Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 12528Fiche technique22394 caractères22394
Temps de lecture estimé : 13 mn
02/05/08
corrigé 01/06/21
Résumé:  Desgrange s'est réfugié dans la mine de la Fayolle pour échapper à la police de Brioude. La femme de charge du château, Mariette, vient l'aider à s'installer.
Critères:  fagée bizarre campagne soubrette vengeance jalousie chantage sorcelleri -policier -fantastiq
Auteur : Musea      Envoi mini-message

Série : Les sorcières de Saint Amant

Chapitre 19
L'antre du diable

Il faisait froid, très froid malgré matelas, couvertures et coussins. L’ancienne galerie de la mine de la Fayolle était humide. Cela venait sans doute de la source qui coulait à proximité du calvaire, peut-être aussi de la profondeur, Olivier Desgrange ne savait plus. Il grelottait tout en dormant, le sommeil agité de cauchemars où se mêlaient Claire, le luthier et Marthe qui hurlait des malédictions. Une lampe tempête posée à ses côtés et quelques cierges plantés çà et là entre les blocs de pierres affaissées diffusaient une lumière jaune et ondulante qui donnait à son repaire de fortune une allure de chambre mortuaire.


C’est d’ailleurs la première pensée qui traversa Mariette, la femme de charge du château Desgrange, lorsqu’elle découvrit son jeune maître immobile et pâle sous trois épaisses couvertures.



Inquiète de le voir grelotter, elle s’approcha de lui et s’agenouilla, malgré les paniers volumineux qui encombraient ses mains. L’entendant respirer avec régularité, elle poussa un soupir de soulagement : Marthe Rougier ne lui avait pas menti, le jeune homme était bien vivant et, malgré le froid, en parfaite santé. Émue, elle fixa son maître avec adoration. Malgré la violence capricieuse et arrogante dont il faisait usage avec elle, le rictus hautain lorsqu’il s’adressait à elle, la femme de charge l’aimait comme un fils. C’était elle qui lui avait appris à marcher, à parler, qui le consolait lorsqu’il était contrarié. Et même si, par la suite, elle avait dû le partager avec Lucie Desgrange et Marthe Rougier, elle se sentait toujours sa nourrice et devant veiller à son bien-être.


Le comte remua en grognant. Et, sans doute ressentant une présence près de lui, ouvrit les yeux.



La vieille femme se dirigea vers la sortie, obliqua à gauche peu avant d’atteindre la lumière du jour et amena Olivier Desgrange à une sorte de salle, sèche et saine, partiellement éclairée par un puits de jour carré. Moins lugubre, le lieu se prêtait à un séjour sinon agréable du moins plus confortable que celui choisi au début par le jeune sorcier.


Avec un sourire goguenard, perdu entre ironie et reconnaissance, Desgrange observait sa nourrice en train d’allumer les bûches du foyer improvisé constitué de grosses pierres de lave. Le visage au teint de pomme cuite par le soleil, les mains rugueuses des lessives et des épluchages et le bonnet écru et raide, enchâssant des mèches de cheveux gris fer, elle s’activait à donner à l’abri l’apparence d’une chambre. Elle eut tôt fait de lui arranger un lit confortable, de placer une caisse et un coussin pour servir de siège devant un bloc de pierre et d’accrocher çà et là plusieurs lanternes aux clous rouillés plantés à même la paroi. Elle sourit fièrement, les mains calées sur les hanches.



Le sorcier acquiesça d’un signe de tête et interrogea :



Le sorcier eut un rictus de mépris. La sournoiserie peureuse de sa nourrice l’avait toujours profondément agacé.



La vieille servante avala sa salive en baissant la tête.



Le sorcier ne la laissa pas terminer. Il poussa un soupir de soulagement et c’est avec un large sourire qu’il interrompit la vieille dame :



Mariette se pencha vers son panier et sortit un petit carnet de toile grise qu’elle tendit au jeune homme. Celui-ci s’en empara avec avidité et l’ouvrit à la page marquée d’une marguerite séchée. Ému, il planta son regard dans le brun velouté de celui de Claire. Elle lui souriait doucement et lorsqu’il effleura du bout des doigts les contours de son visage, le papier eut un frémissement.



Et par pure provocation, il baisa la bouche du portrait avant de refermer son grimoire. Mariette le contemplait, partagée entre effroi et écœurement. Le sorcier fixait sa vieille nourrice avec amusement :



Mais Desgrange l’interrompit à nouveau :



Le sorcier se mit à rire devant tant de naïveté.



Desgrange sourit méchamment et s’avança vers la vieille femme qui se mit à trembler au fur et à mesure de son discours :



Sa voix avait pris une résonance étrange, métallique tandis qu’il répétait cette dernière phrase.


Mariette avala sa salive sans répondre. L’enfant qu’elle avait élevé, choyé, la tuerait donc sans le moindre émoi ? Ce n’était pas possible ! Il était devenu fou ! Sans doute à cause de cette petite Dupuy. La vieille femme en était de plus en plus persuadée : la malédiction de ses parents, morts dans des circonstances plus qu’étranges, retombait sur tous ceux qui l’approchaient et ce n’était pas qu’une rumeur : elle en avait la preuve éclatante aujourd’hui.



Olivier Desgrange haussa les épaules.



La vieille nourrice sursauta à ce qualificatif. Un tel mépris la blessait autant que si le comte l’avait giflée publiquement. Aussi, pour tenter de lui faire peur sans pour autant le contrer directement, elle objecta :



Mariette était abasourdie. Et de l’aplomb du jeune comte et de la machination qu’il avait ourdie. La cruauté dont il faisait preuve tant à son égard qu’envers les habitants et sa propre mère la faisait trembler et lui donnait la nausée. Oppressée par toutes ces révélations et les menaces dont elle venait de faire l’objet, elle porta les deux mains à son cœur qui battait à tout rompre. Il lui fallait sortir de cette galerie au plus vite, retrouver un peu d’air, ne pas s’effondrer. Son teint habituellement hâlé était devenu aussi pâle que la cire des chandelles qui brûlaient dans les lanternes de la galerie. Et le malaise qui s’emparait d’elle ne présageait rien de bon.


Elle prit rapidement congé de son maître, prétextant les ordres qu’elle devait prendre de la comtesse pour le souper. Dès qu’elle fut dehors, elle posa ses paniers, s’assit sur une souche et se mit à pleurer.


Comment une petite paysanne aussi insignifiante que Claire Dupuy avait-elle pu à ce point changer le jeune comte Desgrange ? Mariette n’en savait rien mais, à la brusque montée de haine qui l’emplit, elle préféra y voir ce que la rumeur et Marthe Rougier disait. Tout ce mal qui gangrenait son jeune maître venait de cette famille maudite, et sa dernière représentante, si ingénue et solitaire fut-elle en apparence, était aussi dangereuse que pouvait l’être sa sorcière de mère.


Aussi, à rebours de toute logique ou peut-être parce qu’elle ne voulait pas admettre les ravages de la magie noire sur la famille Desgrange, ravages qu’elle avait contribué à installer (c’était elle qui avait suggéré à la comtesse de faire soigner son fils par Marthe Rougier), Mariette se promit de servir fidèlement son maître, de l’informer de tout, quitte à mentir à Lucie Desgrange. Après tout, cette dernière n’avait-elle pas bradé son honneur de veuve et de femme respectable en ayant une liaison secrète et scandaleuse avec le maire du village ? Elle ne méritait donc que mépris et trahison.


Avant de tourner le dos au calvaire des Serves et de prendre le chemin du retour, la nourrice fixa méchamment la haie de lilas et de noyers qui bordait la ferme Dupuy, qu’elle apercevait au bout du chemin des Herbettes.



oooo00000oooo



Un peu plus tard, Olivier Desgrange ouvrait son grimoire personnel à la page des envoûtements amoureux. Il souriait en contemplant le portrait de Claire placé sur le bloc de pierre qui lui servait de table tout en inventoriant les ingrédients dont il avait besoin.



Fébrilement, il saisit le grimoire en maroquin en maroquin rouge qu’il avait emprunté à Marthe. Puis, d’une écriture appliquée, il écrivit sur une page blanche trois strophes qu’il scandait au fur et à mesure qu’il trouvait l’inspiration :



Rituel de possession noire, St Amant, le 15 Juillet 1935


Que tous ceux à qui il déplaît, en foutant,

D’être troublés en si douce entreprise,

Me contemplent, homme à qui, pour ce faire, point ne pèse

D’enlever sa maîtresse pour foutre où bon lui semble.


Par magie me voici près de toi, soutenant ton désir

Et toi, suspendue par les jambes à mes flancs empressés,

Tu gémis plaintivement sous mon vit bien dressé

Que nulle autre caresse ne peut faire défaillir.


Éreintée que tu es par ma course effrénée,

À ce jeu délicieux où nos corps se complaisent

De ton âme chaque nuit je serai flibustier

Et mienne par ce sort, qu’enfin je te baise.




Et à cette seule idée, il se mit à rire à gorge déployée. Il imaginait tellement la fureur jalouse de l’homme découvrant l’infidélité de Claire qu’il en oubliait momentanément celle qui l’avait saisi lorsqu’il avait appris que le luthier avait séduit la jeune fille.