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Temps de lecture estimé : 4 mn
14/02/08
Résumé:  Récit d'un drame psychologique, écrit sous la contrainte.
Critères:  cérébral revede exercice
Auteur : Alex Vogelbird
Intentions

Combien de femmes sont télépathes et combien rêvent seulement de l’être ? Combien de fois cette question : « Qu’as-tu dans ta tête ? » et combien de fois ai-je dû choisir sur la seconde, sans frémir d’une paupière de peur de me trahir, entre la dissimulation habituelle (à pas grand-chose) et la sincère mais embarrassante vérité (à une autre) ?


Pas la peine de réfléchir cent sept années pour répondre, me direz-vous. Cependant, attention : à alternative simpliste, échappatoire exiguë, car la femelle indiscrète ne se satisfait pas d’élusions. Et toujours cette angoisse qu’une goutte de sueur, sur ma tempe ou derrière mon oreille, ne révèle mon incertitude à cette prédatrice guettant mes réactions, prête à fondre sur moi à la moindre faiblesse, retroussant ses babines, pressentant la curée.


Alors je limite mes escapades mentales aux rares occasions que j’ai d’échapper à ses œillades inquisitrices. J’ai toujours peur qu’elle m’observe, même maintenant. Mais sous la douche, aux toilettes ou sous la couette quand je paresse, j’invente de nouvelles peaux, de nouvelles formes. Sous la chevrotine de ma culpabilité, mes rêveries déchiquetées se fondent à ma mémoire, ma mémoire à mes rêveries. Réminiscences, illusions, utopies… J’envisage d’autres lèvres remontant mes cuisses, d’autres chevelures à humer, d’autres poitrines à embrasser, d’autres fesses écartées pour moi. Pour tout vous avouer, je rêve de grasses vulves écrasant leur liqueur sur les bouches pincées de jeunes gouines soumises, dont j’imagine aussi les rosettes cédant sous les pressions de langues et de phalanges huilées…


Mais les raffinées délices de ces amours rêvées, pour orgastiques qu’elles soient, me rendent insatiable car jamais elles ne se comparent, ni en intensité ni même en qualité, aux pharamineuses orgues d’une jouissance partagée. C’est, hélas, la taxe à payer pour ce que l’on appelle « fidélité ». Or, à la femme qui exige l’exclusivité de ma personne physique, je l’accorde à une exception près : la masturbation.


En revanche, si elle souhaite également l’autorité sur mon âme, je ne peux lui offrir que ce que je possède. Je n’ai aucune emprise sur ma propre folie.


La semaine dernière, en fin de matinée, tandis que je rêvassais dans la baignoire – mes mains lascives, portées par les vaguelettes, flottant d’elles-mêmes vers les zones les plus sensibles de mon anatomie – mon amoureuse est entrée dans la salle d’eau. Je ne l’ai pas entendue. Elle est restée plusieurs minutes sans parler, à me regarder me toucher. Je ne savais pas. J’ai continué. Elle ne m’annonça sa présence qu’à la pire des opportunités : alors qu’en jouissant, je laissai s’échapper de mes lèvres entrouvertes l’appellation pseudonymique, inopinément rarissime, de sa fille adorée.


Cette ode minimaliste à la tendre jeunette – à peine deux syllabes soupirées – leva, quant à l’identité de la demoiselle de mes pensées, toute ambiguïté dans la compréhension que ma compagne pouvait maintenant avoir de la situation. Ce n’est qu’en reprenant conscience que je la découvris, puis vis dans ses pupilles briller sa colère noire. Terrifiante, quoique fascinante dans sa nuisette translucide, elle me toisait de sa hauteur, de toute sa taille, et elle s’était armée (l’expression est appropriée) de la petite radio que je laisse sur une étagère, sous la glace, car j’aime écouter de la musique ou les informations quand je fais ma toilette. Une minichaîne hi-fi, en quelque sorte, dangereusement reliée à la prise électrique murale, et qu’elle brandissait à présent d’une main, au-dessus de cette baignoire à moitié remplie où je me vis soudain connaître une mort violente.


Je vis la main monter en une ample courbe rageuse impliquant jusqu’aux articulations de l’épaule, puis s’abattre brutalement, projetant la masse de connections et de diodes juste entre mes deux cuisses. Mes terminaisons nerveuses, encore électrisées par la récente extase, encaissèrent la décharge de douleur qui devait me tuer, mais uniquement parce que mes muqueuses génitales furent broyées par la collision. La gaine était trop courte ; la prise s’était débranchée à la seconde exacte où la machine percutait la surface.


Dans les minutes qui suivirent comme une éternité, on n’entendit pas même une respiration. La furie aux pulsions meurtrières ne bougeait plus. Paralysée. Simplement, peut-être en pensant à la mort que je méritais pourtant, elle regarda la radio se remplir et couler. Puis elle s’en alla sans une parole, sans une larme.


J’aurais tant préféré que mes cuisses, sur l’heure, connaissent pour une fois la morsure de ma cravache jusqu’à l’expiation, ou que ma dulcinée impose à ma poitrine, à m’en faire implorer sa miséricorde, ces pinces avec lesquelles j’ai si souvent meurtri les pointes délicates de ses tendres mamelles. Je lui aurais offert sa vengeance sur ma chair, en échange de sa rémission, si elle l’avait voulue. J’aurais ouvert mes fesses aux énormes prothèses dont j’abusais parfois pour dilater en force sa boutonnière anale. Pour qu’elle me pardonne, j’aurais même bu par pintes son urine, humiliation qu’elle exécrait elle-même quand, lors de nos promenades dominicales en voiture, me prenait une envie pressante sur une route de campagne, près d’une clairière isolée ou à proximité de ces aires de repos dont les toilettes douteuses m’incitaient fréquemment à préférer sa bouche…


En place de cela, elle est partie, ma mise à mort inachevée. Depuis lors, comme une ombre, j’erre dans la maison sans destinée, ni dignité, ni même raison. J’en viens même à admettre dans ma nuit de détresse, depuis les profondeurs de mon âme calcinée, qu’en cette journée maudite, malgré les apparences, mon amante m’a réellement tuée.