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n° 12018Fiche technique7490 caractères7490
Temps de lecture estimé : 5 mn
01/12/07
Résumé:  Du choix d'une robe dans une boutique.
Critères:  
Auteur : Mirthrandir      Envoi mini-message
Ode à la robe d'un soir



D’un coup d’œil en panoramique, elle survole la boutique, frôle les étagères, rase les rayons. Quelles couleurs, quelles matières, quels reflets arrêteront son regard ?


Nonchalamment, elle déambule dans les allées, une main sur la courroie d’épaule de son petit sac de cuir souple, l’autre effleurant du bout des doigts les étoffes habillant les cintres. Le petit déplacement d’air occasionné par son passage et la caresse distraite de ses phalanges font osciller les vêtements dans un léger cliquetis de crochets qui s’entrechoquent.


Attentive, professionnelle, la vendeuse jauge la visiteuse. Elle n’est pas dupe de ce détachement de façade, de cet air négligemment distrait et parfaitement simulé qu’affichent les belles et les moins belles lorsqu’elles évaluent en connaisseuses les trésors recelés par les rayons, recherchant la perle rare, le dessus craquant, le dessous affriolant ou l’éblouissante parure qui mettra en valeur leur envoûtante féminité.


Celle-ci est semblable aux autres, mais si différente en même temps, car toutes les femmes se ressemblent sans être jamais pareilles. Sous l’ombre soyeuse des cils de la visiteuse, l’éclat de deux prunelles attentives atteste de l’intérêt porté aux merveilles qu’elle dissèque élégamment.


Un iris pour la dentelle, un autre vers la professionnelle, rapidement, discrètement. Elle se sait observée, elle le voit, elle le sent, mais la vendeuse a le temps. Elle guette le moment où la visiteuse nonchalante se muera peu à peu en cliente exigeante, lorsque ses pas s’arrêteront le long d’un rayon, au chevet d’une robe ou d’un jupon. Elle attend l’instant où les doigts partiront en exploration à la recherche de l’étiquette accrochée à une manche ou un bouton, et que le froncement de sourcils, la moue désappointée ou le fier coup de menton lui indiqueront que le moment n’est pas venu encore de ferrer le poisson, ou qu’au contraire une attention accrue ou un mouvement pour dépendre le vêtement seront un appel inconscient à son aimable et discrète intervention.


Et soudain elle est là, la robe, la belle, celle à laquelle elle ne rêvait même pas. Elle est là, et puis l’autre à côté, et cette troisième encore, quelle joie, quel plaisir d’éprouver l’ivresse et l’embarras du choix !


La vendeuse est là elle aussi, attentive, attentionnée, aimable, prête à vanter, à flatter, à suggérer et conseiller, commençant son approche par le traditionnel « Je peux vous aider ? ».


La cliente n’écoute pas. Elle entend seulement, sourit énigmatiquement et examine le vêtement qu’elle vient de dépendre d’un lent mouvement, le tenant devant elle suspendu à son cintre, le contemplant sous l’éclairage brillant des spots orientés savamment.


Ses deux mains s’activent, les doigts palpent l’étoffe, glissent le long d’un ourlet, soulèvent et apprécient.

Ses yeux évaluent la coupe, la confection, et ce label qui oscille doucement, provocateur, avec ses chiffres insolents.

Ses paupières se baissent, elle imagine déjà le vêtement sur elle. Elle sent l’étoffe glisser doucement sur sa peau, effleurer ses formes, les souligner ou, au contraire, les transformer.

Quelle chance, c’est sa taille, précisément.



Au fond d’elle-même, cependant, elle sait déjà que c’est celle-là. L’autre est belle aussi, bien sûr, et cette troisième assurément, mais il suffira d’un essai, juste un moment et soit la robe sera pour elle, soit elle quittera la boutique définitivement.


Dans la cabine, derrière le rideau, elle se dévêt prestement. Il fait chaud mais elle frissonne pourtant.

Une pointe de nervosité ? L’angoisse du moment ?

Dans la glace elle voit son reflet, ses sous-vêtements, sa chaînette et le pendentif doré, les boucles d’oreilles assorties.


Elle décroche la robe, celle qu’elle veut, celle-là d’abord, parce que si elle ne va pas, les autres n’iront pas, et si elle convient, les autres iront moins bien.

L’étoffe se déploie, glisse dans un léger bruissement. Du bout des doigts, elle ajuste le vêtement, lisse le tissu sur sa peau nue, en de souples mouvements.

Qu’il est frais, qu’il est doux, le contact de la robe neuve sur la soie de son épiderme !


Elle pivote, se contemple dans la glace, derrière et devant, de côté, levant le talon, pliant le genou, se déhanchant, tournant sur elle-même pour apprécier la valse du vêtement.

Elle soulève ses cheveux, vérifiant au passage la netteté de sa peau sous ses bras, les laisse retomber, secoue ses mèches ébouriffées.

Elle se tient la taille, apprécie la chaleur de ses paumes au travers de la minceur de l’étoffe, s’imagine déjà dansant, sentant autour d’elle le contact léger des mains de son cavalier.

Elle sourit, baisse les paupières, soupire gentiment. Quel homme n’aurait envie de caresser la robe, de lisser le tissu ou de le froisser sous ses doigts, doucement ?

Saura-t-il retenir ses mains, les empêcher de glisser des hanches de cette douce et belle cavalière vers la courbe de ses reins ? Pourra-t-il faire autre chose qu’étirer les bras et serrer contre lui cet être tiède et frémissant ? Résistera-t-il à cette provocante féminité ?


Dans l’étroite cabine, face au miroir, elle s’étire voluptueusement, pose les mains sous sa poitrine, les laisse glisser le long de son corps, les pose en haut de ses cuisses, d’un seul mouvement. Elles se rejoignent, alors la belle se penche, sourit à son double dans la glace en retenant le bas de sa robe comme la star de ciné au-dessus de la soufflerie.


Le pendentif doré oscille au bout de la chaînette, tel un pendule indiquant un chemin vers les globes satinés agrémentés d’un nuage d’eau de parfum.

Elle se redresse, refusant de s’arracher trop brutalement à sa rêverie.

Elle enlève doucement la robe, en la faisant lentement glisser vers le haut en une langoureuse caresse sur sa peau, comme le ferait un partenaire imaginaire pour la dévêtir amoureusement avant de poser ses lèvres gourmandes sur sa poitrine en feu.


La robe s’en va, dans un dernier bruissement, dans un ultime froufrou. Elle la tient entre les doigts, l’approche de son visage et son visage du miroir, clignant des yeux en choisissant en pensée le fard à paupières dont le reflet nacré s’assortira à son regard et à l’étoffe tant appréciée.


Avec crainte et respect, elle accroche la robe à son cintre, et le cintre au crochet. Elle ajuste le tissu, le lisse du bout des doigts, contemplant au passage la beauté de ses ongles fraîchement manucurés.

Essaiera-t-elle les autres robes ? À quoi bon ? Elle n’en veut pas.


Elle se rhabille, la vendeuse l’attend. Regards complices de deux personnes satisfaites.

Un emballage, un sourire, une carte et un code sur un clavier.

Elle quitte la boutique le cœur léger.

Dans sa nouvelle robe, elle sera la plus belle.

Ou tout au moins, elle essaiera.