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n° 12194Fiche technique12577 caractères12577
Temps de lecture estimé : 8 mn
21/01/08
Résumé:  Un van noir passe dans des lieux lugubres...
Critères:  bizarre laid(e)s nonéro policier -policier
Auteur : Samy            Envoi mini-message
Le van noir

L’homme au faciès ingrat sortit de son véhicule. Il fit le tour de son van noir et ouvrit le bouchon de son réservoir. Tout en faisant le plein, il observait discrètement la maison de la gérante. Une vieille maison, à la façade sale, perdue entre deux axes routiers. Il n’y avait personne d’autre dans les environs. Normal, cette soirée de fin d’automne, avec son crachin glacial, n’inspirait pas à la balade.


Un rideau se souleva, et deux petits yeux l’observèrent. L’homme se força à sourire, ce qui eut pour effet d’accentuer la monstruosité de son visage. Le drap retomba instantanément.


Le réservoir rempli, le conducteur se dirigea d’un pas lourd vers le bureau où une grosse mégère passait le temps en regardant un feuilleton sur une petite télé portable. Sans retirer sa cigarette de sa bouche ni perdre l’action en cours sur l’écran, la femme lui annonça le montant du carburant pris.



La femme ne s’offusqua pas et répondit :



Un bruit derrière la porte vitrée fit comprendre au boxeur que les yeux aperçus derrière le rideau venaient d’assister à la scène. Il devait rattraper rapidement la gamine avant qu’un autre client n’arrive. Hypothétique, vu l’heure et la fréquentation, mais possible.



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Elle était sur le point d’annoncer son tarif habituel, lorsqu’elle vit le visage du demandeur. Elle eut un mouvement de surprise devant l’horreur de ces traits défigurés. Elle hésita et donna d’instinct un montant plus élevé, tout en regrettant dans l’instant même de ne pas avoir tout simplement refusé. Mais ce froid était pire que de faire une gâterie à ce type… et après tout, ce n’était pas à son visage qu’il lui avait demandé de s’intéresser !


L’homme avait bien remarqué qu’elle lui avait annoncé un montant hors norme. C’était toujours ainsi avec les personnes qu’il rencontrait. Être brusquement confrontés au visage d’un monstre ne laissait jamais les gens indifférents. Il accepta d’un geste de la tête et fit signe à la fille de monter.


Sitôt la fille dans la voiture, il démarra en trombe. La fille cria qu’elle voulait descendre mais l’aiguille qui s’enfonçait dans sa cuisse libéra un neuroleptique qui eut tôt fait de la rendre inconsciente.


Quelques kilomètres plus loin, le chauffeur arrêta son van et fit passer la fille sur la banquette arrière. Il s’appliqua à retirer délicatement les vêtements bon marché de la fille de joie. Il ne put retenir un sourire : même si elle était inconsciente, c’était nettement plus agréable de toucher son corps chaud que la chair froide des morts qu’il avait l’habitude de déshabiller.



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À ces mots, l’homme sursauta et se retourna.



La petite passagère se retourna et observa derrière elle.



Sans attendre la réponse, l’homme quitta la nationale et alla garer son van noir devant la grande surface qui ouvrait ses portes.



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Assis devant une tasse de café, l’homme au visage défiguré se réchauffait. La petite avait enfin accepté de se glisser dans le grand lit douillet. Dehors, la neige se remettait à tomber. Le crépitement des bûches habillait le silence et la quiétude de ce chalet isolé.



L’homme se retourna et observa la beauté de la demoiselle qui s’éveillait. Elle ne devait pas avoir vingt ans. La lumière de l’âtre saupoudrait d’éclats d’or ses longs cheveux noirs, lisses et brillants. Un peignoir de soie nacrée accentuait la beauté de ses courbes. Il s’était empressé de jeter ses horribles vêtements de travail. Elle était nettement mieux ainsi.



La jeune fille accepta la tasse tendue et hésita à s’approcher de son interlocuteur. Son regard inquiet parcourait la décoration de la pièce. On pouvait deviner qu’elle appréciait.



Elle déposa sa tasse et déverrouilla la sangle de l’objet désigné. Une fois ouverte, on pouvait voir une série impressionnante de liasses violettes. Elle eut un mouvement de recul, et une lueur de crainte passa dans ses yeux.




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L’homme claqua la portière de son van noir et démarra le moteur. L’essuie-glace balaya d’un coup la couche de neige tombée dans la matinée.


La jeune fille avait revêtu une belle robe blanche, qui faisait ressortir l’éclat de sa chevelure noire. Elle tenait la gamine dans ses bras. Toutes les deux faisaient un signe d’au revoir à l’homme qui venait d’enclencher la marche arrière.


La route vers la capitale allait être longue.


Le film de la soirée de l’avant-veille redémarra dans sa tête…



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Seul devant une bouteille d’alcool fort, il noyait une fois de plus sa solitude et sa tristesse. L’incompréhension, la méchanceté, la peur, le rejet de l’anormal, tout cela le regard des autres le lui avait renvoyé après ce grave accident de la route. Il avait petit à petit tout perdu.


Quand le barman l’avait vu entrer, il lui avait indiqué une place dans un lieu sombre. Même là, on avait peur qu’il fasse fuir les vivants. Seuls les morts l’acceptaient comme il était, et c’est pourquoi le seul emploi qu’on avait finalement accepté de lui donner était à la morgue, où il était chargé de préparer les corps.


La nuit était bien avancée lorsque deux hommes entrèrent et prirent une place non loin de lui. Au ton de leur conversation, on devinait bien qu’ils avaient déjà bien bu.


L’un d’eux, un certain Alain, avait une grande nouvelle à annoncer à son ami Thierry. Il parlait d’un « coup fabuleux » qu’il allait « concrétiser le lendemain ».



L’homme défiguré avait attendu que les deux complices quittent le bar avant de faire pareil.


Le lendemain, il avait patienté devant l’étude du notaire. Celle-ci était isolée, dans une petite rue où il ne passait personne. Elle était située dans une vielle maison, qu’un tout petit bout de jardin séparait de la rue. Entre le portail et le perron, deux mètres. À gauche du perron, une immense vasque à fleurs, vague relique de la gloire passée de la bâtisse, lorsqu’elle était encore une habitation bourgeoise. Il s’installa derrière la vasque, surveillant le passage du jardin au perron.


C’est l’acheteur qui arriva en premier, quelques minutes avant 11 heures. Avant même d’avoir compris ce qui lui arrivait, il était déjà inconscient, caché dans la benne à ordures placée derrière le bâtiment.


L’homme défiguré avait vu ensuite arriver la jeune fille usurpatrice d’identité de loin. Seul son sac l’intéressait. Dès qu’elle posa un pied sur les marches du perron, il sortit naturellement de sa cachette, la rattrapa et se saisit de son sac en la bousculant. Dans le sac, il trouva comme prévu un passeport, un jeu de clés et un acte notarié.


Le van noir s’engagea sur l’aire de repos, il ressentait le besoin d’un café, avec ces vingt-quatre heures sans sommeil. Tout en buvant son breuvage, d’un œil distrait, il regardait le journal de la mi-journée.


… la politique du ministre… la hausse des tarifs publics…

… la visite du président…

… alors qu’il était lui-même agressé par des individus masqués et que la police venait à son aide, Alain M., un petit truand jusque-là sans envergure, a été trouvé en possession de l’arme qui a servi à tuer Thierry R., soupçonné de proxénétisme par la police et connu pour son comportement extrêmement violent avec les femmes. Mis en garde à vue, ses déclarations ont provoqué une vaste opération policière qui a permis un coup de filet sans précédent dans les milieux du crime organisé qui sévissent dans la capitale : plusieurs réseaux de traite d’êtres humains, d’immigration clandestine ainsi qu’un important réseau de trafic de drogue, ont été démantelés. Le ministre de l’Intérieur s’est félicité de l’efficacité de ses troupes et a promis…


L’homme n’écoutait plus. Le gobelet jeté, il sortit du restaurant en pensant au gros nounours qu’il avait promis de ramener à une petite fille pour son premier Noël avec sa maman. Son visage était horrible, défiguré, tant était grand le sourire qui lui montait du cœur.


Le monstre pouvait retourner parmi les morts… Le van noir démarra.