réalité ; je pris sa tête entre mes mains et la forçai à me regarder.



Son regard, vague et lointain finit peu à peu par accrocher le mien.



Elle se durcit à nouveau.



Elle ne répondit pas tout de suite, elle s’ébroua, comme pour chasser une torpeur ou un mauvais rêve.




*****



Agnès était traductrice. Elle parlait couramment l’anglais, l’espagnol, l’italien et le russe. Elle se débrouillait très bien en allemand, et elle avait de bonnes notions en chinois, japonais. Elle disait qu’elle avait le don de Baudelino, celui de comprendre les langues sans les avoir apprises. Elle nageait un 100 mètres en moins d’une minute. Elle connaissait le nom des étoiles dans le ciel. Elle marchait pieds nus dès qu’elle pouvait. Elle savait jongler avec cinq balles, marcher sur les mains et faire du trapèze. Elle avait des seins moelleux et souples, une chatte douce de petits poils blonds, des joues pleines et sanguines. Elle ne voulait pas avoir d’enfants. Elle avait besoin d’être insultée et violentée pour jouir. Elle aimait lécher mon sexe, le sucer, elle s’endormait en le serrant dans sa main. Elle pleurait toujours en regardant des films tristes. Elle adorait croquer des grains de café, et faire des tisanes. Maintenant, elle est morte.



*****



C’était en fin d’après-midi, je me rendais chez Picasso pour y retrouver Agnès. En remontant la rue vers le petit troquet qui en marquait l’angle, je ne pensais à rien de précis. Le temps était maussade, et je regardais mes pieds. Ce n’est qu’en arrivant vraiment devant le café que je m’aperçus que Picasso était sur le seuil. Je levai les yeux vers lui… et vraiment, en un clin d’œil, je peux le dire, je sus que c’était fini.


Picasso était bouffi, pâle, les yeux rouges. Il y avait des gens, d’autres potes, en retrait. On m’attendait en silence.



Les lèvres de Picasso se mirent à trembloter tandis qu’il hochait la tête. Je sentis que je me faisais aspirer dans un cauchemar.



Picasso était comme un père pour moi. Il couvait notre amour d’un œil bienveillant. Il était gentil avec Agnès. Il l’aimait. Picasso était comme un père pour moi, et là, il sanglotait sur le trottoir, en me fixant d’un air désolé et perdu.



Picasso bredouillait, hébété… « le verre de bière, le verre de bière… » Je le pris par les épaules et le secouai un bon coup.



Je pris Picasso par le bras et l’entraînai à l’intérieur, dans son café. La vue de chaises et de tables renversées, de bouteilles par terre, de verre brisé, poinçonna mon estomac. Il s’était passé quelque chose, ici, chez Picasso. Avec Agnès. Quelque chose en rapport avec un verre de bière ? Picasso me désignait les dégâts sans pouvoir articuler quoi que ce soit d’intelligible.



Je vis qu’il faisait des efforts pour rassembler ses forces, et qu’il allait me raconter.



Mon dieu oui, je savais. Agnès ne supportait pas les ambiances de beuverie, ni les propos vantards.



Picasso s’effondra une nouvelle fois en un sanglot qui me donna la chair de poule.



J’étais pétrifié. Je ne pouvais pas me représenter ça. Je revoyais Agnès, hier. Une ballade en forêt, sa main dans mes cheveux.



Picasso leva les bras d’un air catastrophé.




*****



Quand je suis arrivé à l’hôpital, Agnès était déjà morte. « Arrêt cardiaque faisant suite à une hémorragie interne causée par l’ingestion de verre pilé. »


Le chirurgien m’a reçu, il a essayé d’être mesuré et compréhensif, il a employé un vocabulaire circonspect ; mais je voyais bien ce qu’il pensait tout bas.


Mes amis ont tenté de me consoler. Ils ont presque essayé de me faire comprendre que c’était mieux pour elle, qu’Agnès n’était pas faite pour cette terre. En réalité, je devinais aisément ce qu’ils n’osaient me dire.


Le seul qui a osé, c’est Picasso. Après l’enterrement, je l’ai rejoint dans sa voiture. Il a conduit un moment en silence, puis il s’est décidé à sortir ce qu’il ruminait.



Je me crispai, j’avais peur de la suite.



Il me regarda avec douceur.



Je crois que je fus à deux doigts de cogner Picasso. Pourtant, soudainement la vague de haine reflua, et je me sentis tout simplement épuisé.